iPhone verrouillé : Apple s’oppose à l’ordonnance obtenue par le FBI
Empire Strikes Back
Le 26 février 2016 à 16h30
8 min
Internet
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Apple a finalement donné sa réponse au tribunal qui exige de l’entreprise, via une demande du FBI, le développement d’une solution capable de déverrouiller un iPhone dans le cadre d’une enquête. Elle y attaque les méthodes employées par l’agence fédérale et l’utilisation faite de certaines lois.
Rappel des faits. Depuis la fusillade de San Bernardino en Californie, le FBI est en possession d’un iPhone 5c ayant appartenu au terroriste Syed Rizwan Farook. Les enquêteurs ne peuvent accéder au contenu chiffré du smartphone, protégé par un code PIN. Le FBI souhaite qu’Apple produise une solution logicielle qui permettrait l’extraction de ces données.
L’agence n’obtenant pas cette aide, elle a décidé de passer par un tribunal. Ce dernier a exigé l'aide d'Apple pour faciliter la tâche du FBI. L’entreprise n’est pas d’accord : via une lettre ouverte signée par Tim Cook, elle dénonce l’utilisation faite de la loi All Writs Act, qui permet notamment de requérir l’aide d’une personne physique ou morale au cours d’une enquête. Selon la firme, la loi n’a jamais été prévue pour un tel cas, et accéder à cette requête établirait un dangereux précédent.
La contre-attaque d'Apple
Apple a averti le tribunal qu’il y aurait objection à cette demande. L’entreprise avait jusqu’à aujourd’hui pour émettre sa réponse. Elle est finalement venue cette nuit sous la forme d’un document de 65 pages, dans lequel la société aborde les points qui ont provoqué son refus et ses réactions. Car, depuis, elle ne cesse de communiquer, notamment via une FAQ expliquant au public les raisons de son combat.
Premier sujet de discorde, le caractère « unique » de la demande du FBI : « Cette affaire ne concerne pas qu’un iPhone isolé. Elle met plutôt en lumière le Département de la Justice et le FBI qui cherchent à travers les tribunaux à obtenir un dangereux pouvoir, que le Congrès et le peuple américain leur ont refusé : la capacité de forcer les entreprises telles qu’Apple à dégrader la sécurité élémentaire et la vie privée de centaines de millions de personnes dans le monde ».
Apple s’en prend ici au Département de la Justice, qui a tenté l’année dernière de faire valider une évolution de la loi CALEA (Communications Assistance for Law Enforcement Act). Cette version « II » a finalement été refusée, alors qu’elle aurait permis de forcer les entreprises au genre de mesures actuellement réclamées. En décembre 2014, nous indiquions ainsi que James Comey, le directeur du FBI, estimait que le chiffrement avait rendu la loi CALEA caduque. « L’Exécutif a décidé de ne pas continuer la loi CALEA II et le Congrès a laissé la première CALEA inchangée, signifiant qu’il n’a jamais accordé l’autorité que le gouvernement revendique », rétorque l'entreprise (page 9).
« Le gouvernement a cherché à court-circuiter le débat »
La question posée est la suivante : pourquoi un tribunal donnerait-il au FBI un pouvoir que le Congrès a expressément refusé l’année dernière ? « Plutôt que de suivre une nouvelle législation, le gouvernement s’est mis en retrait du Congrès et s’est tourné vers les tribunaux » conteste Apple. D’autant que la méthode utilisée par le FBI est elle aussi très critiquable selon l’entreprise : « En invoquant le terrorisme et en procédant ex parte [NDLR : sans consultation de l’une des parties] derrière les portes closes des tribunaux, le gouvernement a cherché à court-circuiter le débat et une analyse approfondie ».
Ce point est capital. Comme nous l’indiquions dans notre analyse de la situation, un juge américain tente actuellement de savoir si de telles procédures sont légales. En octobre dernier, le gouvernement utilisait en effet la même méthode pour un iPhone 5 s dans une affaire de drogue. En charge de l’affaire, le juge James Orenstein s’interroge : « La question est de savoir si le gouvernement cherche à combler un vide juridique que le Congrès n'a pas réussi à trancher, ou bien s'il cherche à obtenir du tribunal un pouvoir que le Congrès a choisi de ne pas conférer ». L’ensemble est si similaire aux mots choisis par Apple qu’on peut se demander si la firme n’a pas choisi volontairement de faire référence à Orenstein.
Une charge considérée comme « excessive »
La réponse d’Apple donne également des pistes sur les axes de défense qui pourraient être retenus. L’All Writs Act dispose que l’aide d’un tiers peut être requise, à moins que la mission demandée lui impose une « charge excessive » ou qu’elle mette en danger ses intérêts les plus élémentaires. Or, pour Apple, la demande du FBI réalise les deux.
D’une part, demander la création d’un outil dégradant la sécurité qu’elle a elle-même mise en place revient à saboter une caractéristique primaire de ses produits (page 23). La sécurité faisant partie intégrale de sa stratégie logicielle, un tel acte minerait la confiance des clients et aurait un impact direct sur ses résultats financiers.
En outre – et il s’agit d’un important point de procédure – Apple estime que l’exécution d’une telle ordonnance reviendrait à violer son droit à la liberté d’expression et à donner son point de vue, garanti par le Premier Amendement de la constitution américaine. L’entreprise revient ici sur le caractère ex parte de la procédure, n’ayant pas été consultée par le tribunal. Page 32, elle cite d’ailleurs un certain nombre d’affaire où le code informatique a été traité comme moyen d’expression.
Autre point important, le FBI ne possède actuellement aucune preuve que l’iPhone 5c contient finalement bien des informations sur les intentions de Syed Rizwan Farook : « Apple ne remet pas en question l’intérêt légitime et louable du gouvernement d’enquêter sur les terroristes et de les poursuivre en justice, mais il n’a ici rien produit d’autre que des spéculations que le fait que cet iPhone puisse contenir des informations potentiellement pertinentes ».
Porter le débat devant le Congrès
Apple est décidée dans tous les cas à aller jusque devant la Cour Suprême (la plus haute juridiction américaine) si nécessaire. L’entreprise aimerait cependant qu’un vrai débat puisse émerger aux États-Unis, si possible devant le Congrès, afin que la législation évolue vers une balance « convenable » entre respect de la vie privée et sécurité générale.
La société de Cupertino craint surtout l’établissement d’un précédent. Peu importe que l’outil créé soit spécifique au seul iPhone 5c de l’enquête sur Farook : si le FBI obtient ce qu’il souhaite en passant par l’All Writs Act, il pourra réitérer sa demande à chaque fois que nécessaire. Apple n’aurait alors plus qu’à créer un outil spécifique pour chaque appareil.
James Comey, directeur du FBI, ne nie plus quant à lui l’éventualité d’un précédent : « Je pense réellement que, quelle que soit la décision du juge en Californie – et je suis certain qu’on y fera appel dans tous les cas – elle sera instructive pour les autres tribunaux » a-t-il indiqué hier au House Intelligence Committee du Congrès. En d’autres termes, une jurisprudence qui débloquerait de nombreuses situations où des données chiffrées sont impliquées.
Entreprises : un front uni
Apple peut en tout cas compter sur l’aide d’autres grandes entreprises dans cette affaire. Brad Smith, responsable juridique de Microsoft, était lui aussi présent hier au Congrès pour un débat sur la nécessité de revoir la législation. Il y a annoncé que la firme, qui était restée silencieuse jusqu’ici, soutiendrait Apple dans cette affaire, en confiant au tribunal un amicus curiae, une intervention volontaire via un document contenant son avis sur le sujet – avec les arguments nécessaires. Google, Facebook et Twitter suivront. Rappelons néanmoins que la justice est libre de ne pas tenir compte de leurs notes...
iPhone verrouillé : Apple s’oppose à l’ordonnance obtenue par le FBI
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La contre-attaque d'Apple
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« Le gouvernement a cherché à court-circuiter le débat »
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Une charge considérée comme « excessive »
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Porter le débat devant le Congrès
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Entreprises : un front uni
Commentaires (38)
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Abonnez-vousLe 27/02/2016 à 07h50
Merci pour ce très bon résumé de la situation. J’aurai cependant bien aimé avoir aussi quelques point sur les opinions adverses.
La situation peut devenir aussi inquiétante du point de vue de l’Etat: on aurait un acte de justice où une personne morale refuse de se soumettre au pouvoir législatif.
Dans le système légal américain, qui est, je le rappelle, entièrement basé sur des jurisprudences, c’est aussi ouvrir une boîte de Pandore énorme.
Le 27/02/2016 à 07h57
Non, je ne crois pas qu’Apple désobéisse au pouvoir judiciaire, seulement que Apple défend ses intérêts comme tout Citoyen en a le droit.
Le 27/02/2016 à 08h23
Personnellement, je n’ai pas oublié la participation (contrainte juridiquement) d’Apple et des autres GAFAM au Patriot Act.
Apple ne défend pas spécifiquement la vie privée de ses clients, Apple défend ses intérêts économiques (qui passent actuellement par le cloud privé et les services numériques).
Le 27/02/2016 à 08h27
Bravo Apple ? Ce serait trop vite oublier sa participation au Patriot Act
Le 27/02/2016 à 09h01
Le 27/02/2016 à 09h36
Le 27/02/2016 à 09h41
Le 27/02/2016 à 10h01
C’est clair que ça ressemble à une pièce de théâtre bien orchestré. A suivre.
Le 27/02/2016 à 10h59
Le 27/02/2016 à 11h16
C’est tiré par les cheveux voire complètement absurde, à mon avis…
Le 27/02/2016 à 11h17
Et les conneries continuent …
Le DoJ (Département de la Justice) a demandé à Apple de dévérouiller d’autres iPhones et iPads, et aucune affaire n’est liée au terrorisme.
http://www.macg.co/aapl/2016/02/le-fbi-veut-deverrouiller-12-autres-terminaux-io…
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Le 27/02/2016 à 12h15
Le 27/02/2016 à 18h09
Merci pour l’explication de la nuance que j’ignorai " />
Le 27/02/2016 à 19h33
Un point intéressant soulevé par Apple et qui n’est pas indiqué dans l’article : les preuves obtenues par le déverrouillage du téléphone ne serait utilisables en justice qu’a condition de laisser la partie adverse examiner la backdoor créée par Apple, ce qui complique pas mal la possibilité de la protéger contre un usage malveillant.
Le 28/02/2016 à 01h43
Le 28/02/2016 à 18h15
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Le 28/02/2016 à 21h35
Ca dépend ce que tu entends par contourner le cryptage.
Quelques rappels :
A partir de là y’a pas 36 solutions, Apple prétend ne pas avoir de clé permettant de déchiffrer tous les téléphones. Les plus conspirationnistes diront le contraire, mais pour le moment on est bien obligés de les croire. Ce chiffrage ne peut donc être brisé que si l’on connait le code PIN qui vérouille le téléphone.
Problème :
Ce que demande le FBI c’est pas une clé, c’est juste un moyen de faciliter leur travail :
Ceci dit, ça revient au même, le but étant de déchiffrer le téléphone, mais tout ce que Apple peut faire, c’est faire une version de iOS qui outrepasse ces restrictions. C’est ce que tout le monde veut éviter car si ça arriverait la sécurité de l’iPhone serait compromise, in fine.
Je rencontre beaucoup trop de gens qui lisent à moitié les articles et comprennent pas ce qui est demandé du FBI à Apple :/
Le 28/02/2016 à 21h40
Ok, finalement le PBI demande à Apple de lui fournir un moyen de réaliser un “buteforce” en gros. Et vu que c’est un code à 4 ou 6 chiffres, les possibilités sont restreintes.
Merci de l’explication " />
Le 29/02/2016 à 09h12
@Patch: C’est la faute de C+, depuis des années on a pu parler de “C+ en crypté”, “le cryptage de C+”, …
Le 26/02/2016 à 18h21
Super intéressant ! J’ai aucun doute sur le fait que quelle que soit la finalité de cette affaire, ça sera une décision cruciale… Avec ces articles, ceux de Marc et ceux de Sébastien sur les récentes découvertes scientifiques, vous gagnez un nouvel abonné :)
Le 26/02/2016 à 18h34
Exellent éclaircissement. En tant que consommateur,on ne peut donner raison qu’à Apple.
Le 26/02/2016 à 18h55
Le 26/02/2016 à 19h05
C’est bizarre que le FBI + NSA + Les Université à leur solde n’aient pas pu craquer ce téléphone… Mode parano on : Apple gagnera et tout les terroristes passeront à l’iPhone pour mieux être chopper par les services secrets ricains " />
Le 26/02/2016 à 19h08
Soit dit en passant, Apple n’est pas seul à s’opposer à cette demande (même si ils sont en première ligne pour le coup!): Google, Facebook et Microsoft soutiennent!
Le 26/02/2016 à 19h23
Microsoft est léger dans le soutien : Le Monde
Le 26/02/2016 à 19h24
Le 26/02/2016 à 19h39
ce sera un combat homérique… mais c’était inévitable !
Le 26/02/2016 à 19h57
Apple estime que l’exécution d’une telle ordonnance reviendrait à violer
son droit à la liberté d’expression et à donner son point de vue
mais quel est le rapport?
Le 26/02/2016 à 20h24
Les Experts du FBI sont sur la brêche contre le Darknet - CSI : Cyber
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Le 26/02/2016 à 20h27
Gates est léger… pas Microsoft: lire ici! " />
Le 26/02/2016 à 20h46
C’est pour des articles comme celui-ci que j’aime être abonné à NXI.
Le 26/02/2016 à 22h15
Ce qui me dérange le plus dans cette affaire, c’est qu’Apple ait les moyens techniques pour contourner le cryptage des données :/
Le 26/02/2016 à 22h41
Si je ne m’abuse ils en ont les moyens car c’est un iPhone 5C… pas certains qu’avec les appareils suivants ils y arrivent encore! A confirmer…
Le 26/02/2016 à 23h49
ha bha p*, si un jours on m’avait dit que je soutiendrais Apple sur quelque chose, je n’y aurai pas cru !!!
Bref bravo à Apple de ne pas avoir cédé.
Mais c’est quand même un comble que l’on doit se reporter sur ce genre d’entreprise pour défendre notre vie privé contre nos gouvernements … " />
Le 27/02/2016 à 07h17
Aux etats-unis, on peut entendre d’autres voix:
http://www.counterpunch.org/2016/02/22/apples-iphone-the-backdoor-is-already-the…
Cet affrontement serait-il qu’une masquarade ?
Le 26/02/2016 à 16h46
Très instructif. Merci pour cet article.
Le 26/02/2016 à 16h52
Tout à fait, d’autant que si t’as le malheur de tomber une fois par hasard sur un JT qui parle du sujet, ça donne tord à Apple, compte tenu du peu d’éléments qu’ils donnent.
En gros ils disent juste qu’Apple refuse d’ouvrir CE portable pour le FBI.
Thx NXI !
Le 26/02/2016 à 17h57
Excellent résumé. Merci pour le travail de synthèse Vincent.
En plus, le FBI a fait une énorme bourde de noob en faisant réinitialiser le MdP de l’iPhone en question par le véritable proprio’ de celui-ci de surcroit sans avertir APPLE.
Je me demande s’il ont du personnel vraiment compétent dans ce Bureau Fédéral d’Investigation
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