L’Intérieur compte acquérir 7 000 capteurs nomades de contrôles biométriques, pour 21 millions d’euros
Vers des contrôles routiers biométriques
Le 13 avril 2023 à 06h49
12 min
Droit
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Le ministère de l'Intérieur profite du renouvèlement de son marché de capteurs d'empreintes digitales et de lecteurs de documents d'identité pour investir 1,6 million d'euros dans des « solutions de prises d’images faciales », plus 21 millions de « capteurs nomades d’empreintes digitales doigts et palmaires ».
Le ministère de l'Intérieur vient de lancer un appel d'offres estimé à 27 millions d'euros (hors taxes) de « capteurs, lecteurs et prise d'images faciales », dont 21 millions de « capteurs nomades d’empreintes digitales doigts et palmaires », et 1,6 million de « fourniture de solutions de prises d’images faciales ».
Le règlement de consultation précise cela dit que si le projet d'accord-cadre « est conclu sans montant minimum », le « montant maximum » des différents lots est, quant à lui, fixé à un total de 56,35 millions d'euros.
Le Cahier des clauses techniques particulières (CCTP, expression officielle désignant le cahier des charges), précise qu'il s'agit du renouvellement d'un précédent marché, initialement estimé à 2,27 millions d'euros, et qui avait été attribué en 2019, pour 1,42 million d'euros, à Gemalto (ex-Gemplus, depuis racheté par Thales pour 4,8 milliards d’euros).
À l'époque, le ministère de l'Intérieur n'avait pas cherché à acquérir de « solutions de prises d’images faciales ». Le CCTP précise que « l'évolution de la réglementation européenne » le conduit cette année à intégrer, « notamment », l’acquisition de ce type de « solutions » dans cette nouvelle consultation.
De plus, le lot n°3 de fourniture de « capteurs d’empreintes digitales multi-doigts "sans contact" », qui avait alors été estimé à 60 000 euros seulement, n'avait finalement pas été attribué. Son équivalent « avec contact », estimé dans le nouveau marché à 21 millions, semble correspondre à la solution visant à permettre des contrôles biométriques « en bord de route » dont nous avions révélé le projet en mars 2021.
Nous y relevions que le ministère venait de lancer une demande d'informations (DI, ou RFI en anglais), adressée « aussi bien aux opérateurs leaders sur le marché de la biométrie qu’aux startups, TPE, PME, centre de recherche ou toute autre entité située en France ou au sein de l’Union européenne », afin de l'aider à identifier comment doter ses agents de nouvelles « solutions de capteurs biométriques » mobiles, « de préférence via un smartphone/tablette, voire à partir de l'appareil photo d'un smartphone/tablette ».
Évoquant le recours à la biométrie en mobilité en matière de contrôle « en bord de route », les députés Didier Paris et Pierre Morel-L'Huissier déploraient en effet en 2018, dans leur rapport d'information sur les fichiers mis à la disposition des forces de sécurité, que « si les applications Néo/Néogend [utilisées, respectivement, par la police et la gendarmerie, ndlr] permettent la consultation des fichiers de police à partir de données alphanumériques (nom, prénom, date, lieu de naissance), elles ne permettent pas encore en revanche le contrôle à partir de la biométrie ».
En 2021, le ministère de l'Intérieur cherchait donc à « identifier des solutions techniques (équipements/logiciels) novatrices et aptes à une utilisation sur le terrain », en prévision d'un futur marché public, qui devait être lancé en mars 2022.
Ce dernier aura donc mis un an de plus à être préparé, et estime à 21 millions d'euros le coût des 7 000 capteurs nomades de contrôles biométriques « en bord de route » que le ministère compte acquérir, soit 3 000 euros le terminal.
Une dizaine de fichiers, des dizaines de millions d'empreintes
Le marché vise à permettre aux fonctionnaires du ministère de l'Intérieur, « dans l’exercice des missions de contrôle aux frontières, du contrôle de l’immigration et de la situation des ressortissants étrangers », d'effectuer des « opérations d’enrôlement et de vérification de la situation des personnes et des documents d’identité, de séjour et de voyage » :
« Ces opérations de vérification et d’enrôlement visent à identifier et mettre à jour la situation des personnes en interrogeant des bases de données biométriques nationales et européennes afin de s’assurer qu'elles sont en règle vis-à-vis de la législation française et européenne et/ou qu’elles ne représentent pas une menace pour la sécurité intérieure ou l'ordre public. »
Le CCTP précise que, s’agissant des capteurs d'empreintes digitales, les agents de l’État prennent les empreintes des personnes pour « vérifier, authentifier et/ou enrôler » les personnes contrôlées vis-à-vis de leurs identifiants stockés dans « certaines applications nationales et européennes », fichiers au sujet desquels Next INpact était déjà revenu plus en détail, « telles que » :
- EURODAC : le système d'information à grande échelle contenant les empreintes digitales des demandeurs d'asile, de protection subsidiaire et immigrants illégaux se trouvant sur le territoire de l'UE. Fin 2019, 5,59 millions de jeux d'empreintes y étaient enregistrés (dont 661 578 à l'initiative de la France, son deuxième plus gros contributeur derrière l'Allemagne), contre 2,7 fin 2014. En 2019, la France était par ailleurs le pays qui l'interrogeait le plus, à raison de plus de 98 000 des 299 000 « hits » enregistrés cette année-là, soit près de 33 % du total ;
- EES : « Entry/Exit System », le système de gestion des frontières extérieures de l’espace Schengen, prévu pour 2022. Il servira à la saisie électronique des entrées et des sorties des ressortissants d’États tiers et permettra d’identifier les personnes en situation irrégulière, notamment au moyen d’identifiants biométriques (photographie du visage et 4 empreintes digitales) ;
- SBNA : le système biométrique national de l'application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France (AGDREF), qui stocke les images numérisées de la photographie et des empreintes digitales des dix doigts des étrangers, et regroupait 7 millions de dossiers actifs en 2017 ;
- VISABIO : l'application française du Système européen d'information sur les visas (VIS), où sont conservées, pour une durée maximale de cinq ans, les photographies et les empreintes digitales des dix doigts des demandeurs de visa dès l'âge de 12 ans. Doté d'une capacité de 100 millions d'enregistrements, VIS stockait 69 millions de jeux d'empreintes digitales fin 2019; VISABIO, lui, contenait 9 millions de dossiers biométriques en 2015 ;
- CCAF : le système centralisé de contrôle aux frontières permettant de vérifier et enrôler les voyageurs lors du contrôle aux frontières (aubette, contrôle automatique et bornes de pré enrôlement), attribué en 2021 aux entreprises IDEMIA et SOPRA STERIA, et au sujet duquel le ministère n'a toujours pas répondu, deux ans plus tard, à une demande d'accès aux documents administratifs.
Faux doigts, doigts morts et images fantômes
Le marché porte sur plusieurs types de capteurs d’empreintes digitales : « mono-doigt », « multi-doigts standards », ou multi-doigts « fine épaisseur » (dit aussi « slim »), capables de « capturer les dix doigts en effectuant 2 acquisitions à quatre doigts et une acquisition des 2 pouces », mais également de « faire la distinction entre la main gauche et la main droite pour toute acquisition à quatre doigts ».
Les capteurs devront en outre pouvoir gérer la capture d'empreintes posées, roulées ou simultanées, qu'il s'agisse des quatre doigts, ou des deux pouces, de chaque main.
Les capteurs et logiciels devront par ailleurs être capables de « détecter une usurpation d'identité (par exemple, détection d’un faux doigt ou doigt mort) », ainsi que de « fournir des moyens de distinguer et d'éliminer les images fantômes (empreintes digitales latentes résiduelles) ».
Le ministère cherche donc également à acquérir des « capteurs nomade d’empreintes de doigts et palmaires avec contact » de moins de 400 grammes pouvant « tenir aisément dans la main pour correspondre au plus grand nombre de personnes et sans crainte de le faire tomber », tout en étant susceptibles de « pouvoir absorber les chutes et les chocs et susciter la confiance de l'utilisateur quant à la robustesse du produit » :
« Le capteur doit également pouvoir être porté par le personnel (c’est-à-dire être temporairement mis dans les poches du blouson, du pantalon d'intervention, ou dans des emplacements des chasubles d'intervention). »
Un taux d'échec en lecture inférieur à 3 %
Le lot n° 4 concerne quant à lui des lecteurs de bande MRZ (pour « Machine-Readable Zone », ou zone de lecture optique) et de puces RFID susceptibles de pouvoir reconnaître les multiples documents d’identité, de séjour et de voyage, qu'il s'agisse de données alphanumériques, photographiques ou relatives aux empreintes digitales, « en un seul mouvement ».
Les « lecteurs vérificateurs » qui font l'objet du lot n° 5 devront pour leur part, dans le cadre de la lutte contre la fraude documentaire, pouvoir détecter des données exploitables via la bande MRZ et la puce sans contact « dès présentation par l’utilisateur d’un document d'identité, de séjour ou de voyage », sans « aucune manipulation » de l'appareil :
« Le lecteur de document d’identité doit être capable de détecter et de lire tous les documents de voyage à lecture automatique (MRTD [pour Machine Readable Travel Documents : documents de voyage lisibles par machine, NDLR]) en mode pleine page. Il doit être à déclenchement automatique dès l’insertion du document. Il doit également lire la bande MRZ des anciennes CNI françaises, et les documents à bords transparents. »
Ils devront en outre être dotés d'une « lumière rasante », et « être en mesure de numériser le document et de générer une image pour, au minimum, la lumière visible (photo), les Infra-Rouge, les Ultra-Violet ».
Ils devront également, et « obligatoirement », être capables de lire et transférer les données contenues dans :
- les puces des documents de voyage (ICAO) incluant la vérification de la chaîne des certificats ;
- les données OCR MRZ (textes, images) et les codes à barres 1D et 2D imprimé sur le document ;
- les puces RFID / smartcard, puces, passeports électroniques sans contact.
Le temps de lecture de la bande DRMZ devra être « inférieur à 3 secondes obligatoirement », et le « taux d'échec en lecture inférieur à 3 % ».
Les « solutions de prises d’images faciales » qui font l'objet du lot n° 6 devront, pour leur part, comprendre une caméra, un trépied (« de 30 cm minimum et de 70 cm maximum ») panoramique et tri-directionnel, un arrière-plan, ainsi qu'un dispositif d'éclairage devant pouvoir assurer un niveau de lumière uniforme sur le visage photographié, et comporter « au minimum deux sources de lumière positionnables de part et d’autre du sujet éclairé ».
7 000 capteurs biométriques nomades d'ici mai 2024
L'annexe financière, qui d'ordinaire précise le nombre d'éléments susceptibles d'être commandés, se borne à indiquer que le ministère prévoit d'acquérir, annuellement, un maximum de 150 lecteurs de bande MRZ et puce, 200 capteurs d'empreintes digitales mono-doigt, multi-doigts et solutions de prises d'images faciales, 300 lecteurs de documents sécurisés, de séjour et de voyage, mais jusqu'à 3 000 capteurs d'empreintes digitales et palmaires.
Le CCTP précise, contrairement aux autres précédents capteurs, que ces derniers devront en outre, et « obligatoirement », respecter un « plan de livraison » dont les délais ont été fixés comme suit, semblant indiquer qu'il aurait été défini pour permettre aux policiers, gendarmes et douaniers d'être équipés à marche forcée d'ici aux Jeux Olympiques d'été de 2024 à Paris :
- 1000 capteurs au plus tard le 01/11/2023 ;
- 2000 capteurs au plus tard le 31/12/2023 ;
- 2000 capteurs au plus tard le 01/03/2024 ;
- 2000 capteurs au plus tard le 01/05/2024.
« Aussi il est demandé au candidat de vérifier ses capacités d’approvisionnement avant de candidater », précise le CCTP. Sachant que les candidats ont jusqu'au 11 mai 2023 pour déposer leurs offres, et que le marché ne sera probablement pas attribué avant plusieurs semaines, voire mois.
En tout lieu que l'Administration jugera utile
L'appel d'offres précise par ailleurs que « les principaux bénéficiaires » de l’accord-cadre seront :
- la direction du numérique (DNUM) en qualité de maîtrise d’œuvre ;
- la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) ;
- la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;
- la direction générale des étrangers en France (DGEF) ;
- la direction générale de la police nationale (DGPN) ;
- la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) ;
- la préfecture de police de Paris (PP) ;
- la police judiciaire (PJ) ;
- la direction centrale des sécurités publiques (DCSP) ;
- le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure (STSI2) ;
- le Ministère de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique notamment pour la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) ;
- le Ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE) ;
- les préfectures et les sous-préfectures, ainsi que les guichets uniques de demande d’asile des collectivités d’outre-mer et les services de l’État à l’étranger.
Mais également que ces matériels seront déployés :
- sur des postes-clients pouvant être localisés en administration centrale, en préfectures et sous-préfectures,
- aux points de passage de frontière et de douane,
- au sein des guichets uniques de demande d’asile en métropole et des collectivités d’outre-mer,
- auprès des services interpellateurs de la police et de la gendarmerie nationale,
- dans les services des visas du réseau diplomatique et consulaire,
- ou en tout lieu que l'Administration jugera utile.
L’Intérieur compte acquérir 7 000 capteurs nomades de contrôles biométriques, pour 21 millions d’euros
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Une dizaine de fichiers, des dizaines de millions d'empreintes
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Faux doigts, doigts morts et images fantômes
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Un taux d'échec en lecture inférieur à 3 %
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7 000 capteurs biométriques nomades d'ici mai 2024
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En tout lieu que l'Administration jugera utile
Commentaires (14)
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Abonnez-vousLe 13/04/2023 à 07h16
Le 13/04/2023 à 07h55
Eh oui fallait bien que ça arrive un jour. Need : le système utilisé dans MIB pour effacer les empreintes des doigts, comme ça DLC les contrôles biométriques…
Le 13/04/2023 à 07h56
Qu’en pense la LDH ? (entre autres)
Le 13/04/2023 à 08h54
Pourquoi cette question, L’Intérieur en a quelque chose à faire de l’avis de la LDH et des autres ?
Le 13/04/2023 à 08h58
Je l’ai lu en rapport avec la récente polémique où Darmanin remettait en cause les financements public à la LDH.
Le 13/04/2023 à 09h05
Il remet surtout en cause tout ce qui ne va pas dans son sens. La LDH n’est qu’un exemple parmi d’autres avec lui.
Le 14/04/2023 à 12h18
C’est surtout des champions pour casser les thermomètres… dans un futur très proche, le Conseil d’Orientation des Retraites devrait en faire les frais car les informations qu’il donnait n’étaient pas raccord avec le narratif de l’exécutif.
On aura aussi une pensée pour l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale qui fut éliminé fin 2019.
Concernant les associations et ONG pouvant servir de thermomètres indépendants ou de contre-pouvoirs, la formule est également toute trouvée: on coupe les subsides, on dissous, … L’état français s’est bien équipé de nouveaux moyens de pression avec la “loi séparatisme” qui lui permettent de s’attaquer beaucoup plus facilement à la liberté d’association.
De fait, hormis le tollé que ça ferait –pour le moment– si cela se produisait, l’exécutif pourrait dissoudre la LDH très facilement avec pour motivation qu’elle incite un climat insurrectionnel en suggérant que l’état ne respecterait pas les droits humains et la démocratie et que certains de ses membres (des observateurs) ont été arrêtés pour participation délictueuse à un attroupement.
J’ai dit – pour le moment – car on voit déjà on voit les arguments à charge genre ‘LDH complaisante avec l’islamisme’, ‘LDH antisémite’, tourner en boucle sur certaines chaînes et dans certains journaux… avec un martèlement de la sorte pendant plusieurs semaines, l’opinion publique pourrait en arriver à accepter une dissolution de la LDH…
Le 14/04/2023 à 15h49
+1.
J’en ai déjà parlé mais ce livre:
https://www.livredepoche.com/livre/quand-les-lumieres-seteignent-9782253169314
décrit très bien les mécanismes de glissade qui mène au pire.
Et je trouve que dans la situation actuelle on en est au début : Les mots faux, la diabolisation, l’outrance, avec une accélération certaine.
C’est dur de voir qu’on apprends rien de ses erreurs malgré le “plus jamais ça” qui semble loin.
Le 19/04/2023 à 14h36
Effectivement “antisémite” et “islamiste” sont les nouvelles “rages” quand on veut abattre son chien :)
Le 19/04/2023 à 15h59
Ce qui est aussi amusant, c’est que Darmanin a lui-même écrit un petit bouquin où il défend les positions et actions antisémites du régime napoléonien comme une « lutte pour l’intégration avant l’heure » d’une population dont « Certains d’entre eux pratiquaient l’usure et faisaient naître troubles et réclamations » (entre guillemets, les mots du ministre)
Le 13/04/2023 à 16h07
Ce qui est bien par contre avec ce gouvernement, c’est que chaque fois qu’on pense qu’ils ont touché le fond ils inventent une nouvelle méthode de surveillance ou de coercision.
C’est vraiment trop gentil de tout pré-financer à Marine, comme ça, pour 2027.
Le 14/04/2023 à 06h53
C’est étonnant, ce système ne gère que les étrangers en situation irrégulière ? Il n’y a pas de fichier biométrique pour les personnes en cavale par exemple ?
Si ce n’est que pour traquer les étrangers je trouve ce système largement démesuré !
Le 14/04/2023 à 13h39
J’aimerais vraiment pouvoir te contredire, mais tu colles bien trop à la réalité pour que j’y arrive…
Le 18/04/2023 à 20h10
Au-delà de l’effrayant renforcement régulier des procédés de contrôle et surveillance, ne pensez-vous pas que bon nombre de pays se blindent en vue des futurs vagues de réfugiés climatiques ?