La Cour des comptes fustige, dans un référé au vitriol, le partenariat public-privé de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris (PVPP). Son surcoût serait d'au moins 52 % (mais pourrait aller jusqu'à+ 114 %), rien ne serait fait pour évaluer son efficacité, et son cadre juridique, « inadapté », devrait urgemment être réformé.
Décidé en 2010 pour l’installation de 1 000 caméras, le plan de vidéoprotection de la préfecture de police de Paris (PVPP) a « changé de dimension » suite aux attentats terroristes de 2015, « avec près de 4 000 caméras en propre et plus de 37 000 caméras interconnectées sur l’ensemble du territoire régional », observe la Cour des comptes dans le référé qu'elle vient de rendre public à son sujet.
Le contrat de partenariat public-privé de 16 ans signé avec la société IRIS PVPP avait initialement été conclu pour un montant de 225,1 M€. Or, « le recours à ce type de contrat et son mode de financement se sont révélés inadaptés et coûteux et il est recommandé de ne plus recourir à ce type de contrat après 2026 ».
Il atteint en effet, au 31 décembre 2020, 343 M€ (soit + 52 %), « et le coût complet à terminaison du projet serait de 433 à 481 M€ » (soit + 92 %, voire + 114 %) en fonction des scénarios retenus.
De plus, « le contrôle du prestataire a été insuffisant et il est à présent indispensable que le préfet de police procède rapidement à un audit approfondi de ses comptes ».
La Cour formule au total six recommandations, dont certaines avaient cela dit déjà été faites plusieurs fois :
« L'absence d'évaluation de l'efficacité et de l'efficience du PVPP persiste depuis 2010, alors que sa répartition géographique et ses usages pourraient être améliorés. Il apparaît également urgent de réformer la réglementation relative à la vidéoprotection sur l'espace public et de renforcer fortement le contrôle interne du PVPP. »
37 800 caméras interconnectées, 4 667 agents habilités
Au total, la Cour des comptes dénombre 3 762 caméras en propre pour 1 482 sites de prises de vue, mais également 37 800 caméras accessibles par interconnexion du fait de 102 partenariats. Plus 600 kilomètres de fibres optiques, 88 serveurs et 10 pétaoctets de capacités de stockage.
L'exploitation du PVPP est assurée par 4 667 agents actifs habilités via 427 postes opérateurs, 50 murs d'images et 85 sites d'exploitation. Et ce n'est probablement pas fini :
« Les perspectives de développement apparaissent importantes, en raison des Jeux Olympiques de 2024 et, de façon structurelle, des innovations qui devraient permettre une utilisation automatique du système (détection automatique de situations anormales, aide à l’enquête notamment). »
Ce pourquoi, « dans le domaine évolutif de la vidéoprotection qui voit s’élargir le potentiel d’utilisation du système », la préfecture de police « devrait s’attacher à formaliser une doctrine d’emploi de l’outil PVPP et à accentuer la professionnalisation de ses utilisateurs » :
« La réflexion sur la doctrine d’emploi permettrait, par ailleurs, d’alimenter la stratégie globale en matière de sécurité à l’échelle de la préfecture de police et les réflexions sur les finalités de la vidéoprotection au niveau national. »
Un surcoût d'au moins 52 %
La Cour estime en outre que les avantages mis en avant dans l’évaluation préalable du contrat public-privé « ne se sont pas matérialisés, tandis que la préfecture de police a dû faire face à des surcoûts », relevant à ce titre ce type d'incongruité :
« À titre d’exemple, la livraison des travaux en retard n’a pas eu pour effet d’infliger une pénalité au prestataire mais, au contraire, de lui verser une indemnité de 1,4 M€. »
De plus, et « pendant plus de dix ans, la réalisation du PVPP n’a pas donné lieu aux mises en concurrence qui, en principe, permettent de réduire les coûts ».
L’émission de « nombreux ordres d’exécution [...] justifiés notamment par les circonstances de la menace terroriste » ont en outre « conduit à changer le périmètre et l’ampleur du projet PVPP », et un surcoût de 52,4 %.
Or, et « tout au long du contrat, le contrôle du prestataire a été insuffisant » et « il est à présent indispensable que le préfet de police procède rapidement à un audit approfondi de ses comptes », au surplus au vu de l'évolution à venir du périmètre et des moyens du PVPP :
« Un ensemble de besoins supplémentaires, à l’instar de l’intelligence artificielle (vidéo-intelligence) ou liés aux Jeux Olympiques et paralympiques (JOP) de 2024 ont été recensés dans une étude commandée à un prestataire en 2019. En fonction des différents scénarios issus de cette réflexion et de compléments identifiés depuis, le coût complet du projet PVPP sur la période 2011 - 2026 oscillerait entre 433 M€ et 481 M€. »
Des critiques et recommandations déjà formulées en 2011 et 2020
La Cour des comptes, comme elle l'avait d'abord fait en 2011, puis fin 2020, déplore que « l'absence d’évaluation de l’efficacité et de l’efficience du PVPP persiste depuis 2010 » :
« Les directions actives, qui, pour certaines, n’y voient pas d’intérêt opérationnel, ne comptabilisent pas leur utilisation du PVPP et les données de la performance opérationnelle du système d’information (taux d’utilisation des caméras, des postes, profils d’habilitations, etc…) ne sont pas exploitées. »
« Au-delà d'exemples emblématiques » de l’utilisation du PVPP « dans certaines affaires », la préfecture de police « ne dispose ni de données agrégées quant à ces utilisations, ni d’indicateurs permettant d’en apprécier l’efficacité ».
De plus, et du fait du développement des technologies de traitement automatique des flux vidéos, la préfecture de police a « lancé quelques expérimentations – notamment avec la vidéo-verbalisation semi-automatique de la circulation sur les voies de bus – sans que leurs résultats soient à la hauteur des attentes des opérationnels ».
Les potentialités du PVPP, « qui permet de décupler la capacité de surveillance, à bien moindre coût qu’avec des moyens humains, n’ont pas été pleinement exploitées », déplore la Cour des comptes :
« Compte tenu des potentialités de ces technologies, l’évaluation et le suivi de ces expérimentations n’ont pas rassemblé les éléments probants, qui permettraient de lever les freins réglementaires, financiers et opérationnels qui les limitent. Un effort au plus haut niveau, doit être conduit dans ce domaine. »
Les caméras surveillent surtout les quartiers riches
Or, et non content de ne pas pouvoir rendre compte de tant d'argent public dépensé dans un système non audité, « cette lacune entrave la capacité de la préfecture à optimiser l’usage du PVPP et à s’assurer de la bonne répartition des dispositifs de vidéoprotection dans l’espace public » :
« Ceux-ci se concentrent aujourd’hui dans les arrondissements centraux de Paris et les principaux axes de circulation comme l’avenue des Champs Elysées, et non pas dans les zones les plus criminogènes de la capitale. »
La Cour des comptes a ainsi dénombré « moins de 1 caméra pour 1.000 habitants dans les 15ème et 20ème arrondissements, contre plus de 11 dans le 1er et plus de 9 dans le 8ème arrondissement ».
Contrairement à la cartographie de la Préfecture de police de l'implantation des caméras, la carte de la répartition des caméras par arrondissement dressée par la Cour des comptes montre bien à quel point ces dernières sont d'abord et avant tout réparties dans les quartiers riches et touristiques.
Un cadre juridique « inadapté » qu'il faudrait urgemment réformer
La Cour des comptes estime également que le cadre juridique serait « aujourd'hui inadapté » et qu'il « apparaît désormais urgent de la réformer ». La règlementation date en effet des années 1990 « et n’a pas été modifiée pour tenir compte des évolutions des technologies, des pratiques, ou de l’environnement juridique » :
« Plusieurs dispositions de Code de la sécurité intérieure sont obsolètes par rapport à certains outils devenus d’usage courant. Surtout, le Code n’a pas encore tiré les conséquences du nouveau cadre juridique relatif à la protection des données à caractère personnel entré en vigueur en mai 2018 (Règlement dit "RGPD" d’avril 2016; directive dite "police-justice" d’avril 2016). »
Dès lors, et comme l’a récemment rappelé la CNIL dans son avis sur la proposition de loi « sécurité globale », le cloisonnement entre le régime de la vidéoprotection et celui de la protection des données à caractère personnel « doit être remis en cause », précise le référé.
Ce recadrement juridique serait d'autant plus urgent, et en tout cas important, que la Cour des comptes souligne 3 points litigieux où le PVPP aurait outrepassé la loi :
- le cadre légal (article L. 251 - 2 du Code de la sécurité intérieure) « n’identifie pas la gestion du maintien de l’ordre comme finalité de la vidéoprotection », alors que la direction de l’ordre public et de la circulation (DOPC) « l’utilise fréquemment à cette fin » ;
- de même, le Code de la sécurité intérieure n’évoque pas explicitement l’élucidation à des fins judiciaires comme finalité de la vidéoprotection ;
- la situation particulière de Paris n’a été clarifiée au plan juridique « que très tardivement », puisqu’il a fallu attendre la loi du 25 mai 2021 « pour une sécurité globale préservant les libertés » pour « conférer une base légale » à l’accès des agents de la Ville aux enregistrements du PVPP, « alors que cette pratique s’était établie dès l’origine ».
Un contrôle interne « lacunaire »
La Cour des comptes déplore enfin un contrôle interne « lacunaire ». En effet, la commission départementale de vidéoprotection, « dans laquelle le préfet de police est à la fois le pétitionnaire et le responsable de l’autorisation, n’exerce pas de contrôle a posteriori », et celui-ci « ne peut reposer exclusivement sur la CNIL », précise le référé.
De plus, l’évolution indispensable de la réglementation nationale, telle que précédemment mentionnée, « aura pour conséquence de revaloriser l’importance du contrôle interne à travers, par exemple, la fonction de délégué à la protection des données » :
« La préfecture de police doit repenser son dispositif de contrôle interne en procédant, au préalable, à une analyse des risques qui fait toujours défaut. »
Le référé précise à ce titre que « ce dispositif de contrôle ne saurait se confronter avec l’encadrement hiérarchique », mais également plus et mieux contrôler les éventuels dévoiements ou utilisations frauduleuses du PVPP :
« Enfin, la préfecture de police aurait tout intérêt à se doter d’outils automatisés au service du contrôle interne, afin de mieux aider à la détection d’utilisations non conformes. Ces outils viendraient en soutien des différents niveaux de contrôle, mais également des directions actives de la préfecture de police, pour mieux analyser l’utilisation de la vidéoprotection. »
Contacté il y a deux mois, Darmanin n'a pas répondu
La Cour formule 6 recommandations, dont 4 au préfet de police de Paris, et 2 au ministre de l'Intérieur :
- formaliser les rôles des directions de la préfecture de police de Paris et du ministère de l’Intérieur dans la conduite de la stratégie de la vidéoprotection ;
- établir un plan de financement des dépenses liées au projet PVPP jusqu’en 2026 et lancer les procédures de mise en concurrence qui en découlent, proscrire le recours à un contrat de partenariat après 2026 en remplacement du contrat existant ;
- réviser la convention sur la vidéoprotection entre la préfecture de police et la Ville de Paris afin de mettre en place une contribution financière de la part de la Ville de Paris pour l’utilisation des caméras ;
- se doter d’une doctrine d’emploi du PVPP et de la vidéo en général pour la préfecture de police avec des objectifs ;
- engager sans tarder une évaluation de l’efficacité du PVPP dans la prévention de la délinquance et l’élucidation des délits ;
- proposer une réforme du cadre juridique de la vidéoprotection afin de tirer les conséquences de l’évolution de la réglementation européenne et d’accompagner voire anticiper les évolutions technologiques.
Daté du 2 décembre 2021 et adressé dans la foulée à Gérald Darmanin, le ministère de l'Intérieur avait deux mois pour répondre au référé. Ce qu'il n'a pas fait.
Commentaires (12)
#1
Question (sûrement bête) : le Cour des Comptes a t-elle des pouvoirs, notamment de sanction ?
Si elle peut être ignorée sans aucune conséquence, ça risque pas de s’améliorer…
#1.1
À ma connaissance, elle n’a pas de pouvoir de sanctions. Mais son expertises sert à nourrir le débat parlementaire et publique.
#2
Hélas l’Etat s’est déshabillé de ses ingénieurs issus des grands corps de l’État qui ont presque tous fui vers le privé ou vers les collectivités territoriales (décentralisation qui permet une meilleure attractivité en terme d’évolution de carrière et d’implication personnelle). Incapable de poser correctement un cadre contractuel ni même d’en assurer le contrôle, l’Etat gratte-papier qui a perdu sa matière grise opérationnelle a cru que le partenariat public / privé serait la solution. Mais l’expertise étant au bénéfice du secteur privé, l’Etat et donc les contribuables n’ont été que les dindons de la farce.
#3
Non !!! Pas possible !!
Mais QUELLE SURPRISE !
#3.1
C’est surtout la preuve que la vidéobouclier fonctionne, y’a bien moins de criminalité dans les quartiers où elle est déployée le plus !
#4
ou alors elle est juste déployée dans les quartiers avec le plus faible taux de criminalité ?
#4.1
Cela serait plutot contre intuitif, et je veux croire que la préfecture de Police de Paris suit la logique de mettre les moyens de vidéodéfense là où ils seraient utiles. Donc j’en déduis que le 16ème arrondissement était il y a peu un coupe gorge, pire, un territoire perdu de la république
#5
#6
Inspecteur la bavure 2 : video kill the radeau star.
#7
Quand on apprend via un rapport de la Gendarmerie que la video n’apporte une preuve permettant la résolution d’un délit que dans 1.13% des affaires criminelles
tu te dis que tout ça c’est du gros paluchage
https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/22/une-etude-commandee-par-les-gendarmes-montre-la-relative-inefficacite-de-la-videosurveillance_6106952_3224.html
#7.1
C’est assez normal en fait, tu ne peux que rarement utiliser la vidéo comme preuve, car ce n’est souvent pas légal: Tu dois être correctement informé que tu es filmé, la caméra est installée pour une utilité précise et l’image ne peut pas être utilisée pour une autre… Bref même si on voit ta tête faire des conneries, il y a de grandes chances pour qu’un avocat puisse rendre cette “preuve” non valable.
Sur les centres-villes, on peut supposer que l’utilité première est de détecter les pb, pour ensuite envoyer une brigade faire le flagrant délit ; dans ce cas pas besoin de s’emmerder avec de la vidéo comme “preuve” ;)
Dans ce cas la vidéo n’est pas totalement inutile, mais ne rentrera pas dans la stat (affaire élucidée grâce à la vidéo surveillance)
#7.2
tu ne peux que rarement utiliser la vidéo comme preuve, car ce n’est souvent pas légal: Tu dois être correctement informé que tu es filmé,
Gros doute
hummm dans un espace privé éventuellement, mais dans l’espace public, c’est open bar, puisque ces camera sont déclarées aux autorités compétentes.
Le rapport de la Gendarmerie explique trés bien les problèmes le plus fréquents : Cameras mal orientées, ou alors la vitre est tellement sale que images sont inexploitables…mise au point dereglé..etc
Et surtout ils expliquent que si un incident se passe sur une place trés fréquentée (genre les Halles a Paris), il y a des dizaines de cameras, et donc si tu cherches a visionner les images d’un créneau de 15min, tu te retrouve a visionner facilement plusieurs heures d’images en fonction du nombre de camera sur zone. Et le pandore explique qu’ils n’ont pas le temps, sauf pour des délits majeurs ( Terrorisme ou crimes graves)