Le FBI et le projet trumpien (et xénophobe) de chasse aux fantômes chinois (3/4)
Paranochina
Le 05 août 2022 à 07h00
13 min
Droit
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Les accusations en série visant l'équipementier Huawei interviennent alors que l'administration américaine a discrètement mis un terme à un programme du ministère de la Justice et du FBI visant à traquer les taupes chinoises dans les universités et entreprises américaines. Troisième volet de notre série.
Dans son enquête sur les risques pour la sécurité nationale des États-Unis que poseraient les antennes relais de Huawei (voir la première et la seconde partie de cette série), CNN reconnaissait que « malgré son discours musclé, le refus du gouvernement américain de fournir des preuves à l'appui de ses affirmations [...] a conduit certains critiques à l'accuser d'aller trop loin dans la xénophobie ».
« L'absence de preuve irréfutable » soulevait également la question de savoir si les autorités américaines pouvaient distinguer les investissements et recherches légitimes des faits d'espionnage avérés.
De plus, la réticence des administrations à détailler ce qu'elles auraient identifié conduisait certains critiques à l'accuser de « chasser des fantômes ». Et, « dans son zèle à détecter les preuves d'espionnage chinois », à avoir jeté un filet trop large, en particulier sur les institutions universitaires.
Son enquête évoque le cas de deux universitaires initialement accusés d'espionnage au profit de la Chine. Le premier a finalement été acquitté par un juge, faute de preuve. Le département de la Justice a abandonné les charges pesant sur le second, là aussi parce qu'il ne parvenait pas à prouver ses accusations.
CNN précise que l'administration Biden avait abandonné dans la foulée, en février 2022, la « China Initiative », en grande partie en raison de « l'impression qu'elle dépeint injustement les Américains d'origine chinoise et les résidents américains d'origine chinoise comme déloyaux ».
Lancée par Donald Trump en novembre 2018, son objectif était de traquer les chercheurs scientifiques et universitaires affiliés à la Chine venus voler des technologies aux États-Unis.
Matthew Olsen, le procureur général adjoint pour la sécurité nationale, avait reconnu avoir contribué à créer une « perception néfaste » laissant entendre que le FBI enquêterait différemment, et « à charge », au sujet des personnes ayant des liens raciaux, ethniques ou familiaux en Chine.
CNN ne s'épanche guère sur ce sujet, mais la China Initiative a fait bien plus de dégâts.
Une « nouvelle peur rouge »
En décembre 2021, Bloomberg relevait ainsi que, trois ans après son lancement, le programme n'avait débouché que sur très peu de condamnations malgré l'ouverture de « milliers d'enquêtes ».
A contrario, cette China Initiative avait entraîné de nombreuses plaintes pour racisme et inconduites du FBI, ayant « contribué à une augmentation de 71 % des incidents de violence contre les Américains d'origine asiatique de 2019 à 2020 », avant l'apparition du Covid-19.
Bloomberg évoquait notamment six affaires abandonnées en juillet et un acquittement en septembre, ainsi que des « erreurs d'application de la loi et un excès de zèle du ministère public ».
Une analyse des 50 actes d'accusation annoncés ou levés depuis le début du programme et publiés sur la page Web dédiée du ministère de la Justice révélait un autre problème : « la China Initiative n'a pas été très efficace pour attraper les espions ».
38 % des chercheurs poursuivis l'avaient été pour avoir omis de divulguer des affiliations avec des universités chinoises, mais aucun d'entre eux n'a été accusé d'espionnage, et près de la moitié de ces affaires ont finalement été abandonnées :
« Seuls 20 % des cas font état d'espionnage économique, et la plupart d'entre eux ne sont pas résolus. Trois seulement affirment que des secrets ont été remis à des agents chinois. »
Le Comité des 100, un groupe de défense des Américains d'origine chinoise, évoque même une « nouvelle peur rouge » (Red Scare en anglais), en référence à la chasse aux sorcières anticommuniste qui, sur fonds de Guerre froide et de maccarthysme, avait été exacerbée par la création de la République populaire de Chine en 1949 et la guerre de Corée à partir de 1950.
Un rapport du Comité des 100 basé sur l'examen de 190 affaires d'espionnage économique intentées depuis 1996 montre en effet que les accusés portant des noms de famille asiatiques « sont deux fois plus susceptibles d'être faussement accusés » :
« De plus, les peines de prison pour les accusés chinois et asiatiques sont le double de celles des accusés occidentaux et le ministère de la Justice (DOJ) est beaucoup plus susceptible de rendre publiques les allégations "d'espionnage" par des personnes portant des noms asiatiques que les allégations "d'espionnage" par des personnes portant des noms occidentaux. »
49 % des accusés portant des noms occidentaux condamnés en vertu de la loi sur l'espionnage économique (EEE) ont été condamnés à des peines de probation uniquement, sans incarcération. En revanche, 75 % des prévenus d'origine asiatique ont été envoyés en prison, en particulier les prévenus d'origine chinoise (80 %) :
« De plus, les accusés chinois et asiatiques reconnus coupables d'espionnage économique ont été condamnés à des peines moyennes de 27 et 23 mois respectivement, soit environ deux fois plus longtemps que la peine moyenne de 12 mois pour les accusés portant des noms occidentaux. »
27 % des citoyens américains d'origine asiatique présumés accusés en vertu de l'EEE n'ont finalement été reconnus coupables d'aucun crime, et 6 % ont été condamnés uniquement pour des délits de procédure comme de fausses déclarations.
« Au total, 1 Américain d'origine asiatique sur 3 accusé d'espionnage pourrait avoir été faussement accusé », estimaient les auteurs du rapport.
Le ministère de la Justice caviarde son site web
Une longue enquête de la MIT Technology Review avait elle aussi conclu que la China Initiative s'était éloignée de sa mission initiale, et que de nombreux cas n'avaient que peu ou pas de lien évident avec la sécurité nationale ou le vol de secrets commerciaux :
« Au lieu de se concentrer sur l'espionnage économique et la sécurité nationale, l'initiative semble désormais être un terme générique pour les cas ayant presque n'importe quel lien avec la Chine, qu'ils impliquent des pirates informatiques, des contrebandiers ou, de plus en plus, des universitaires accusés de ne pas divulguer tous leurs liens en Chine sur les formulaires liés à la subvention. »
Cherchant à décrypter ce qu'elle avait qualifié de « gâchis », la MIT Technology Review avait reconstruit une base de données de 77 cas et plus de 150 accusés traités par la China Initiative. Or, elle avait découvert à cette occasion que le DOJ avait discrètement supprimé plusieurs des cas qui y étaient initialement mentionnés.
Alors que la China Initiative prétend être centrée sur la lutte contre l'espionnage économique, la base de données révélait que « seulement 19 des 77 cas (25 %) » incluaient des accusations de violation de la loi sur l'espionnage économique (EEE) :
« 8 des 19 affaires évoquaient spécifiquement l'espionnage économique, tandis que les 11 autres n'allèguent que le vol de secrets commerciaux [et] l'attention croissante portée à d'autres domaines signifie que la proportion d'accusations d'espionnage économique a diminué au fil du temps : en 2018, 33 % des nouveaux cas (4 sur 12) annoncés comprenaient violations de l'EEE. En 2020, seuls 16 % des nouveaux cas (5 sur 31) incluaient des violations de l'EEE. »
Les différents types d'inculpation avant et après le lancement de la China Initiative
De plus, seuls 2 des 22 chercheurs accusés d'avoir attenté à l'intégrité de leurs recherches l'avaient été pour « avoir tenté d'accéder de manière inappropriée à des informations ou de faire passer des marchandises en Chine », avant que les accusations ne soient abandonnées par la suite :
« Trois ans après le début du programme, moins d'un tiers des accusés de China Initiative ont été condamnés. Sur les 148 personnes inculpées, seules 40 ont plaidé coupable ou ont été reconnues coupables, les plaidoyers de culpabilité impliquant souvent des accusations moins importantes que celles initialement portées. Près des deux tiers des affaires, soit 64 %, sont toujours pendantes. Et sur les 95 personnes toujours inculpées, 71 ne font pas l'objet de poursuites actives car l'accusé se trouve dans un lieu inconnu ou ne peut pas être extradé. »
En outre, le ministère de la Justice ne répondit pas aux questions de la MIT. Il a même, « au contraire, ajouté à la confusion » : deux jours après leur demande de commentaires, le ministère de la Justice caviarda en effet discrètement sa page Web, « en supprimant les cas qui ne soutiennent pas son récit d'un effort de contre-espionnage réussi » :
« Notre analyse ultérieure a montré que le ministère de la Justice avait supprimé 17 affaires et 39 accusés de sa page China Initiative, ajouté deux affaires [avec un total de cinq accusés] et mis à jour les affaires existantes avec des informations sur les condamnations et les procès, lorsqu'elles étaient disponibles. »
Sous couvert d'anonymat, un ancien responsable du DOJ évoqua un possible « excès de zèle dans la recherche de cas ayant un "lien avec la Chine" ». Il mentionnait par exemple le cas d'un homme ayant « organisé un réseau de contrebande de tortues », et qui avait probablement « pu être ajouté à la liste du département par erreur », avant qu'il n'en soit retiré suite aux questions de la MIT.
Des milliers de Chinois ont fuit le pays ou vu leurs visas révoqués
Dans les mois qui avaient précédé le lancement de la China Initiative, rappelle la MIT, Donald Trump avait de son côté déclaré à un groupe de dirigeants d'entreprises, lors d'un dîner à huis clos dans son domaine de Mar-a-Lago, que « presque tous les étudiants [chinois] qui viennent dans ce pays sont des espions ».
Trois ans plus tard, cette chasse aux sorcières s'avère non seulement peu concluante, mais également contre-productive – en plus d'être injuste.
Bloomberg rappelle par ailleurs que les États-Unis avaient déjà « chassé des centaines de scientifiques et d'étudiants considérés comme des sympathisants communistes lors de la précédente peur rouge des années 1940 et 1950 ». L'un d'entre eux, Qian Xuesen, de retour au pays, y est devenu d'ailleurs le père du programme de missiles nucléaires chinois, ainsi que de son programme spatial.
Or, d'après Bloomberg, « aujourd'hui, une nouvelle frilosité renvoie des centaines de chercheurs en Chine et en dissuade d'innombrables autres de venir aux États-Unis ». Une conclusion partagée par la MIT Review Technology :
« Nos reportages et analyses ont montré que le climat de peur créé par les poursuites a déjà poussé certains scientifiques talentueux à quitter les États-Unis et a rendu plus difficile pour d'autres l'entrée ou le séjour, mettant en danger la capacité de l'Amérique à attirer de nouveaux talents en science et technologie en provenance de Chine, et dans le monde entier. »
« Cela entraîne une fuite des cerveaux et une méfiance à l'égard des États-Unis, ce qui est contre-productif pour la sécurité nationale », déplorait ainsi auprès de la MIT Gisela Kusakawa, avocate à l'Asian Americans Advancing Justice.
Si l'on ne connaît pas le nombre exact de scientifiques repartis en Chine à la suite d'enquêtes ou d'accusations du FBI, la MIT relève que fin 2020, John Demers, alors procureur général adjoint à la sécurité nationale, avait déclaré que « plus de 1 000 chercheurs chinois affiliés à l'APL ont quitté le pays », et qu' « un groupe supplémentaire de 1 000 étudiants et chercheurs chinois ont vu leur visa révoqué en septembre en raison de problèmes de sécurité ».
« Je suis très préoccupé par la façon dont la China Initiative empêchera les États-Unis d'accéder aux meilleurs talents scientifiques et technologiques du monde », renchérit Randy Katz, ancien vice-chancelier de la recherche de l'UC Berkeley :
« Récemment, jusqu'à 40 % de nos étudiants internationaux diplômés venaient de Chine. Ces étudiants sont fortement représentés dans les domaines STEM [pour science, technology, engineering, and mathematics, ndlr], sont sélectionnés de manière hautement compétitive… et représentent une composante essentielle de notre main-d'œuvre de recherche. Nous voulons qu'ils viennent et nous voulons qu'ils restent et innovent aux États-Unis. »
Une fuite de cerveaux qui dessert la science et l'Amérique
Une enquête auprès de plus de 3 200 physiciens menée en septembre par l'American Physical Society a révélé que plus de 43 % des chercheurs étrangers en début de carrière considéraient désormais que les États-Unis étaient « peu accueillants » pour les étudiants et universitaires internationaux.
De plus, moins de 25 % pensaient que le gouvernement fédéral américain faisait un bon travail pour équilibrer les préoccupations de sécurité nationale avec les exigences de recherche pour la science ouverte.
Une autre enquête effectuée auprès de près de 2 000 scientifiques de 83 instituts de recherche, menée par l'Université de l'Arizona avec le Comité des 100, a par ailleurs révélé que « 51 % des scientifiques d'origine chinoise, y compris des citoyens américains et des non-citoyens, ressentent une peur, une anxiété considérable, ou les deux, à l'idée d'être surveillé par le gouvernement américain », contre « seulement 12 % des scientifiques non chinois » :
« Certains répondants ont indiqué que ce climat de peur a affecté la façon dont – ou ce – qu'ils choisissent de rechercher. L'un d'eux a déclaré qu'il limitait son travail à n'utiliser que des données accessibles au public plutôt que de collecter ses propres données originales ; un autre a indiqué qu'il n'accueillerait plus de visiteurs en provenance de Chine ; un troisième qu'il se concentrerait sur ce qu'il appelle des sujets "plus sûrs" plutôt que sur des recherches "de pointe". »
En septembre 2021, un groupe de 177 membres du corps professoral de plus de 40 départements de Stanford avait envoyé la lettre ouverte au procureur général des États-Unis, Merrick B. Garland.
Intitulée « Vents de liberté », elle lui demandait de mettre fin à la China Initiative, au motif qu'elle « soulève des inquiétudes quant au profilage racial et nuit à la compétitivité de la recherche et de la technologie aux États-Unis ».
Dans les mois qui ont suivi, 2 600 autres professeurs d'universités américaines avaient co-signé leur demande, avant qu'elle ne soit actée par le département de la Justice en février 2022.
Yasheng Huang, professeur à la MIT Sloan School of Management, estime pour sa part que les coûts à long terme de ces enquêtes commencent seulement à se faire sentir :
« Nous avons entendu des histoires de jeunes doctorants qui ne songent pas du tout à postuler à des emplois aux États-Unis : ils veulent aller en Europe, en Asie. Ils ne veulent pas rester aux États-Unis. Certaines de ces personnes sont les meilleures et les plus brillantes dans leur domaine. »
« Les États-Unis perdent certains de leurs chercheurs les plus talentueux au profit d'autres pays à cause de la China Initiative », précise-t-il. « C'est mauvais pour la science, et c'est mauvais pour l'Amérique ».
Ce qui n'a pas empêché le FBI de ressortir l'artillerie lourde, ce qui fera l'objet de la quatrième partie de cette série.
Le FBI et le projet trumpien (et xénophobe) de chasse aux fantômes chinois (3/4)
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Des milliers de Chinois ont fuit le pays ou vu leurs visas révoqués
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Une fuite de cerveaux qui dessert la science et l'Amérique
Commentaires (10)
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Abonnez-vousLe 05/08/2022 à 10h01
Trump avec son QI de bulot n’a pas compris qu’une grande partie de la recherche et du développement US provient d’étudiants étrangers et non américains.
Si les universités américaines sont si bien notés c’est aussi parcequ’elles attirent profs et élèves en fonction de leur compétence et non de leur nationalité.
Quant à la fuite des cerveaux, je ne pense pas qu’elle soit due uniquement à la “China Initiative”: la société américaine est tellement clivée avec les intégristes religieux qui ont pris le pouvoir, que tous les signaux envoyés ne donnent plus envie d’aller aux US.
Le 05/08/2022 à 11h46
Pour compléter ton propos, les universités américaines proposent également de meilleurs salaires, meilleurs conditions de travail et une vrai reconnaissance (par rapport à la France et je parle avec expérience). Par contre, je reconnais que si tu n’es pas “blanc”, tu peux sentir un certain racisme latent avec certains personnes.
Le 05/08/2022 à 10h50
“may god mess America”
Le 05/08/2022 à 11h30
certains critiques à l’accuser d’aller trop loin dans la xénophobie ».
ah..
au bout de 2 ans, quand.même !!!
Le 05/08/2022 à 14h11
Trump n’a pas un QI de boulot, il est juste hyper arrogant, regarde sa carrière et tu verras qu’il sait très bien ce qu’il fait, c’est une pur produit marketing à l’américaine comme nos candidats actuels.
Le 05/08/2022 à 14h23
ses dires sur le viol et l’ivg (de mémoire) ne démontrent pas forcément un qi élevé non plus hein (et son refus de reconnaître ses tords n’aident pas)
il est peut-être malin dans certains domaines et a su s’entourer pour avoir les “bons contacts”, mais je présagerait rien de plus à son sujet
Le 05/08/2022 à 14h19
intéressant tout ce dossier, merci pour la lecture :)
Le 05/08/2022 à 14h35
C’est clair que les universités américaines tournent essentiellement avec des étrangers, et finalement très peu d’américains. Si le climat de suspicion permanente fait que les étrangers ne veulent plus venir, alors ceux qui ont à perdre, c’est effectivement les US. Mais les gagnants seront les autres pays, où la fuite des cerveaux diminuera.
Le 05/08/2022 à 14h44
Toutes les personnes qui l’ont rencontré ou ont travaillé avec lui, même les proches conseillers, confirment que c’est un crétin fini complètement ignare.
Par ailleurs sa fortune est héritée, et il a été montré qu’il a plutôt mal géré son héritage (il aurait été plus riche en plaçant son héritage dans un fond de pension basique), contrairement au mensonge qu’il aime propager (le mythe du self-made man).
Son principal bon coup financier qui ne s’est pas avéré être une arnaque ou basé sur un mensonge fut sa participation dans l’émission The Apprentice.
Le 05/08/2022 à 15h06
J’ai déjà eu écho de plusieurs étudiants brillants qui ont préféré le Canada aux US suite aux conséquences de l’élection de Trump (travel ban, propos xénophobes à répétition, cour suprême remplie d’extrémistes religieux que ces étudiants cherchent parfois à fuir etc).