Loi contre la cyberhaine : l’avis circonstancié et critique de la République tchèque
Prague braque
Le 27 novembre 2019 à 11h33
5 min
Droit
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La proposition de loi contre la haine en ligne n’a pas seulement fait sursauter la Commission européenne. Elle a aussi obtenu un (peu) glorieux « avis circonstancié » de la République tchèque. Après la lettre incendiaire de Bruxelles, Next INpact dévoile le contenu des critiques venues de Prague.
Une démarche « efficace » et « pragmatique ». Voilà comment, en février 2019, Emmanuel Macron dépeignait la future proposition de loi Avia. Un texte fort de « dispositions claires imposant le retrait dans les meilleurs délais de tous les contenus appelant à la haine et mettant en œuvre toutes les techniques permettant de repérer l’identité dans les meilleurs délais et enfin appelant à la responsabilité, y compris sur le plan juridique, les dites plateformes ».
Mais patatras… Neuf mois plus tard, cette proposition de loi riche de « dispositions claires » n’a pas du tout convaincu à l’échelle européenne. La Commission, sous couvert d’ « observations », a adressé un tombereau de reproches à la France, alors que le groupe LREM fonce bille en tête pour s’attaquer aux contenus haineux en ligne.
Mesures disproportionnées, filtrage généralisé, atteinte à la liberté d’expression et à d’autres droits fondamentaux. L’analyse est féroce, mais appuyée sur les textes fondateurs.
L'avis circonstancié tchèque
Toujours à cette échelle, un État membre a émis cette fois des critiques à l’encontre du même véhicule. Pour mémoire, quand un pays européen envisage de réguler « la société de l’information », il a l’obligation de signaler son projet à Bruxelles. Ce qui fut fait en août dernier pour la proposition française.
Dès cet instant, la Commission comme les États disposent ensuite de trois mois pour en ausculter les effets et adresser au besoin des « observations » quand ce n’est pas, comme pour la République tchèque, un « avis circonstancié ».
Un « avis circonstancié » est le signe bruyant pour l’État membre que le projet notifié est susceptible « de créer des obstacles à la libre circulation des marchandises ou à la libre prestation de services de la société de l'information ou au droit dérivé de l'UE », explique la doctrine officielle.
Un droit déjà au complet
Mais quels sont les reproches adressés par Prague ? Dans le document que nous avons pu consulter, la République tchèque considère que la proposition de loi s’attaque à un domaine déjà régi par le droit européen, en particulier la directive de 2000 sur le commerce électronique, celle qui encadre la responsabilité des hébergeurs (comme YouTube, Facebook, Dailymotion, Twitter, Instagram, etc.)
« Le texte proposé a pour objectif de renverser l'un des principes fondamentaux énoncés dans [cette] directive », à savoir l'absence d'obligation de surveillance généralisée, sans oublier un régime de responsabilité taillé pour protéger la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre, tout en permettant juridiquement la lutte contre les contenus illicites.
La République Tchèque insiste pour rappeler les initiatives menées par la Commission, là encore jugées suffisantes. Elle mentionne la communication de 2017 sur la lutte contre les contenus illicites en ligne et la recommandation de 2018 portant sur le même thème.
Pour l’État membre, ce corpus est déjà suffisant pour traiter les problèmes épinglés par la « PPL Avia ». Prague ne s’oppose pas à une harmonisation plus poussée, mais rejette avant tout « l’introduction de nouvelles mesures qui conduiraient à un surplus de réglementation ».
Un obstacle à la liberté de circulation dans le marché unique
« Il est important que le marché unique numérique ne soit pas surréglementé, que le développement des services numériques soit suffisamment étendu et que la sécurité juridique pour toutes les parties concernées soit établie dans l'ensemble de l'UE » écrit-elle dans son avis. Elle craint en particulier de lourds impacts sur le quotidien des entreprises du secteur.
« À la lumière de ce qui précède, nous estimons que cette proposition de loi va au-delà de la directive et peut constituer un obstacle à la libre circulation des services électroniques et ainsi affecter fondamentalement les droits des fournisseurs de services numériques » conclut-elle.
Un obstacle à la liberté de circulation ? Est mis à l'index le risque encore rappelé hier par le représentant de la DG Connect à la Commission européenne, à savoir celui d'une fragmentation des législations.
En somme, l’État membre adopte une critique beaucoup plus « business », mais cela reste un complément douloureux au courrier adressé par Bruxelles, beaucoup plus axé sur les droits et libertés fondamentaux.
Soutenue mordicus par l’exécutif, la proposition de loi Avia fut adoptée à une large majorité à l’Assemblée nationale par 434 voix pour et 33 contre. Elle entame son examen au Sénat, pour un examen en séance mi-décembre.
Loi contre la cyberhaine : l’avis circonstancié et critique de la République tchèque
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Un obstacle à la liberté de circulation dans le marché unique
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 27/11/2019 à 11h47
S’ils pouvaient arrêter de faire dans la surenchère démago du contrôle des plateformes alors que tous les textes existent déjà pour arriver à lutter contre les propos haineux, mettre les moyens sur les services judiciaires afin qu’ils soient en mesure d’appliquer ces textes, mais encore lancer un vrai programme d’éducation et de sensibilisation sur ce sujet pour éviter que la haine s’enracine dans les esprits plutôt que sur internet…
Le 27/11/2019 à 12h03
Amen.
Le 27/11/2019 à 12h23
Pourquoi ne pas commencer avec la haine dans la rue ?
Le 27/11/2019 à 12h25
Prague ne s’oppose pas à harmonisation plus poussée, mais rejette avant tout « l’introduction de nouvelles mesures qui conduiraient à un surplus de réglementation ».
Un surplus de réglementation en France ? Nonnnnnnn " />
Le 27/11/2019 à 12h40
L’objectif de ce texte est de rendre incontournable un système de surveillance généralisée.
Tout l’arsenal répressif existe déjà pour les réelles infractions mais n’est pas appliqué ou alors avec énormément de retenue, sauf si l’on fait partie des personnes qui ne pensent pas “correctement”.
La France est déjà une dictature molle, nos politiciens veulent la rendre dure et ils s’étonnent qu’on les prenne pour des prostituées.
Le 27/11/2019 à 14h03
alors que le groupe LREM fonce bille en tête pour s’attaquer aux contenus haineux en ligne.
[…]
Soutenue mordicus par l’exécutif, la proposition de loi Avia fut adoptée à une large majorité à l’Assemblée nationale par 434 voix pour et 33 contre.
Pas que l’exécutif hein. 434 voix pour c’est bien au delà des rangs LREM.
Clairement responsables, mais pas les seuls impliqués… Quand il faut voter contre pour la culture en France, ils sont tous ensemble…
Le 27/11/2019 à 15h31
Il me semble qu’ici on a l’illustration d’un travers de la politique en France : la gesticulation médiatique.
Ce qui importe au final ce n’est pas d’agir, c’est de laisser penser qu’on agit (ce qui est totalement différent !). Et ça marche dans de nombreux domaines. Dès qu’un problème émerge médiatiquement le réflexe est de surréagir, de gesticuler, de promettre une loi. (LREM ou “ancienne politique c’est pareil d’ailleurs, rien n’a changé)
Finalement, heureusement qu’on a l’Europe et les garde-fous qui vont avec pour se faire rappeler à la raison (même si ça peut tourner en “regardez, l’Europe se mêle de tout y compris ce qui ne la regarde pas !” et hop un coup d’Europebashing)
Le 27/11/2019 à 17h57
Plus j’y pense, et plus je me dis que les procédures d’urgences, aussi bien au niveau européen que français, ne devraient pas exister lors de la création d’une loi. Ces procédures n’ont qu’un aspect positif pour le côté politique. Pour tout le reste, ça garantie juste un texte moins réfléchis et moins neutre.
Et on le voit parfaitement ici.
Le 29/11/2019 à 19h40
Sarkozy a lancé le mouvement. Ses successeurs se sont bien gardés de changer la recette. Et pourtant, on sait tout le bien que ça aura fait à la carrière politique… de chacun d’entre eux, au final.