Désinformation : le gouvernement indien s’octroie le contrôle des publications en ligne
Le tribunal saisi
Le 17 avril 2023 à 14h36
6 min
Internet
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Début avril, l’Inde a annoncé la création d’une entité de « fact-checking ». Celle-ci pourra ordonner la dépublication de tout contenu relatif au gouvernement qu’elle aura déclaré « faux ou trompeur ». L’évolution fait craindre une menace importante sur les libertés d’expression et d’information dans le pays.
Le gouvernement indien a annoncé le 6 avril la création d’une entité gouvernementale de fact-checking dont le rôle consistera à veiller sur toutes les publications relatives au gouvernement. Le nouvel organe aura le pouvoir de qualifier n’importe lequel de ces contenus de « faux ou trompeurs » et de le faire effacer des réseaux sociaux.
L’amendement des textes indiens relatifs aux technologies de l’information qui crée cette entité oblige les géants numériques comme Facebook ou Twitter à modérer ces éventuelles qualifications de désinformation. Les fournisseurs d’accès à internet sont aussi concernés, puisque le gouvernement leur demande de bloquer les URL qui renvoient vers des contenus jugés « faux ou trompeurs ».
Auprès de Rest of World, opposants politiques, organisations civiles et défenseurs des libertés numériques qualifient ce texte d'outil du gouvernement pour devenir « arbitre de vérité ».
Le parti au pouvoir, initiateur de campagnes de violences et de désinformation
La diffusion de fausses informations est une problématique mondiale. En Inde, cela dit, le pouvoir y joue un rôle documenté, de même qu’il s’attaque toujours plus fréquemment à la presse.
En septembre 2017, par exemple, la journaliste Gauri Lankesh publiait une enquête sur l’usage qu’avait fait le Bharatiya Janata Party (BJP), le parti de droite nationaliste hindoue au pouvoir, d’une fausse information pour véhiculer sa propagande. Le soir même, elle était assassinée. L’association Forbidden Stories a permis que le travail de la journaliste soit repris et finalement publié dans le cadre d’une vaste enquête internationale appelée Story Killers.
Mais l’histoire de Gauri Lankesh permet d’illustrer un point que nous évoquions dans un précédent article : le BJP et les proches du Premier ministre Narendra Modi utilisent activement des techniques de désinformation en Inde. Gauri Lankesh en a elle-même fait les frais, subissant les attaques incessantes, le plus souvent misogynes, des armées de trolls liées au BJP.
En 2020, l’ONG EU Disinfo Lab avait par ailleurs révélé l’existence d’un vaste réseau de faux sites et de faux médias implantés partout dans le monde et utilisés pour servir les intérêts indiens auprès de l’Union Européenne et des Nations Unies.
La désinformation, un problème endémique dans le pays
Sans même évoquer l’intervention de ces acteurs gouvernementaux, la mésinformation est endémique dans le pays : en 2018, l’Inde était le pays où le plus d’incidents de désinformation avaient été enregistrés par le Global Online Safety Survey de Microsoft. Depuis, toutes sortes d’initiatives ont été mises en place pour enrayer le phénomène, et le pays a été dépassé par les Philippines ou la Colombie dans le classement de Microsoft.
Mais selon d’autres travaux, à commencer par ceux réalisés par Google, la problématique demeure brûlante : selon les chiffres du moteur de recherche, l’ampleur de la désinformation a atteint un record absolu début 2023. En début d’année, l’ONG Alt News rapportait que même les médias les plus installés du pays avaient pu tomber dans certains pièges et relayer plusieurs fausses informations courant 2022.
Dans un tel contexte, légiférer pour tenter d’encadrer les manipulations de l’information peut paraître nécessaire. Mais depuis la publication du brouillon d’amendement, en janvier, la méthode est critiquée : le gouvernement indien est en effet connu pour ses attaques récurrentes contre la presse et le contrôle des publications en ligne est perçu comme un instrument de censure.
Les activistes des libertés numériques et d’informer inquiets
Des personnalités comme Rana Ayyub, journaliste d’investigation et collègue de Gauri Lankesh, des entités comme l’Editors Guild of India, un groupe majeur de l’industrie de l’information indienne, selon Reuters, ou Digipub, une association de médias numériques, ont alerté dès ce moment-là sur les dangers que le texte posait pour les droits d’expression et d’information.
« La détermination de ce qui constitue une fausse information ne peut pas reposer dans les seules mains du gouvernement », alertaient les dirigeants de l’Editors Guild of India en janvier. Trois mois plus tard, l’amendement est passé, inchangé sur la question du « fact-checking » gouvernemental.
Pour les grandes entreprises américaines, la nouvelle vient compliquer une situation qui les plongeait déjà dans l'ambivalence. Meta (via WhatsApp, principalement) ou Twitter ont ainsi fourni les outils nécessaires à la propagation de désinformation, mais les deux ont aussi déjà tenu tête au gouvernement indien. WhatsApp est par exemple allé en justice pour éviter d’avoir à fournir le contenu de communications chiffrées au gouvernement, tandis que Twitter s’est opposé à certaines obligations de suppression de contenu, rappelait Bloomberg en juillet 2022.
Cette fois-ci, a prévenu le Ministre des technologies d’information Rajeev Chandrasekhar, si elles ne se plient pas à la nouvelle législation, les entreprises numériques pourraient perdre la protection juridique qui les empêchait jusqu’ici d’être poursuivies par des utilisateurs mécontents. Début avril, avant même le passage de l'amendement, Twitter a été accusé de censure après avoir suivi les requêtes du gouvernement de bloquer les comptes de politiques, d'activistes et de journalistes sur le territoire indien.
Le comédien Kunal Kamra a déposé une plainte auprès de la Haute Cour de Bombay, dans l’espoir que la justice déclare cet amendement inconstitutionnel. En réponse, le tribunal a demandé au gouvernement de clarifier les raisons justifiant le passage d’un tel amendement. Plusieurs partis d’opposition qualifient eux aussi le texte d’inconstitutionnel.
Désinformation : le gouvernement indien s’octroie le contrôle des publications en ligne
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Le parti au pouvoir, initiateur de campagnes de violences et de désinformation
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Les activistes des libertés numériques et d’informer inquiets
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 17/04/2023 à 22h05
Tendu
Le 18/04/2023 à 08h25
Ça craint…
Le 18/04/2023 à 11h43
Moi je dis : NEIN !
Aucune chance d’être entendu évidemment, mais j’espère que les Indiens vont bientôt avoir la possibilité d’envoyer ce canard de 1er sinistre en orbite…
Notre humanité est décidément bien tirée vers le bas… Et la planche est savonneuse !
Le 19/04/2023 à 11h25
Contrairement aux précédants commentaires, je lis beaucoup de bonnes nouvelles ici :
l’Inde réagit enfin pour reprendre du pouvoir que certains statégistes, principalement américain, avec leur outils àla twitter, what’sapp, reddit and co, qui tentent de placer dans toutes les civilisations du monde pour soit les faire tomber, soit les manipuler, sous couvert de la “liberté d’expression” qui ne l’est qu’en apparence puisque même si tu peux y dire ce que tu veux, les algos auront le dernier mot sur ce qui est diffusé massivement dans la population.
Donc à choisir entre un “arbitre de vérité” d’un état ou de sociétés américaines, je choisis l’état, car au moins, ainsi, on l’identifie, on ne me mélange pas la parole du peuple avec la parole de l’état. Des représentants/élus d’états qui s’expriment sur twitter est juste une honte politique, en ce sens.
Le 20/04/2023 à 08h15
Quand on voit l’effort que font les chinois, russes ou autres peuples oppressés pour pouvoir utiliser telegram, VPNs et consorts pour pouvoir avoir accès à l’information en se contentant pas bizarrement des informations contrôlées par l’état, je pense que vous êtes à côté de la plaque et je plains les indiens.
Le 21/04/2023 à 16h08
la définition que vous me faites de leur accès au réseau est plus proche d’un intranet étatique et non pas d’internet. Ceux-là, je ne peux que les plaindre de leurs limitations et leur non-accès aux réseaux des réseaux, effectivement. Mon commentaire est vraiment orienté sur ceux qui ont un accès complet et libre à internet, dans le respect de la neutralité du net. Je crois que sur ce point, l’Inde n’est pas limitée. Je me fais volontiers corriger si quelqu’un a des détails.
Le 20/04/2023 à 09h10
La justification de procédés puants par un complot mondial américain. N’importe quoi…
Toi aussi tu peux avoir le dernier mot en allant croiser les sources de ce que tu lis sur Internet.
Plutôt que de te bouger le cul pour vérifier les sources de ce que tu lis, tu choisis l’instauration d’un Ministère de la Vérité (parce que tout gouvernement est forcément bienveillant, c’est bien connu) et la censure de la presse qui va forcément en découler dans un pays dont le gouvernement nationaliste œuvre déjà à étouffer, de gré ou de force, toute parole contraire à sa doxa en faisant lui-même de la désinformation.
Le 21/04/2023 à 18h56
Je ne cherche pas relever un complot mondial américains, je n’ai aucune info de ce qui est calculé ou non, c’est juste que les entreprises sont américaines ici, que leurs algos sont obscures et propriétaires aux américains, ce n’est pas moi qui choisit les acteurs et les conditions actuelles. Ce serait certainement tout pareil avec la Chine, la Russie ou tout autre acteur mondial de la (dés-)information.
Aussi, je suis d’accord que c’est une nouvelle puante sur le fond, mais cela sent quand même moins mauvais que de voir les US s’ingérer dans tous les pays avec leurs ministères de la vérité (microsoft survey of truth, les fondations “Truth Watcher”, et compagnies ). Et de leurs outils de communication imposés à l’achat de matériel informatique. Maintenant c’est un fait, ils se sont implentés et dirige beaucoup le monde des idées par la pondération des communications ou les recommendations. l’inde doit trouver une solution rapidement pour retrouver un système dans lequel ils puissent être à nouveau maitre de leur destin. Je n’ai vraiment pas envie de voir une montée du fascisme en Inde, mais s’ils parviennent à dégager ces entreprises US pour laisser fleurir des outils “à la Mastodon” dont la justice ne peut rien y faire, ce serait un beau coup de leur part. C’est ce que je leur souhaite de tout cela, et j’espère que le prisme pris par cette nouvelle ici est aussi mal orientée que je le ressens, je l’espère.