Douloureuse nouvelle pour les ayants droit. Leur commission fétiche, celle dédiée aux « affaires culturelles » à l’Assemblée nationale, a adopté une série d’amendements qui hantaient leurs pires cauchemars.
Hier, en fin de journée, dans le cadre de la préparation des débats parlementaires du projet de loi numérique porté par Axelle Lemaire, les députés de cette commission (saisie pour avis) ont ainsi mis un joli coup de pied dans la fourmilière.
La liberté de panorama
Ils ont d’abord adopté deux amendements identiques portés pour l’un par Christian Paul, Philippe Baumel, Pouria Amirshahi, Aurélie Filippetti, et quatre autres députés PS. Pour l’autre, par les élus EELV Isabelle Attard, Michèle Bonneton, Paul Molac et Sergio Coronado.
Il vise à injecter dans notre droit la liberté de panorama parmi les exceptions au monopole du droit d’auteur. Juridiquement, il s’agirait de prévoir une nouvelle brèche via la liste prévue à l’article L. 122 - 5 du Code de la propriété intellectuelle où on trouve déjà la copie privée, les représentations dans le cercle de famille, les revues de presse, etc. :
« Lorsque l'oeuvre a été divulguée, l'auteur ne peut interdire les reproductions et représentations des œuvres architecturales et des sculptures, réalisées pour être placées en permanence dans des extérieurs publics. »
« C’est l’une des exceptions optionnelles prévues par la directive (…) relative au droit d’auteur » notent les élus EELV. Nombreux pays, parmi nos voisins européens, ont fait le choix d’appliquer cette exception. L’opinion publique est unanime : prendre des photos dans l’espace public devrait être une liberté pleine et entière. Celui qui choisit de construire un bâtiment dans l’espace public ne devrait pas pouvoir privatiser la vue de tous au nom du droit d’auteur. »
Les députés socialistes ajoutent qu’en France, « l’absence de cette exception de panorama est, par contre, synonyme d’une certaine privatisation de l’espace public. Il est intéressant de remarquer que l’édition française de Wikipedia est l’une des plus pauvres en photographies de monument, du fait de ce manque juridique. »
Les uns et les autres constatent en substance que l’exception de panorama adoptée dans d’autres pays européens n’a pas conduit à la ruine des créateurs. Au contraire, estiment les écologistes, « la liberté de panorama permettrait des retombées économiques pour le tourisme en France, et pour les artistes eux-mêmes à travers l’obtention de nouvelles commandes ». Pour mémoire, l’avant-projet de loi Création d’Aurélie Filippetti prévoyait déjà un tel dispositif, qui n’a cependant pas survécu à l’arrivée de Fleur Pellerin Rue de Valois.
Les communs
Autres amendements adoptés : les communs, avec les amendements AC13 (domaine commun informationnel) et AC14 (communs volontaires), tous les deux portés par les élus socialistes, suivis par les écologistes. En substance, le premier autoriserait les associations agréées « ayant pour objet la diffusion des savoirs ou la défense des choses communes » à attaquer en justice les revendications illégitimes exprimées par un ayant droit sur une œuvre élevée dans le domaine public. Le deuxième permettrait à un auteur ou un titulaire de droit de donner à son œuvre « un statut de biens communs pour tous les usages ou pour certains d'entre eux ».
Pour les députés, « les biens communs [représentent] aujourd'hui notamment plus d'un milliard d'œuvres sous licences Creative Commons. Ils sont aussi la base d'infrastructures essentielles de l'éducation, de la culture et de l'innovation, comme les logiciels libres ». Les parlementaires considèrent en outre que « s'il est adopté en plus de l'amendement tendant à définir le domaine commun informationnel, cet amendement permettra d'alimenter volontairement ce dernier et aux associations ayant pour objet sa défense de contribuer à la protection des œuvres concernées ».
L’opposition des ayants droit français
Sur le sujet des communs, on pourra écouter notre intervention sur France Culture (À qui faut-il confier nos biens communs ?, émission du 25 décembre 2015). On rappellera surtout que les ayants droit réunis au sein du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique ont dégommé ces propositions, qui étaient aussi un temps prévues dans l’avant-projet de loi Lemaire.
Ils craignent qu’avec une telle définition positive des communs, « ce nouveau texte n’inverse la règle et l’exception et ne facilite les attaques judiciaires contre le droit d’auteur : aujourd’hui, le domaine public n’existe que par exception, lorsque cessent le droit d’auteur et les droits voisins – à l’exception du droit moral ». Ils ont même obtenu gain de cause lors d’une réunion organisée à Matignon.
Quant à la liberté de panorama, l’eurodéputé Jean-Marie Cavada, dont les positions sont en pleine harmonie avec celles des ayants droit français, jugeait l’an passé qu’une telle exception nourrirait finalement les géants américains pour l’usage commercial du patrimoine européen. Analyse évidemment partagée par Pascal Rogard, l'influent directeur général de la SACD.
Alors opposé au rapport de Julia Reda, l’élu européen considérait qu’il existait « déjà dans la législation européenne deux exceptions qui permettent aux particuliers d’être automatiquement exonérés du paiement du droit d’auteur pour un usage non commercial du droit de panorama : la copie privée et l’inclusion fortuite ».
En réalité, la copie privée ne permet en rien le partage sur Internet, puisque la copie doit être « privée ». En outre, l’inclusion fortuite est, comme le rappelle le blogueur Calimaq, une construction de la justice française. Elle « tolère l’apparition de bâtiments protégés sur un cliché, à condition qu’ils ne constituent pas le sujet principal de la photo. Mais son maniement s’avère particulièrement délicat, car il faut apprécier les circonstances de chaque cas d’espèce pour déterminer si le bâtiment protégé n’est qu’un élément de décor ou le sujet de la photo » prévient encore le site scinfolex.com.
Ces amendements adoptés en commission des affaires culturelles sont encore loin d’être inclus dans la loi. Ils doivent en effet être consacrés par un vote et perdurer jusqu’à la fin des débats, ce qui est loin d’être assuré compte tenu de l’opposition viscérale des ayants droit français à l’idée de voir surgir en France de nouvelles exceptions.
Commentaires (22)
#1
Celui qui choisit de construire un bâtiment dans l’espace public ne devrait pas pouvoir privatiser la vue de tous au nom du droit d’auteur.
Maintenant il suffit de généraliser et on obtient :
Celui qui choisit de diffuser ses idées dans l’espace public ne devrait pas pouvoir en priver de l’usage par tous au nom des droits de propriétés intellectuelles.
Ça me va.
#2
Question : Ça donne quoi pour les prises de vues de la tour Eiffel de nuit ?
“Les différents éclairages de la tour Eiffel (illumination dorée, scintillement, phare et les éclairages événementiels) sont protégés.L’exploitation de l’image de la tour Eiffel de nuit est donc sujette à autorisation préalable de la SETE. Cette exploitation est soumise au paiement de droits dont le montant est fonction de l’utilisation envisagée, du plan média…”
#3
Ça va y aller les #jesuisunayantdroit, défendons les ayants droits contre les terroristes parlementaires
le domaine public n’existe que par exception, lorsque cessent le droit d’auteur et les droits voisins
Ils cessent quand, rappelez-moi? Ça me gène toujours autant de voir le domaine public réduit à une simple exception
deux exceptions qui permettent aux
particuliers d’être automatiquement exonérés du paiement du droit
d’auteur pour un usage non commercial du droit de panorama : la copie
privée et l’inclusion fortuite
Heu et la redevance copie privée, on peut se la faire rembourser du coup?
un auteur ou un titulaire de droit de donner à son œuvre « un statut de biens communs pour tous les usages ou pour certains d’entre eux ».
Dans les faits, ça va se passer comment? Vu que l’oeuvre peut ne plus appartenir qu’à son auteur, l’ayant droit pourra toujours dire non du coup?
#4
Et qu’en est-il de celui qui utilise l’oeuvre d’autrui (libre) pour en tirer profit ?
Par exemple si je fais un livre regroupant des tweets rigolos d’internautes, je toucherais des droits d’auteur mais pas les véritables auteurs des tweets. Idem si je fais un livre sur les perles du bac ou les brèves de comptoir.
Il faudrait interdire l’appropriation financière des idées d’autrui.
Mais comme notre civilisation est bâtie sur une création intellectuelle pyramidale il y a fort peu d’oeuvres qui seraient ainsi susceptibles de relever du droit d’auteur.
#5
Je pense tes exemples mal choisis:
le tweet, il me semble par définition même, est public, l’auteur a déjà cédé ses droits de difusion à Twitter via les CGU (hypothèse de ma part, je n’ai jamais été lire les CGU de twitter).
Quant aux perles du bac, ce ne sont pas des écrits librement diffusés en public.
Du coup, si tu en fais un livre sans l’autorisation des auteurs, tu peux te faire attaquer sur plusieurs fondement (droit auteur, données personnelles entre autres).
Pour les éléments comme twitter ou Facebook, pour ma part, c”est à l’internaute ‘auteur’ de savoir ce qu’il fait. A partir du moment où il publie sur ce type de sites, il n’a plus que très peu de droits sur ce qu’il publie.
#6
Pascal Rogard, a priori, c’est pas en 2016 qu’il deviendra plus intelligent. " />
Cette façon d’assimiler Wikipedia aux grands méchants loups américains de l’internet sous couvert de protectionnisme national est un aveu de mauvaise de foi. Ou pire une incompréhension de l’objet du débat.
#7
C’est du bon sens, mais ces amendements sont à saluer.
#8
Merci pour le lien, mais je ne vois pas pourquoi ce cas ne serait pas concerné par l’amendement, puisqu’il en va également de la liberté de panorama (certes de nuit).
A moins qu’on ne considère que l’éclairage n’étant pas permanent (éteint la journée), on ne puisse pas considérer la Tour Eiffel éclairée comme “réalisées pour être placées en permanence dans des extérieurs publics” (bien que cet éclairage soit toujours dans un extérieur public, même si non actif)…
#9
Je me demande encore pourquoi le dispositif lumieux est encore en plus sur la tour Effet, c’est joli, mais ça fait chier tout le monde : on ne peut même pas publier une photo où elle apparait.
#10
Sans parler du coût énergétique de la chose (et du surcroît de pollution lumineuse, mais ça on peut faire une croix dessus dans une ville de 2 millions d’habitants)
#11
A mon avis cette histoire d’illumination c’est le scintillement qui est actif pendant une minute une fois par heure (et encore, pas toutes les heures de la nuit), pas l’éclairage habituel. Me trompe-je?
#12
Dans la tête de la SETE, ça m’a l’air d’être tout l’éclairage, si je comprend bien la formulation des ayatollahs wikipédiens (© Pascal Rogard " />) et la FAQ de la SETE.
Ils sont volontairement flou puisque, à mon avis, aucun jugement ne leur a donné raison (ou tort). Du coup, ils jouent la carte de l’intimidation
#13
#14
#15
Tu n’as pas précisé de nuit ET éclairée. Parce que de nuit, sans éclairage, tu peux et c’est joli aussi (avec une pause assez longue).
#16
c’est parce que je ne l’ai jamais vu éteinte de nuit " />
#17
Comment peut-on s’étonner de la réaction du DG de la SACD ? “ Bien commun” est bien l’antinomie de “bien privé” qui est leur fonds de commerce. Il milite pour sa chapelle évidemment.
Espérons que ces amendements survivent à l’AN…
#18
Et au fait Google map ils payent les droits pour toutes les oeuvres potentiellement visibles dans streetview ?
#19
Il n’y a plus qu’à espérer que tout cela passe en séance plénière. " />
Le deuxième permettrait à un auteur ou un titulaire de droit de donner à son œuvre « un statut de biens communs pour tous les usages ou pour certains d’entre eux ».
Cela correspond déjà à des licences Creative Commons, non ? " />
#20
Bon, ben Axelle Lemaire vient de balancer les communs à la poubelle tout en dénonçant l’hystérie autour du domaine public. " />
“Anéfé, rejeté”
#21
En fait il faudrait que toutes les productions financées par de l’argent public (immeubles, œuvres d’art, thèses, résultats de recherches, etc.) soient sous licence Créative Commons.
#22
Je n’avais pas vu que la commission des affaires culturelles et de l’éducation était seulement saisie pour avis. L’amendement a été rejeté par la commission des lois. On verra si l’amendement est proposé de nouveau en séance… " />