Jungle dans la fibre optique : des actions, « mais les résultats ne sont pas encore visibles, ni perceptibles »
Attention, je vais me fâcher… un jour peut-être
Le 05 octobre 2023 à 10h08
11 min
Internet
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Année après année, le constat est le même : c’est la jungle dans le déploiement de la fibre. L’Arcep en fait encore le constat et menace encore de passer aux sanctions si la situation ne s’améliore pas. Jean-Noël Barrot est de son côté en discussion avec Orange afin de reprendre les déploiements dans la zone AMII et dans la zone très dense.
On prend les mêmes et on recommence
La semaine dernière se tenait la conférence 2023 Territoires connectés de l’Arcep. Dans son introduction, Laure de la Raudière, présidente du régulateur, posait un constat amère : « Je le dis – sans enthousiasme – car j’aurais pu reprendre l’intervention que j’ai faite l’année dernière à Territoires connectés. Je reçois encore de trop nombreux témoignages de clients débranchés sauvagement, d’abonnés privés d’internet régulièrement ou très longtemps ». C’est en effet le même constat qui revient année après année et qui ne date pas de 2022.
L’année dernière, la filière a présenté un plan d’actions pour améliorer les pratiques des agents d’intervention et reprendre « les malfaçons sur les réseaux au fil de l’eau pour éviter la dégradation de la qualité à moyen terme ». L’étendue des dégâts implique des travaux titanesques de reprise dans certains cas, comme nous l’expliquait Ariel Turpin (délégué général de l’Avicca) : « il faudrait neuf ans au rythme actuel pour que XpFibre reprenne l’ensemble des prises ».
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Indicateur de la discorde
Laure de la Raudière le reconnait dans son discours (difficile en même temps de tirer un autre constat) : « Des actions ont été menées, certes, chez tous les opérateurs pour décliner le plan d’action de la filière, mais les résultats ne sont pas encore visibles, ni perceptibles ». Afin de mettre la pression sur les « mauvais élèves », l’Arcep a publié la liste des taux d’échec et de panne des opérateurs d’infrastructure, dans une logique de « name & shame ».
L’Avicca était montée au créneau dans la foulée, en dénonçant un « raisonnement atypique » de l’Arcep : « Imaginez des casseurs qui brûlent régulièrement des dizaines de véhicules. Imaginez la gendarmerie qui, plutôt que de chercher à identifier les casseurs et leurs motivations, s'intéresserait en priorité à la solidité des voitures et à leur résistance au feu. Imaginez les enquêteurs qui demanderaient leur avis aux seuls casseurs plutôt qu'aux victimes […] ». Tout le monde semble s’accorder sur un point : la situation actuelle n’est pas normale, ni souhaitable et doit changer au plus vite.
Il y a quelques jours, Altitude Infra annonçait accélérer « la rénovation des tout premiers réseaux de fibre optique en France » avec de premiers résultats : « une réduction de 50 % du taux d’incident par lien sur le Réseau Europ’Essone entre mars et septembre 2023 ». Ce réseau était pour rappel le troisième avec le taux d’échec le plus élevé et deuxième sur le taux de panne chez Altitude. Altitude Infra a « récupéré » le réseau Europ’Essone suite au rachat de Covage, pour rappel.
Tony Cavelier, directeur exploitation chez Altitude décrit l’ampleur du chantier : « Il s’agit de reprendre l’architecture même du réseau pour qu’il soit adapté aux besoins et usages actuels et au nombre de clients qui y sont raccordés. En 2011, au moment de sa construction, il n’était évidemment pas possible d’en anticiper les évolutions ». Problème, ce n’est pas le seul réseau français dans cette situation.
Les opérateurs commerciaux entrent dans la danse
L’observatoire de l’Arcep sera enrichi de « nouveaux indicateurs » promet le gendarme des télécom, sans plus de précision. Mais, au même moment, la Fédération Française des Télécoms et Free (qui ne fait pas partie de la FFTélécoms pour rappel) annonçaient avoir « pris note de la publication par l’Arcep d’indicateurs de performance des opérateurs d’infrastructure [c’était déjà en juillet, ndlr] et proposent à cette autorité de mesurer également la performance des OC ». Les quatre opérateurs commerciaux proposent des « indicateurs reflétant la perception client et portant sur leurs propres processus industriels ». On peut facilement se douter qu’ils sont bons si les opérateurs souhaitent les mettre en avant.
Une annonce qui sonne comme un écho à la déclaration de Laurent Laganier, directeur de la réglementation chez iliad/Free, en décembre dernier. Il dressait un bilan plutôt positif de la fibre vu côté opérateur commercial : « la fibre fonctionne bien […] vue du client, ça marche. Effectivement, la demande est soutenue pour la fibre. Autant on voit des gens qui ont vraiment envie de passer à la fibre, autant des gens qui ont envie de repasser au cuivre… on n'en voit pas ».
Il expliquait sa vision des choses côté opérateur, en lien direct avec les clients : « La souscription est un bon indicateur : si ça ne marche pas, les gens n’en veulent pas… ils ne sont pas bêtes. Le taux de satisfaction des clients en fibre est meilleur qu’en cuivre. Le taux de disponibilité des lignes fibre est meilleure que celui des lignes cuivre ».
Quoi qu’il en soit, les opérateurs commerciaux proposent donc de partager en temps réel avec les opérateurs d’infrastructure, « sur un périmètre le plus large possible, les interventions sur le réseau, de manière à fluidifier les processus industriels des opérateurs et des différents intervenants et accroître encore leur responsabilisation ».
La FFTélécoms et Free souhaitent également une « aggravation des sanctions pénales contre les actes de vandalisme et de dégradation volontaire », précisant que chaque mois, 70 actes de vandalisme touchent en moyenne les réseaux FTTH. Puisqu’ils passent massivement par des sous-traitants (qui sous-traitent eux-mêmes), ils ne devraient pas être directement concernés par les sanctions.
Attention, l’Arcep menace… encore et encore
De son côté, l’Arcep fait (encore une fois) les gros yeux : elle attend des résultats concrets, faute de quoi « nous n’hésiterons pas à passer à un autre mode d’action », affirme Laure de la Raudière. Au lieu d’enchainer les constats et les incompréhensions face à la situation, le régulateur pourrait donc passer par des sanctions. Il y a maintenant plus de deux ans, le régulateur semblait tomber des nues face à la situation et il tapait enfin du point sur la table fin 2021. Le régulateur a mis du temps à réagir et ne semble pas plus pressé de passer aux sanctions.
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Or, il y a urgence, comme il le rappelle lui-même, « avec les premiers lots significatifs de fermeture du réseau cuivre annoncés par Orange ». Pendant ce temps, le déploiement de la fibre continue avec des lignes de moins en moins simples à raccorder et des clients de plus en plus nombreux, augmentant mathématiquement le nombre de spaghettis possibles dans les plats de nouille. Et encore, c’est sans compter sur les capacités des armoires qui arrivent parfois à leur limite avec parfois des clients déconnectés pour en brancher de nouveaux, généralement pour faire au plus vite.
Déploiements : Jean-Noël Barrot agite la carotte et le bâton
Puisqu’on parle déploiement, passons à un autre sujet qui fâche : Orange dans les zones AMII. « Je vais vous décevoir, mais je ne m’exprimerai pas sur la procédure en cours sur les zones AMII Orange, justement parce que cette procédure est toujours en cours », a ajouté Laure de la Raudière.
Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, chargé du Numérique, s’est lui aussi exprimé sur le sujet, avec un rappel pour commencer : « Deux zones du territoire – zone AMII Orange et zone très dense – font actuellement l’objet d’un ralentissement, voire même disons-le clairement, d’un arrêt des déploiements ». Les observatoires de l’Arcep peuvent en attester.
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Dans la zone AMII déployée par Orange, le gouvernement « fait face à deux options. La première est sans doute la plus simple et la plus confortable : mettre Orange en demeure […]. Que se passerait-il ? L’opérateur serait vraisemblablement sanctionné et obligé de déployer. Mais nous n’obtiendrons collectivement rien de plus », ajoute-t-il. Et encore, c’est à condition qu’Orange ne dégaine pas une nouvelle fois une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur le pouvoir de sanction de l’Arcep, comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises par le passé. Cette QPC est qualifiée par certains d’une « arme nucléaire ».
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Un New Deal « gagnant-gagnant » avec Orange sur le fixe ?
« La deuxième option est celle d’une discussion avec l’opérateur pour obtenir le déploiement dans la zone AMII mais aussi dans la zone très dense, et dans le cadre d’une discussion globale avec des engagements sur le maintien des tarifs sociaux et sur le traitement des raccordements complexe ». En gros, la carotte pour éviter le (potentiel) coup de bâton.
Elle permet aussi au gouvernement de mettre des conditions sur la zone très dense, dans laquelle il « n’a aucun levier réglementaire », reconnait le ministre délégué. « Seule cette deuxième option, plus exigeante », permettra de garantir la généralisation de la fibre en 2025 comme le souhaite le gouvernement. Jean-Noël Barrot a donc engagé des discussions avec Orange, sans donner plus de détails pour le moment.
Si Orange recommence à déployer dans la zone très dense, Jean-Noël Barrot espère sans doute une motivation des autres opérateurs à faire de même. Dans tous les cas, cela permettrait d’augmenter le nombre de logements éligibles.
Un accord sur les « appuis communs »
Il y a quelques jours également, la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies), Enedis et InfraNum ont signé un protocole d’accord pour « améliorer le modèle national de convention ”appuis communs” pour faciliter l’utilisation des supports électriques pour le déploiement de la fibre optique ».
L’enjeu est de taille pour les trois partenaires du jour. Il resterait près de 11 millions de lignes FTTH à construire dans les zones moyennement denses et rurales d’ici à 2025. Or « la moitié pourrait être concernée par le recours aux supports aériens basse tension du réseau public de distribution électrique, propriété des collectivités ».
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Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 05/10/2023 à 11h34
Il faudrait aussi revoir l’infrastructure et la sécurité des armoires, encore ce week-end j’en ai vu une complètement ouverte au port des Minimes à la Rochelle. Au début je croyais que c’était une poubelle avec des cartons de pizza entassés …
Le 05/10/2023 à 14h58
Donc en gros l’AVICCA avance que les prestataires qui interviennent sont des casseurs absolument pas mandatés/payés pour intervenir ?
Le 05/10/2023 à 16h44
HS : je sais que ça a déjà été mentionné par d’autres personnes sur d’autres articles, mais je trouve que les dessins de Flock en bannière c’est vraiment la classe !
Le 05/10/2023 à 17h22
Où sont les sanctions ? Il n’y a malheureusement que cela qui fonctionne avec les enfants, lorsque les menaces sont ineffectives.
Avec les sanctions tombant sur les fournisseurs d’accès, et en leur laissant propager ça à leurs sous-traitants, on aurait pu mesurer si un effet allait avoir lieu.
Ensuite, si malgré les sanctions rien ne change car les FAI auraient (sait-on jamais) l’idée de faire payer leurs sous-traitants en s’en lavant les mains, des armes comme l’interdiction de la sous-traitance me semble envisageable.
Il faut savoir réguler, et pour cela, reconnaitre que la régulation maintient une économie décente.
La liberté d’un acteur moral privé se mérite.
Le 06/10/2023 à 04h30
Comparer des entreprises avec des enfants, fallait bien que quelqu’un le fasse
Fun fact : non, les sanctions ne sont pas la seule chose efficace avec les enfants. Le dialogue l’est bien plus.
Sinon je suis d’accord que les opérateurs ne sont pas assez sanctionnés. Il est vraie que c’est surtout l’enchevêtrement de sous-traitance, sans trop de contraintes légales (avec un Président qui a poussé au déploiement rapide de la fibre), qui a en grande partie mené à ce résultat…
Je prends mon cas en exemple : armoire ouverte aux yeux de tous, fibre dans tous les sens dans celle-ci, pas assez de prises prévues par XP Fibre (SFR) pour réduire les coûts.
Au final quand un technicien doit connecter un usager, le 3⁄4 du temps il va débrancher la prise de quelqu’un d’autre pour brancher son client, et SFR ne trouve rien à y redire malgré les signalements (alors qu’ils devraient rajouter des prises pour éviter cela).
Et notre mairie ? Elle ne veut rien voir ni agir. Pour elle ce n’est pas de son ressort (et pour les avoir eu, ils n’y comprennent rien surtout et n’ont pas conscience de leur rôle).
Donc clairement il faut que l’Arcep tape du poing sur la table et qu’un cadre législatif plus strict vienne réguler tout ça. Sinon ça va encore finir dans les oubliettes des paroles données sans actions concrètes.
Des protocoles, etc, ils peuvent en signer à tour de bras pour leur communication (”Hey regardez, on agit !”). Ce qui compte c’est l’action sur le terrain. Et elle n’est pas au rdv.
Le 06/10/2023 à 06h43
Les modèles économiques du déploiement initial des réseau FTTH (NRO/PM), le raccordement des immeubles par les OI, le raccordement des abonnés ainsi que la maintenance contribue à l’état des réseaux et sont noyautés par quelques uns qui profitent d’un système contribuant à l’exploitation de personnes non qualifiés payés à la tâche.
Certains opérateurs apportent plus de soins à vérifier et contrôlés que les travaux sont faits dans les règles de l’art, pour d’autres ils sont très très compétitifs financièrement et (trop) confiance à leur sous traitant qui ont des sous traitant qui eux-mêmes ont des sous traitant, et tous sont payés à la tâche et bien trop souvent sans contrôle des services rendus, une méconnaissance des compétences/qualifications des intervenants qui par soucis de rentabilité sont essentiellement peu formés et sous qualifié.
De plus ces mêmes personnes doivent aller vite et faire du volume pour espérer une rémunération/salaire correct et de fait les mauvaises pratiques sont coutumes et la formation devient de la déformation qui conduit à des méthodes de travail normalement interdites car les objectifs sont uniquement motivés par un résultat de réalisation qui ne sera pas contrôlé plutôt que dans un équilibre de qualité et d’état de l’art afin de garantir la pérennité du réseau.
Le non respect des règles d’ingénierie sont la conséquence de ces modèles économiques défaillants et la cause des difficultés et résultats pitoyables des réseaux FTTH.
Le 06/10/2023 à 12h08
Tout à fait d’accord avec votre analyse. Il faudrait ajouter à cela qu’il aurait été plus efficace de construire un réseau unique en maîtrise d’ouvrage publique.
Le 06/10/2023 à 09h07
Je profite de ton commentaire pour approuver.
Le 07/10/2023 à 19h37
Price - Quality - Speed.
Choose any two.