Les promenades du rover Yutu-2 (Lapin de Jade 2) sur la Lune sont instructives. Grâce aux données de son Lunar penetrating radar, les scientifiques ont pu reconstituer une image du sous-sol de notre satellite naturel jusqu’à une profondeur de 40 m, qui comprend notamment une épaisse couche de régolithe d’une douzaine de mètres.
Il y a un peu plus d‘un an, la Chine posait en douceur un atterrisseur sur la face cachée de la Lune, une première mondiale. Avant toute chose, sachez que cette « face cachée » – au contraire de la face visible – n’a rien de fantasmagorique. Comme la période de rotation de la Lune est égale à sa période de révolution, elle tourne sur elle-même à la même « vitesse » qu’elle tourne autour de la Terre… on ne voit ainsi que la même partie de notre satellite.
Une face cachée aussi ensoleillée que la face visible
De plus, la face cachée n’est pas constamment dans le noir : elle est exposée au Soleil lorsque la Lune se place entre notre étoile et la Terre, soit aussi longtemps que la face visible. Elle n’en demeure pas moins « mystérieuse » puisque, avant Chang’e 4 (un nom issu de la mythologie chinoise), aucun module n’était venu s’y poser.
Les agences chinoises CLEP (Chinese Lunar Exploration Program) et CNSA (China National Space Administration) ont rapidement mis en ligne de très nombreuses photos de cette face cachée, de leur atterrisseur Chang’e 4 et du petit rover Yutu-2 qu’il embarquait. Le pays souhaitait alors capitaliser sur son exploit et montrer son savoir-faire.
Deux jours lunaires et 106 mètres plus loin, les premiers résultats
Depuis, le rover se balade sur la surface de la Lune et il a déjà parcouru près de 380 mètres en 412 jours, ce qui en ferait le rover avec la mission la plus longue sur la Lune (et il continue de fonctionner normalement). Il est équipé de plusieurs capteurs pour effectuer des mesures in situ, notamment un LPR (Lunar penetrating radar) qui est (comme son nom l’indique) un radar à pénétration de sol. Le précédent rover Yutu de la mission Chang’e 3 en intègre également un.
Il fonctionne sur deux fréquences : 60 MHz et 500 MHz. Son but est d’étudier en détail la composition des couches inférieures de la Lune. Les premiers résultats ont été mis en ligne dans Science Advances et sont issus des données collectées pendant les deux premiers jours lunaires de la mission, ce qui correspond à environ deux mois sur Terre (une journée lunaire dure 28 jours). Durant cette période, le rover a parcouru 106 mètres.
Des « informations claires sur la structure sous la surface de la Lune »
Les scientifiques commencent par expliquer que la pénétration du signal sur le site d’atterrissage choisi pour la mission Chang’e 4 était bien meilleure que celle obtenue avec Chang’e 3, qui s’est pour rappel posé en 2013 sur la face visible de la Lune : « Les images retournées par l’instrument LPR de Chang’e 4 fournissent des informations claires sur la structure sous la surface de la Lune ».
S’agissant d’un radar, l’instrument émet donc des ondes électromagnétiques et le rover mesure ensuite le temps qu’elles mettent à revenir après avoir « rebondi » sur un obstacle (un rocher par exemple) pour en déduire la distance parcourue… à condition d’avoir la vitesse de propagation dans le sol évidemment.
Ce n’est pas évident, mais ils ont réussi à obtenir une moyenne de 0,15 m/ns (mètre par nanoseconde), soit 540 000 000 km/h. Si l’onde met 150 ns à revenir, cela signifie qu’elle a parcouru 22,5 mètres, soit 11,25 mètres aller et autant au retour. Sans disposer de radar, le sismomètre SEIS de la mission InSight utilise aussi les ondes pour cartographier le cœur de Mars.
C’est la théorie, mais la pratique est toujours plus compliquée, avec de nombreuses variables à prendre en considération. Les scientifiques des instituts et universités chinoises et italiennes impliqués dans le projet expliquent en détail leur méthodologie par ici. Ils ont notamment combiné les informations du radar avec « des données tomographiques et une analyse quantitative du sous-sol » pour affiner leurs résultats.
Trois couches, du régolithe sur 12 mètres
Quoi qu’il en soit, les premiers résultats sont publiés et les scientifiques affirment avoir obtenu une « image » jusqu’à 40 mètres sous la surface du sol lunaire, soit trois fois plus profondément que Chang’e 3. Les données du rover ont ainsi permis d’identifier trois couches :
- 1ère couche : jusqu’à 12 mètres environ de profondeur
- 2e couche : de 12 à 24 mètres environ de profondeur
- 3e couche : de 24 à 40 mètres environ de profondeur
La première couche semble assez uniforme, elle est « très transparente aux ondes radio » et elle correspond au régolithe, dont la surface de la Lune est recouverte. Le CNES vulgarise en expliquant qu’il s’agit d’une « poudre compacte où les particules restent imbriquées les unes dans les autres ». Pour la petite histoire, c’est d’ailleurs cette composition qui explique que la surface de la Lune conserve aussi bien « la forme des semelles des astronautes ». L’absence d’air – et donc de vent – explique la préservation des traces dans le temps (et qu’il ne s’agit pas d’un complot).
La seconde couche est bien plus irrégulière, avec un mélange de zones « complexes » où les ondes rebondissent et d’autres, plus uniformes. Pour les scientifiques, cette seconde couche est donc remplie de « gros rochers entrecoupés par de fines couches de matériaux fins », que l’on retrouve dans le schéma ci-dessous.
La Lune serait la conséquence d’une « jeune galaxie agitée »
Tous ces éléments laissent penser que cette accumulation est « probablement la conséquence d'une jeune galaxie agitée, lorsque des météores et d'autres débris spatiaux sont fréquemment venus frapper la Lune. Le site d'impact éjectait de la matière vers d'autres zones, créant ainsi une surface cratérisée au-dessus d'un sous-sol avec différentes couches », expliquent les scientifiques.
Par contre, les mesures indiquent « un contexte géologique totalement différent pour les deux sites d'atterrissage » de Chang’e 3 (dans la Mer des Pluies) et Chang’e 4 (dans le cratère Von Kármán) ajoutent les scientifiques, impossible donc de généraliser cette analyse à l’ensemble de la Lune.
« Ces travaux montrent qu’une utilisation plus large du LPR pourrait grandement nous aider à améliorer notre compréhension de l’histoire des impacts et de l’activité volcanique de la Lune [certaines éruptions dateraient de moins de 100 millions d’années, ndlr], et apporter un nouvel éclairage sur l’évolution géologique de la face cachée de la Lune », lâchent enfin les scientifiques en guise de conclusion.
Chang’e 5 cette année, Chang’e 6 avec le CNES dans 3/4 ans
Yutu-2 continue son bonhomme de chemin et ses mesures, d’autres publications devraient donc arriver. La Chine a également de grandes ambitions pour son programme lunaire, qui retrouve des couleurs après le succès du lancement de la nouvelle fusée Long March-5.
Elle doit emporter Chang’e 5 cette année, dont l’atterrisseur est plus gros que Chang‘e 4, avec un retour d’échantillons en plus à la clé. En 2023/2024, se sera au tour de Chang’e 6 avec des expériences françaises (en partenariat avec le CNES) à son bord.
Commentaires (21)
(et qu’il ne s’agist pas d’un complot).
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Suit déçu, pas de nazi à éclater.
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Il y a un peu plus d‘un an, la Chine posait en douceur un atterrisseur sur la face cachée de la Lune, une première mondiale. Avant toute chose, sachez que cette « face cachée » – au contraire de la face visible – n’a rien de fantasmagorique. Comme la période de rotation de la Lune est égale à sa période de révolution, elle tourne sur elle-même à la même « vitesse » qu’elle tourne autour de Terre… on ne voit ainsi que la même partie de notre satellite.
c’est ce qu’on appelle la rotation synchrone, c’est une sorte de blocage, d’ancrage gravitationnel, c’est lié aux forces de marées. C’est très commun dans le système solaire entre les lunes et leur planète.
La face cachée aussi ensoleillée que la face visible ? Est-ce qu’elle ne le serait pas encore plus vu qu’elle ne se prend pas (ou très peu) d’éclipses solaires à cause de la terre ?
Le CNES vulgarise en expliquant qu’il s’agit d’une « poudre compacte où les particules restent imbriquées les unes dans les autres ».
Et qui est tellement fine qu’elle rentre partout, bloquant les articulations et filtres, et pouvant même aller jusque dans les poumons des astronautes.
et qu’il s’agira d’un problème majeur en terme d’habitabilité même avec des modules car leur simple présence dans des sas de décompression posera problème.
Heureusement, l’Hélium-3 est là pour motiver tout le monde vu les perspectives de faire de la fusion contrôlée “facile” sans se taper les contraintes classiques nécessitant un bouclier magnétique stable dans le temps, qu’on ne maîtrise toujours pas.
D’ici là, Iter aura peut-être été construit pour rien, n’ayant plus besoin de “descendants”.
Allez je me lance, ça sera fait.
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“Sur la face cachée de la Lune”
Quand c’est une demi Lune, on peut parler de “sourire du plombier” aussi.
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J’avoue que cette partie n’est pas mon fort, merci pour la rectification.
Pampers, en Anglais dans le texte.
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ca a peut etre été expliqué qq part, mais si cette face n’est jamais observable depuis la terre, comment communique-t-on avec le petit robot?
Je n’ai pas cherché l’info mais un satellite autour de la lune pourrait faire office de relais, via l’atterrisseur.
Après recherche, c’est bien ça :https://en.wikipedia.org/wiki/Chang%27e_4#Relay_satellite
Les chinois ont envoyé en satellit QUEQUIO en orbite autour de la lune au mois de mai
https://www.planetary.org/blogs/guest-blogs/2018/20180615-queqiao-orbit-explaine…
Un jour mon voisin polytechnicien et astrophysicien m’avait expliqué le point de Lagrange et son utilité
j’avais pas tout compris, mais le pure malt de la soirée étant excellent j’avais retenu quelques trucs
https://en.wikipedia.org/wiki/Halo_orbit
Sans compter le problème du couple des moteurs oui.