Saisi par les Exégètes en mai, le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnelles la surveillance des connexions des proches de potentiels terroristes. En cause, l'absence de limite au nombre de collectes autorisées, sans définition claire des citoyens espionnables.
Il y a de la friture sur la ligne pour la surveillance des connexions. Le 4 août, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision sur le suivi en temps réel de l'activité de possibles terroristes et des membres de leur entourage, dont la surveillance pourrait aider l'enquête. Questionnés en mai par les Exégètes (La Quadrature du Net, FFDN...), les Sages valident une partie pour censurer l'autre.
Depuis la loi de prorogation de l'état d'urgence du 21 juillet 2016, les proches de ces suspects peuvent être suivis dans leur activité en ligne, sur autorisation du Premier ministre ou d'une personne habilitée par lui. Le texte complète le premier paragraphe de l'article L. 851 - 2 du code de la sécurité intérieure, qui introduisait cette surveillance en temps réel de terroristes soupçonnés avec la loi Renseignement, à la mi-2015... à l'avantage des services de renseignement, essentiellement au ministère de l'Intérieur.
Un paragraphe, deux verdicts
Les requérants contestent le recueil en temps réel des données de connexion, estimant son champ trop large une fois inclus l'entourage de personnes liées à de possibles projets terroristes et que la durée d'autorisation est trop longue. Entre les lois de 2015 et 2016, elle est passée de deux mois à quatre mois, renouvelables. Un problème qui n'en est pas un, pour le Conseil constitutionnel.
Dans les faits, les autorisations de surveillance des connexions sont délivrées par le Premier Ministre ou ses collaborateurs habilités, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). Concernant les possibles terroristes, la procédure est tellement encadrée (sur le papier) que le Conseil constitutionnel entrevoit un plafond naturel au nombre de personnes surveillables, quand bien même la CNCTR est noyée dans les requêtes et les contrôles a posteriori des données recueillies (voir notre analyse).
Les services peuvent uniquement consulter les données obtenues par les opérateurs ou un hébergeur, à l'exclusion des contenus des correspondances. L'article L. 851 - 2 attaqué ne concernant que les métadonnées, son atteinte potentielle est limitée à la vie privée, non au secret des correspondances (contenus). Comme le rappelle le Conseil constitutionnel, c'est au législateur de garantir les droits fondamentaux des citoyens en matière de libertés publiques. Or, ils ne le sont pas pour « l'entourage » de possibles terroristes.
Une notion d'entourage floue, abrogation au 1er novembre
Si la mesure est proportionnée pour « une personne préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace », ses proches peuvent être nombreux, surtout à l'époque des réseaux sociaux. Les « raisons sérieuses » de penser que leur surveillance aiderait une enquête le seraient également. Autrement dit, beaucoup de personnes peuvent être surveillées, « sans que leur lien avec la menace soit nécessairement étroit ». Faute de définition explicite des personnes espionnables, la deuxième phrase de l'article L. 851 - 2 est inconstitutionnelle.
Les Sages reprochent donc au législateur de ne pas avoir limité le nombre de surveillances possibles simultanément, ce qui aurait été la seule garantie législative que des millions de personnes ne se retrouvent pas suivies. Le texte est donc maintenu pour les possibles terroristes mais censuré pour leurs proches. Le Conseil laisse donc deux possibilités : l'abandon de la mesure ou la mise en place d'un plafond annuel, à l'instar des interceptions de sécurité qui touchent au contenu des communications.
La censure, prononcée il y a quelques jours, ne sera appliquée qu'au 1er novembre, ce qui doit laisser le temps aux parlementaires de prendre leur décision.
Commentaires (20)
#1
Notons au passage la récente nomination du sénateur Michel Mercier au conseil constitutionnel. Il a été rapporteur de nombreux textes sécuritaires, et des dernières prorogations de l’état d’urgence, cf http://www.senat.fr/rapports-senateur/mercier_michel95049n.html
#2
TLDR; pour les barbus:
> find . -type terrorist -relatives -exec monitor {} \;
Illegal argument: -relatives
#3
Il n’y a pas un risque de conflit d’intérêt de se prononcer sur des textes que l’on a voté?
Je crois que Sarkozy avait donné cette raison pour expliquer son refus de siéger au conseil constitutionnel (à moins que cela soit Hollande.
#4
Tous les députés / sénateurs votent la loi. Être le rapporteur du texte c’est un lien bien plus étroit. Il me semble que le mec doit être dans toutes les commissions ou la loi est discutée / amendée.
Vu les textes sécuritaires qu’il a rapporté, le mec est clairement pas neutre.
EDIT: et a priori pas super compétent, la plupart de ces textes ayant été partiellement censurés.
#5
Donc si je comprends bien, si la loi autorise par exemple le suivi de “jusqu’à 5 personnes pouvant être en lien avec une personne pouvant être en lien avec une entreprise terroriste” ça sera bon…? Et on fait quoi à la 6e ? “ah ben non, on n’a droit qu’à 5, pas de bol !”, ou on la requalifie comme “pouvant être en lien avec une entreprise terroriste” et on repart à 0…?
#6
Merci aux gus dans leur garage " /> " />" />
#7
#8
Cette décision constitutionnelle s’inscrit dans le sillage de l’arrêt de la CJUE, Tele2 Sverige AB, 21 décembre 2016.
Aussi, loin de censurer l’extension opérée par la Loi du 21 juillet 2016, permettant le recueil des méta-données en temps réel d’une “personne préalablement identifiée susceptible d’être en lien avec une menace”, le Conseil constitutionnel reprend, sans l’indiquer, le raisonnement de la CJUE.
Le point 119 de l’arrêt Tele2 Sverige autorise ce recueil en temps réel pour des “ personnes soupçonnées de projeter, de commettre ou d’avoir commis une infraction grave ou encore d’être impliquées d’une manière ou d’une autre dans une telle infraction [grave].
Ensuite, pour la censure portant sur le recueil des données des personnes gravitant dans l’entourage d’une personne susceptible d’être en lien avec une menace, le Conseil constitutionnel se fonde encore sur le point 119 de l’arrêt tele2 Sverige.
En effet, le Conseil relève que le nombre de personnes figurant au sein de ce périmètre de second niveau est élevé, ” sans que leur lien avec la menace soit nécessairement étroit” (considérantN°11). Pour sa part, la CJUE considérait que sous certaines hypothèses , “ l’accès aux données d’autres personnes pourrait également être accordé lorsqu’il existe des éléments objectifs permettant de considérer que ces données pourraient, dans un cas concret, apporter une contribution effective à la lutte contre de telles activités” (point 119).
Par conséquent, la portée «fondamentale » de l’arrêt tele2 Sverige, que d’aucuns avaient cru déceler, doit être relativisée. Dès lors, il n’est pas étonnant que certaines structures associatives aient décidé de redéfinir leur doctrine d’intervention.
#9
#10
@ anagrys: Pour répondre à ta question, il faut se reporter àla dernier page du commentaire établi par les services du Conseil constitutionnel :
“L’article L. 852 -1 [VI]prévoit que le nombre maximal des autorisations d’interception en vigueur simultanément est arrêté par le Premier ministre après avis de la CNCTR. Au cas présent, la combinaison de la possibilité de surveiller des personnes n’ayant pas nécessairement un lien étroit avec la menace et de l’absence de limitation du nombre d’autorisations en vigueur simultanément a conduit le Conseil constitutionnel à considérer que la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée n’était pas équilibrée”.
Aussi, il ne s’agit pas de prédéfinir un nombre de personnes figurant au sein de l’entourage de la personne qui est en lien avec une menace ( ce qui n’a pas de sens, comme le prouve ton post), mais de les comptabiliser dans le plafond fixant, au préalable, le nombre d’interceptions simultanées sur l’ensemble du territoire national, afin d’éviter la surveillance de masse. Par ailleurs, cet objectif constitue l’apport essentiel de l’arrêt tele2 Sverige
#11
Merci pour les précisions.
Si Hollande ne siège pas, refuse-t-il le salaire qui associé à ce poste?
#12
#13
Qu’il règle d’abord ses histoires d’emplois familiaux. Pour ceux qui veulent entrer au conseil constitutionnel, la présomption d’innocence n’est pas une position satisfaisante.
#14
Heureusement que les exégètes amateurs de mauvaise foi sont encore sur la brèche, à moins que ce soit les numéristes … (© Le ministre de la justice de l’époque, M. Jean-Jacques URVOAS )
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#15
Il s’agit d’éviter un dépassement, coûte que coûte de ce maximum aux fins de garantir les libertés fondamentales des citoyens sur l’autel du droit à la sûreté. Aussi, sous cette perspective, la référence quantitative n’est pas dénuée de fondements
C’est dans ce contexte, soit-disant favorable, que certaines associations ont décidé d’obtenir la censure de ce mécanisme. Toutefois, comme souvent avec les arrêts la CJUE, il faut les lire et relire attentivement, aux fins d’éviter toute mauvaises interprétations. Or, comme je l’ai déjà mentionné, l’arrêt tele2 valide l’essentiel du dispositif interne.
Toutefois, elle s’oppose à toute extension des finalités permettant ces interception -cf point 115, tele 2 : “ l’énumération des objectifs figurant à l’article 15, paragraphe 1, première phrase, de la directive 2002⁄58 revêt un caractère exhaustif”.
Ces objectifs “de sécurité nationale” résultant de l’article 15 §1, Directive 2002⁄58 sont en réalité assez vastes :
“Pour sauvegarder la sécurité nationale - c’est-à-dire la sûreté de l’État - la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou d’utilisations non autorisées du système de communications électroniques, comme le prévoit l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46/CE. À cette fin, les États membres peuvent, entre autres, adopter des mesures législatives prévoyant la conservation de données pendant une durée limitée lorsque cela est justifié par un des motifs énoncés dans le présent paragraphe. Toutes les mesures visées dans le présent paragraphe sont prises dans le respect des principes généraux du droit communautaire, y compris ceux visés à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du traité sur l’Union européenne” .
Ces derniers principes sont ceux figurant dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, spécialement en ses articles 6 (droit à la sûreté) et article 7 (droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications).
Par conséquent, dans l’arrêt tele2 de décembre 2016, la CJUE qui a effectué ce contrôle de proportionnalité entre ces deux principes généraux du droit, juge pour droit que ces interceptions de premier degré et de second degrés doivent être encadrées par dispositions législatives “matérielles et procédurales”, afin de garantir que l’accès des autorités nationales compétentes aux données conservées soit limité au strict nécessaire (cf point 118).
et, le point 119 poursuit “Aux fins de garantir, en pratique, le plein respect de ces conditions, il est essentiel que l’accès des autorités
nationales compétentes aux données conservées soit, en principe, sauf
cas d’urgence dûment justifiés, subordonné à un contrôle préalable effectué soit par une juridiction soit par une entité administrative indépendante, et que la décision de cette juridiction ou de cette entité
intervienne à la suite d’une demande motivée de ces autorités présentée, notamment, dans le cadre de procédures de prévention, de
détection ou de poursuites pénales (voir, par analogie, en ce qui
concerne la directive 2006⁄24, arrêt Digital Rights, point 62 ; voir
également, par analogie, en ce qui concerne l’article 8 de la CEDH, Cour
EDH, 12 janvier 2016, Szabó et Vissy c. Hongrie,
CE:ECHR:2016:0112JUD003713814, §§ 77 et 80)”.
3) Aussi, le Conseil constitutionnel, au sein de ses considérant 8 et 9 va analyser la présence de ces garanties matérielles et processuelles :
-La CNCTR est une autorité administrative indépendante, comme la CNIL. Et, sauf urgence, son autorisation est requise avant toutes opérations d’ interception de sécurité. et, tout citoyen peut saisir le juge administratif pour trancher la légalité de ces opérations
-Pour les interceptions de premier degré (personne susceptible être en lien avec une menace), elles respectent les conditions objectives fixées par la CJUE (Cf. point 119 de l’arrêt tele2 :” personnes soupçonnées de projeter, de
commettre ou d’avoir commis une infraction grave ou encore d’être
impliquées d’une manière ou d’une autre dans une telle infraction”).
-Pour les interceptions de second degré, le législateur n’avait pas fixé la liste des éléments objectifs permettant l’extension de ces interceptions (soit l’exigence que ses personnes de l’entourage aient un lien suffisamment étroit avec la personne susceptible d’être en lien avec une menace).
#16
Complement HS. Mais continue tes interventions. J’aime les lire. (quand un truc est bien, on a le droit de le dire :p )
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#17
Effectivement tu as raison -) Mea culpa. Tu dois demander -et surtout obtenir - une intervention d’ Anastasie ;)
#18
#19
Mince je pense que j’ai pas été clair.
Le complètement HS était pour mon propre commentaire ^^.
#20
Headshot http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/08/08/vise-par-une-enquete-preliminaire-michel-mercier-renonce-a-integrer-le-conseil-constitutionnel_5170117_823448.html