Le CNRS veut que ses logiciels libres génèrent des revenus
Libres mais pas forcément gratuits
Le logiciel libre a une place importante dans l'univers de la recherche publique. De nombreux chercheurs contribuent à des projets du libre ou en créent. Le CNRS veut maintenant aider ses chercheurs à intégrer leurs logiciels dans une « logique de satisfaction d’objectifs économiques viables » avec un programme de financement appelé « OPEN ».
Le 08 mars à 14h17
6 min
Logiciel
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On ne pouvait pas faire plus classique dans le nom de ce programme du CNRS : « OPEN ». Celui-ci a pour ambition d'accompagner les projets de logiciels libres des chercheurs du centre scientifique le plus connu de France pour « construire les meilleures façons de générer des revenus ou d’avoir un impact sociétal ou environnemental ».
Depuis plusieurs années maintenant, les structures scientifiques ont pris la main sur le mouvement de l'open science. Accès ouvert aux articles scientifiques ou open data. Alors qu'au départ, ces sujets étaient portés par des militants sur le terrain, le mouvement s'est petit à petit institutionnalisé.
Le résultat est une augmentation importante de l'ouverture des publications de leurs chercheuses et chercheurs. Mais elle s'est faite à un coût exorbitant et, contrairement à ce qui était voulu par le mouvement à l'origine, a permis aux multinationales de l'édition scientifique de conforter leurs places et d'augmenter leurs profits.
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Institutionnalisation de la gestion des logiciels libres des chercheurs ?
Les institutions françaises s'intéressent maintenant de plus en plus aux logiciels libres que créent depuis des années leurs chercheurs.
En 2018, Inria commençait déjà à accompagner le chercheur Roberto Di Cosmo et son projet d'archive mondiale du code source, Software Heritage. Le CNRS est devenu sponsor platine en 2020.
Plus récemment encore, en 2022, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a mis en place les « prix science ouverte du logiciel libre de la recherche ». Par exemple, en 2023, ont été mis en avant, le logiciel d'astrophysique Fink ou le simulateur de réseaux de neurones biologiques à impulsions Brian.
Ce mouvement a été initié par la loi Lemaire de 2016 puis par le plan national pour la science ouverte du Ministère [PDF] qui veut privilégier « la diffusion des productions logicielles sous licence libre ».
Pourtant, les chercheuses et chercheurs sont loin d'être absents du logiciel libre. Linux, GNU et autres projets phares comme VLC sont nés dans le milieu académique.
« Le logiciel libre des années 80 était porté par des idéaux et de vrais visionnaires car 40 ans plus tard le logiciel libre est partout, des applications de nos téléphones aux outils récents d'intelligence artificielle génératives dont les impacts économiques sont très importants », reconnait Sébastien Lebbe, responsable de la valorisation des logiciels et du programme OPEN.
À la recherche de la « valorisation » économique
Mais pour lui, « la façon de faire du logiciel a évolué, nous devons donc également faire évoluer la façon de valoriser les logiciels issus de la recherche ».
« Générer de la valeur », cette expression utilisée dans la communication du CNRS est souvent employée par les institutions de recherche pour parler de la transformation de projet de recherche en projet d'entreprises. Le CNRS se pose d'ailleurs la question « en effet, comment générer des revenus à partir d’un logiciel libre, dont le code source est accessible à tous ? ».
Et, si la recherche d'un impact sociétal ou environnemental est évoqué, la communication du CNRS ne donne que des exemples de « valorisations » économiques.
Le Centre s'appuie sur le discours de Caroline Bresch, directrice des partenariats et des affaires juridiques de la SATT Conectus (structure qui a pour objectif de faire le lien entre le monde de la recherche publique et le secteur privé). Elle propose de mettre en place des consortiums d'utilisateurs, « et l’accès à cette communauté peut être soumis à une adhésion, avec différentes formules selon le statut et les droits accordés ».
Elle propose aussi que les chercheurs du CNRS envisagent « l’ajout d’une brique propriétaire supplémentaire, qui serait, elle, transférable par contrat de licence ».
Le CNRS envisage aussi des collaborations avec des entreprises partenaires sur des sujets spécifiques ou la création d’une start-up mais explique que cette dernière option devrait rester minoritaire : « aujourd’hui, très peu de candidats envisagent cette piste, rarement privilégiée dans le monde de l’open source académique ». Mais le CNRS ne s'interdit pas de pousser la création de projets de startup avec un « CEO » extérieur au projet.
Du criblage moléculaire à la création de documents mathématiques
Pour la première version de cet « appel à manifestation d'intérêt » auprès de ses chercheuses et chercheurs, le CNRS a sélectionné six projets qui bénéficieront d'un financement, d'un accompagnement, « ainsi que des services d’un développeur logiciel pendant 6 à 18 mois ».
Parmi ceux-là, IChem est, par exemple, un logiciel permettant la détection, l'analyse et la comparaison de structures tridimensionnelles de complexes protéine-ligand à des fins de criblage virtuel de molécules bioactives. Il semble qu'il soit actuellement disponible seulement après demande de clés de licence auprès de l'auteur, Didier Rognan. La version que nous avons trouvée n'a pas évoluée depuis 2019 (à part l'ajout d'une documentation utilisateur en février 2023).
Le projet LabNbook a aussi été sélectionné. Celui-ci est un « cahier numérique partagé pour écrire et apprendre les sciences », un outil qui se rapproche un peu de Jupyter mais dirigé plus vers l'enseignement. LabNbook est, lui, déjà diffusé sous licence libre AGPL.
Mais le CNRS a aussi décidé de soutenir le projet TeXmacs de Joris Van Der Hoeven qui peut déjà compter sur une communauté d'utilisateurs de plus de 10 000 membres. Celui-ci s'inspire de LaTeX pour permettre la composition de documents scientifiques avec formules, figures, etc.
On peut citer aussi PyMoDAQ (conçu « pour l’acquisition automatique de données en fonction de paramètres expérimentaux multiples »), aGrUM (une bibliothèque de modélisation, de calculs et d'apprentissages dans les modèles graphiques probabilistes) et RTK (reconstruction d'images tomographiques 3D ou 4D).
Le CNRS veut que ses logiciels libres génèrent des revenus
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Institutionnalisation de la gestion des logiciels libres des chercheurs ?
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À la recherche de la « valorisation » économique
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Du criblage moléculaire à la création de documents mathématiques
Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 08/03/2024 à 14h31
Le code source est disponible (dans le sens, lisible), mais sans pour autant avoir les 4 libertés fondamentales du libre. Celle qui "saute" souvent c'est la liberté de redistribution dans un cadre commercial.
Plusieurs projets, anciennement open-source, ont changé de licence pour des licences de ce type. La plus connue est sans doute la SSPL (Server Side Public Licence) initiée par MongoDB et adoptée par d'autres depuis (Elasticsearch, Kibana, ...).
Je pense qu'une licence de ce type, pour la recherche, serait tout à fait utilisable et un bon moyen de garder une certaine transparence (surtout lorsque les logiciels sont issus de la recherche publique) tout en n'étant pas incompatible avec un juste retour sur investissement lorsqu'exploité à des fins commerciales.
Le 08/03/2024 à 14h52
Le 08/03/2024 à 15h07
Le 08/03/2024 à 15h34
Le 08/03/2024 à 17h10
Le 08/03/2024 à 17h22
vendre du service autour du logiciel libre.
Mais est-ce bien dans la mission du CNRS de vendre du service à des utilisateurs d'un logiciel libre ?
Ça, c'est du libre qui pue ! Autant ne pas sortir le logiciel sous licence libre dans ce cas.
Sinon, c'est quoi le rapport avec IChem qui est un logiciel propriétaire puisqu'il est distribué sous forme d'un exécutable et qu'il nécessite une clé de licence pour être utilisé ? cet « appel à manifestation d’intérêt » arrive comme un cheveu sur la soupe ici, je ne comprends pas le rapport avec ce qui précède.
Modifié le 08/03/2024 à 19h43
Aussi, tu n'auras pas forcément l'énergie, l'envie ou les compétences (là il faut aussi causer budget si tu veux externaliser cette compétence) pour le faire.
Bref, vendre du service est "une" solution pour quelques projets, mais pas plus. Et encore, regarde par ex Mongodb, ils se font bouffer.
Pour de nombreux projets, c'est très compliqué, et les gens en face - des consommateurs en fin de compte - rétorquent souvent avec virulence "nan mais je ne paierai pas pour ça, c'est scandaleux, c'est pas ça le libre / open source". Situation vécue mainte fois. Et ça se termine parfois en reviewbombing ou pire, en menaces de mort (les rageux sont fous et très, très agressifs). Je pourrais en écrire un bouquin sur le sujet...
Le 08/03/2024 à 20h00
Le 12/03/2024 à 17h18
Le 12/03/2024 à 17h23
Comment dans le cas présent une fondation permettrait au CNRS de générer des revenus à partir du logiciel libre que ses chercheurs (et autres employés) produisent ?
Une fondation permet de recueillir des fonds pour développer un logiciel libre, mais permet-elle de générer des revenus avec le logiciel libre produit ?
Le 13/03/2024 à 08h11
La fondation (qui peut recevoir des adhésions, dons, des revenus via vente de labels de formations...) peut être un vecteur pour mutualiser des financements de communs tels que des logiciels libres.
J'ai suggéré cela au regard de la question générale que j'ai citée et pas spécifiquement pour le CNRS. Je ne sais pas comment le montage pourrait s'effectuer dans le cas du CNRS.
Néanmoins le CNRS finance une partie de ses activités via des réponses à appel à projets montées en partenariat avec d'autres acteurs. Il me semble aussi que parfois des spin-off émanent des travaux du CNRS. La fondation peut être une sorte de spin-off à but non lucratif.
Aucune certitude sur tout cela, c'était juste ce qui me venait à la lecture du commentaire.