La SEC s’interroge sur la sécurité des fonds en crypto-monnaie
Safety first
Le 23 janvier 2018 à 07h30
7 min
Économie
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Aux États-Unis, de nombreuses voix poussent en faveur de l'établissement de fonds indiciels s'appuyant sur des crypto-monnaies. Les autorités planchent sur le problème depuis plusieurs années, et aujourd'hui encore, l'équation entre sécurité et faisabilité des investissements semble difficile à résoudre.
C'est un vieux serpent de mer qui refait surface. Depuis 2013, plusieurs investisseurs, les frères Winklevoss en tête, souhaitent mettre en place des fonds indiciels côtés (ETF ou trackers en anglais). Problème, l'ouverture de tels fonds aux États-Unis est soumise à de nombreuses réglementations, afin d'assurer un minimum de sécurité pour les investisseurs.
En mars dernier, la SEC (le gendarme boursier américain) rejetait ainsi, après tout de même quatre longues années de procédure, l'ouverture du Winklevoss Bitcoin Trust. Un revers de taille qui n'a toutefois pas suffi à décourager d'autres investisseurs, désireux de défaire l'épineux nœud juridique auquel ils font face.
Pour comprendre l'étendue des obstacles à soulever, la SEC a diffusé une lettre regroupant l'ensemble des questions qui se posent encore aujourd'hui, et empêchent l'autorité de donner son feu vert à la commercialisation de tels produits financiers. La valorisation des actifs, leur cautionnement, leur liquidité, la gestion d'éventuels « forks » et le risque de manipulation des cours, sont autant de points qui inquiètent l'autorité.
Un ETF, qu'est-ce que c'est ?
Avant toute chose, il convient de définir précisément ce qu'est un ETF (Exchanged Traded Fund). Grossièrement, il s'agit d'un fonds qui réplique à l'identique la performance d'un indice boursier, comme le CAC 40. Ainsi si l'indice parisien voit sa valeur grimper, l'ETF lui correspondant en fait de même, et inversement en cas de baisse.
Il est théoriquement possible d'indexer ce type de fonds sur n'importe quoi, y compris sur des crypto-monnaies. Il suffirait qu'il dispose d'une certaine quantité de crypto-monnaie achetée avec les apports de ses investisseurs, et qu'il réplique ensuite la valeur de ses actifs dans ses parts. Seulement, le fonctionnement intrinsèque de Bitcoin, Ethereum, Litecoin et autres vient poser des problèmes concrets qui doivent être pris en compte avant d'aller plus loin.
Le casse-tête de la valorisation
« Les fonds mutualisés et ETF doivent valoriser leurs actifs chaque jour, ce afin d'inscrire leur valeur nette (NAV ou net asset value) à leurs comptes. Une valorisation appropriée est importante parce qu'elle détermine, entre autres choses, la performance du fonds et ce que les investisseurs doivent payer », rappelle ainsi la SEC.
Si l'exercice semble trivial à première vue, l'importante volatilité des cours des crypto-monnaies, la fragmentation des échanges entre de nombreuses places de marché (Bittrex, Coinbase, GDAX, Kraken...) complexifie la tâche. À un instant donné, le prix d'un bitcoin peut varier de plus de 10 % entre deux plateformes, en fonction de l'activité du marché, ou encore de la monnaie (crypto ou fiduciaire) contre laquelle le bitcoin est échangé.
Concrètement, aujourd'hui à 11h15, un bitcoin pouvait être vendu à 11 699 dollars sur GDAX, à 12 600 dollars sur Cex.io ou à 9 757 euros (11 941 dollars) sur Kraken. N'oublions pas non plus les possibilités d'échange entre crypto-monnaies. Avec un ETH à 0,09137 BTC et vendu entre 1 070 et 1 152 dollars selon les plateformes, la valeur ainsi calculée d'un BTC peut varier entre 11 710 et 12 610 dollars.
Il est important de comprendre qu'il ne s'agit pas ici de la fluctuation du cours sur une période donnée, mais d'une photographie instantanée du marché. Selon la plateforme ou les monnaies utilisées pour l'échange, la valeur d'une crypto-monnaie peut être différente à un point ou un autre du marché, à un même instant t.
Quel est le juste prix d'un bitcoin dans ce contexte ? Quelles paires, et quelles plateformes prendre en compte pour le calcul de l'indice de prix ? Faut-il pondérer le prix en fonction des volumes d'échange de la veille ou de la semaine ?
Fork me I'm famous
Un autre problème propre aux crypto-monnaies vient également gripper les rouages de cette belle mécanique. Parfois, en raison de désaccord de gouvernance autour d'une blockchain, il peut arriver qu'elle se scinde en deux, donnant naissance à une nouvelle crypto-monnaie. Dans le cas de Bitcoin, c'est par exemple arrivé deux fois rien qu'en 2017, avec les naissances successives de Bitcoin Cash en août dernier et de Bitcoin Gold fin octobre.
Lors de ces « fractures » des blockchains, en règle générale, les personnes qui disposaient d'une unité de monnaie sur la chaine principale peuvent récupérer sur la nouvelle chaine une quantité égale de la monnaie qui y circule. Concrètement, si au moment de la séparation entre Bitcoin et Bitcoin Cash vous disposiez de 1BTC, vous vous êtes retrouvés d'un coup avec 1 BTC + 1 BCH.
Autre cas proche, celui des « air drops ». En mars 2017, les développeurs de Stellar ont décidé de distribuer 16 % de l'ensemble des lumens (la crypto-monnaie circulant sur leur blockchain) aux détenteurs de bitcoins qui en feront la demande.
Dans ces deux configurations, comment les gestionnaires de fonds doivent-ils répercuter ces informations dans leur NAV, et dans quelle mesure ces évènements peuvent influer sur les performances du fonds ? Mais surtout, comment doivent-ils être comptabilisés ?
À l'abordage des piratages
La SEC s'inquiète aussi de la mise sous caution des fonds gérés, ce afin d'en garantir la sécurité. Nombreux sont les cas où des plateformes d'échange de crypto-monnaies ont pu se faire dérober tout ou partie de leurs actifs suite à un piratage informatique. Les 120 000 bitcoins dérobés à Bitfinex en 2016 ont marqué les esprits à l'époque, tout comme les 4 700 bitcoins chipés à NiceHash le mois dernier, sans oublier des cas comme The DAO ou CoinDash.
Or, les fonds, quels qu'ils soient, doivent pouvoir garantir la sécurité des actifs qu'ils gèrent pour le compte de leurs clients. Si les cas de vols ou d'attaques informatiques dans le système bancaire classique existent, la Banque centrale du Bangladesh peut en témoigner, ces attaques semblent plus fréquentes et aisées dans le cas de crypto-monnaies.
Une étude publiée aujourd'hui par Ernst & Young, permet toutefois de mesurer l'ampleur des cyberattaques sur les levées de fonds en crypto-monnaie. Selon le cabinet, sur les 3,7 milliards de dollars levés lors de 372 ICO en 2017, l'équivalent de 400 millions de dollars auraient été dérobés, soit plus de 10 % du total, principalement grâce à diverses méthodes de phishing. Le cabinet évoque également la « qualité » des livres blancs présentant les ICO « où l'on peut voir de nettes erreurs dans le code, ou des conflits d'intérêts entre les entreprises émettant les jetons et leur communauté ».
Aux yeux de la SEC, cette fragilité potentielle est un gros problème. « Dans quelle mesure, les menaces sur la sécurité informatique, ou les potentiels piratages de portefeuilles numériques peuvent nuire à la sauvegarde des fonds au titre de la loi de 1940 ? », résume ainsi l'autorité. Selon elle, les conditions ne sont pas encore réunies pour permettre un niveau de sécurité suffisant des fonds ainsi gérés. Un problème d'autant plus grand qu'en cas d'ouverture de fonds indiciels en crypto-monnaie, le cas des « futures » (ou contrats à terme) et autres produits dérivés, particulièrement spéculatifs, s'ouvrira aussitôt.
Un marché trop facile à manipuler ?
Toujours au chapitre des inquiétudes, la SEC se pose la question d'éventuelles manipulations du marché des crypto-monnaies. Pendant longtemps, et encore récemment, les moindres rumeurs sur le cadre légal des monnaies virtuelles dans divers pays, Chine en tête, suffisaient à provoquer d'importants remous sur les cours, parfois de manière assez brutale.
« Dans une récente déclaration, Jay Clayton [NDLR : le président de la SEC] a noté que des inquiétudes ont été levées autour du marché des crypto-monnaies, sur la manière dont ils fonctionnent, qui implique une protection des investisseurs substantiellement plus faible que sur les marchés financiers traditionnels », relève l'autorité, sans s'attarder dans les détails...
La SEC s’interroge sur la sécurité des fonds en crypto-monnaie
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Un ETF, qu'est-ce que c'est ?
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Le casse-tête de la valorisation
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Fork me I'm famous
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À l'abordage des piratages
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Un marché trop facile à manipuler ?
Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 23/01/2018 à 08h24
“un bitcoin pouvait être vendu à 11 699 dollars sur GDAX, à 12 600 dollars sur Cex.io”
wahou ! presque 1000 dollars de différence !
J’imagine qu’il y a des obstacles au fait d’acheter sur GDAX et vendre dans la seconde sur Cex.io ?
(au delà du coût de la transaction, et commission)
Le 23/01/2018 à 08h33
Le 23/01/2018 à 09h10
Probablement à cause du délais de transaction.
Dans les marches classiques, on parle bien de trading hyperfréquence.
Le 23/01/2018 à 09h14
Cela est possible car :
- il n’y a pas de vente à découvert sur les crypto, donc il faudrait avoir des sous (grosse somme) sur tous les marchés pour les arbitrer
- l’envoi de sous réclame une validation d’identité qui peut être longue (x mois/semaines souvent) et l’envoi de sous prend quelque jours par virement bancaire
- tous les marchés (et il y en a des dizaines!) n’offre pas le même niveau de confiance (= le risque que le site disparaisse avec tes sous), GDAX/Kraken sont réputés sûr, Cex.io pas vraiment. Donc laisser dessus des dizaines de K€ n’enchante pas vraiment les arbitragistes.
Le 23/01/2018 à 09h43
Soit, mais admettons que tu aies une autre crypto qui soit moins valorisé que sur GDAX, que tu achètes cette crypto avec tes BTC ensuite, que tu transfèrera sur GDAX et ainsi de suite. Est-ce que c’est un scénario possible ou en général les différences de valorisation sont “global” à un marché ?
Le 23/01/2018 à 09h51
Le 23/01/2018 à 10h10
Attention, le “cours” du bitcoin : il faut plutôt le voir comme un produit qui est simplement évalué par l’offre/demande sur une multitude de plateforme de CHANGE : donc avec leurs frais à eux, leurs bénéf etc.
Ceux qui voyagent l’ont surement remarqué, les banques ou “exchange” pratiquent souvent des taux de change variant entre eux et par rapport à un cours “officiel”. Les crypto n’échappent pas à cette règle d’où les divergences entre les différentes plateformes.
Et oui il est possible d’exploiter les différences entre les taux de change entre les plateformes : la variable risque étant le délai variable des transactions versus les changements de cours.
Le 23/01/2018 à 10h10
Je n’ai pas tout saisi, peux-tu décrire ta stratégie étape par étape stp ?
Le 23/01/2018 à 11h08
“Quel est le juste prix d’un bitcoin dans ce contexte ?”
Cette question n’a pas de réponse.
Comme “racine carrée de -1”qui vaut i, 1 bitcoin c’est 1 bitcoin " />
Le 23/01/2018 à 12h40
En prenant l’exemple ici, la valorisation des BTC est plus élevée sur Cex.io que GDAX, donc j’achète sur GDAX pour transférer sur Cex.io. Ensuite sur Cex.io les ETH ont une valorisation plus faible que sur GDAX, donc j’achète les ETH avec mes BTC, je les transfers ensuite sur GDAX. Et je fais ça en boucle, en prenant des BTC avec mes ETH. Ce qui, en théorie, permettrait d’augmenter indéfiniment mes possessions.
Le 23/01/2018 à 14h12
Le 23/01/2018 à 14h35
Bref tout cela indique que s’i on veut intégrer une crypto-monnaie dans un cycle boursier traditionnel, il faudra en créer une nouvelle, spécifiquement dédiée à cet usage. Quoiqu’il en soit, vouloir s’accrocher au truc à la mode du moment comme le Bitcoin, Ripple ou l’Ethereum me semble être une très mauvaise idée : ce n’est pas prévu pour.
Le bitcoin est complètement obsolète (notamment en raison du coût énergétique des échanges), le Ripple n’a pas vocation à la spéculation, ni l’Ethereum (qui lui par contre pourrait évoluer).
Je propose un nom pour la monnaie vouée à la spéculation : le speculum.
Le 23/01/2018 à 16h08
Le 23/01/2018 à 16h29
Je propose le ShamelessPonziCoin.
Une crypto-monnaie dont le prix de vente est fixé de façon arbitraire, à 5^(nb de jours depuis l’ouverture) euros (ou équivalent dans une crypto-monnaie facile à écouler).
Achète aujourd’hui, vends demain, et fais x5 sur ton argent!
Le 23/01/2018 à 19h37
Il n’y a aucun obstacle volontaire qui s’oppose à faire ça. Mais la transaction d’échange engendre des frais, et le transfert aussi. La différence de cours doit donc être suffisante pour couvrir ces frais, ce qui n’est pas rare.
Le nombre d’aller-retour est ensuite limité par le temps pendant lequel cet écart subsiste, sachant que chaque échange (par soi ou quelqu’un faisant la même chose) contribue à résorber l’écart, et que les transferts non instantanés font perdre du temps.
Pour finir, il faut que l’écart soit présent sur 2 places de marché où l’on a déjà un compte. Et certaines sont moins sûres que d’autres, le risque de tomber sur un dysfonctionnement ou une arnaque est à prendre en compte, et limite le choix.
Bref oui c’est possible, mais il faut être bien organisé et avoir tout mis en place en amont, avant que l’écart n’apparaisse.
Le 24/01/2018 à 07h37
Je vois, ça reste donc le pure fruit du hasard et une question de bon timing.
Merci pour ces explications " />
Le 24/01/2018 à 13h49
C’est le fruit du hasard dans le sens où on ne sait pas quand ce genre d’écart apparaît, par contre ce qui est certain c’est qu’il en apparaîtra régulièrement, que ce soit sur le bitcoin ou une autre crypto.
Donc il faut s’y préparer à l’avance et bien surveiller pour être prêt à réagir vite, mais ça c’est un principe de base en trading.
Le 24/01/2018 à 13h55
Au train où ça va, le bitcoin ne va plus servir qu’à spéculer
Le 24/01/2018 à 14h04
C’est pas déjà le cas ?
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Le 24/01/2018 à 15h29
Il parait qu’à une époque on pouvait blanchir de l’argent.
Là tu lances la machine à laver, tu sais pas ce qui va ressortir " />