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En Californie, la loi anti-deepfake bloquée par un juge pour inconstitutionnalité

Parodic pic

En Californie, la loi anti-deepfake bloquée par un juge pour inconstitutionnalité

Il y a moins de deux semaines, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, signait l’une des nouvelles lois sur l’IA s’en prenant directement aux auteurs de deepfakes. Elle a été immédiatement attaquée par l’auteur d’un deepfake sur Kamala Harris. Il a obtenu un blocage temporaire de la loi devant un tribunal. Selon le juge, la loi californienne viole le Premier amendement.

Le 07 octobre à 09h09

Mercredi soir, un juge fédéral a confirmé une injonction préliminaire contre la loi AB 2839 sur les deepfakes. La signature du projet par le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, a immédiatement créé des remous. Selon le gouverneur, cette loi pouvait être utilisée immédiatement pour obliger Elon Musk à supprimer une vidéo parodique de la candidate à l’élection présidentielle américaine, Kamala Harris.

La vidéo avait été retweetée par Elon Musk à partir du compte d’un utilisateur utilisant le pseudo Mr Reagan, de son vrai nom Christopher Kohls. Ce dernier a déposé plainte devant un tribunal de Californie dès le lendemain de la signature du projet de loi. Principal argument ? La loi viole le Premier amendement de la Constitution américaine, puisque la vidéo est parodique. Le juge lui a donné raison.

Des termes jugés trop vagues

La loi AB 2839 s’en prend aux auteurs de deepfakes visant des personnes candidates à une élection, plutôt qu’aux plateformes pour défaut de modération. Elle vise spécifiquement tout contenu faux ou trompeur « raisonnablement susceptible » de nuire « à la réputation ou aux perspectives électorales d’un candidat ».

Ces termes, jugés bien trop vagues par Christopher Kohls, ont déclenché sa plainte. Le gouvernement californien a tenté d’argumenter : la nouvelle loi fonctionne comme celle sur la diffamation et doit donc protéger les candidats contre les attaques personnelles et trompeuses impliquant l’intelligence artificielle.

Cependant, comme l’a fait valoir Kohls, le mot « diffamation » n’apparait nulle part dans le texte. Ses avocats ont avancé en outre que ce dernier, manquant singulièrement de précision, pouvait faire des fonctionnaires gouvernementaux des arbitres sur les notions de « deepfakes » et, plus généralement, des contenus « raisonnablement susceptibles » d’entrainer une tromperie.

Surtout, Christopher Kohls a soutenu que la loi violait directement le Premier amendement sur la liberté d’expression, qui sanctuarise la parodie et les contenus satiriques. Or, la vidéo publiée le 26 juillet mentionnait clairement qu’il s’agissait d’une parodie.

Selon la cour, la loi AB 2839 viole bien le Premier amendement

Le juge John Mendez a donné raison à Christopher Kohls. En conséquence, il a ordonné une injonction préliminaire, qui bloque temporairement l’application de la nouvelle loi par le procureur général de la Californie.

Dans sa décision, le juge a mis en avant le manque flagrant de précision dans la loi. « Comme le souligne de manière convaincante le plaignant, l'AB 2839 "repose sur divers termes subjectifs et sur une mens rea [culpabilité morale, ndlr] maladroitement formulée", ce qui a pour effet d'impliquer de vastes quantités de discours politiques et constitutionnellement protégés… », a-t-il indiqué.

S’il évoque une « crainte bien fondée d’un paysage médiatique manipulé numériquement », elle ne peut être une « une licence débridée pour passer outre la longue tradition de critique, de parodie et de satire protégée par le Premier amendement ». Et d’insister, en rappelant que ce dernier « protège le droit d'un individu à s'exprimer, quel que soit le nouveau support de ces critiques ».

Il ne nie pas l’intérêt de la Californie à « préserver l'intégrité des élections et à s'attaquer au contenu manipulé artificiellement ». Toutefois, cet intérêt, de même que les autres problèmes auxquels l’État pourrait faire face, « sont minimes par rapport à la gravité des valeurs du Premier amendement en jeu et aux violations constitutionnelles continues que le plaignant et d'autres créateurs de contenu dans une situation similaire subissent en voyant leur discours étouffé ».

En somme, le champ d’application de la loi est trop large et laisse trop de places aux interprétations. Elle pourrait donner lieu à des débordements par les autorités de l’État. Le juge l’a ainsi qualifiée d’ « outil contondant qui entrave l'expression humoristique et étouffe de manière inconstitutionnelle l'échange libre et sans entrave d'idées qui est si vital pour le débat démocratique américain ».

« Les sanctions civiles pour les critiques sur le gouvernement comme celles sanctionnées par l'AB 2839 n'ont pas leur place dans notre système de gouvernance », a-t-il encore ajouté.

Elon Musk exulte, la loi est toujours là

Dans un tweet, Christopher Kohls a dit toute sa joie, remerciant son avocat Ted Frank. Très rapidement, Elon Musk lui a répondu, le félicitant pour sa victoire et ajoutant : « Un point pour le droit des citoyens à la liberté d’expression ». Ce à quoi Kohls a répondu : « Merci, monsieur. Nous devrions repartir à la guerre ensemble un de ces jours ».

La décision vient illustrer le problème de fond qu’est la régulation d’un phénomène appelé à prendre encore de l’ampleur : la lutte contre les deepfakes. La question devient particulièrement sensible en période électorale. C’est le cas aux États-Unis, où règne une campagne présidentielle sous tension, entre Donald Trump et Kamala Harris.

« Alors que les législateurs de tout le pays envisagent de légiférer pour réprimer les mensonges politiques, l'avis du juge Mendez rappelle que de tels efforts se heurtent souvent à des obstacles insurmontables, et ce pour de bonnes raisons », a ainsi estimé Jeff Kosseff, spécialiste du Premier amendement et membre du groupe de réflexion non partisan The Future of Free Speech, dans un entretien avec Ars Technica.

Il faut cependant rappeler que le blocage du juge contre la loi AB 2839 n'est que temporaire. L'injonction préliminaire ne préjuge en rien du résultat final.

Le 07 octobre à 09h09

Commentaires (6)

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Le cadre juridique US est quand même bien particulier avec ce premier amendement pour ce genre de loi. Cela dit, la loi en question semble surtout avoir été mal rédigée de ce que je comprends.
Comment c'est déjà l'expression ? Le chemin vers l'enfer est pavé de bonnes intentions, non ?
Sinon, il faut les prendre à leur propre jeu : créer des deepfake mettant en scène Trump, Musk, etc. de manière parodique.

On verra bien s'ils sont toujours pour, même si c'est à des fins humoristiques !

Très rapidement, Elon Musk lui a répondu, le félicitant pour sa victoire et ajoutant : « Un point pour le droit des citoyens à la liberté d’expression »


Etrangement, je suis sûr que si c'avait été sur Trump à la place de Harris, il aurait hurlé à l'acharnement judicaire...
J'ai visionné la vidéo en question : en quoi est-elle parodique ?

En gros il ont simplement utilisé une IA pour pondre à moindre cout une video typique des élections américaines. Mais ce n'est en rien parodique: le discours politique derrière est clair.
Elle parle quand même de Deep State...

Si j'étais dans l'équipe des démocrates, vu la décision prise, je ferais la même chose sur Trump et sur Musk. Car il y a largement matière à faire de ce côté la.
Et il n'y a même pas forcément besoin d'exagérer ou inventer des propos, vu tout ce que ces 2 débiles peuvent sortir en permanence.

En Californie, la loi anti-deepfake bloquée par un juge pour inconstitutionnalité

  • Des termes jugés trop vagues

  • Selon la cour, la loi AB 2839 viole bien le Premier amendement

  • Elon Musk exulte, la loi est toujours là

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