Le délicat chantier européen de la fiscalité du numérique
Bercy, patron
Le 14 septembre 2017 à 09h14
6 min
Droit
Droit
Comment faire contribuer davantage les GAFAM aux charges publiques ? Comment rectifier les stratégies d’optimisation fiscale de ces géants du numérique ? Le sujet, épineux, est de retour sur la scène européenne. Panorama.
Le 12 juillet 2017, le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des impositions réclamées par Bercy à Google. Soulagement pour le géant américain qui risquait d’avoir à se priver de plus d’un milliard d’euros, montant des redressements sur la retenue à la source, l’impôt sur les sociétés, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la TVA et la taxe professionnelle.
Les jugements rendus ce jour-là se sont essentiellement appuyés sur la convention fiscale passée avec l’Irlande, signée à Paris le 21 mars 1968.
Par ce texte vieux de près de 50 ans, Google Irlande est donc parvenue à passer entre les gouttes des règles de droit commun fiscal français, comme l’avait d’ailleurs suggéré le rapporteur public du tribunal administratif.
Une taxe d’égalisation sur le chiffre d’affaires
Ces décisions sont tombées alors que le sujet de la fiscalité du numérique s’est accéléré une nouvelle fois en Europe. Cet été, Bruno Le Maire a annoncé une proposition franco-allemande pour septembre, avec l’espoir d’aboutir à une directive sur l'harmonisation fiscale portant justement sur le sujet.
Voilà quelques jours, les deux pays, joints par l’Italie et l’Espagne ont adressé une proposition à la Commission européenne et à la présidence estonienne du Conseil pour insuffler les premiers pas de cette réforme. Le sujet sera débattu par l’institution bruxelloise le 27 septembre prochain et ce week-end au sein d’une réunion informelle des ministres des Affaires économiques et financières.
Le groupe des quatre plaide pour l’instauration d’une taxe d’égalisation sur le chiffre d’affaires, dont l’assiette ne viserait donc pas le profit généré par les géants du net. Elle permettrait ainsi de frapper plus directement les activités des GAFA en Europe, en esquivant les stratégies d’optimisation fiscale mises en œuvre avec l’aide des conventions fiscales signées par ces pays…
Le temps presse : selon un rapport de l’eurodéputé hollandais Paul Tang corédigé avec le français Alain Lamassoure, l’UE a perdu pas moins de 5,4 milliards d’euros d’impôts rien qu’avec Google et Facebook entre 2013 et 2015. D'après Reuters, qui a eu accès à ce document dévoilé dans la journée, Google ne paye en Europe un impôt qui ne représente que 0,82 % de son chiffre d’affaires. Le chiffre est de 0,10 % chez Facebook. Avec la proposition des quatre pays, ce taux grimperait à 5 % estime le document.
L’établissement stable virtuel, le retour
D’autres pistes sont sur la table, en appui des travaux relatifs à l'assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS). Alain Lamassoure propose ainsi de tenir compte du volume des données connectées pour consacrer la présence fiscale d’une entreprise dans un pays déterminé. « En France, Facebook, par exemple, paierait alors des impôts en proportion du nombre de personnes qui y sont inscrites, grâce aux données personnelles desquelles l’entreprise tire des profits » a expliqué l’eurodéputé dans les Echos.
Le chantier n’est pas achevé, mais l’attention porte aussi sur le concept d’établissement stable virtuel, sujet justement abordé par la présidence estonienne du Conseil.
Un sacré retour en arrière… En février 2012, le Conseil national du numérique avait justement rendu un avis présentant ses pistes de réflexion sur la fiscalité du numérique où était retenu ce critère : « Les règles fiscales actuelles qui stipulent la stabilité d’un établissement pour déclencher une imposition ne sont pas adaptées à l’immatérialité d’internet. Il faudrait donc pouvoir s’en affranchir, et réfléchir à une notion d’ « établissement stable virtuel » dès lors qu’un acteur exerce des activités régulières sur Internet auprès des consommateurs en France ».
Et le CNNum de recommander « à long terme de travailler au plan communautaire, à l’adoption d’un statut créant un établissement stable virtuel ».
Une taxe « abus »
Dans une note d'étude pour la Digital New Deal Foundation, un think tank du numérique, l’avocat Vincent Renoux rappelle que ces stratégies d’optimisation engendrent mécaniquement chez les acteurs de l’économie numérique une « non-participation aux charges publiques ».
Il propose, outre d’adopter l’établissement stable virtuel ou « la présence digitale significative », de créer une taxe « abus », appliquée le temps d’une mise à jour des conventions fiscales internationales.
Son assiette « serait constituée par le profit trouvant sa source en France sous déduction éventuelle de l’impôt payé localement ». Il reviendrait alors aux GAFA « de mettre à cette occasion en avant tout type de charges dont il souhaiterait voir admettre la déduction. »
Surtout, techniquement, elle viendrait frapper la différence entre le profit qui aurait été réalisé sans optimisation et le profit actuellement déclaré.
Le document est accompagné, clef en main, de trois « propositions » de loi que les parlementaires sont invités à reprendre.
La première vise ainsi à deviner les revenus de source française déterminés selon « une présence digitale significative en France ». Dans ce périmètre, « un site internet, une application, ou tout autre support digital » serait qualifié de « présence digitale significative en France » dès lors que serait vérifiée l’une des conditions exposées par le texte.
Ce pourrait être le « nombre significatif de contrats pour la mise à disposition, directe ou indirecte, des services proposés […] signés avec des résidents français », ou le « nombre important de clients français [qui] utilisent les services proposés à titre gratuit ou à titre onéreux ».
Parmi les autres critères alternatifs citons le fait que « les services proposés [soient] adaptés pour une utilisation en France » ou que « la bande de trafic utilisée par des clients français est importante ».
On voit cependant les limites de ce dispositif compte tenu des flous liés aux termes proposés. À partir de quand une consommation de bande passante devient-elle « importante » ?
Le délicat chantier européen de la fiscalité du numérique
-
Une taxe d’égalisation sur le chiffre d’affaires
-
L’établissement stable virtuel, le retour
-
Une taxe « abus »
Commentaires (23)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 14/09/2017 à 16h36
Le 14/09/2017 à 16h38
Le 15/09/2017 à 09h42
Le 14/09/2017 à 09h55
Il y a un vrai problème, mais j’ai l’impression que l’on essaie de mettre des rustines au lieu de s’attaquer aux racines avec en plus des attaques au principe de libre commerce au sein de l’UE.
Le vrai problème est l’écart trop fort d’imposition entre les pays de l’UE. Il faut donc le réduire significativement et cela est très difficile. Mais je pense que l’ont pourrait contraindre certains pays à arrêter le dumping fiscal en leur supprimant toute subvention européenne. Ils n’en ont manifestement pas besoin s’ils limitent à l’extrême leurs rentrées fiscales. Cela est au moins applicable à l’Irlande.
Cela aurait en plus comme avantage de traiter le cas des sociétés non numériques qui appliquent les mêmes méthodes de contournement.
Je n’aime pas les méthodes hypocrites créant des établissement virtuels stables. D’autant plus qu’elles sont en contradiction avec la liberté d’établissement et de commerce en Europe. En plus, comme la notion d’établissement stable est définie dans la convention, je ne suis pas sûr que cela changerait quoi que ce soit si l’on crée une définition à l’extérieur de cette convention.
C’est quand même l’origine même de l’UE la liberté de commerce entre pays membres.
Une autre solution serait de supprimer au niveau européen les conventions bilatérales et les remplacer par une convention fiscale multilatérale unique entre pays de l’UE supprimant ces possibilités d’optimisation. Là, aussi, il faudrait arriver à convaincre les pays qui bénéficient des conditions actuelles.
Dernière idée : faire remonter au niveau de l’UE la fiscalité des entreprises avec une redistribution équitable, ce serait un grand pas pour la création d’une Europe fédérale.
Le 14/09/2017 à 09h57
Et si l’on taxait les flux financiers vers les maisons mères ou toute société avec un lien d’appartenance ?
C’est bien ça le sujet, non ? L’argent s’enfuit dans des royalties et des prestations bidon…
Le 14/09/2017 à 10h05
Le 14/09/2017 à 10h11
Le 14/09/2017 à 10h25
Le 14/09/2017 à 10h27
Le 14/09/2017 à 10h35
Au final, c’est effectivement le consommateur qui paye la TVA, l’entreprise ne fait que la collecter, mais ça ne change rien. Même si l’entreprise raisonne en HT, elle paie bien son fournisseur en TTC et récupère la TVA payée en déduction de celle qu’elle a collectée par ce qu’elle facture à son tour.
Le 14/09/2017 à 10h38
Le 14/09/2017 à 11h05
Le 14/09/2017 à 12h42
Le 14/09/2017 à 12h51
Ca a très peu de chance d’être validé et quand bien même, son applicabilité est tellement floue que les entreprises ne se gêneraient pour attaquer l’UE en justice et donc ne rien payer.
Mais je ne comprends pas toujours pas comment on a pas obligé les pays à unifier leur fiscalité depuis le début de l’UE, ça aurait été tellement plus simple.
Comme dit dans d’autres commentaires, cette taxe devrait aussi être appliquée à tout le monde, pas seulement aux quelques plus riches…
Le 14/09/2017 à 13h19
Tu confonds impôts sur les bénéfices (12.5%), et taux constaté sur le chiffre d’affaire (moins de 1%)
Si une entreprise fait une marge avant impôt de 50%, alors une taxe de 12.5% sur le bénéfice représente en première approximation un taux de 6.25% sur le chiffre d’affaire.
donc avec une marge de 10%, alors en gros un taux 1.25% sur CA
… avant optimisation et déductions normales.
Le 14/09/2017 à 13h26
Le 14/09/2017 à 13h53
Le 14/09/2017 à 15h47
…exerce des activités régulières sur Internet auprès des consommateurs en France
On voit bien que toute la problématique de nos gouvernements est de faire payer l’impôt à Google, Amazon… sans empêcher Total, BNP ou Loreal de voler massivement le fisc dans les paradis fiscaux " />
Le 14/09/2017 à 16h09
Le 14/09/2017 à 09h20
« un site internet, une application, ou tout autre support digital » serait qualifié de « présence digitale significative en France »
Apprends déjà à parler français…" />
Le 14/09/2017 à 09h38
Autant je ne suis pas contre des propositions qui taxent le CA à l’échelle européenne, autant
1-les grosses boîtes d’infos « GAFAM » ne sont pas les seules à faire de l’optimisation fiscale, un impôt/taxe supplémentaire devrait toucher toutes les autres boîtes,
2-les critères puent un peu, entre la « bande de trafic » (débit et bande passante ?) et la « présence digitale » (on va scanner les empreintes du patron ?) on nage dans une loi faite uniquement dans un seul but, qui risque d’avoir des effets de bord néfastes derrière.
Le 14/09/2017 à 09h38
Tu mets le doigt là où ça fait mal !
Le 14/09/2017 à 09h46