Après l’échec de la CMP, quels scénarios pour la proposition de loi contre la cyberhaine ?
Avia : Esso, est-ce ?
Le 09 janvier 2020 à 10h37
5 min
Droit
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C’était prévisible. La commission mixte paritaire n’est pas parvenue à un accord sur la proposition contre la cyberhaine. Les partisans de la version du Sénat et celle de l’Assemblée nationale ont depuis fourni des explications. Reste à savoir comment les députés, qui auront le privilège du dernier mot, vont amender le texte après les critiques européennes.
« Notre principale divergence avec les députés concerne l’article 1er, qui crée un délit de "non retrait " en 24 heures des contenus haineux. Ce dispositif est juridiquement inabouti, contraire au droit européen et déséquilibré au détriment de la liberté d’expression ». Voilà l’explication de Christophe-André Frassa (LR) l’échec en CMP.
Dans les colonnes de Public Sénat, il estime que le délit est « inabouti et pas solide constitutionnellement. Le gouvernement préfère avoir un délit pénal bancal qui sera du droit pénal expressif, c’est-à-dire qui ne pourra pas être appliqué ».
Un délit bancal ? L’analyse n’est pas du tout partagée par le groupe LREM qui a évidemment critiqué la version adoptée par le Sénat. Selon la députée Laetitia Avia (LREM) : « on ne peut que s’étonner que le Sénat ait supprimé le délit au motif d’une prétendue atteinte à la liberté d’expression et voté, dans le même temps, un amendement donnant pleins pouvoirs aux plateformes pour supprimer des comptes entiers d’utilisateurs sans contrôle et infraction qualifiée ».
« Le Sénat a même supprimé les sanctions que nous avions prévues en cas de surcensure, alors qu’elles sont essentielles pour protéger la liberté d’expression » poursuit la parlementaire.
« Nous souhaitons responsabiliser les plateformes et les auteurs de contenus haineux pour mieux protéger les victimes. C'est ce que souhaitent les députés de tous bords qui ont voté ce texte en première lecture » indique Caroline Abadie, chef de file du groupe La République En Marche.
Deux salles, deux ambiances
De fait, entre la version votée par les députés et celle des sénateurs, des différences profondes existent.
Le délai de retrait en 24 heures est soit une obligation de résultat (députés) soit une obligation de moyens (sénateurs). Si Twitter ou Facebook ne supprime pas en 24 heures un contenu manifestement haineux (ou pornographique ou violent, mais accessible aux mineurs), il doit être condamnable directement selon l’Assemblée nationale. Il peut échapper à ce couperet selon le Sénat, si la plateforme démontre des circonstances exceptionnelles comme un afflux de signalements difficiles à évaluer ou des pannes imprévisibles.
Sur la sanction des surcensures, la version des députés n’est pas aussi limpide que le laisse entendre le groupe LREM. Le retrait des contenus manifestement illicites est clairement indiqué dès le titre du chapitre 1er puisqu’intitulé « Obligation renforcée de retrait des contenus haineux en ligne » : les plateformes sont ainsi « tenues » de retirer les contenus manifestement rattachés à une série d’infraction.
Selon Laetitia Avia, cette amende de 1,25 million d’euros, prononcée par un juge, vaudrait même en cas de retrait abusif. Cependant, on a beau lire et relire ce passage, cette interprétation ne transparait pas aussi clairement dans le texte.
De fait, la sanction de ces coups de ciseaux trop généreux ne sera surtout envisagée qu’en cas de comportements répétés, dans le cadre de l’obligation de moyens auscultée par le CSA. Les sénateurs ont d’ailleurs explicité ce point : « dans l’appréciation du manquement de l’opérateur, le Conseil supérieur de l’audiovisuel prend en compte le caractère insuffisant ou excessif du comportement de l’opérateur en matière de retrait des contenus portés à sa connaissance ou qu’il constate de sa propre initiative ».
Les craintes des organisations professionnelles
Dans un communiqué, Tech in France, l’ASIC et Syntec Numérique, trois représentants professionnels des plateformes, regrettent l’échec de la commission mixte paritaire. Une « occasion manquée d’aboutir à un consensus qui préserve les équilibres nécessaires et qui réponde de façon constructive aux interrogations légitimes exprimées par la Commission européenne sur la version initiale du texte ».
La Commission avait adressé, sous couvert d’observations, des critiques très précises contre le texte adopté par les députés. Dans le document révélé par Next INpact, elle dénonçait notamment une entaille trop profonde à la responsabilité des hébergeurs et une surveillance généralisée. Pas moins.
En théorie, la France serait fortement bien inspirée d’en tenir compte sauf à risquer une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne. En attendant, les organisations professionnelles ne cachent pas leur préférence pour la version du Sénat, seule permettant « de garantir l’équilibre nécessaire entre la protection des victimes de la haine en ligne d’une part, et la protection de la liberté d’expression d’autre part ». Et celles-ci d’inviter les députés, qui auront le dernier mot, à ne pas oublier ces remarques, tout autant que les observations européennes.
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Les craintes des organisations professionnelles
Commentaires (24)
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Abonnez-vousLe 09/01/2020 à 12h22
La cyberHaine… quel nom! Ça en devient une farce à force de l’entendre.
Pourquoi pas : (HashTag)C’est pas bieeeeen
Puisque skankhunt42 mentionne le phénomène. Qu’en est il des autres violence?
#VraieDesinbformation
#SauvezMyRetirementPlan
#RealCoupDeMatraque
#RealLacrymo
#RealEborgnageLive&Direct
#BisousSurLaSemelleDeRango
#RencontreDu3emeFlic
…
…
(faut bien rire..; enfin… essayer)
Le 09/01/2020 à 12h23
Le 09/01/2020 à 12h41
Je viens d’écouter l’interview de Cédric O, sous-ministre du Numérique, chez Thinkerview. A propos de la loi Avia, je le cite :
Il y a, aujourd’hui, un déferlement de haine en ligne. Je pense que vous [l’interviewer] en avez été victime, beaucoup de français en ont été victimes, je pense qu’il est assez rare que quelqu’un ne connaisse pas, soit un gamin, soit quelqu’un de son entourage qui a été harcelé en ligne, etc.. Je pense que nous sommes dans un problème de santé publique. La question, c’est que le rôle de l’État, selon moi, c’est de protéger ces citoyens. Vous n’engueulez pas, vous n’insultez pas, vous ne menacez de mort quelqu’un dans la rue, parce que l’État protège ses citoyens. […] Il ya une telle masse de contenu haineux que la justice ne sait pas gérer ça.
Il parle ensuite des jeunes qui le vivent mal et se suicident, on a besoin de cette loi pour régler le problème aujourd’hui et pas dans 15 ans car la personne se sera déjà suicidée (d’ailleurs j’aimerais bien savoir combien ça représente de suicides par an…).
Des gens qui insultent (IRL et sur les réseaux sociaux) il y en a effectivement des pelletées entières. Par contre je ne considère pas que dire “Macron connard” soit un “déferlement de haine”. Et puis c’est pas nous qui avons commencé " />
Donc le problème est pour moi dans la qualification de la haine en ligne. Après ces propos, il parle de l’attentat de l’église de Christchurch, qui a été partagé des millions de fois. Mais comment peut-il comparer les images d’un attentat avec le fait de s’engueuler avec quelqu’un sur Twitter ? Là ça touche vraiment à la liberté d’expression. C’est bien l’insulte qui leur pose problème. Comme d’habitude, ils partent du terrorisme, mais en sous-marin ça limite la liberté d’expression. On tend vers le le modèle chinois où on perd des points à chaque mauvaise action.
Sinon, pour faire du mauvais esprit, je note que le gouvernement a plus tendance a suivre les recommandations de la commission Européenne pour détruite le système de retraite que pour “protéger ses citoyens” et leur liberté d’expression. Chacun son combat…
Le 09/01/2020 à 12h57
Petite question aux juristes à propos de cette loi contre la haine en ligne.
Est ce qu’elle permettra d’empêcher le fait divers d’instagram où des personnes qui font une “story” se retrouvent licenciées parce que des personnes ont diffusé leurs noms, leur employeur et qu’un grand nombre d’internautes avait trouvé ce film trop politiquement incorrecte ?
Le 09/01/2020 à 12h58
Le 09/01/2020 à 13h08
Je suis plutôt d’accord avec tout ça.
Je sais que ce n’est pas un problème facile mais passer son temps à gueuler à la dictature, ce n’est pas ce qui fera avancer les choses.
Le 09/01/2020 à 13h17
Le 09/01/2020 à 13h26
Le 09/01/2020 à 13h35
Je serait curieux de voir l’application de la future loi sur des fils de discussion concernant Gabriel Matzneff…
Le 09/01/2020 à 14h32
Le 09/01/2020 à 14h35
En fait pour les gens qui “s’informent sur les réseaux sociaux” il faut voir aussi qu’en face la presse “officielle” n’est plus franchement digne de confiance. À de rares exceptions les médias appartiennent tous aux mêmes milliardaires et qui passent bien gentiment sous silence ou presque les sujets dérangeant ces derniers comme au hasard la fraude fiscale. Le pire à ce jeu est bien sûr BFM, et les journaux télévisés ne sont pas loin derrière.
Bref hormis quelques médias encore vraiment indépendants tels que Mediapart ou le Canard Enchaîné je dirais globalement que j’ai hélas tendance à les comprendre.
Le 09/01/2020 à 15h01
ouais enfin ça revient à boire de la javel pure parce qu’il y a un risque de salmonelle dans l’eau du robinet, quand même " />
Le 09/01/2020 à 16h11
je dirais, plutôt, ça :
C’est là qu’on voit à quel point l’histoire est une, éternelle, répétition et que notre espèce semble
toujours prête à recommencer les mêmes conneries… " />
Le 09/01/2020 à 16h13
Le 09/01/2020 à 16h32
lien xkcd de bon aloi…
On en revient à chaque fois à la même chose sur le sujet, en fin de compte : si on apprenait le sens critique et le croisement des sources aux gens, on n’en serait pas là " />
Le 09/01/2020 à 16h45
Pour info, j’animerai une conf le 28 janvierà l’Ecole militaire. Seront présents : Laetitia Avia, un représentant de FB France, Arthur de la Quadrature, et Me Vallat, avocat.
Le 09/01/2020 à 16h53
:popcorn:
Le 10/01/2020 à 07h38
Est-ce qu’il y aura un live de cette conf ? Ou une VOD à défaut ?
Le 10/01/2020 à 09h04
Le 10/01/2020 à 09h43
Pour le résultat de la démarche effectivement mais ma question portait surtout sur la démarche amont :
Identifier les protagonistes (noms, métiers, employeurs) et demander aux “followers” de faire pression sur l’employeur (bad buzz) pour que ceux-ci soient licenciés.
Le 09/01/2020 à 10h41
J’en ai un peu marre de ce “cyber”, “l’internet” et tout ce tralala alors que dehors dans la vrai vie c’est la jungle… Entre les flics qui tue un éxité pendant un contrôle routier à 3v1, les LBD “armes de guerre” tirés dans la tête et / ou dans les yeux, l’omerta sur le nombre de voiture brulées au nouvel an, les agression de pompier et / ou de flic dans les “quartiers”.
Comparé à tout ça cette fameuse haine sur internet c’est du pipi de chat.
Le 09/01/2020 à 11h53
C’est totalement lié à mon avis. Ne pas oublier l’énorme pourcentage de gens qui déclarent ne “s’informer” que sur les réseaux sociaux…
Cette loi n’est certes pas sans danger de tomber dans l’excès mais la lecture de certains commentaires sur certains sujets ça fait froid dans le dos (je ne parle pas d’ici où ça reste globalement correct).
Ne pas oublier qu’un peu partout dans le monde on voit ressurgir des idéologies qui ont grandement démontré leur nuisance il n’y a pas si longtemps et ça ne s’est d’ailleurs jamais vraiment arrêté.
J’ai toujours trouvé assez comique le fait de gueuler à la dictature pour tout et n’importe quoi tout en ouvrant en grand les portes à ceux qui rêvent de la détruire totalement, le tout au nom de la soi-disant liberté d’expression. Cette liberté tant revendiquée par des gens qui se feront un devoir de la supprimer totalement si par malheur ils arrivent au pouvoir.
C’est là qu’on voit à quel point l’histoire ne sert à rien et que notre espèce semble toujours prête à recommencer éternellement les mêmes conneries…
Sur les sujets concernant la cyberhaine”, j’ai noté que ça gueule à la dictature mais il n’y a aucune suggestion pour lutter contre cette merde, à croire qu’elle est donc parfaitement admise dès lors que l’on est bien sûr pas directement ciblé.
Le 09/01/2020 à 12h08
Le 09/01/2020 à 12h20