Comment se défendre face au cyberharcèlement ? L’avocat Alexandre Archambault nous explique
Civil vs Pénal
Le tribunal de Saint-Denis de la Réunion a condamné les parents de deux jeunes filles à verser des dommages et intérêts à leur enseignante, victime de la diffusion de photomontages en ligne. L’avocat Alexandre Archambault détaille auprès de Next les enseignements à tirer de cette affaire.
Le 12 septembre à 15h31
7 min
Droit
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Dans une école de La Réunion, fin 2023, des élèves ont pris des photos de leur professeure à l’insu de cette dernière, s’en sont servi pour créer des montages obscènes, puis les ont diffusés dans l’école et sur les réseaux sociaux. Alertée par le professeur principal, l’enseignante a porté plainte au civil.
Comme le rappelle Vie publique, « les affaires civiles concernent les rapports juridiques entre personnes privées ». Le pénal de son côté « fait référence à la défense des valeurs, normes et comportements jugés essentiels – par la loi – au bon fonctionnement de la société ».
À la mi-août, le tribunal de Saint-Denis de la Réunion a condamné les parents de deux élèves, mineures, à verser 1 500 euros à la plaignante en réparation de son préjudice moral, et 800 euros au titre des frais non compris dans les dépens. Next en a discuté avec Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, qui souligne l’efficacité de ce type de procédures.
Quelle est la différence de traitement des cas de cyberharcèlement selon qu’on porte plainte au civil ou au pénal ?
La problématique du cyberharcèlement, initialement, est un enjeu de vie privée, qui est protégée par l’article 9 du code civil. Au fil des années, on l’a pénalisée, ce qui est justifié pour les cas les plus graves. Mais pour les victimes, cela participe au côté déceptif des procédures, dans la mesure où, au pénal, il faut prouver l’intention de nuire. Comme beaucoup d’affaires sont liées à de la bêtise, et que cette dernière ne constitue pas un délit en soi, elles aboutissent souvent à des relaxes.
En revanche, ça n’est pas parce qu’il n’est pas possible de montrer une intention de nuire au sens du droit pénal que vous n’avez pas engagé votre responsabilité en participant à du cyberharcèlement. Quantité de personnalités l’ont compris depuis longtemps et s’en servent pour faire supprimer des articles, des publications sur les réseaux sociaux, même des retweets ou des likes. Mais les citoyens le savent peut-être moins, c’est en cela que l’affaire jugée à Saint-Denis de la Réunion a une belle portée pédagogique.
Quels en sont les éléments les plus importants ?
Porter plainte au civil, comme l’a fait cette enseignante, a plusieurs avantages : lorsqu’on est bien conseillé, cela permet de maîtriser la procédure. Ça permet aussi d’obtenir l’identification des harceleurs au bout de quelques semaines – dans certaines affaires, Twitter a ainsi dû identifier plus de 600 internautes ayant retweeté un doxxing, Google faire remonter l’identification de comptes Gmail, Instagram et Wikipedia ont aussi dû opérer des identifications…
Évidemment, chaque fois, les éléments communicables sont très circonscrits – on ne parle bien que d’identification, certainement pas de géolocalisation, de contenus des mails ou autre. Mais si je compare avec des affaires très médiatiques portées au pénal, comme les harcèlements de la chanteuse Hoshi ou de la dirigeante d’agence d’influenceurs Magali Berdah, pour les victimes, ça n’a rien à voir. Dans le cas d’Hoshi, entre la plainte et la première condamnation, ce sont quasiment trente-six mois qui se sont écoulés. Alors qu’ici, en moins d’un an, vous avez l’identification, l’assignation, le procès au printemps, la condamnation à l’été.
Dans cette affaire, ce sont les parents qui ont été condamnés à verser des dommages et intérêts…
Il me semble que c’est un autre enseignement important, notamment pour le domaine de l’éducation, puisque dans énormément de cas, les auteurs de cyberharcèlement sont mineurs. Du point de vue pénal, la justice des mineurs fonctionne un peu différemment de celle des majeurs : un auteur mineur est présumé un peu moins responsable qu’un majeur. Aux yeux du droit civil, en revanche, on reste parfaitement responsable, même si cela se traduit indirectement par l'implication des deux parents (même s'ils sont séparés, en application de l'article 1242 du Code civil).
Le droit civil permet aussi de s’intéresser aux usages et aux règles de bonnes pratiques : dans le cadre scolaire, cela peut signifier qu’on se penche sur le règlement intérieur d’un lycée, d’un collège, d’une université, pour déterminer si celui-ci a été enfreint.
Cette décision aurait une valeur pédagogique spécifique sur les recours possibles ?
Si cette décision me paraît importante, c’est qu’elle permet de montrer au milieu scolaire qu’il n’y a pas de fatalité – d’autant qu’un fonctionnaire, comme cette enseignante, a droit à la protection fonctionnelle. Par ailleurs, dans ce cas précis, la condamnation a été prononcée au bénéfice d’une enseignante, mais ça pourrait tout à fait fonctionner pour des élèves victimes de ce type de montage.
Pour les auteurs de cyberharcèlement, le message est évident : tout ce que vous faites, écrivez, publiez, « deepfakez » en ligne engage votre responsabilité pour de très longues années. Au civil, à compter de la consolidation du préjudice, la durée de la prescription est de dix ans, et de vingt s’il s’agit d’agressions sexuelles commises contre un mineur.
Pour les victimes, cette condamnation permet de sortir de la spirale de discours qui laissent entendre que ça ne sert à rien de porter plainte : non, c’est utile. Mais pour ce que je qualifierais de « délinquance du quotidien », ça montre aussi que le pénal n’est pas forcément la piste à privilégier. Si le but est d’obtenir une reconnaissance rapide du préjudice, opter pour le civil peut être la meilleure piste à suivre.
Si on s'intéresse au problème émergent des deepfakes pornographiques, lorsqu’il est opéré à un niveau industriel, un angle pénal peut avoir du sens. Mais dans la majorité des cas, on risque de voir d’anciens petits-amis manipuler des images de leur ex, ce qui sera perçu comme de la bêtise au pénal, surtout si ce sont des primo-délinquants, et n’aboutira donc qu’à des relaxes ou des peines légères. Si on privilégiait la voie civile, au contraire, il serait bien plus simple de montrer qu’il y a préjudice.
Pour se faire conseiller, d'ailleurs, il ne faut vraiment pas hésiter à pousser la porte des mairies ou des associations ou des permanences des Barreaux, qui sauront mettre en relation avec des juristes au fait de ces questions.
Surtout, cette affaire rappelle l’impérieuse nécessité de faire de la sensibilisation, auprès de tout le monde – dans notre affaire, après tout, des filles ont participé à la création et à la diffusion des photomontages. C’est une décision utile pour sensibiliser dans les milieux scolaire, les milieux sportifs, partout où il y a situation d’autorité, mais c’est plus large que ça : ça rappelle aussi la responsabilité des parents, donc le besoin de faire de discuter de ces questions au sein des familles.
Quand vous offrez un scooter ou une voiture à votre enfant, vous lui faites d’abord passer le code de la route. Dans le monde numérique, ça devrait être pareil.
Comment se défendre face au cyberharcèlement ? L’avocat Alexandre Archambault nous explique
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Quelle est la différence de traitement des cas de cyberharcèlement selon qu’on porte plainte au civil ou au pénal ?
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Quels en sont les éléments les plus importants ?
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Dans cette affaire, ce sont les parents qui ont été condamnés à verser des dommages et intérêts…
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Cette décision aurait une valeur pédagogique spécifique sur les recours possibles ?
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 12/09/2024 à 17h10
Et on pourrait trouver ça dommage, mais bon, on a déjà un problème de surpeuplement carcéral, si on commence à mettre tous les crétins en prison, c'est sûr que ça ne va pas s'arranger. 😜
Le 13/09/2024 à 09h11
C'est trop beau
Le 12/09/2024 à 17h23
Le 12/09/2024 à 17h48
Le danger est beaucoup moins évident quand même, bien qu'il existe indirectement.
Quand j'étais môme dans ma campagne, la plupart des gamins jouaient avec un lance pierres, ça peut être très dangereux, mais il n'y a toujours pas de permis, je crois.
Par contre la conscience de l'effet dévastateur était sans doute plus grande.
Le 12/09/2024 à 19h34
Le 12/09/2024 à 21h33
Le 12/09/2024 à 19h06
Le 12/09/2024 à 19h36
Le 13/09/2024 à 12h10
Le 13/09/2024 à 12h26
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Le 17/09/2024 à 11h25