Cyberhaine : au Sénat, la proposition de loi Avia en passe d’être (lourdement) corrigée
Neutre pluriel substantivé de Avius
Le 09 décembre 2019 à 09h14
6 min
Droit
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La proposition de loi contre la haine en ligne est passée sans difficulté à l’Assemblée nationale. Au Sénat, où le groupe LREM est en minorité, les critiques sont plus vives, voire corrosives. En commission des lois, le rapporteur Christophe Frassa propose ainsi de réécrire des pans entiers du texte, pour tenir compte notamment des observations européennes.
La lutte contre la haine en ligne est LE sujet porté par Laetitia Avia. Auteur de cette PPL voulue, soutenue, poussée par Emmanuel Macron, elle en a été aussi sa rapporteure. Elle n’a pas hésité par ailleurs à dénoncer à plusieurs reprises les tweets « haineux » dont elle a été personnellement victime.
Si le sujet suscite une approbation générale, sa mise en œuvre soulève des questions très épineuses. Dans ses grandes lignes, le texte contraint les plateformes à supprimer en 24 heures une série de contenus manifestement illicites. À défaut de répondre à cette obligation de résultat, les acteurs comme Twitter, Facebook ou YouTube seraient éligibles à une amende de 1,25 million d’euros infligée par un juge. C'est le défaut de retrait qui est sanctionné, non la censure illégitime.
Le texte ajoute un autre wagon : le CSA. Celui-ci deviendrait autorité de contrôle pour jauger les mesures mises en œuvre par ces hébergeurs, avec possibilité d’adresser des mises en demeure. Les contrevenants risqueraient cette fois jusqu’à une amende de 4 % du chiffre d’affaires mondial.
Le véhicule législatif a toutefois trouvé de nombreuses critiques sur sa route. Outre le Conseil national du numérique, le Conseil national du Barreau, plusieurs associations et ONG, EDri et les FAI européens, la République Tchèque, des juristes, l’un des coups les plus durs a été asséné par la Commission européenne.
Dans une lettre révélée par Next INpact, l'institution dénonçait le filtrage généralisé qu’implique l’obligation de surveiller et supprimer la réapparition des contenus une première fois retirés. Elle condamne la restriction disproportionnée à la liberté de circulation, et enfin une atteinte trop importante à la responsabilité des hébergeurs (notre actualité détaillée).
Cette semaine, la commission des lois examinera le texte au Sénat, après la commission de la Culture. Le sénateur André Frassa (LR) rapporteur en commission des lois, a déposé une trentaine d’amendements portant sur chacun des articles. Tous transpirent les critiques adressées par Bruxelles.
Un texte « juridiquement très inabouti »
Dans le premier amendement, le sénateur juge la rédaction actuelle du texte prévue par Laetitia Avia, avocate dans le civil, « juridiquement très inaboutie ». Du coup, « face au risque de censure, cette nouvelle sanction pénale inapplicable et contraire au droit européen ne peut qu’être supprimée, à ce stade, par le Sénat ».
Il veut toutefois profiter de cette fenêtre pour modifier la loi de 2004 sur la responsabilité des intermédiaires techniques. Elle oblige déjà les hébergeurs à retirer promptement les contenus manifestement illicites, mais Frassa aimerait qu’en cas de retrait, YouTube, Facebook ou Twitter affiche un message informatif, outre la conservation des éléments de preuves pour les enquêtes judiciaires. Il propose au passage que les injures publiques à caractère discriminatoire et le négationnisme soient ajoutés « aux contenus devant faire l’objet d’un dispositif technique de notification spécifique mis en place par les hébergeurs ».
Il veut tout autant réécrire l’encadrement des signalements adressés par les internautes, en dépoussiérant celle de 2004 et en tenant compte des remarques de la Commission européenne.
Avec cet amendement, la définition des plateformes est intégrée dans la LCEN de 2004. Y seraient concernées aussi bien celles dépassant un ou plusieurs seuils déterminés par décret, ou bien celles qui, bien qu’en dessous de ces seuils, acquerraient « en France un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé ».
Suppression du délai de 24 heures
En attendant, le rapporteur évacue la période de 24 heures, celle durant laquelle une plateforme devrait supprimer le contenu haineux. D'autres obligations sont revues et corrigées.
L'obligation de se conformer aux « règles et modalités techniques définies par le Conseil supérieur de l'audiovisuel », une uniformisation des dispositif de notification « permettant à toute personne de signaler un contenu illicite dans la langue d’utilisation du service », etc.
Autre chose, ces intermédiaires auraient pour obligation d’accuser « réception sans délai de toute notification » et de mettre en œuvre « les procédures et les moyens humains et, le cas échéant, technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues et l’examen approprié des contenus notifiés, ainsi que de prévenir les risques de retrait injustifié ».
Un autre amendement clarifie la procédure de contre-notification (ou de recours) après retrait. Celui-ci affine les mesures d’informations adressées aux internautes, notamment en cas de notification abusive.
Plus de « notice and stay down »
Toujours pour tenir compte des remarques de la Commission européenne, il met fin à l’obligation de prévenir les réapparitions des contenus déjà retirés (notice and stay down).
Le rapporteur de la commission des lois efface également le dispositif imaginé par Laetitia Avia pour lutter contre les sites miroirs à un site une première fois bloqué judiciairement. Un texte qui a inspiré le projet de loi audiovisuel, où il a été critiqué par l’ARCEP.
Dans le texte initial, une autorité administrative pourrait demander aux FAI, fournisseurs de noms de domaine ou moteurs de bloquer ces contenus, mais sans que sa demande soit contraignante. Si « ces notifications ne sont pas contraignantes pour les intermédiaires techniques, remarque Christophe Frassa, elles ont le statut de simples informations, et alors l'administration demande au législateur de prévoir une pratique qu'elle peut mener de son propre chef... et qu'elle utilise d'ailleurs déjà (via l’OCLCTIC) sans avoir besoin pour ce faire de l’autorisation du législateur ».
Cyberhaine : au Sénat, la proposition de loi Avia en passe d’être (lourdement) corrigée
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Un texte « juridiquement très inabouti »
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Suppression du délai de 24 heures
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Plus de « notice and stay down »
Commentaires (17)
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Abonnez-vousLe 09/12/2019 à 09h42
Avec cet amendement, la définition des plateformes est intégrée dans la LCEN de 2004. Y seraient concernées aussi bien celles dépassant un ou plusieurs seuils déterminés par décret, ou bien celles qui, bien qu’en dessous de ces seuils, acquerrait « en France un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé ».
Qui est visé ?
Le 09/12/2019 à 09h50
Mais au final, c’est L’AN qui a le dernier mot, non ?
Le 09/12/2019 à 10h03
Le 09/12/2019 à 10h06
C’est le défaut de retrait qui est sanctionné, non la censure illégitime….
ça me fait penser au ‘Cheval de Troie’ ! " />
Le 09/12/2019 à 10h32
Le 09/12/2019 à 11h24
Mme le député avia a pris soin de remercier par avance les sénateurs qui, après le Conseil d’Etat, les ONG, la Commission Européenne, prennent le temps d’améliorer le texte afin de faire “du rafistolage d’artères” selon son expression consacrée.
Néanmoins et comme à son habitude, elle remettra les compteurs à zéro au moment du retour du texte devant l’Assemblée nationale, ce qui lui permettra de ne pas tenir compte des avertissements pourtant clairs, et donc de reprendre une belle raclée devant le Conseil constitutionnel qui à nouveau, ne manquera pas de pulvériser les mesures phares de son texte et comme elle en a maintenant l’habitude!
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Le 09/12/2019 à 11h45
Le 09/12/2019 à 11h46
Le 09/12/2019 à 11h52
Le 09/12/2019 à 12h45
Le 09/12/2019 à 13h53
L’attentat du marché de Noël de Strasbourg est un attentat terroriste islamiste perpétré le 11 décembre 2018 par Chérif Chekatt, 29 ans, connu de la justice pour de multiples faits de droit commun (27 condamnations en France, en Suisse et en Allemagne) et radicalisé.
C’EST CA QUI ME FOUT LA HAINE ET PAS QUE CYBER !
Ils refusent de payer un euro pour passer dans la rue et se font frapper à coups de barre de fer, Le suspect ne compte pas moins de… 124 antécédents judiciaires
C’EST CA QUI ME FOUT LA HAINE ET PAS QUE CYBER !
Culé de gouvernement !
Le 09/12/2019 à 14h07
Le 09/12/2019 à 14h18
Le 09/12/2019 à 16h14
Le 09/12/2019 à 16h53
Tu as totalement raison, je sais pas pourquoi j’ai écris ça comme ça… (ça ne change effectivement rien sur le fond de mon commentaire, mais c’est une grosse connerie)
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Le 09/12/2019 à 16h57
après vérification, tu as raison, le gvt peut ne pas demander à l’AN de statuer définitivement, et le texte poursuivra alors la navette.
Je pensais que la seule alternative était le retrait du texte de loi.
Après, je ne sais pas si ça s’est déjà produit, ça serait étonnant qu’un gvt ait laissé passé cette occasion d’en finir " />
En tout cas, merci pour l’info, je me coucherai moins bête " />
Le 09/12/2019 à 23h28
Extrait de l’amendement :
dans des conditions déterminées par décret en Conseil d’État, qui acquiert en France un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé.
Options plurielles…
-Seuil de visiteurs : quantitatif
-Fréquence d’usage : qualitatif
-Présence de copies d’ayants droit indirect “taguées et MTPïsées*” : habituel
-Possibilité d’accès en temps réel aux données de connexion : science fiction
La pensée est dans le décret. A voir donc si on peut mettre un S en plus à ES…
Ce qui donnerait en théorie la densée dans le pécresse. CQFD. Paris est sauf.
*mesure technique de protection = DRM