La couverture du livre de David Khan The CodebreakersCC BY-NC 2.0 DEED John Keogh

La NSA décryptée

David Kahn, historien de la cryptologie censuré, puis célébré par la NSA, est décédé

La couverture du livre de David Khan The CodebreakersCC BY-NC 2.0 DEED John Keogh

Abonnez-vous pour tout dévorer et ne rien manquer.

Déjà abonné ? Se connecter

Abonnez-vous

L'historien militaire, journaliste et écrivain américain David Kahn est mort à New York le 23 janvier 2024 à l'âge de 93 ans. Il avait inspiré de très nombreuses vocations, notamment universitaires, en matière d'études cryptologiques ou consacrées à l'histoire des services de renseignement.

Son premier livre, publié en 1967 sous le titre « The Codebreakers - The Story of Secret Writing », traduit et republié en français sous le titre « La guerre des codes secrets », est unanimement considéré comme l'ouvrage référence sur l'histoire de la cryptologie depuis l'Égypte antique jusqu'aux années 1960, date de sa première publication.

À l'époque, la NSA avait tenté d'en empêcher la publication, puis envisagé de le discréditer, et finalement réussi à censurer des passages concernant ses relations avec le GCHQ britannique. Ironie de l'histoire, sa mort a été saluée par l'actuel et un ancien directeur de la NSA, qui soulignent que son livre avait été le premier à rendre la cryptographie et la NSA « accessibles au grand public ».

David Khan avait depuis été nommé chercheur en résidence à la NSA en 1993, et même été rajouté à son Cryptologic Hall of Honor en décembre 2020, pour avoir « été le pionnier de l'étude de l'histoire de la cryptologie en tant que domaine universitaire et aidé les praticiens à comprendre leur héritage ».

« Les gentilshommes ne lisent pas le courrier des autres »

La NSA souligne en effet que « ses écrits populaires sur la cryptologie et son histoire ont incité des centaines de personnes à étudier la cryptologie et à chercher un emploi à la NSA », et que ses interventions publiques ont « contribué à améliorer l'image de la cryptologie gouvernementale auprès du grand public ».

La NSA lui avait à ce titre dédié une cérémonie en 2010 pour commémorer le don de sa collection de livres, de souvenirs et d'artefacts cryptologiques à sa bibliothèque et National Cryptologic Museum (NCM).

La NSA évoquait alors une « collection unique » comprenant plus de 2 800 livres et plus de 130 000 pages de notes d'entretiens avec des centaines de membres du personnel de cryptologie et de renseignement, étrangers et américains, dont beaucoup sont aujourd'hui décédés, obtenues au cours de ses recherches pour ses nombreux livres, dont The Codebreakers.

55 livres extrêmement rares

Y figurent également 55 livres « extrêmement rares, tels que le Traité des Chiffres de Blaise de Vigenère de 1587 », ainsi que des documents personnels, des articles, des correspondances et des notes d'entretien qu'il a compilés au cours de ses années de recherche et d'écriture scientifique.

L'un des objets « les plus rares » est une lettre signée et encadrée de 1806 de Napoléon à son fils le prince Eugène, où il lui ordonnait de continuer à envoyer ses lettres codées.

Parmi les « autres joyaux » de la collection Kahn se trouvent un ensemble assez complet de brevets américains sur les machines de chiffrement et les huit études révolutionnaires sur la cryptologie de la Première Guerre mondiale, les Riverbank Publications, tous dédicacés par son auteur principal, William F. Friedman, le père de la cryptologie moderne, qui les avait offerts à Kahn comme cadeau de fin d'études secondaires.

Le scandale de la « chambre noire »

Y figure également un manuscrit de l' « American Black Chamber » du cryptologue Herbert Yardley. Nommé en 1917 chef de la nouvelle huitième section du renseignement militaire, le MI-8, dédiée au décryptement des messages codés, il parvint au bout d'un an à décrypter les codes secrets de l'armée japonaise, dont la flotte de guerre menaçait les États-Unis dans l'océan Pacifique.

Son unité, le Cipher Bureau, surnommé la « chambre noire », (1919-1929), fut la première organisation cryptanalytique des États-Unis en temps de paix, et le précurseur de la National Security Agency, fermée deux jours après le krach de 1929, parce que le secrétaire d'État états-unien d'alors estimait que « les gentilshommes ne lisent pas le courrier des autres ».

Ayant désespérément besoin d’argent et à défaut de pouvoir retrouver du travail, et faute de pension gouvernementale du fait du caractère secret de ses attributions, Herbert Yardley rédigea alors cet ouvrage révélant l'histoire et les coulisses de ce qu'il y avait fait, provoquant la fureur du gouvernement. Il y révélait en effet notamment avoir cassé les codes secrets de 18 autres pays.

Faute de loi réprimant ce type de divulgations, il ne fut pas poursuivi, mais des punitions élevées visant toute personne révélant des informations secrètes sur le travail cryptographique sans autorisation préalable furent adoptées deux ans plus tard.

Près de deux douzaines de systèmes de chiffrement décryptés

La NSA a depuis rajouté à ses archives plus de 200 documents créés par (ou sur) Herbert O. Yardley entre 1918 et 1968, et il figure même dans son « Hall of Honor » depuis 1999, pour avoir cassé « près de deux douzaines de systèmes de chiffrement diplomatiques étrangers ».

Étrangement, au vu de l'influence majeure que David Kahn a eu sur l'histoire de la cryptologie et de son exploitation par les services de renseignement, aucun article de presse ne semble lui avoir été consacré depuis son décès.

L'Association (française) des Réservistes du Chiffre et de la Sécurité de l'Information (ARCSI), dont il était membre d'honneur, précise que son site web avait été sauvegardé sur archive.org.

On y apprend qu'il avait rédigé son premier livre après avoir écrit un article pour le New York Times Magazine en 1960 revenant sur les révélations de deux transfuges de la National Security Agency, William Hamilton Martin et Bernon F. Mitchell, ayant fait défection en Union soviétique, mais également que la NSA lui avait ensuite demandé, en 1995, d'écrire une biographie du fondateur de la cryptographie américaine, Herbert O. Yardley.

Commentaires (5)


Très intéressant ! Je ne connaissais pas l'homme.
Portrait très intéressant, merci.
Dommage que le livre n'ai pas été ré-édité en français depuis 1980 : il est trouvable en occasion mais un peu cher. Et rarement disponible en bibliothèque visiblement. :/
Bah dans le lien de recherche que vous mettez, il n'y a pas non plus cet article :transpi:. Il y a 3 autres articles de next mais pas celui-ci :craint:
Pour la même recherche avec Startpage FR, c'est le 2e résultat après la page Wikipedia FR.
Merci pour cet article.
Fermer