[Édito] Classement de Shanghai des universités : poudre aux yeux et pseudo-science
Quel est le comble pour une université ?
Depuis 20 ans, le 15 aout signifie, dans le milieu universitaire, l'élévation (et la dégringolade aussi parfois) de certaines universités dans le fameux classement de Shanghai. Tous les ans, nous voyons fleurir les communiqués satisfaits du rang des universités françaises. Pourtant, ce classement, commandé par le Parti communiste chinois pour établir sa propre politique scientifique, ne signifie pas grand-chose sur la qualité de l'enseignement supérieur et la recherche en France. La Chine, elle-même, n'en tient plus vraiment compte.
Le 26 août à 16h22
8 min
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Le 15 aout dernier, comme depuis plus de 20 ans, les résultats du classement de Shanghai 2024 étaient publiés, provoquant une ribambelle de communiqués des universités françaises, satisfaites de leur rang, comme l'Université de Paris-Saclay qui y apparait en douzième position. Les responsables politiques étaient aussi de la partie avec, en tête, Emmanuel Macron et Sylvie Retailleau, ministre démissionnaire de l'Enseignement supérieur et de la Recherche (ESR).
Alors que l'université est actuellement victime d'une cyberattaque, le président de la République a même twitté « Paris-Saclay est magique ! », ajoutant après un résumé du classement des universités françaises, « c’est la confirmation du succès des nouveaux modèles d’universités françaises et de l’impact des financements de la loi de programmation de la recherche et de France 2030 qui contribuent à transformer les établissements, à enrichir leur offre de formation et à définir leur signature scientifique. C’est la France ! Nous pouvons être fiers ».
Mais ce classement était-il pertinent pour mesurer l'évolution de la qualité de l'enseignement supérieur français ou sa recherche ? On remarquera au passage qu'un flou est entretenu sur ce point : est-ce un indicateur d'un bon enseignement supérieur, d'une bonne qualité de la recherche effectuée dans ces universités, ou des deux ?
Un classement créé pour éclairer la politique chinoise
D'abord, comme pour tout outil de mesure, il faut clarifier le but pour lequel il a été créé. Dans un article publié en 2006, Mohamed Harfi et Claude Mathieu expliquent que « ce classement de Shanghai répondait d’abord à un objectif national à l’horizon 2020 de la Chine de disposer d’universités de réputation mondiale et d’éclairer la politique de l’enseignement supérieur, en particulier l’allocation des moyens ».
En effet, ces chercheurs indiquent que la Chine faisait, à l'époque, face à deux défis. Le premier était de « permettre au plus grand nombre de “bacheliers” d’accéder à une formation supérieure » alors que la proportion des jeunes Chinois qui allait à l'université était en baisse. Parallèlement, la Chine voulait aussi développer des « universités de dimension internationale », alors que son système était peu valorisé. Le but de ce classement est donc d'abord et avant tout de guider la politique chinoise d'enseignement supérieur et de recherche qui était dans une situation bien particulière.
La situation de l'ESR français n'est actuellement pas la même (elle ne l'était pas non plus à l'époque) : la massification de l'enseignement supérieur avait déjà eu lieu et les universités françaises avaient déjà, concernant la recherche au moins, une dimension internationale.
Des critères très critiquables
Mais ce classement, établi par l’université Jiao Tong de Shanghai depuis 2003, est aussi très critiqué et critiquable en lui-même. D'ailleurs, avec beaucoup d'ironie, pendant la campagne électorale de 2022, le sénateur du Parti communiste français, Pierre Ouzoulias (qui est aussi docteur en archéologie), déclarait : « vous savez moi, le classement de Shanghai, c'est pas ma tasse de thé. Un classement qui a été mis au point par le Parti Communiste Chinois, j'ai du mal à comprendre qu'on en fasse la promotion ».
Il se base, comme l'explique son site, sur quatre grands critères :
Le seul critère de la qualité de l'enseignement ("Quality of Education") du classement est le nombre d'alumni (anciens étudiants) qui ont eu un prix Nobel ou une médaille Fields. En tant qu'étudiant, ce critère n'est aidant que si on a l'ambition d'atteindre ce niveau de compétence. De plus, alors que le corpus des prix Nobel et des médailles Fields est très petit, faire confiance à ce critère est osé.
On peut aussi remarquer qu'il prend en compte des informations datées. Par exemple, l'Université de Montpellier doit en partie son classement au fait que le fameux mathématicien Alexandre Grothendiek, qui a été lauréat de la médaille Fields en 1966, y a obtenu sa licence... en 1948. Est-ce un critère pertinent pour choisir d'y étudier ?
La qualité du personnel (quality of faculty) y est mesurée par le nombre de Médailles Fields et de Nobel y étant actuellement salariés ainsi que le nombre de chercheurs « hautement cités ». Concernant l'enseignement supérieur, l'organisation du classement ne demandant pas si ces chercheurs y enseignent vraiment, il est difficile de le prendre en compte dans la qualité de l'enseignement de l'établissement.
Quant au nombre de chercheurs « hautement cités », on l'a vu avec des cas récents comme celui de Didier Raoult ou du bioinformaticien Kuo-Chen Chou, que l'évaluation par le nombre de citations est très facilement falsifiable et que certains chercheurs ne se privent pas de tout faire pour.
De même, les critères d'évaluation de la recherche s'appuient sur des mesures de citations, elles aussi, critiquées depuis plus de 10 ans. La Déclaration de San Francisco sur l'évaluation de la recherche, publiée en 2012, signée par de nombreux établissements à travers le monde et mise en avant par le ministère de l'ESR français, demandait déjà d’évaluer la recherche sur sa valeur intrinsèque plutôt qu’en fonction de la revue où elle est publiée.
Si ce classement donne l'impression d'objectiver la qualité de la recherche et de l'enseignement d'un établissement, le choix de ses critères en fait un objet de pseudo-science.
Un classement utilisé pour justifier la politique de fusion des universités
Pourtant, ce classement a été utilisé par les gouvernements français successifs ainsi que les directions des universités comme seul guide (ou presque) pendant des années de politiques universitaires. En 2007, Nicolas Sarkozy a été le premier à prendre appui sur ce classement comme indicateur de résultat. Dans la lettre de mission adressée à la ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche de l'époque, Valérie Pécresse, il fixait comme but « l'amélioration du rang de nos établissements d'enseignement supérieur dans les classements internationaux, avec l'objectif de classer au moins deux établissements français parmi les 20 premiers et 10 parmi les 100 ».
Si le classement de Shanghai n'y est pas explicitement cité, la ministre annonçait en 2008 : « notre objectif est d'avoir dix universités françaises dans les cent premières de ce classement d'ici à 2012 ». Dès cette interview, elle reconnaissait que « le principal défaut du classement de Shanghai est d'être principalement axé sur la recherche et non sur la qualité de la formation, excellente en France » et annonçait la création d'un « classement européen » qui « mettrait en valeur ce critère ».
Depuis, pourtant, les responsables politiques et administratifs français n'ont pas arrêté de s'appuyer sur ce classement comme seul argument à la politique de fusion des universités enclenchée par la Loi dite d' « autonomie des universités » votée en 2007. Valérie Pécresse déclarait en 2008, par exemple, à propos du projet de fusion des universités d'Aix-Marseille, « le classement de Shanghai est très critiquable, mais il existe. Si vous arrivez à réaliser cette fusion, ce sera un acte fort en direction de ce classement ». Cette fusion, donnant naissance à Aix-Marseille Université, a été suivie par énormément d'autres.
17 ans après, toujours mis en avant malgré les critiques
Depuis, peu de choses ont évolué concernant la remise en question de cet outil comme guide à la gouvernance de la politique universitaire française. L'Université de Lorraine a décidé récemment de sortir « des classements à vocation commerciale » et de ne plus commenter « à l’avenir les classements basés sur Web of Science » (qui donne accès, moyennant abonnement, à des bases de données bibliographiques, ndlr), comme l'explique L'Est Républicain. Elle prend d'ailleurs exemple sur trois universités chinoises qui ont pris cette même décision en 2022. Mais elle reste minoritaire sur cette position pour le moment.
Les responsables de la politique d'« open science » participent aussi plus activement à la critique de ce classement, mais les politiques au pouvoir ont continué à l'utiliser comme outil de mesure du succès des politiques d'enseignement supérieur et comme justification des regroupements des universités.
En 2021, à la question posée par le Figaro, « quelles conclusions tirez-vous de ce nouveau classement ? », la ministre de l'ESR de l'époque, Frédérique Vidal, répondait : « cette année encore, les universités françaises rayonnent dans le monde. La politique de regroupement universitaire menée depuis quatre ans conforte la place des facultés et écoles désormais regroupées sous la même signature : c’est le cas de Paris-Saclay, de l’Université de Paris ou encore de Sorbonne Université », justifiant une nouvelle incitation aux regroupements mise en place par son gouvernement.
[Édito] Classement de Shanghai des universités : poudre aux yeux et pseudo-science
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Un classement créé pour éclairer la politique chinoise
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Des critères très critiquables
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Un classement utilisé pour justifier la politique de fusion des universités
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17 ans après, toujours mis en avant malgré les critiques
Commentaires (35)
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Abonnez-vousLe 26/08/2024 à 16h57
Au niveau enseignement aussi les universités françaises jouissent d'une réputation internationale, mais pas celle à laquelle on pense ; les universités françaises accueillent énormément d'étudiants en provenance d'Afrique francophone !
Le 26/08/2024 à 17h03
Le 26/08/2024 à 17h08
Le 26/08/2024 à 17h10
Le 27/08/2024 à 21h18
Le 26/08/2024 à 17h06
* d'une part, il me semble que les points obtenus par les chercheurs sont toujours divisés par 2 du fait de l'organisation de la recherche en France, les chercheurs ont rarement une seule affiliation. Ils dépendent très souvent d'une université et en parallèle ils sont aussi rattaché à une institut de recherche (CNRS, INRIA, INSERM, etc.). Le score qu'il obtient est donc divisé entre l'université et l'institut de recherche
* d'autre part, comme il n'y a pas prix Nobel ni de médailles Fields en sciences humaines (hormis le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel pour l'économie), ça implique que la recherche en sciences humaines (histoire, géographie, sociologie, arts, philosophie, etc.) est un boulet pour les universités multi-disciplinaire. Les universités française qui ont un bon score sont celles qui sont principalement/uniquement scientiques
Le 26/08/2024 à 17h10
Le 26/08/2024 à 18h10
Modifié le 26/08/2024 à 19h04
Édit : le classement récupère les affiliations via les métadonnées des articles.
Modifié le 26/08/2024 à 20h26
Le 27/08/2024 à 07h55
Pour rappel, l'université l'Université Paris-Saclay revendique 48000 étudiants et 9000 enseignants chercheurs et chercheurs. L'université Paris-Sud, c'était 27000 étudiants. L'Université Harvard, la première au classement, c'est 22 étudiants et 2500 enseignants-chercheurs. Ce sont les regroupements et la taille qui ont monter certaines universités au classement, pas une amélioration de la recherche ou de l'enseignement.
C'est complétement artificiel, sans moyens supplémentaires. Beaucoup d'universités sont délabrées avec des conditions de cours lamentables pour les étudiants.
Le 27/08/2024 à 09h14
Après c'est une sorte de classement comme d'autres, hein. Mais celui-ci nous met bien en valeur alors on choie celui qui nous brosse dans le sens du poil.
Ce serait constructif de regarder les critères des classements qui nous plombent, non?
Le 26/08/2024 à 20h35
De toute façon, dans ce classement, il y a une chose très foireuse dès le départ : il suppose qu'un bon chercheur garantit de bons cours.... et ce n'est pas forcément vrai. On peut être un dieu en cours ou en recherche, et une brêle dans l'autre activité. Les exemples ne manquent pas.
Le 27/08/2024 à 08h49
Le 27/08/2024 à 10h30
Le 27/08/2024 à 14h12
Le 26/08/2024 à 23h34
Le 27/08/2024 à 07h55
Le 27/08/2024 à 10h12
Modifié le 26/08/2024 à 18h14
On a donc beau jeu de s'étonner que les universités françaises sont dans les profondeurs du classement et que les universités américaines sont en tête : le classement a été conçu pour que les universités américaines soient en tête !
Modifié le 26/08/2024 à 21h19
Le 26/08/2024 à 23h35
Le 27/08/2024 à 08h27
Le 27/08/2024 à 08h45
Le 27/08/2024 à 14h07
Le 27/08/2024 à 10h34
Le 27/08/2024 à 12h16
Pour avoir participé au + gros mouvement social de ma vie y'a 6 ans lors d'une fusion d'université avortée mais finalement dormante, amenée autrement actuellement, je vois que les arguments et les méthodes sont encore et toujours les mêmes.
Modifié le 27/08/2024 à 15h29
Le 27/08/2024 à 16h54
Il faut en général être un établissement relativement gros pour parvenir à y figurer.
Le 27/08/2024 à 15h45
À ce niveau-là au moins, les choses sont plus claires maintenant.
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Universit%C3%A9_d%27Aix-Marseille, paragraphe "à partir de mai 68")
Le 27/08/2024 à 19h14
Gouvernants : Faut montrer qu'on fait qqch, je passe au 20 heure ce soir pour répondre aux unes des journaux d'il y a deux jours.
Conseiller : regardez, un KPI existe, bon j'ai pas regardé ce qu'il mesure et d'où viennent les données mais ça existe.
Gouvernants : parfait, on va baser toute notre politique dessus comme ça, ça prouve qu'on a anticipé et qu'on sait de quoi en parle.
Et ensuite pour les gouvernements suivant un extrait d'un recueil de besoin qui s'est encore répété ce matin
"Pourquoi vous faites ça (action souvent manuelle très chronophage / inutile)" "Oh parce qu'on a toujours fait comme ça"
Le 28/08/2024 à 09h54
Le 28/08/2024 à 11h04
Bref, ce truc était un gâchis total de temps et d'argent jusqu'à une pollution plus forte que d'habitude à Lyon de mémoire, et donc d'un coup le gouvernement de l'époque a ressortit ce truc de la tombe où il glissait tranquillement.
Et quand ils ont vu la connerie du truc et son inapplicabilité dans le monde réel, ils ont enterré le coté ZFE et autre, a qqes exception près dûes aux convictions des maires de ces zones.
Le 28/08/2024 à 12h28
Le 28/08/2024 à 10h32