Initialement attendues pour octobre, puis reportées à « la fin du mois de novembre », les conclusions du groupe de travail dédié à l'ouverture des décisions de justice ne seront finalement pas connues avant décembre.
Il aura fallu attendre près de sept mois après la promulgation de la loi Numérique pour que le précédent gouvernement installe une mission à même de préparer la mise en œuvre de ses articles 20 et 21 – lesquels prévoient que tous les jugements rendus par les juridictions civiles et administratives soient « mis à la disposition du public à titre gratuit » sur Internet (qu’ils soient définitifs ou non).
Relancé hier pour savoir quand seraient présentées les conclusions de ce groupe de travail présidé par le juriste Loïc Cadiet, le ministère de la Justice nous a indiqué que ce rapport « devrait être rendu en décembre ».
La Chancellerie s’est au passage décidée à nous fournir la lettre de mission transmise en mai dernier à l’intéressé (et que nous réclamions depuis deux mois).
Une mission pour déminer notamment le risque de ré-identification des personnesC
Dans ce courrier signé par Jean-Jacques Urvoas, prédécesseur de Nicole Belloubet, la place Vendôme rappelle qu’il appartient au gouvernement de fixer par décret « un cadre juridique de mise à disposition des décisions propre à assurer l’équilibre entre la logique d’ouverture des données au public et l’impératif de protection de la vie privée des personnes ».
Et pour cause : le Sénat a tenu à ce que chaque publication soit « précédée d’une analyse du risque de ré-identification des personnes ».
Les travaux confiés à Loïc Cadiet s’articulent ainsi autour de trois grands axes :
- Une identification des « finalités de l’Open Data des décisions de justice pour les différents acteurs publics et privés ». Le groupe de travail est invité à examiner tout particulièrement les modalités de détention, de gestion et d’accès aux données de jurisprudence, y compris avant leur anonymisation.
- Une analyse des « conditions dans lesquelles la diffusion des décisions de justice en Open Data doit s’articuler avec les droits fondamentaux et libertés publiques, ainsi qu’avec les garanties procédurales consacrées en droit français et européen ». La Chancellerie a au passage demandé à Loïc Cadiet de proposer d’éventuels aménagements réglementaires pour « ménager un équilibre entre les normes concernées ».
- Une recherche de « l’étendue de l’anonymisation », tant au regard des règles françaises qu’européennes en la matière. « Vous présenterez notamment les différentes options ouvertes pour assurer cette anonymisation », indique le courrier de Jean-Jacques Urvoas.
Dans une optique un peu moins « théorique », Loïc Cadiet a enfin été prié de se pencher sur l’articulation de cette réforme avec le fonctionnement du site Légifrance, qui diffuse d’ores et déjà de nombreuses décisions (notamment de cours d’appel et de cassation).
Comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer, le juriste est épaulé par des personnalités provenant du Conseil d'État, de la Cour de cassation, du Conseil national des barreaux, de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), etc.
Certains acteurs tentent de freiner le mouvement
Ces reports à répétition ont-ils un lien avec le récent coup de semonce du Sénat, qui a adopté il y a quelques semaines une proposition de loi limitant considérablement la portée de la loi Numérique (mais qui devra encore être examinée par l’Assemblée nationale) ? Le ministère de la Justice ne s’est pas étendu sur le sujet.
Une source proche du dossier nous justifiait récemment ces retards par des « complications d’agenda ». « La mission avance dans ses travaux de manière régulière, absolument indépendante et sans se laisser influencer, encore moins impressionner, par qui que ce soit », assurait-elle au passage.
Axelle Lemaire, l’ancienne secrétaire d’État au Numérique, est quant à elle montée au créneau il y a quelques semaines pour appeler les pouvoirs publics à maintenir le cap : « On est à un moment de l'histoire qui suppose une volonté et un portage politique très fort, pour ne pas reculer. Parce que sur ces sujets, qui sont des sujets très sensibles, le recul est facile » a-t-elle mis en garde. « Je l'ai vu par exemple au Royaume-Uni lorsque le gouvernement conservateur est arrivé au pouvoir, « poum », il y a eu un coup d'arrêt à l'Open Data. »
Commentaires (4)
#1
Bien qu’appréciant beaucoup la lecture de Next Inpact je trouve que sur la question de l’open data vous manquez sérieusement de modération voire de capacité de remise en question.
Grosso modo tous les articles sont structurés à l’identique
1/ Constatation du retard de l’administration
2/ Procès en suspicion de ladite administration accusée au mieux de paraisse au pire de claire volonté de dissimulation
3/ Petite citation d’Axelle Lemaire érigée en sainte passionaria de la cause de l’Open Data.
Peut-être faudrait-il un peu s’interroger sur le fait que si l’administration a autant de mal sur la mise en œuvre de cette loi c’est parce que (comme trop souvent) l’étude d’impact et de faisabilité de cette dernière a été menée à la truelle aux cris de “l’intendance suivra”. Lorsque la volonté politique s’affranchit de toute considération réaliste ce n’est plus du courage c’est de la mauvaise foi. Il est facile pour l’ancienne secrétaire d’État de crier au scandale alors qu’elle savait sans doute pertinemment que les délais de mise en œuvre n’étaient pas réalistes et qu’elle ne serait de toute façon plus en charge de la question.
Sans négliger l’impact stratégique, économique et sociétal de l’objectif de la loi peut-être faudrait-il le mesurer à l’aune des missions réelles des administrations et de la nécessité (à coût constant) de prioriser et de privilégier le coeur de métier.
Vous aimez à rappeler le fait que l’administration doit des comptes aux administrés et vous avez bien raison, mais elle leur doit aussi et avant tout le service public pour lequel elle existe.
#2
Sans généraliser à tous les articles, +1 avec Dejepe et concernant cet article.
Le titre «Certains acteurs tentent de freiner le mouvement» laisse entendre qu il va être identifié qui et pourquoi il y a un blocage…
En réalité rien n est dit, mais le message (pas subliminal) est passé: des passéistes réfractaires à l innovation bloquent.
Je rejoins encore le propos sur axelle Lemaire, qui n a concrètement pas fait grand chose, mais qui est pourtant régulièrement citée comme le maitre a penser de l open data dont la parole serait d or.
Dommage car le passage sur lettre de mission est intéressant.
#3
#4
Il est vrai que l’anonymisation n’est pas chose simple, mais cette problématique existe déjà sur les décisions de justice actuellement publiée sur Légifrance ou juricaf (essentiellement des décisions de justice d’appel ou
de cassation).
Moi-même qui suis consultant et auteur juridique je suis intervenu plusieurs fois auprès de Légifrance (qui renvoie alors aux cours de justice) pour faire corriger des anonymisations mal réalisées, le cas fréquent étant lorsque le plaignant avait un nom propre correspondant à un nom de métier (M. Boulanger) ou lorsque n’apparait pas une raison sociale non nominative, le cas général pour des entrepreneurs indépendants cités par leur nom.
En outre pour les décision pénales frappant des élus, il est très souvent facile d’identifier les parties du fait que leur mandat est souvent cité (maire de la commune de Tartampion) puisqu’il participe à la motivation du jugement (c’est notamment en fonction de la responsabilité qui découle de son mandat que l’élu est condamné). Quelle est alors la politique d’anonymisation à adopter ?
Enfin, on a actuellement une pratique divergente concernant les désignations des avocats représentant les parties. Certaines cours les anonymisent et pas d’autres. A titre personnel je préfère la non anonymisation puisque la qualité des motifs développés est révélateur de la qualité du travail de l’avocat et donc que cela permet d’identifier la qualité du service rendu. La plupart des avocats (surtout les bons) considèrent que leur
identification dans les décisions de justice publiées sur le net est leur meilleur source de publicité. La bonne solution me parait être de laisser le choix au cabinet d’apparaître ou non, ce qui suppose aussi une certaine
lourdeur administrative.
Sur cette problématique qui n’est pas nouvelle, lire cette contribution extraite du rapport de l’année 2000 de la Cour de Cassation :
https://www.courdecassation.fr/publications_26/rapport_annuel_36/rapport_2000_98…