La cellule investigation de Radio France a enquêté sur le « datamining » utilisé depuis 2010 par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) pour noter les allocataires en fonction des risques d’erreurs ou de fraude qu’ils représentent.
« La Cnaf a été le laboratoire, le bon élève du datamining au sein des administrations françaises », explique le sociologue Vincent Dubois, professeur à l’Institut d’études politiques (IEP) de Strasbourg et auteur de l’ouvrage Contrôler les assistés. Genèses et usages d’un mot d’ordre (Ed. Raisons d’Agir), au point d'avoir même « développé une politique d’automatisation du déclenchement des contrôles ».
À l'époque, Nicolas Sarkozy avait en effet « décidé d’engager une action résolue contre les fraudes sociales » :
« C’est la fraude qui mine les fondements même de cette République sociale que les frères d’armes de la Résistance ont voulu bâtir pour la France et qu’ils nous ont légué. Frauder la Sécurité sociale, ce n’est pas simplement abuser du système, profiter de ses largesses, c’est voler chacun et chacune d’entre nous. »
En juin 2020, l’ancien directeur général de la Caf déclarait à ce titre que le datamining était « devenu la première source de détection des dossiers destinés au contrôle ». Or, le fait que l'algorithme attribue un mauvais score à un allocataire, explique Vincent Dubois, « place les contrôleurs dans la quasi-obligation de trouver quelque chose qui cloche ». Et ce, alors que la Cour des comptes estime pourtant le montant des fraudes à 309 millions d’euros en 2021, soit un taux de 0,39 % rapporté à l’ensemble des prestations versées.
Un chiffre contesté par une estimation de la Caf basée sur un échantillon de 6 000 dossiers, qui estimait les indus frauduleux à 2,8 milliards d’euros. À titre de comparaison, relevait la Cour des comptes, « la fraude aux cotisations sociales des employeurs est estimée entre 7 et 25 milliards d’euros. Et la fraude fiscale qui échappe aux recettes de l’État est, quant à elle, estimée autour de 80 milliards d’euros ».
Or, d'après La Quadrature du Net, « cet algorithme entraîne un score de risque élevé pour les personnes les plus précaires, parce qu’à leur statut sont associés des facteurs de risque qui sont en fait des facteurs de précarité. C’est la raison pour laquelle, parmi les personnes contrôlées, on retrouve une surreprésentation de personnes aux minima sociaux. Plus quelqu’un est précaire, plus il est considéré comme "risqué" ».
Ce qui génère des situations dramatiques pour les allocataires qui reçoivent des notifications d'indus, se voient bloquer ou retirer leurs allocations, entraînant « dettes et frais bancaires colossaux », et doivent apporter la preuve que l'algorithme se serait trompé, alors même qu'ils ne comprennent souvent pas bien ce qui leur est reproché.
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