Données sensibles, portée géographique : le droit à l’oubli sur Google devant la justice européenne
Coup de gomme
Le 20 septembre 2019 à 15h05
5 min
Droit
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La semaine prochaine, la Cour de justice de l’Union européenne rendra deux arrêts fondamentaux en matière de « droit à l’oubli ». Deux affaires nées en France, transmises par le Conseil d’État et concernant à chaque fois Google.
Peut-on exiger de Google qu’il efface ses traces personnelles en ligne pour se refaire une virginité numérique ? Épineux débat. Dans l’affaire Costeja du 13 mai 2014, la Cour de justice de l’Union européenne a en tout cas jugé qu’un moteur de recherche comme Google opérait bien un « traitement de données à caractère personnel » lorsqu’il indexe des données nominatives.
De cette qualité, naissaient plusieurs droits au profit des personnes physiques. La CJUE avait alors reconnu le droit à l’effacement (transformé en droit à « l’oubli », par facilité médiatique) sur Google et les autres.
Depuis, une personne physique peut depuis obtenir « la suppression de contenus lorsqu’ils sont inexacts, incomplets, inadéquats, non pertinents ou excessifs » ou bien, lorsqu’ils engendrent une intrusion disproportionnée face à l’intérêt du public à connaître ces informations. Un droit consacré formellement par l'article 17 du RGPD.
En 2014, l’affaire « Costeja » était presque simple sur le papier. Un Espagnol souhaitait effacer les traces de ses ennuis financiers, mis en lumière par une publication légale toujours présente dans les résultats Google des années plus tard. Ce traitement n’était donc pas illégal à l’origine.
Deux autres problématiques sont apparues depuis en France, objet de deux questions préjudicielles posées par la juridiction administrative.
Une ancienne condamnation pour pédophilie doit-elle disparaître de Google ?
Dans la première, une conseillère régionale d’Île-de-France s’est plainte de la présence sur le moteur d’un lien vers une vidéo satirique, évoquant des relations intimes avec le maire de sa commune.
Dans le deuxième cas, un ex-représentant de l'Église de scientologie a souhaité la suppression d’un lien vers un article de Libération de septembre 2008 repris par le site du Centre contre les manipulations mentales. D'après ces articles, il aurait proposé de l’argent aux enfants d’une défunte adepte de la scientologie pour qu’ils renoncent à toute action judiciaire.
Dans un troisième cas, un ancien conseiller de Gérard Longuet a souhaité la suppression de plusieurs articles évoquant sa mise en examen dans les années 90. Or, il a bénéficié en 2010 d’un non-lieu.
Enfin, un ex-animateur d'école reprochait à Google de référencer sept liens pointant vers des articles de presse et de blog consacré à sa condamnation en 2010 pour des actes de pédophilie.
Ces cas concernent des données sensibles, strictement encadrées par les textes en vigueur. Par exemple, les traitements de données relatives aux infractions ne sont réservés qu’à certaines catégories de personnes, non aux moteurs. « Dans cette affaire, résume les services de la CJUE, la question vise à déterminer si, compte tenu des circonstances de chaque cas particulier (personne célèbre, condamnation pénale, obsolescence d’une information, etc.), le droit à l’information doit l’emporter sur le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles ».
- Lire notre compte rendu d’audience au Consel d’État (2 février 2017)
- Nos explications des conclusions de l'avocat général
Un effacement sur Google... à l'échelle de la planète ?
Dans la deuxième affaire, toujours transmise par le Conseil d’État, cette fois la CNIL et Google n’ont pas été sur la même longueur d’onde. La CNIL soutient qu’en cas d’effacement, le moteur doit procéder à un déréférencement mondial, peu importe l’extension. Ce que conteste Google. Le moteur avait alors écopé d’une amende de 100 000 euros pour ce refus.
La CNIL estime qu’il en va de l’efficacité du droit à l’oubli, outre qu’à ses yeux, Google n’opère qu’un seul et même traitement de données, peu importe la voie d’accès (.fr, .de, .es, etc.).
« Notre raisonnement consiste à dire qu’en vertu de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne, nous expliquait en ce sens Isabelle Falque Pierrotin, ce droit au déréférencement est offert aux personnes physiques européennes, dès lors que le responsable de traitement est soumis au droit européen. Or le traitement de Google est un traitement mondial. Les extensions .fr, .it, .com ne sont pas le traitement, c'est le chemin technique d'accès au traitement. Le traitement, lui, c'est le même pour tout le monde. Google a donc choisi d'avoir un traitement mondial, très bien. Mais dès lors que le déréférencement est octroyé, alors il doit naturellement être effectif sur l'ensemble des extensions liées à ce traitement ! »
Google, au contraire, affirme en substance qu’il existe autant de traitements qu’il y a d’internautes, au regard de la personnalisation de ses outils. Sur l’un de ses blogs, le moteur américain insistait : « aucun pays ne devrait avoir l’autorité de contrôler les contenus auxquels une personne peut accéder depuis un autre pays ». Il plaide pour une solution beaucoup plus centrée, limitée aux seules réponses à des recherches effectuées depuis les noms de domaine européens.
- Lire notre compte rendu d’audience au Conseil d’État (28 juin 2017)
- Nos explications des conclusions de l'avocat général
L’arrêt de la Cour de justice est attendu mardi 24 septembre à 9h30.
Données sensibles, portée géographique : le droit à l’oubli sur Google devant la justice européenne
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Une ancienne condamnation pour pédophilie doit-elle disparaître de Google ?
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Un effacement sur Google... à l'échelle de la planète ?
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 20/09/2019 à 16h07
Est-il acceptable “d’oublier” qu’un tel a été condamné pour pédophilie il y a 5 ans, lui permettant d’afficher un visage propre à l’embauche de maitre d’école?
Le droit à l’oubli n’est-il pas au final le droit à pouvoir recommencer ses méfaits ?
Ou une manière de nier son propre passé de délinquant?
Le droit à l’oubli est-il une bonne chose au final?
Le 20/09/2019 à 17h18
Fonction publique : pas de problème.
n’avoir fait l’objet d’aucune condamnation inscrite au bulletin n°2 du casier judiciaire qui soit incompatible avec les fonctions exercées.
Même tarif dans les autres pays européens que je sache.
Le 20/09/2019 à 21h20
Une fois la peine purgée , l’interdiction d’exercer dans certains endroits existe, c’est même une peine pas besoin que Google soit là pour conserver de l’information disparue d’un casier judiciaire.
Google n’a pas à remplacer l’état dans ce domaine, ni aucun autre responsable de traitement de donnée à caractère personnel d’ailleurs. De quel droit un privé pourrait publier en ligne une condamnation purgée ?
Enfin “La CNIL estime que (…) Google n’opère qu’un seul et même traitement de données, peu importe la voie d’accès (.fr, .de, .es, etc.)”. Comment pourrait-il en être autrement quand le crawling réalisé alimente tout Google et alors que Google a pendant de nombreuses années fourni ses services sur le seul google.com ? Si un nom de domaine permettait de choisir le droit applicable, il y aurait un forum shopping dans tous les domaines !
Le 21/09/2019 à 14h54
c’pourtant déjà arrivé des pédophiles arrivé à être passé en directeur d’école primaire :o
exhttps://www.ledauphine.com/france-monde/2018/04/25/directeur-d-ecole-pedophile-h…
Malgré sa condamnation il y a 10 ans, le directeur n’avait pas écopé d’une interdiction d’entrer en contact avec des enfants.
me semble qu’aux States ( à moins que ce soit indépendant sur chaque état ) il y a un site pour recensé les criminels sexuels
Le 21/09/2019 à 18h29
Comme dis, il y a le casier judiciaire. Google ne doit pas se substituer à certain dysfonctionnement de certain service de l’état…
Le 22/09/2019 à 21h26
le casier judiciaire n°3 , tu peux l’avoir que pour toi. et certains postes en liaison avec des enfants ( jusqu’au 2 ) mais plusieurs défaillance ont montré des pédophiles condamnés aux contacts des enfants dans leur travail.
Alors bon
Le 23/09/2019 à 15h15
Les embauches dans un bon nombre de postes qui sont en contact avec des enfants sont contrôlé par des outils bien plus probants que des recherches sous Google. Une recherche dans un casier judiciaire, ou dans le FIJAIS sont bien plus efficaces et précises.
D’autant que la précision d’un google n’est pas équitable, une personne qui a un nom rare, va ressortir facilement et précisément, une personne avec un nom et un prénom plus commun ne ressortira jamais, on peut donc envisager ne “perte de chance” pour certain et une inégalité (voir notre constitution).
De plus un tel passé va non seulement limiter les emplois dans des endroits en contact avec les enfants, ce qui peut être vu comme un avantage, mais aussi dans beaucoup d’endroits où les enfants ne vont jamais ou ne sont jamais seuls avec la personne.
Un condamné pour mœurs est fiché durant 25 années (en général), dans un fichier dédié. Et consultables en cas de besoins par des personnes habilité, bien plus précis et rapide et sûr qu’une recherche sur google.
“Le droit à l’oublie est-il une bonne chose ?”, c’est une bonne question. La sanction doit-elle prévoir une réhabilitation ultérieur d’un condamné ? Le pardons (de la société) doit-il être partiel et partisan ? L’égalité des citoyens doit-elle reposer sur la capacité d’un moteur de recherche à attribuer des faits à un nom, de la capacité d’un employeur à utiliser un moteur de recherche ?
Être “juste” n’est jamais simple.
Le 23/09/2019 à 15h30
Vous pouvez obtenir un relevé de votre casier judiciaire volet 3, qui peut vous être demandé dans certains cas.
Vous pouvez consulter le volet 2 et le volet 1, jamais en garder de traces.
Il existe un autre fichier qui rassemble aujourd’hui la majorité des délinquants sexuels en tous genres, le FIJAIS, c’est ce fichier qui est, indirectement, consulté par l’éducation nationnale, par les centre de vacances,… Les incidents dans l’EN datent d’avant l’obligation de le consulter. Il peut arriver un biais entre l’inscription d’une condamnation et une consultation faîte très peu de temps avant, en principe les délais sont réduit. De plus, notamment pour l’EN, il est maintenant fait obligation de communiquer un jugement pour un professeur déjà en excercice (ce qui n’était pas le cas avant si les faits n’avaient pas eu lieu dans le cadre du travail).
Il existe de très nombreux métiers ou occupations qui permettent à un potentiel pédophile d’entrer en contact avec des enfants, tous n’ont pas d’obligation de vérification d’antécédants. Et de très nombreux potentiels pédophiles ne se sont jamais fait juger, donc pas possible d’une prévention sur un fichier pour eux.
Sans oublier que la majorité des agressions sexuelles et des viols sur enfants se font dans le cadre d’une relation familliale, soit au premier, soit au deuxième degré. Ces agresseurs ne font presque jamais partie d’un fichier. Et ils sont en contact rapprochés de leurs victimes jour et nuit.
Ce type de prévention, indispensable (les références) ne peut pas, à elles seules être une assurance parfaite. La meilleur protection de nos enfants consiste à avoir un dialogue permanant avec eux, à ce qu’ils sachent qu’ils peuvent toujours vous confier un doute sans jamais risquer un couroux.
Le 23/09/2019 à 17h03
ouai après j’espère que ça va s’améliorer , après je dis pas que c’est le meilleur exemple, mais aux states ( même en France on peut y accéder ) les Etats ont un annuaire pour les délinquants / criminel sexuel en libre accès