Reconnaissance faciale : « la nécessaire conciliation entre sécurité et libertés »
Tribune du député Philippe Latombe
Le 16 avril 2020 à 08h54
5 min
Droit
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En février, le tribunal administratif de Marseille annulait la mise en place d’un système de reconnaissance faciale à l’entrée de deux lycées, l’un à Marseille l’autre à Nice. Philippe Latombe (MoDem), député de Vendée et membre de la commission des lois, publie dans nos colonnes cette tribune sur le thème de la reconnaissance faciale (M.R.).
Les juges du tribunal administratif de Marseille se sont opposés à la mise en oeuvre de la reconnaissance faciale dans deux lycées. Cette initiative, présentée comme une expérimentation pionnière par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, était contestée par plusieurs associations, dont la Quadrature du Net, spécialisée dans la défense des libertés individuelles face aux nouvelles technologies.
Les juges ont considéré que de tels traitements biométriques étaient disproportionnés face aux finalités poursuivies, et que la région n'avait pas démontré « l'intérêt public » d’un dispositif qui ne fait que remplacer le contrôle classique par badge. Par ailleurs, selon le jugement, les élèves, se trouvant dans une relation d'autorité vis-à-vis du lycée, ne peuvent donner « de manière libre et éclairée » leur consentement à la collecte de leurs données personnelles.
Cette décision, qui pourrait passer pour anecdotique, puisque portant sur une expérimentation très localisée, démontre qu’en la matière il n’est pas possible de faire tout et n’importe quoi, que le terme d’ « expérimentation » n’autorise pas à se lancer sans filet de protection juridique.
Elle souligne aussi le rôle incontournable du juge quant au respect des libertés individuelles dans le cadre du Net, une piqûre de rappel forte de sens, notamment dans le contexte actuel chahuté de la proposition de loi contre les contenus haineux.
Où positionner le curseur entre sécurité et libertés ?
La reconnaissance faciale constitue en effet un sujet fortement sensible et complexe, parce qu’elle soulève des enjeux économiques, sécuritaires et de libertés individuelles, jamais faciles à faire converger.
Les entreprises françaises de ce segment bénéficient d’une avance technologique non négligeable qu’elles souhaitent en toute logique monétiser rapidement. La Chine que l’on sait peu regardante des libertés publiques leur a permis d’expérimenter leurs produits in vivo. Il s’agit maintenant pour elles de se positionner rapidement sur un marché mondial prometteur et, bien sûr, en France.
Le contexte sécuritaire ambiant conforte leurs espoirs. Bien marketée, au sein d’une population fortement traumatisée par le risque terroriste, la reconnaissance faciale apparaît au premier regard comme un outil particulièrement attractif. Une objection cependant, et de taille, les pays démocratiques qui l’ont déjà expérimentée la jugent encore trop peu fiable. Si elle fonctionne si bien en Chine, c’est qu’elle est couplée à d’autres moyens biométriques intrusifs qui permettent une identification efficace à tous les coups (que seul le port du masque anti-coronavirus a pu contrarier…).
Au Brésil, où le champ libre a été laissé aux acteurs publics et privés, les associations et la société civile peinent à faire entendre leur voix pour obtenir du pouvoir en place qu’il instaure enfin un cadre juridique contraignant à l’utilisation de la reconnaissance faciale, dont l’usage en cours contrevient déjà à la législation existante.
On comprendra aisément que ce sujet puisse allumer des clignotants d’alerte chez les défenseurs des libertés, qui y voient le bélier derrière lequel pourraient s’engouffrer d’autres atteintes aux libertés fondamentales, dans la recherche d’une efficacité optimale. Et c’est là que se trouve la problématique majeure : où positionner le curseur entre sécurité et libertés ?
La France doit se doter d’un ministère à part entière du numérique
Dans notre pays, nul ne soupçonne l’État de vouloir instaurer un dispositif de reconnaissance faciale aussi intrusif que celui de la Chine, certes, mais en laisser le leadership à huis clos au seul ministère de l’Intérieur serait perçu comme un mauvais signal dans une société sourcilleuse sur ses libertés.
Il est d’ailleurs temps que la France se dote d’un ministère à part entière du numérique, doté de compétences transversales et dépositaire des libertés numériques. L’Europe, consciente de l’importance des enjeux numériques, a nommé une commissaire dédiée, « l’ultra puissante » Margrethe Vestager, comme la qualifie le journal Le Monde. Tout un symbole.
Avant d’aller plus avant sur le terrain de la reconnaissance faciale, le champ des expérimentations doit être clairement défini, l’agenda affiché et un débat public parallèle lancé rapidement, afin de savoir jusqu’où nos concitoyens accepteraient d’aller dans la réduction de leurs libertés.
Il peut être envisagé de recourir à cette technologie lors d’événements exceptionnels, comme les Jeux olympiques, mais cette approche sécuritaire doit rester proportionnée, ne doit revêtir aucun caractère systématique et ne doit être prise qu’avec l’accord des parties prenantes, si l’on ne veut pas courir le risque de recours contentieux continuels ou de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel, comme la région PACA vient de l’être par le tribunal administratif...
Le 16 avril 2020 à 08h54
Reconnaissance faciale : « la nécessaire conciliation entre sécurité et libertés »
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Où positionner le curseur entre sécurité et libertés ?
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La France doit se doter d’un ministère à part entière du numérique
Commentaires (17)
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Abonnez-vousLe 16/04/2020 à 10h04
#1
On ne peut avoir les deux en même temps.
Le 16/04/2020 à 10h15
#2
L’exemple du Brésil est très parlant, il montre bien qu’il est impératif de sécuriser le cadre juridique de ces “expérimentations” avant qu’elles ne soient en place. Après, c’est trop tard.
Dans notre pays, nul ne soupçonne l’État de vouloir instaurer un
dispositif de reconnaissance faciale aussi intrusif que celui de la
Chine
Source ? " /> Car c’est faux " />
Le 16/04/2020 à 10h29
#3
La reconnaissance faciale (…..) soulève des enjeux économiques, sécuritaires et de libertés individuelles, jamais faciles à faire converger.
Ho le gros lapsus. Le sens des priorités chez LREM/Modem… Economie, sécurité, liberté, le tirecé gagnant." />
Le 16/04/2020 à 10h45
#4
Game of Thrones S01E05
Le 16/04/2020 à 11h08
#5
Il peut être envisagé de recourir à cette technologie lors d’événements exceptionnels, comme les Jeux olympiques
Hier la coupe du monde de rugby (?), aujourd’hui les JO, ça commence à bien faire…
Il faut d’urgence que les (télé)spectateurs du sport de compétition (puisque c’est bien d’eux qu’il s’agit), ainsi que les sponsors de ces manifestations évidemment, prennent conscience de la responsabilité qu’ils auront en faisant passer leur plaisir/passion et leur business avant les libertés individuelles de toute la population.
Le 16/04/2020 à 11h12
#6
« Cette décision, qui pourrait passer pour anecdotique, puisque portant sur une expérimentation très localisée, démontre qu’en la matière il n’est pas possible de faire tout et n’importe quoi, que le terme d’ « expérimentation » n’autorise pas à se lancer sans filet de protection juridique.»
En parlant d’expérimentation en matière de sécurité, je pense subitement à la tragique scène du film Robocop de Paul Verhoeven (en 1987)
 https://www.youtube.com/watch?v=TstteJ1eIZg
Je suis d’accord sur un point : en matière de #SafeCities notre Société marche sur des œufs.
Le 16/04/2020 à 11h44
#7
Ou comment essayer de justifier l’injustifiable: allez relire vos cours d’histoire sur la Gestapo ou la STASI ! " />
Le 16/04/2020 à 13h30
#8
Necessaire ? NON
Le 16/04/2020 à 13h55
#9
Faut savoir. Ca marche ou pas ? Même Mahjoubi dit dans son rapport que cela n’est pas démontré même en Chine… C’est dire
Le 16/04/2020 à 13h58
#10
Le 17/04/2020 à 05h46
#11
On s’en fout pas un peu de la reconnaissance faciale?
Maintenant on pourra porter des masques " />
D’ailleurs ça rentre pas en contradiction avec la loi disant que l’on ne doit pas cacher son visage?
Le 17/04/2020 à 06h03
#12
Le 17/04/2020 à 06h20
#13
Pour faire peur et te rappeler que l’état veille à ce que tu ne sortes pas des clous : oui.
La technologie a aussi beaucoup évoluée, avec par exemple l’utilisation de l’infrarouge pour limiter l’usage de leurres.
Le 17/04/2020 à 14h25
#14
Le cas du besoin médical fait partie des exceptions à cette loi il me semble.
Le 17/04/2020 à 18h46
#15
Le 18/04/2020 à 15h07
#16
Ils sont impuissants contre la météo: cache-nez + bonnet + lunette de soleil " />
Le 18/04/2020 à 18h07
#17
en infrarouges, ça doit être moins gênant.