Interview : Séverin Naudet réplique au sénateur Gorce sur l’Open Data
« Il n’y a eu aucune donnée personnelle publiée sur www.data.gouv.fr »
Le 31 janvier 2013 à 10h45
7 min
Droit
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Suite aux récents propos du sénateur Gorce sur l'Open Data, PC INpact a pu interroger Séverin Naudet, ancien directeur de la mission Etalab (qui gère le site www.data.gouv.fr). Manifestement très remonté contre les arguments de l'élu, notre interlocuteur s'est inquiété de l’irresponsabilité ainsi que des « amalgames » du parlementaire, estimant que les dérives craintes par ce dernier sont totalement infondées.
Séverin Naudet - Crédits : Bruno Mazodier.
Hier, nous rapportions que le sénateur socialiste Gaëtan Gorce (également membre de la CNIL) venait de demander au gouvernement de Jean-Marc Ayrault d'interrompre le développement de l'ouverture des données publiques en France, au moins « tant qu'un cadre juridique respectueux de la vie privée n'aura pas été arrêté ». Les propos de l’élu ont cependant suscité beaucoup de réactions, dont celle de Séverin Naudet (http://www.severinnaudet.com), prédécesseur d'Henri Verdier à la tête de la mission Etalab. À l’origine de la politique d’Open Data sous le gouvernement de François Fillon, Séverin Naudet a bien voulu répondre à nos questions.
Le sénateur Gaëtan Gorce a lancé cette semaine un appel au gouvernement, afin que ce dernier arrête « les développements de l'open-Data tant qu'un cadre juridique respectueux de la vie privée n'aura pas été arrêté ». Comment avez-vous réagi suite à cette requête ?
Je veux rappeler que le choix d’ouvrir largement les données publiques, « l’open data », a été un engagement fort et courageux de Nicolas Sarkozy et de François Fillon pour une démocratie exemplaire. L’open data c’est faire la transparence totale sur le fonctionnement des institutions publiques à tous les niveaux. L’open data c’est rendre des comptes aux citoyens notamment sur l’utilisation de l’argent public. Cette politique a fait l’objet d’une très large concertation y compris avec les parlementaires de l’opposition de l’époque et d’un travail approfondi avec tous les acteurs concernés notamment avec la CNIL.
Je voudrais rappeler au Sénateur Gorce qu’il s’agit d’un impératif démocratique qui concerne le gouvernement et ses administrations mais qui devrait aussi concerner le Parlement. Les parlementaires ont une obligation d'exemplarité. Ils auraient dû être les premiers à entamer cette démarche - or, ils ne l’ont toujours pas fait. Le fonctionnement totalement opaque de la, voire des réserves parlementaires en est un exemple saisissant.
Considérez-vous que les risques de « dérives » dont s’alarme l’élu (qui craint un fichage généralisé des citoyens à des fins privées grâce aux recoupements de données) ne sont pas fondés ?
Ils sont totalement infondés ! « L’open data » est strictement encadré et ne concerne que les informations publiques telles qu’elles sont définies par l’article 10 de la loi n°78 - 753 du 17 juillet 1978. La loi précise très clairement que ne sont pas des informations publiques celles?qui contiennent des données à caractère personnel. Je suis très clair, il n’y a eu aucune donnée personnelle publiée sur www.data.gouv.fr.
Je tiens d’ailleurs à préciser que contrairement à ce que dit le Sénateur, aucune donnée brute provenant du service d’état civil ou du cadastre n’ont été publiées et les seules informations fournies par les tribunaux sont des statistiques. Les données publiées ont par exemple été celles sur l’inventaire immobilier de l’État, le nombre de véhicules de service par ministère ou les coordonnées géographiques des écoles… C’est regrettable qu’un Sénateur fasse tant d’amalgames. C’est totalement irresponsable de la part d’un élu d’agiter l’épouvantail « d’un fichage généralisé à des fins privés » pour tenter de mettre un terme à une démarche inédite de transparence de l’État.
Il n’y a donc aucun risque pour la protection des données personnelles des citoyens ?
Non, il n’y en aucun !
En ayant cette position, ne prenez-vous pas le risque de rentrer dans le jeu du sénateur, qui a déjà critiqué l’ "ingénuité" numérique de certains décideurs ?
Une crise de confiance des Français à l’égard de leurs élus et de leurs gouvernants s’est installée depuis trop longtemps. Internet peut fortement contribuer à changer cela, à replacer les citoyens au cœur de la République et de la gouvernance des institutions. Le Sénateur Gorce fait manifestement partie de ces responsables politiques français qui ne l’ont pas compris. Les dirigeants, les élus, les partis, débattent entre chaque élection sans créer les conditions d’un dialogue direct avec les Français.
Les Français demandent cet échange et Internet le rend possible. Les plateformes collaboratives, les réseaux sociaux, permettent la participation de tous et créent une démocratie directe au soutien de la démocratie représentative. Internet permet d’améliorer le fonctionnement des institutions et la qualité du service public, de contribuer à l’élaboration des politiques publiques, voire de proposer des solutions innovantes aux sujets de société. Cela peut recréer un intérêt pour la politique. Les Français ne veulent plus être seulement un bulletin de vote au moment du scrutin et ils ne veulent plus laisser le monopole du débat aux élites et les solutions aux « experts », éloignés de leurs préoccupations quotidiennes. Nos élus ne doivent pas avoir peur d’internet et de cet échange direct avec les Français. Internet renouvelle et renforce la démocratie par la racine. C’est une chance pour la République.
Qu’est-ce qui peut selon vous expliquer cette prise de position pour le moins tranchée de Gaëtan Gorce ?
Je veux croire qu’il s’agit de l’acte isolé d’un élu qui n’a pas compris le sujet et qui sert de porte-parole à d’autres. Si c’est le cas il a été trompé. J’espère en revanche qu’il ne s’agit pas en fait d’un ballon d’essai du gouvernement pour arrêter « l’open data ».
Mais la vérité c’est que je suis inquiet. Les moyens « d’Etalab » ont été supprimés dès le lendemain de l’élection et n’ont jamais été rétablis. « Etalab » qui était directement sous l'autorité du Premier ministre a été transformé, après mon départ, en sous-service administratif dont on attend toujours la « feuille de route ». Le président de la République et le Premier ministre ne se sont jamais exprimés sur le sujet et voilà maintenant qu’un Sénateur socialiste demande l’arrêt immédiat de la politique “d’open data”…
Quelle position souhaiteriez-vous que le gouvernement Ayrault adopte sur ce sujet ?
J’attends de ce gouvernement, qui parle beaucoup d’exemplarité, qu’il fasse de « l’open data » un instrument puissant de réforme de l’État et de transparence démocratique. J’attends de ce gouvernement qu’il fixe dans la loi, comme nous avions prévu de le faire, le principe d'obligation de publication systématique des informations publiques par tous les services publics de l'État, des collectivités et par le Parlement.
Merci Séverin Naudet.
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 31/01/2013 à 17h58
Ouais, ou alors il est parfaitement au courant de tout ca le senateur, mais comme il voit qu’on va finir par publier ce qu’il fait avec l’argent public, il essaye d’arreter le truc, avant que tout le monde puisse voir ses magouilles… " />
Le 31/01/2013 à 19h06
Le président de la République et le Premier ministre ne se sont jamais exprimés sur le sujet
Certes, mais le candidat avait ete clair, du moins aussi clair qu’un politicien peut l’etre, sur tout ce qui touche le numerique: ce n’est pas son probleme. En France, ca n’a jamais ete le probleme du gouvernement, et seuls quelques deputes tentent de defendre une evolution legislative concordant avec le progres technique. Rarement avec succes helas.
Le plus souvent, nous voyons fleurir des lois encourageant voire forcant le retour a des modeles juridiques et economiques datant du minitel, voire de la television (parfois en remontant au modele ORTF). Et cela ne change pas malgre “l’alternance” qui n’est qu’une vaste farce: on change quelques details en surface, mais la politique de fond ne devie pas reellement.
C’est d’ailleurs amusant, “l’opposition” denonce une politique, puis pratique la meme une fois au pouvoir. Une “opposition” de principe, juste pour amuser la gallerie.
Le 31/01/2013 à 11h00
Son site est hideux mais son discours me plait.
Par contre, je ne comprend pas bien sa position, il ne fait pas partie du gouvernement mais a travaillé à l’open data ?
Le 31/01/2013 à 11h17
Sans politique, j’avoue qu’un site plus clair et un bilan complet pour savoir où partent précisément nos impôts serait intéressant !
Surtout au niveau des communes, y’en a des très clairs sur le budget et d’autres très opaques…
Le 31/01/2013 à 11h38
aucune donnée brute provenant du service d’état civil ou du cadastre n’ont été publiées
J’ai pourtant souvenir d’une cartographie des parcelles des cadastres. J’ai mangé l’adresse, mais je suis sûr d’avoir vu ça quelque-part. Y’avait les parcelles délimitées avec leur petit numéro et tout, ça m’avait d’ailleurs bluffé; mais y’avait pas le nom du propriétaire, par exemple.
[Edit : Il y a geoportail ]
Aucune donnée nominative du cadastre, certes, mais pas “aucune donnée du cadastre”.
Par contre lui, je trouve qu’il fait l’amalgame entre OpenData et Transparence. C’est carrément pas synonyme; moi j’peux vous fournir des péta de données bidons et de statistiques moisies vous en ferez jamais rien; et à l’inverse rien n’empêche aux élus la transparence par des sites web ou autre sans forcement à avoir à fournir des données en xml.
Après, effectivement, avec l’openData justement le BUT c’est de faire des recoupements, ce qui limite les possibilités de triche ou de cache-misère planqué au regards indiscret d’un analyste-journaliste consciencieux, mais un faisceau d’indices ne fait pas une preuve.
Le 31/01/2013 à 11h43
Après il faut laisser aux journalistes le soin de faire des études “sérieuses” avec ces données.
Pas seulement aux journalistes…A tous, même si je ne vois pas bien ce que j’en ferais! (pourquoi pas une application qui calcul l’inflation de mon propre “panier de la ménagère” en fonction de mes “vrais” achats) . L’argument étant que la collecte de ces info brutes (pas des statistiques prédigérées) étant financé par l’argent publique, chacun doit pouvoir en profiter.
Le 31/01/2013 à 12h03
Le 31/01/2013 à 12h08
Le 31/01/2013 à 13h25