La CNIL se saisit du dossier de la vidéosurveillance dans les chambres d’EHPAD
CCTVieux
Le 10 février 2023 à 15h10
5 min
Droit
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Alors que les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) sont sous tous les regards depuis l'affaire Orpéa et la sortie du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet, la CNIL va se positionner sur l’installation de dispositifs de vidéosurveillance dans les chambres des résidents de ces établissements.
Il y a un an, Victor Castanet publiait son livre « Les Fossoyeurs » dénonçant les pratiques de maltraitances ayant lieu au sein de certains EHPAD. Le géant du domaine Orpéa a depuis été épinglé et la Caisse des dépôts est en train d'en prendre le contrôle.
Avant même la sortie de ce livre, les entourages de certains résidents d'EHPAD ont eu recours à des caméras de surveillance, placées dans la chambre de leurs proches, dans le but de montrer et de prouver la maltraitance dont ceux-ci faisaient l'objet. Certains établissements se posent des questions sur la possibilité, pour eux, de faire de même.
La CNIL explique avoir été saisie de plusieurs demandes de conseils sur l'installation de caméras de vidéosurveillance dans les chambres de résidents d'EHPAD. L'autorité administrative a rédigé un projet de recommandation [PDF] sur le sujet et lance une consultation à son propos, à l'intention des organismes, mais aussi des particuliers.
Dans ce projet de recommandation, l'autorité restreint le sujet aux seuls dispositifs de vidéosurveillance mis en place par les EHPAD et non par les proches des résidents : « Seul l’établissement peut en principe mettre en place le dispositif, afin que celui-ci soit le plus respectueux des droits et libertés de chacun » affirme-t-elle.
EHPAD, lieux de vies privées
Dans ce projet de recommandation, la CNIL affirme que « le déploiement de tels dispositifs est susceptible de priver les personnes hébergées de la possibilité de pouvoir vivre dans leur chambre sans être l’objet d’une surveillance, et notamment d’une surveillance permanente, ce qui constitue une atteinte à leurs droits fondamentaux ».
Par conséquent, pour elle, l'installation de caméras de surveillance dans les chambres d'EHPAD ne doit se faire que pour répondre à un « réel besoin » et, bien sûr, en respectant strictement le RGPD et la loi « informatique et libertés ».
Mais la CNIL souligne également que les salariés des EHPAD ont, eux aussi, droit au respect de leur vie privée sur leur lieu de travail et pendant leur travail.
Elle rappelle que l'employeur peut surveiller et contrôler le travail de ses salariés, mais dans « des limites tenant à la transparence de la mesure, à sa légitimité et à sa proportionnalité par rapport au but poursuivi ». La surveillance ne peut se faire en continu sur le poste de travail ou pendant l'activité professionnelle « sauf à justifier de circonstances particulières justifiant cette atteinte ».
Seulement en cas de suspicions de maltraitance
L'autorité considère donc comme disproportionnés le fait de filmer en permanence sur leurs lieux de vie les personnes hébergées, ainsi que celui de placer les salariés sous surveillance continue. Surtout, la CNIL conseille aux EHPAD de mettre en œuvre d'abord des moyens moins intrusifs pour assurer leur sécurité, prenant comme exemple un bouton d'appel d'urgence.
Ce n'est qu'en cas de « suspicions fortes de maltraitance à l’encontre d’une personne hébergée, basées sur un faisceau d’indices concordants (hématomes, changements comportementaux, etc.) », qu'elle considère que les EHPAD devraient pouvoir « installer ponctuellement un dispositif de vidéosurveillance », et ce, sous réserve de certaines garanties.
Si certains établissements voulaient utiliser la vidéosurveillance pour évaluer la qualité du service effectué par leurs employés, la CNIL ferme cette possibilité, « même lorsque les personnes concernées ont donné leur consentement, un tel dispositif apparaissant en principe disproportionné ».
Respect de certaines conditions
L'autorité précise les conditions dans lesquelles un établissement pourrait installer une caméra si, donc, elle suspecte un cas de maltraitance :
- limiter l’activation dans le temps ;
- restreindre la prise d’images dans les lieux d’intimité (toilettes, douches) ;
- désactiver le dispositif de vidéosurveillance lors des visites de proches ;
- établir et appliquer un cadre en interne, quant aux conditions justifiant l’installation de ce type de dispositifs (il doit par exemple s’agir d’une demande émanant des proches de la personne hébergée à l’établissement faisant suite à des cas de suspicions fortes et avérées de maltraitance, etc.) ;
- sensibiliser le personnel en charge de gérer et de mettre en œuvre ces dispositifs ;
- lorsque la demande provient du résident ou de ses proches, recueillir le consentement de la personne concernée (ou du tuteur en cas de tutelle dès lors que l’état du résident ne lui permet pas de consentir) ;
- lorsque l’initiative provient de l’établissement, offrir à la personne concernée (ou au tuteur pour les résidents sous tutelle), la possibilité de refuser l’installation de ce type de dispositif dès lors qu’elle dispose du discernement nécessaire.
La CNIL explique aussi que l'installation de ce genre de dispositifs doit être soumise à une analyse d'impact relative à la protection des données pour définir « les conditions de mise en œuvre du dispositif de vidéosurveillance limitant autant que possible les risques pour les personnes concernées » et vérifier la conformité avec le RGPD.
La CNIL se saisit du dossier de la vidéosurveillance dans les chambres d’EHPAD
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EHPAD, lieux de vies privées
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Seulement en cas de suspicions de maltraitance
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Respect de certaines conditions
Commentaires (19)
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Abonnez-vousLe 10/02/2023 à 16h32
Ces règles me semblent sensées.
Maintenant, à voir comment elles seront appliquées dans les EHPAD.
Le 10/02/2023 à 18h01
J’ai beaucoup de mal à comprendre la notion de “vie privée sur le lieu de travail” : n’est-ce pas là tout l’enjeu du contrat de travail de mettre de côté sa vie privée pendant la durée prévue par celui-ci pour se concentrer uniquement sur les tâches confiées par l’employeur ?
Quelle vie privée (du salarié s’entend) est-on supposé protéger sur un lieu de travail, a fortiori dans la chambre d’un patient ? Ça me paraît aussi insensé que l’interdiction d’enregistrer secrètement des conversations privées ou le fait que les radars soient signalés par des panneaux.
Le 10/02/2023 à 22h07
Tu as le droit d’aller au toilettes, de faire une pause café, de lire un e-mail perso sur ton lieu de travail ou de passer un appel tél perso. La jurisprudence l’accepte tant que cela reste raisonnable et ne nuit pas au travail, donc tu as le droit de le faire sans te faire espionner. Ce n’est pas parce que c’est un lieu de travail que les droits dondamentaux cessent d’exister.
La société peut mettre une caméra, qui filme l’entrée des locaux (objectif : la sécurité), mais pas fixée directement sur le poste de travail de quelqu’un (objectif : l’espionner).
D’ailleurs je pense que même chez toi, tu ne peux pas mettre une caméra n’importe comment pour filmer la baby sitter de tes gosses : il faut que ce que justifié, proportionné, et que la personne soit informée. C’est juste l’état de droit.
Dans le cas des EHPAD, c’est d’autant plus compliqué que les résidents n’ont souvent pas conscience de ce qui est fait, donc cela peut créer un conflit entre les familles et les établissements. Et même si c’est une chambre personnelle, cela reste un lieu qui appartient à l’EHPAD.
Le 11/02/2023 à 09h18
Complètement en phase !
Le 11/02/2023 à 10h32
Jarodd a très bien résumé, pour une caisse enregistreuse par ex : on peut filmer le tiroir caisse (manipulation de l’argent), par contre la caméra ne peut filmer le caissier : il a le droit de bavarder, de se curer le nez ou même de jouer sur son téléphone, tant que le boulot est fait dans de bonnes conditions : ne pas raconter ses exploits sexuels ou se curer le nez devant un client, ne pas jouer sur son téléphone pendant qu’un client attend…
J’ai un pote qui devait installer une caméra pour filmer un couloir dans son entreprise : ils ont dû prouver l’intérêt légitime de filmer le couloir, et ils ont ensuite galéré, peu importe le placement, la caméra filmait toujours un bout de bureaux dans le coin de son champ de vision.
Ils ont dû installer un cache physique inamovible devant la caméra pour masquer la vision du bureau. La CNIL a refusé les versions logicielles, (Filmer tout, ajouter le masque logiciel, enregistré le flux masqués) ce n’est pas conforme pour la CNIL : c’est le fait de filmer en permanence un employé qui est interdit, pas le fait d’enregistrer ce flux.
Certaines caméras intègrent ce masque logiciel sont acceptées : elles ne sortent jamais le flux non masqué, et les modifs de masques sont logués (auditables) dans la caméra.
Le 11/02/2023 à 07h30
La CNIL décide de faire confiance aux établissements malgré le scandale et le reste.
Soit, j’en prend bonne note.
Le 11/02/2023 à 08h01
Vu les contraintes qui sont fixées, l’usage des caméras sera limitée dans les EHPAD.
Le 11/02/2023 à 10h59
Effectivement, ces recommandations sont pour le moins, surprenantes. Ce qu’on montré les derniers scandales, c’est que c’est que dans l’immense majorité des cas, la gérances avec restriction des moyens humains et financier est à l’origine de la maltraitance des résidents. La maltraitance est institutionnalisé dans certain établissement. Donc ceux qui maltraite sont ceux qui vont décider s’ils mettent ou non des caméra pour démontrer la maltraitance dont ils font preuve ? Hallucinant.
Le 11/02/2023 à 12h11
il est interdit de faire ______ sauf si ________ à moins que _______ .
Les lois en France, c’est toujours un régal. Donc c’est interdit de filmer sauf si on pense qu’il y a maltraitance auquel cas il ne faudra pas filmer tout le temps.
Le 11/02/2023 à 12h45
Ben nan la CNIL n’est pas un tribunal qui peut moduler une peine en fonction du contexte. Les règles surveillées par la CNIL sont imposables a tous même si dans les HEPADs c’était un paradis sur Terre.
Le 11/02/2023 à 18h48
Bien sur que la CNIL n’est pas un tribunal, ce n’est pas le sujet de ma réponse. Rien ne l’empêche de suggérer la délégation de la décision de mise en place de caméras à une autorité indépendante des gérants d’établissements souvent responsables de la maltraitance.
Le 11/02/2023 à 17h47
Outre la disproportion, il est bon de rappeller qu’il serait très difficile devant un juge de faire valoir le consentement des employés en tant que base légale pour le traitement de données à caractère personnel (par ex surveillance vidéo) : Le RGPD prévoit que le consentement doit notamment être libre, ce qui implique qu’il ne doit pas être influencé ou obtenu sous la contrainte. Cela semble très difficile à prouver au vu de la relation de pouvoir entre l’employeur et l’employé.
Le 11/02/2023 à 18h52
Il faut attendre qu’il y ai des hématomes sur mamie pour faire de la prévention…
Le 13/02/2023 à 09h12
EUh ! j’ai pas compris. Quel est le problème qu’est censé résoudre la présence de caméra de surveillance dans les EHPAD ? Si c’est la maltraitance par le personnel soignant, étant donné que c’est aussi lui qui contrôle les images de vidéosurveillance, je ne comprends pas trop. Et il suffira de maltraiter en dehors du champ de vision de la caméra (dans la douche par exemple). Ou alors ça cherche à résoudre un autre problème.
Le 13/02/2023 à 10h07
C’est pas tellement le problème de la CNIL. On lui demande si c’est possible de mettre des caméras de surveillance dans les chambres des résidents des EHPAD, elle indique dans quelles conditions ça peut être possible.
Aux établissements de respecter ce cadre et notamment de prouver la proportionnalité du dispositif envisagé (ce qui comprend entre autre d’expliquer ce que c’est censé résoudre)
Le 13/02/2023 à 10h11
Bah du coup, pourquoi les établissements veulent-ils mettre des caméras ?
Le 13/02/2023 à 12h46
Parce que ça donne l’impression de faire quelque chose, sans que cela coûte trop.
Le 13/02/2023 à 16h50
Qu’est-ce qui te fait croire qu’ils veulent mettre des caméras ?
(oui je vois le mal plus loin que la moyenne)
Le 15/02/2023 à 20h24
Qu’il ne soit pas admis qu’on empêche un salarié d’accomplir ses besoins naturels, encore heureux.
Pour le reste, et c’est probablement dû au fait que j’ai essentiellement occupé des postes subalternes, dans des milieux où tout est chronométré, chiffré, statistiqué, évalué, comparé et objectivé (bienvenue dans le monde fabuleux des centres de relation client), que ma vision est ainsi faite, mais allez donc expliquer à un superviseur dans ces boites que la jurisprudence me donne le droit de passer des appels perso pendant mon temps de travail.
Le problème est de toute façon vite réglé : aucun appareil électronique personnel sur les plateaux au nom de la sacro-sainte sécurité/confidentialité dans mon poste actuel.
Pour le café, la convention collective a dit que c’était 10 minutes de pause toutes les 3 heures, et il est bien vu d’y insérer également les toilettes et la cigarette.
J’ai une vision que j’estime “de gauche” du travail et de la société, mais j’ai toujours jugé normal de me consacrer à mon travail pendant la durée de celui-ci, la logique étant que si j’attends de mon employeur qu’il soit carré avec moi, je dois être carré avec lui, et j’ai donc tendance à trouver légitime qu’il ait un droit de regard sur ce que je fais du temps pendant lequel il me rémunère, puisqu’il est d’usage de payer à la durée.
Bien sûr, le contexte serait différent pour un cadre ou un indépendant.