MEV-2 : le remorqueur spatial s’amarre à un satellite encore en service, à 36 000 km d’altitude
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Le 13 avril 2021 à 10h04
6 min
Sciences et espace
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La seconde Mission Extension Vehicle (MEV-2) de Northrop Grumman vient de « capturer » un satellite qui était alors en service sur une orbite géostationnaire. Une opération délicate, réalisée sans coupure de service. La société se prépare désormais à passer à ses Mission Robotic Vehicle et Mission Extension Pods.
Il y a un peu plus d’un an, la société américaine Northrop Grumman réalisait (via sa filiale SpaceLogistics) le tout premier amarrage à plus de 36 000 km d’altitude. La rencontre s’était déroulée entre son premier Mission Extension Vehicle (MEV) et le satellite IS-901 d’Intelsat qui avait cessé ses opérations.
Hier, l'entreprise récidivait avec MEV-2. Si le principe est identique, les enjeux techniques étaient bien plus importants. Le remorqueur de l’espace s’est amarré au satellite IS-10-02, appartenant encore une fois à Intelsat. Le but reste d'étendre la durée de la mission de quelques années.
Avec MEV-2, on entre dans un « autre niveau de complexité »
MEV-2 a décollé le 15 août 2020 à bord d’une fusée Ariane 5. Il s’agissait d’un lancement partagé, comprenant trois engins avec les satellites de télécommunications japonais BSat-4B et américain G-30 en plus comme compagnons de voyage. Cela fait donc maintenant près de huit mois que MEV-2 était dans l’espace.
Proches sur le papier, les deux missions MEV-1 et MEV-2 diffèrent sur un « détail » très important : le satellite IS-10-02 dont il est question aujourd’hui n’était pas sur une orbite « cimetière » comme c’était le cas avec IS-901. IS-10-02 était sur son orbite géostationnaire de travail, au milieu d’autres satellites eux aussi encore en fonctionnement.
Techniquement, l’opération n’était pas plus compliquée explique un responsable de Northrop Grumman, mais la société a fait preuve d’une prudence bien plus grande lors de la phase d’approche. Le moindre faux pas sur cette orbite géostationnaire largement utilisée aurait pu provoquer une collision puis une réaction en chaine qui aurait pu multiplier les débris spatiaux. Une collision sur une orbite cimetière n’aurait pas eu les mêmes conséquences.
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Jean-Luc Froeliger, vice-président d’Intelsat en charge du programme Space Systems Engineering and Operations rappelle que, du point de vue de ses clients, l’enjeu est différent mais tout aussi important. Lors de cette manœuvre, le satellite fonctionnait ; il ne fallait donc pas causer d’interruption de service : « L'arrimage sur un satellite transportant du trafic en direct est d’un autre niveau de complexité », comme l’indique Satellite Today.
Conséquence : une « dégradation mineure des performances »
L’opération ne fut d’ailleurs pas sans conséquence : « une dégradation mineure des performances de radiofréquence (RF) du satellite a été observée, mais aucun des clients d'IS-10-02, y compris le principal utilisateur Telenor Satellite, n'a subi de perturbation ». Jean-Luc Froeliger n’entre pas davantage dans les détails.
De son côté, le satellite IS-10-02 a décollé en juin 2004 à bord d’une fusée Proton-M depuis le cosmodrome de Baikonur. Il pèse 5 576 kg et mesure 7,5 x 2,9 x 2,4 mètres. Il est donc en service depuis 17 ans (arrosant aussi bien l’Europe, l’Amérique du Sud, l’Afrique et le Moyen-Orient) dépassant allégrement sa durée nominale de 13 ans, mais il continuait de donner entière satisfaction à son propriétaire et ses utilisateurs.
Problème, il arrivait à court de carburant. Faute de station-service dans l’espace, et plutôt que le placer sur une orbite cimetière, MEV-2 vient lui porter assistance. IS-10-02 n’est pas équipé d’un système d’attache ou de guidage permettant à MEV-2 de se fixer dessus. Les ingénieurs de Northrop Grumman utilisent à la place la tuyère du moteur d'apogée, qui fait donc office de « cible » (voir la fin de la vidéo ci-dessous). Ce dernier permet aux satellites de rejoindre leur orbite de fonctionnement, tout particulièrement lorsqu’il faut aller jusqu’à 36 000 km d’altitude.
Cinq ans de rab pour IS-10-02
Maintenant que les deux satellites sont accrochés l’un à l’autre, MEV-2 doit permettre de prolonger la durée de vie d’IS-10-02 de cinq ans. Aucun transfert d’énergie ne se fait entre les deux engins, la société américaine compare simplement son MEV-2 à « un jetpack » pour satellite. Il est ensuite prévu que MEV-2 se sépare de son satellite pour aller mener à bien une autre mission du même genre.
La potentielle prochaine cible n’est pas précisée pour l’instant. Tom Wilson, vice-président de Northrop Grumman et président de SpaceLogistics, voulait d’abord prouver que son système fonctionnait… et les potentiels clients attendaient certainement une démonstration avant de signer des contrats.
Northrop Grumman peut se réjouir d’avoir réalisé deux amarrages à 36 000 km en deux tentatives. Ce deuxième succès « ouvre la voie à la seconde génération de satellites de maintenance et de robotique, offrant flexibilité et résilience aux opérateurs de satellites commerciaux et gouvernementaux, ce qui pourrait ouvrir la porte à des missions entièrement nouvelles ».
Les Mission Robotic Vehicle et Extension Pods en approche
Northrop Grumman ne compte en effet pas s’arrêter là et travaille sur une nouvelle famille d’engins : les Mission Robotic Vehicle (MRV). Il ne s’agit plus simplement d’un remorqueur cette fois-ci, mais d’un genre de mini-garagiste de l’espace capable de réaliser des opérations de maintenance, d’assemblage et d’inspection sur un satellite. Ce système rappelle d’une certaine manière les possibilités du bras robotique des navettes spatiales américaines.
L’entreprise prépare aussi des Mission Extension Pods (MEPs) qui « proposeront des services essentiels afin de prolonger la vie des satellites vieillissants ». Ils seront installés sur les satellites via les MRV, mais nous n’avons pas de détail supplémentaire pour le moment. Chaque MRV pourrait installer cinq à six MEPs sur des satellites, capables à chaque fois de prolonger la durée de vie de son hôte de six ans. Les premiers lancements sont prévus pour 2024.
Northrop Grumman réfléchit aussi à des systèmes permettant de retirer des débris en orbite et à des assistances pour des satellites sur des orbites basses. D’autres projets du genre sont également en cours chez des concurrents, nous en parlions d’ailleurs récemment à travers deux de nos articles :
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Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 13/04/2021 à 11h34
Super intéressant, merci pour l’article.
Le 13/04/2021 à 11h47
Félicitations, cela ouvre une nouvelle ère.
Le 13/04/2021 à 12h01
C’est ArianeEspace qui va faire la moue avec ce genre de choses…
Moins de satellites géo à lancer, car durée de vie largement augmentée !
Sinon le mode d’arrimage est un peu bourrin. Pour quoi pas, la tuyère du moteur d’apogée est pile dans l’axe de la poussée, solide et ne servira plus à l’avenir.
Le 13/04/2021 à 18h56
Vu ce que Arianespace lance en ce moment…
On est mi avril et, à Kourou, il n’y a pas eu un seul lancement en 2021.
Le 13/04/2021 à 13h06
C’est vachement classe ^^ Franchement une super invention !
Tu en met 4 à 6 dans une fusée et tu ouvre un SAV spatial
Le 13/04/2021 à 14h45
” Il est ensuite prévu que MEV-2 se sépare de son satellite pour aller mener à bien une autre mission du même genre.”
Mais alors, le premier satellite, il garde son orbite ou il est poussé vers le cimetière???
Le 13/04/2021 à 16h46
Le but de tout ça est de “remonter” le satellite sur la bonne orbite. Remonter, ça veut dire augmenter la vitesse pour revenir sur la bonne orbite.
Quand c’est fait, le satellite “remorqueur” peut ralentir/accélérer pour rejoindre un autre satellite dans une autre “case” => sur les géo, tu as des cases, pour chaque satellite. Ils sont tous alignés les uns à coté des autres sur l’équateur.
Le 16/04/2021 à 13h24
OK. (merci.)
Donc il faudra obligatoirement une autre intervention quand le satellite remorqué sera vraiment HS.
Le 13/04/2021 à 18h53
Plus qu’à normaliser un port d’amarrage avec échange de carburant et obliger tout le monde à l’utiliser à l’avenir et on aura moins de déchets.