La DGSE imagine les cyberguerres du futur, de 2030 à 2060
C’était pas ma (cyber)guerre !
Le 04 juillet 2022 à 06h47
10 min
Sciences et espace
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À quoi pourrait bien ressembler le monde numérique dans 10, 20 ou 40 ans ? Difficile à dire tant les évolutions et découvertes sont rapides. La DGSE se lance néanmoins dans un exercice d’anticipation. Sans attendre les prochaines décennies, la « guerre » se prépare aussi dans l’espace et au fond des océans.
Nous vivons dans un monde toujours plus connecté. Comme l’expliquait, à juste titre, Ursula von der Leyen (présidente de la Commission européenne) dans son discours sur l’état de l’Union en septembre dernier : « Si tout est connecté, tout peut être piraté ».
Les pirates et services de (cyber)sécurité jouent au chat et à la souris depuis des années et cela ne devrait pas se calmer à l’avenir, loin de là. S’il est impossible de savoir ce que nous réservent les prochaines décennies, la Direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) a tenté une extrapolation.
Lors du salon VivaTech, elle exposait en effet de grandes fresques avec une vision de ce que pourrait être le futur de l’espionnage d’ici à 2060. Sur place, un des responsables du stand nous expliquait que c’est bien évidemment une fiction, mais que les éléments se basent autant que possible sur des situations actuelles. Ce n’est donc pas une fiction sans fondement, mais plutôt une projection.
IA, hologramme, modélisateur 5D, cyber-ingérence
D’ici une dizaine d’années, l’intelligence artificielle devrait prendre du galon dans les prochaines décennies, selon la Direction générale de la sécurité extérieure, ce qui ne surprendra personne. Ainsi, en 2029, « les progrès de l’intelligence artificielle permettent de reconstituer sous forme d’hologramme les personnages historiques pour bénéficier de leurs conseils ».
La DGSE donne un exemple avec André Dewavrin (alias le colonel Passy) « premier chef, en 1942, du Bureau central de renseignements et d’actions de la France libre, conseille un nouvel agent sur les leviers à mettre en œuvre pour recruter une source… ». À part le côté nostalgique, on a un peu du mal à voir l’intérêt stratégique.
Du côté des offres d’emploi, il pourrait être question à la même époque d’un « modélisateur 5D ». Son rôle serait de concevoir, programmer et animer « sous forme d’hologramme des personnalités existantes ou ayant existé pour appuyer les agents dans leurs missions ». On se retrouve presque dans la même situation qu’avec le colonel Passy.
L’intitulé du poste précise que, « en vous appuyant sur des technologies d’intelligence artificielle facilitant le traitement des données non structurées, vous maitrisez les techniques de traitement d’image dans les cinq dimensions ». Pour cette mission, il faudra maitriser le développement en Python et Cobalt.
En mars 2032, les élections présidentielles approchent en France et les services de cybersécurité sont à bloc. « À force, la leçon a été retenue : piratage des emails de Hillary Clinton en 2016, « MacronLeaks » en 2017, deepfakes de Joe Biden et de Donald Trump lors de la campagne de 2020 »… les exemples sont nombreux. Si la cyberguerre n’a pas eu lieu en Ukraine, la question a souvent été soulevée.
Quoi qu’il en soit, l’ensemble de ces événements (et d’autres qui arriveront surement dans les prochaines années) ont « encouragé les Européens à muscler leurs moyens de défense et à renforcer la résilience des infrastructures et réseaux de communications. Au programme : lutte contre la "cyber-ingérence" (consistant à analyser des données disponibles sur les réseaux sociaux et détecter rapidement les robots et les faux comptes), amélioration de la détection des attaques… ».
Authentification dite « comportementale » chez Thales
Thales aussi s’est récemment lancé dans cet exercice d’anticipation et prévoit également un recours toujours plus important à l’intelligence artificielle, mais cette fois pour détecter les comportements inhabituels : « signant l’avènement de ce qu’on appelle l’authentification dite "comportementale", et qui prend en compte, dans le cas des utilisateurs humains, la vitesse de frappe et le mouvement de la souris ».
Sur un autre sujet, la société anticipe que, « au début de la décennie 2030, la tâche des services de cybersécurité est devenue d’autant plus ardue qu’une part très importante des hackers disposent désormais de moyens inédits, et pour cause : nombre d’entre eux sont mandatés par des services secrets et militaires. Les pirates amateurs, aussi appelés script kiddies, ne représentent plus qu’un danger anecdotique ».
Cyberattaques dans le métavers en 2040
En 2040, « monde virtuel et monde physique se superposent. Les allers-retours entre ces deux environnements entrelacés complexifient les activités de renseignement, qui s’exercent désormais dans ces deux univers ». Le « métavers » (terme utilisé par la DGSE) est évidemment la cible de cyberattaques.
En 2051 par exemple, la DGSE empêche une « tentative d’effacement entravée du jumeau numérique de la tour Eiffel ».
Le « passage de la barrière quantique »
Une révolution arrive en 2048 avec l’informatique quantique : « il est désormais possible de communiquer de manière inviolable, indétectable et instantanée, grâce aux émetteurs-récepteurs Q-Quantum ». Il s’agit de « casques » utilisant des techniques de conduction osseuse (qui sont déjà une réalité depuis longtemps pour l’audio) pour les communications visuelles et sonores.
Cette révolution se base sur des travaux autour du « passage de la barrière quantique », récompensés d’un prix Nobel en 2032. Détail intéressant, la DGSE estime donc qu’entre la théorie et la pratique il s’est écoulé plus de 15 ans, un délai qui parait relativement long dans le monde en pleine expansion dans lequel nous vivons.
Le quantique est aussi a l’honneur chez Thales, qui pense que les premiers ordinateurs pourraient apparaitre « dans le courant de la décennie ». Des calculateurs sont déjà là, mais pas encore au point de dépasser les supercalculateurs traditionnels. Il s’agit de ce qu’on appelle la suprématie (quantique)… une barrière sujette à controverse. Une chose est sûre : on est à un « point de bifurcation », comme l’affirmait Philippe Chomaz (directeur scientifique à la direction de la recherche fondamentale du CEA).
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Les algorithmes post-quantiques sont déjà là, depuis des années
Thales explique qu’il « aura fallu mettre au point des algorithmes post-quantiques capables de résister aux attaques », semblant oublier que de tels algorithmes existent depuis des années et sont pour certains déjà testés depuis au moins 2016. En France, le gouvernement a récemment annoncé – dans le cadre du Plan Quantique – une enveloppe de 150 millions d’euros dédiés à la cryptographie post-quantique, tandis que le NIST devrait prochainement valider des algorithmes.
La société ajoute, à juste titre cette fois, que « le quantique aura aussi permis de développer de nouvelles méthodes de chiffrement plus robustes que jamais, capables de sécuriser les protocoles de communication avec des échanges de clés quantiques. Avec un avantage de taille, qui est celui de savoir si une tierce partie – un hacker – a inspecté la clé échangée, auquel cas ce dernier aurait automatiquement modifié l’état quantique des particules véhiculant cette clé ».
Rappelons que le chiffrement infaillible existe depuis des dizaines d’années déjà, mais qu’il n’est pas simple à mettre en place. Quant à « l’échange quantique de clés », c’est également une réalité depuis un moment déjà, mais cette technique n’a, pour l’instant, « rien à voir avec l’ordinateur quantique » précisait l’ANSSI.
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Casque NeuroShield obligatoire pour les agents en 2062
La surveillance de masse est aussi de la partie, avec un horizon très lointain, en 2062 : « la surveillance est omniprésente dans les mégapoles du globe, où les habitants sont épiés et scannés de toute part. Un agent a rendez-vous avec une source pour recueillir des infos. Sur leur passage, des technologies d’identification automatique analysent en temps réel leurs profils », explique la DGSE.
D’ailleurs la Direction générale en profite pour publier une note de service « confidentielle » de cette même année : « Tous nos agents en mission doivent désormais utiliser le casque NeuroShield pour se protéger, en dehors des états de veille, des techniques de dream hacking. La puce RVS 4.0 reste obligatoire pour leurrer les capteurs urbains de type body fingerprinting et scan ADN ». On n’est pas loin du film Inception sur certains aspects.
Enfin, terminons avec une offre d’emploi en CDI en 2062 :
« Au sein de la cellule Full Environnement en charge de la miniaturisation des outils électroniques et du développement des technologies liées à la Smart city, en lien avec l'accroissement des capacités offertes par la 7G, le dream hacker aura la responsabilité d'assurer un environnement transparent aux agents dans les pays où organisation au sein desquelles nous intervenons.
Passionné par la technologie, les neurosciences et la biologie, vous serez amené à développer de nouveaux outils d'obfuscation permettant à des personnes d'agir dans un cadre urbain à l'étranger, en limitant les risques liés à l'environnement technologie multicapteur ».
S’il est compliqué de se prononcer sur les aspects technologiques et neurosciences, la DGSE n’est guère optimiste sur les réseaux de télécommunications mobiles. La 5G est une réalité depuis plus d’un an en France et la 6G se prépare déjà activement dans plusieurs laboratoires. Elle devrait arriver à l’horizon 2030. Si la courbe reste ensuite la même, la 7G pourrait pointer le bout de ses ondes en 2040, la 8G en 2050, etc. On pourrait ainsi être en 9G en 2060.
De l’espace aux fonds marins, l’espionnage est partout
Depuis quelques années déjà, l’espace est un terrain de jeu important pour l’espionnage, avec des satellites qui viennent « rendre visite » à d’autres. Certains pays montrent aussi les muscles en détruisant depuis le sol un de leur ancien satellite, sous la forme d’un avertissement à peine déguisé aux autres pays : « on sait le faire ». Cela n’est pas sans conséquences sur les débris spatiaux.
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En février dernier, Florence Parly (alors ministre des Armées) expliquait que « les fonds marins sont donc un nouveau terrain de rapport de forces qu'il nous faut maîtriser pour être prêt à agir, à se défendre et, le cas échéant à prendre l'initiative, ou du moins, à répliquer ». Et pour cause, on y trouve les câbles permettant d’assurer des liaisons entre les continents.
Elle citait un exemple : « l'été dernier, nous avons suivi à nouveau un navire océanographique d'une grande puissance militaire mondiale au large de l'Irlande, alors qu'il opérait à proximité de câbles qui relient l'Europe aux États-Unis. Ce n'était pas la première fois, et ce ne sera sans doute pas la dernière ». Là encore, rien de neuf puisque de tels agissements ont été remontés publiquement il y a plusieurs années déjà.
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Commentaires (20)
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Abonnez-vousLe 04/07/2022 à 07h58
Question : qui croit vraiment au bullshit qu’est le metavers ?
Le 04/07/2022 à 08h17
Je n’ai pas un avis aussi tranché (j’imagine que ta question est purement rhétorique ?).
Pour ma part, je n’ai pas d’avis pertinent sur le devenir du/des “métavers” tels que le proposés aujourd’hui, au sens de leur adoption et/ou succès financier, en revanche, j’ai du mal à imaginer que le concept de métavers au sens large n’aboutisse jamais. Pour moi c’est juste une question de temps et de forme (et là, je ne m’avancerai pas sur des jalons…).
Une fois qu’on a dit ça, plein d’évènements pourraient empêcher son aboutissement (et beaucoup d’autres choses), comme des troubles mondiaux voir des guerres, la raréfaction des ressources, …
Tout ça pour dire, que c’est quand même important de prendre du recul sur les choses, et le recul ça signifie autant ne pas se lancer aveuglément dans des technologies plus ou moins bullshit, que ne pas rejeter directement un concept car le seul exemple qu’on en ai est bullshit.
Le 04/07/2022 à 08h14
l’article d’epsiloon à ce sujet les fait moins passer pour des hurluberlus, ils ont fait appel à des écrivains de SF pour imaginer des situation / des attaques du future, ça leur à permis entre autre d’améliorer le design du futur porte avions, et ils ont ouvert une partie des situations écrite au public, mais en ont gardé pas mal sous secret.
Le 04/07/2022 à 08h27
Le même article en 2000 ça aurait donné : il faut protéger les biens et les personnes dans “second life”, se méfier de l’utilisation frauduleuse du téléphone, du minitel et du tatoo, il faut améliorer les techniques de chiffrement et entraver les satellites de prise de vue.
Ou un truc du genre…
Aka contrer une menace qui n’existe pas, se méfier d’une menace qui ne concerne pas la sécurité de l’état, sortir une ou deux généralités et entraver un truc qui va révolutionner son temps…
Dur dur de savoir se battre contre un ennemi qui n’existe pas…
Le 04/07/2022 à 08h41
Le 04/07/2022 à 08h59
Mouais toujours à vendre leurs bullshit.
Par contre pendant ce temps là sur le théâtre ukrainien, on voit Les US se faire une virginité avec Clearview et consorts la reconnaissance faciale, un outil controversé pour identifier les soldats russes morts
Le 04/07/2022 à 09h32
Le 04/07/2022 à 10h36
Je lisais les commentaires pour voir si j’étais le seul à l’avoir remarquer.
Le 04/07/2022 à 10h47
Moi !
Après ça sera pas forcément bien hein.
Le 04/07/2022 à 11h29
meta voila ce qu’ils essayent de nous vendre ?
EN version > http://www.stargate-sg1-solutions.com/wiki/2.04_%22The_Game_Keeper%22_Episode_Guide
FR version > https://www.stargate-fusion.com/series/1-stargate-sg-1⁄2-saison-2⁄25-le-maitre-du-jeu.html
On pourrait évidemment prendre plein d’autre exemple de film ou série de science fiction mais c’est le 1er à me venir à l’esprit.
Quand aux hologrammes tsss…
Le 04/07/2022 à 13h57
mouais, le seule chose dont je suis convaincue pour un futur proche, c’est la légalisation des drogues dure, vu comme son usage semble banalisé dans la communication de l’arméee…
Le 07/07/2022 à 09h45
L’armée utilise effectivement depuis toujours des molécules illégales dans la société civile. C’est censé les diaboliser?
Le 04/07/2022 à 14h03
Il suffit de jouer à Deus Ex
Le 04/07/2022 à 14h19
Après faut pas oublier la future Grande Guerre de 2077…
Le 04/07/2022 à 15h07
Je suis né en 1960 et l’an 2000 si lointain était alors un fantasme pour tous ! Pour donner une idée, jusqu’en 1970 le téléphone fixe était un rêve (plusieurs années d’attente parfois), la télévision couleur était à peine née, mais nous imaginions que les voitures devaient voler, ne manger que des pilules, et tant d’autres choses issues de la science fiction.
Loin, très très loin d’imaginer l’arrivée d’internet à la toute fin du siècle, ni même juste à ce moment là de penser à concevoir l’idée (!) d’un petit truc qui tient dans la main et qui nous permet de faire … presque tout
Cette “chose” n’a pourtant que 15 ans, alors imaginer l’après 2030 … et que dire de 2040. Mais il ne faut surtout pas rester enfermé dans le présent ou le futur très proche, continuons à faire des prospectives … et surtout à faire de beaux rêves (dans le sens positif du terme) , c’est essentiel.
Le 04/07/2022 à 17h05
Alors c’est mort, 2077 est l’année de la honte.
Le 05/07/2022 à 08h09
Il faudrait déjà qu’on arrive à passer le cap de 2030… ce qui n’est pas sûr du tout avec l’effondrement de notre bloc occidental à vitesse grand V.
Le 05/07/2022 à 09h12
C’est parce que c’est compliqué de tester un appareil qui “fonctionne et ne fonctionne pas” en même temps :)
Le 07/07/2022 à 09h44
Aucune mention de deepfakes tellement réalistes et coordonnés via des circuits d’information rendus légitimes par des années de sérieux journalistique (et affaiblis en moyens d’enquête néanmoins) qu’ils permettent de modifier totalement la réalité perçue par les humains lors de moments clés de l’histoire?
Ca me semble pourtant le principal danger, l’obfuscation de la vérité à de telles échelles que la notion même de vérité, d’info vérifiable, n’a plus grand sens.
Dans ce contexte plus aucune élection ne vaut, plus aucun choix économique ne vaut, c’est la fin du modèle occidental rationaliste, des démocraties libérales et du libre marché.
Le 07/07/2022 à 09h56
William Gibson avait décrit un réseau qui ressemble assez fortement à internet, il faut continuer à lire du cyberpunk pour anticiper la suite : connexion directe aux neurones, interactions possibles avec la réalité via les objets connectés, réflexes et mémoires humaines augmentés via des puces neuronales, apparition d’un corpus légal et répressif spécifique au monde virtuel, possibilité d’attaques physiques sur les personnes connectées via leurs puces neurales, monde où la classe moyenne a disparu et où les entreprises multinationales se disputent les rares cerveaux humains capables de conceptualiser de l’innovation comme elle se disputent aujourd’hui les ressources naturelles ou les débouchés commerciaux, paupérisation des humains “normaux” devenus inutiles dans un monde à l’économie largement automatisée, aux ressources épuisées et polluées et dont l’intégralité des capacités de production sont privatisées par des multinationales…
On sous estime le courant cyberpunk en termes de vision