Le bras de fer entre PlayTV.fr et France Télévisions n’est définitivement pas clos. Le Conseil d’État vient de décider de transmettre une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne afin de définir le périmètre de l’obligation de « must carry ».
Ce site français, qui se veut vertueux, a pour ambition depuis son cri primal en février 2009 de devenir une plateforme de distribution. Pour ce faire, il espérait bénéficier de l’obligation de « must carry » afin de diffuser l’ensemble des chaînes publiques, en application de la loi de 1986 sur la liberté de communication.
Ce plan bien huilé est tombé sur un os : France Télévisions elle-même qui s’oppose à cette reprise, sur l’autel du droit voisin. Début 2016, le service de streaming édité par Play Media a été condamné par la justice à verser près de 1,5 million d'euros au groupe.
Celui-ci a utilement fait valoir devant les tribunaux que l’obligation de « must carry » n’était en rien une exception ou une limitation aux droits d’auteur et droits voisins.
En conséquence, FTV dispose de son droit d’autoriser ou d’interdire ces reprises selon ses marges de manœuvre négociées avec les titulaires de droit, sachant que « certains ayants droit (studios américains, détenteurs de droits sportifs) imposent des interdictions concernant la reprise sur l’internet “ouvert” des diffusions autorisées sur les réseaux hertziens, ou limitent ces reprises du signal hertzien aux seuls sites Internet des diffuseurs ». Les sites qui reprennent sans autorisation ses flux sont éligibles à la peine de contrefaçon.
« Depuis cette affaire on est traité comme The Pirate Bay ! On ne comprend pas pourquoi France Télévisions s’acharne contre nous, on est les seuls attaqués ! » regrettaient ses fondateurs dans nos colonnes, alors que ceux-ci payent déjà l'ensemble des droits Sacem, SACD, SCAM, COSIP (...) et misent à plein régime sur l'offre légale.
Condamné par la justice, mais adoubé par le CSA
D'ailleurs, si Play Media a été condamné tour à tour par le tribunal de grande instance puis la cour d’appel de Paris, l'entreprise a néanmoins obtenu gain de cause devant le Conseil supérieur de l’audiovisuel en juillet 2015.
Le CSA a en effet reconnu que la jeune entreprise innovante avait bien le statut de distributeur et a donc mis en demeure FTV de lui ouvrir le robinet de ses flux ! Quelques mois auparavant, la même autorité administrative indépendante précisait que « le simple fait que le groupe ne disposerait pas des droits nécessaires à la diffusion de ses programmes sur l’internet ouvert ne [permet] pas de faire obstacle au respect des dispositions législatives ». En conséquence de quoi, « il appartient au groupe France Télévisions d’obtenir, préalablement à leur diffusion, les droits nécessaires sur les programmes qu’il diffuse afin de pouvoir se conformer à ses obligations ».
Résumons ce beau sac de nœuds : dans une main, des décisions de justice constatent des contrefaçons en chaîne, à savoir la diffusion sans autorisation des flux de FTV par un service en ligne non autorisé. Dans l’autre main, un CSA qui reconnait le statut de distributeur à Play Media, obligeant le même groupe public à ne pas s'opposer à la reprise de ses chaînes.
Pour sortir son épingle du jeu, France Télévisions a rappelé à qui voudrait bien l’entendre que le CSA n’était en rien une juridiction et que ses décisions n'étaient donc pas assorties de l’autorité de la chose jugée. Ceci dit, le groupe public a néanmoins attaqué devant le Conseil d’État la douloureuse mise en demeure. Il faut dire que selon l’article 42 - 1 de la loi de 1986, la chaîne risque, administrativement, une sanction pécuniaire, voire une suspension de sa fenêtre publicitaire et même un retrait d’autorisation.
Une série de questions pour la Cour de justice de l'Union européenne
C'est dans ce contexte qu'on en arrive à l'arrêt rendu ce 10 mai par la haute juridiction où le dossier a gagné de nouveaux crans de complexité. Elle a décidé de geler sa décision en adressant une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Les problématiques concernent cette fois le seul droit européen, qui pose en effet que les États membres peuvent imposer une obligation de diffuser (« must carry ») aux entreprises « lorsqu'un nombre significatif d'utilisateurs finaux de ces réseaux [de communications électroniques] les utilisent comme leurs moyens principaux pour recevoir des émissions de radio ou de télévision ».
France Télévisions estime justement que les conditions ne sont pas réunies à l’égard de Play Media, car « il n'est pas possible d'affirmer que des utilisateurs du réseau internet en nombre significatif l'utilisent comme leur principal moyen pour recevoir des émissions de télévision ».
Mais le Conseil d’État a quelques doutes sur la surface d’application de ces dispositions. Il demande ainsi à la CJUE de l’éclairer sur plusieurs points, spécifiquement pour savoir si PlayTV peut ou non être regardée « comme une entreprise qui exploite un réseau de communications électroniques ». De là, de nouvelles interrogations surgissent.
Si une telle qualité ne peut être reconnue, est-ce que la France peut malgré tout imposer cette fameuse obligation de « must carry » ? Quelles sont alors ses conditions d’encadrement ? France Télévisions, qui diffuse ses propres programmes sur Internet, peut-elle se voir tenue d’ouvrir les vannes pour les autres services en ligne ? Enfin, comment s’apprécie la condition relative au « nombre significatif d'utilisateurs finals » ? Est-ce « au regard de l'ensemble des utilisateurs qui visionnent des programmes de télévision en flux continu et en direct sur le réseau Internet ou des seuls utilisateurs du site soumis à l'obligation de diffusion » ?
Une décision de la CJUE et... un arrêt de la Cour de cassation
Bref, le bras de fer prend désormais la route de la cour luxembourgeoise dont la décision n’est attendue qu'après de longs mois d'attente, voire plus encore. C’est, éclairé par ses réponses, que le Conseil d’État pourra rendre son verdict afin de blinder ou réduire en poudre la mise en demeure adressée par le CSA.
À terme, restera une dernière problématique : à supposer que France Télévision soit tenue de ne pas s’opposer à la reprise de ses chaines par la jeune pousse, que faire ? Cela alors que, paraît-il, elle ne dispose pas de toutes les autorisations des titulaires de droit.
Pour crever ce douloureux abcès, la parole reviendra finalement à la Cour de cassation puisqu’un pourvoi a aussi visé l’arrêt de la cour d’appel de Paris ! Et pour couronner le tout, de nouvelles questions préjudicielles pourraient y être adressées sur l’autel de la seule propriété intellectuelle.
Et dire que Play Media, dans l'un de ses premiers slogans, espérait vous faire regarder « la télévision gratuitement et simplement »…
Commentaires (19)
#1
« Depuis cette affaire on est traité comme The Pirate Bay ! On ne
comprend pas pourquoi France Télévisions s’acharne contre nous, on est
les seuls attaqués ! » regrettaient ses fondateurs dans nos colonnes, alors que ceux-ci
payent déjà l’ensemble des droits Sacem, SACD, SCAM, COSIP (…) et mise à plein
régime sur l’offre légale.
où est la logique ?
#2
Faudrait que le gouvernement soit cohérent.
Ils demandent plusieurs fois de faire payer la redevance dès que tu as un écran et internet (pas encore passé heureusement), et à coté ils semblent considèrer normal (vu qu’ils n’en parlent pas) que la chaine publique fasse tout pour que ses chaines ne soient pas complètement sur internet.
Dédoublement de la personnalitée de nos chers têtes pensante ?
#3
Tu mates pluzz, ou tu crèves !
#4
Le bazar que ça est " />
on risque de voir des conséquences sur les autres pays d’Europe, si c’est une question préjudicielle ?
Je sais qu’en Wallonie aussi on a des jolies saloperies…
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#7
avec l’obligation d’adobe maintenant, tu peux meme plus mater
#8
De quoi ?
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Disons que pour faire une offre légale de diffusion sur le web, il faut d’abord l’autorisation de la société qui diffuse le streaming en question. Le site france.tv (anciennement pluzz.fr) n’a peut-être pas envie d’une concurrence sur son domaine d’activité.
PlayTV.fr propose tout de même une offre web bien commerciale par rapport à d’autres plateformes ou logiciels qui reprennent le streaming de FranceTV : PlayTV.fr n’a pas un but non-lucratif de reprise de streaming dans un cadre de copie privée ou de service public (c’est plus un diffuseur commercial qu’une médiathèque).
#11
@Marc: c’est quoi la différence entre PlayTV et Molotov?
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#14
Pareil, je comprends pas pourquoi il n’y a pas de problème avec Molotov, mais seulement avec Play.tv
Après, Molotov est une application à installer, alors que Play.tv est un site Internet, mais je ne vois pas trop en quoi ce serait une différenciation suffisante ?
#15
Je n’ai pas tout suivi du feuilleton mais tant que PlayTV paye des royalties et respecte les conditions de diffusion de France TV (geoblocking par exemple), je ne vois pas de problème ni moral ni autre… Quel était le but de cette plainte?
D’autant plus que je n’ai aucune compassion envers France TV qui se la joue désormais TF1 en forçant l’inscription au site pour regarder du contenu sur l’appli android.
Arte, eux, n’ont pas besoin de porter plainte: leur appli/site de replay est d’une qualité inégalée de mon point de vue, on reste chez eux par plaisir et non par contrainte!
#16
“tu mate pluzz ou tu creve” => sans adobe, tu creve
#17
Molotov.tv a l’autorisation de FranceTV et PlayTV.fr ne l’a pas.
Les droits de diffusion audiovisuels et les partenariats commerciaux, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique.
#18
pigé :
merci à tous ! " />
#19
c”est énervant “cette trouvaille”" /> qui est D”OBLIGER les gens à s’inscrire
pour RE-garder une émission (qu’ils ont ratée) , si, encore, c’était de l’inédit, bon …
même pas, “oh…c’est du Replay”, c’est tout !
(perso. je laisse tomber) ! " />