La Hadopi menacée devant la justice européenne
Riposte graduée
Le 06 juillet 2021 à 09h47
5 min
Droit
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De moins en moins bruyante, la Hadopi n’en poursuit pas moins son activité phare : la riposte graduée. Des questions dites « préjudicielles » viennent d’être adressées à la Cour de justice de l’Union européenne. Selon leur sens, elle pourrait fendre les rouages de l’autorité indépendante née dans la douleur en 2009.
Hadopi est toujours en vie et l’envoi des lettres d’avertissements se poursuit. L’institution est désormais en passe d’être fusionnée avec le CSA au sein d’une nouvelle autorité, l’ARCOM. Tel est l’enjeu d’un projet de loi actuellement au Parlement.
Depuis sa naissance elle a adressé 12,7 millions d’avertissements, selon les derniers chiffres officiels datant de 2019. Un mail, puis une lettre recommandée avant une éventuelle transmission des dossiers au parquet et au-delà une possible sanction infligée par un tribunal ou plutôt des mesures alternatives aux poursuites...
Voilà les rouages de la riposte graduée qui, rappelons-le, s’en prend non au contrefacteur, mais à l’abonné qui aura persisté, malgré plusieurs avertissements, à mal sécuriser son accès afin de prévenir des mises à disposition d’œuvres sur les réseaux P2P sans autorisation.
On l’imagine aisément : ce dispositif ne fonctionne que si des ingrédients de base sont présents sur la table : des ayants droit qui viennent chaluter les réseaux P2P pour repérer des adresses IP associées à des mises à disposition illicites, des adresses horodatées transmises à la Hadopi ensuite transférées aux fournisseurs d’accès aux fins d’identification (identité, adresse postale, adresse électronique et coordonnées téléphoniques de l'abonné) pour permettre enfin l’envoi des avertissements. Soit un magnifique traitement automatisé de données à caractère personnel lui-même orchestré par un décret du 5 mars 2010.
C’est ce décret que La Quadrature du Net, French Data Network, Franciliens.net et la Fédération des fournisseurs d'accès à internet associatifs ont attaqué. Plus exactement, les associations ont demandé au gouvernement d’abroger cette disposition administrative, la considérant peu dans les clous du droit européen sur l’accès et la conservation des données de connexion. Et elles ont ensuite attaqué le refus implicite de l’exécutif d’y toucher devant le Conseil d’État.
Hadopi passe l’épreuve de l’obligation de conservation, mais...
Les reproches adressés à ce traitement de données baptisé « Système de gestion des mesures pour la protection des oeuvres sur internet » sont nombreux. À dire vrai, tous n’ont pas fructifié devant la juridiction administrative.
Citant l’arrêt du 6 octobre 2020 « La Quadrature du Net et autres » de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État a d’abord estimé qu’une conservation des données relatives à l'identité civile des abonnés était en elle-même conforme au droit européen, même s’agissant de la recherche, de détection et de poursuite des infractions pénales en général, sous entendu des infractions non aussi graves que le terrorisme ou la pédopornographie.
Seulement, la même juridiction n’a su trancher une problématique liée non à la conservation, mais au contrôle préalable du recueil de ces données chez les intermédiaires.
...Un contrôle préalable et tout s'écroule
Alors que la Hadopi a adressé 12,7 millions d’avertissements depuis sa naissance jusqu’en 2019, on imagine sans mal les conséquences d’un contrôle préalable : une telle vérification risquerait « de rendre impossible la mise en oeuvre des recommandations », anticipe-t-il sans mal dans son arrêt rendu le 5 juillet.
Juridiquement, la réponse à cette question dépend finalement du statut associé aux données d’identité civile correspondant à une adresse IP, soit le pétrole du moteur de la riposte graduée.
Alors que les associations requérantes avaient plaidé en faveur de l’annulation du régime français, le Conseil d’État a préféré adresser une série de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne. Une manière feutrée de sauver le soldat Hadopi.
Pour sa première question, il veut donc savoir si ces données sont bien au nombre de celles relatives au trafic ou de localisation. Et pour cause, le cas échéant, leur conservation serait en principe soumise à l'obligation de contrôle préalable « par une juridiction ou une entité administrative indépendante dotée d'un pouvoir contraignant », dixit la CJUE.
Le régime s’écroulerait ainsi comme un château de cartes, puisqu’il engagerait la mise en place de millions de contrôles chaque année. Comment faire du coup ? Dans une deuxième question très opportune, le Conseil d’État suggère de maintenir le régime en vigueur en France, du moins si la CJUE partage son analyse quant à la faible sensibilité de ces données.
Dans le cas contraire, il veut savoir si la CJUE se satisferait malgré tout d’un système de contrôle, au hasard très automatisé, mené par la Hadopi sur ces données.
Les réponses apportées par la Cour de justice de l’Union européenne sont attendues dans un ou deux ans. D’ici là, la Hadopi devrait être fusionnée avec le CSA, mais la riposte graduée maintenue, puisque le projet de loi actuellement en débat ne touche pas à un cheveu à ce régime.
La Hadopi menacée devant la justice européenne
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Hadopi passe l’épreuve de l’obligation de conservation, mais...
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...Un contrôle préalable et tout s'écroule
Commentaires (16)
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Abonnez-vousLe 06/07/2021 à 11h47
La même chose pour le racket organisé par les SASEM et Cie ?
Le 06/07/2021 à 11h55
La même conclusion, oui : déboutage en règle de LQDN et ses potes qui ne semblent toujours pas avoir compris que les lois avaient changé et qu’ils n’auront jamais gain de cause. Il y a trop d’intérêts et de pognon en jeu pour qu’ils acceptent de se laisser retirer leur jouet comme ça.
Au pire, si jamais (mais c’est tellement improbable…) la CJUE dit stop à Hadopi, ils n’auront qu’à faire comme ils font avec la ponction de la RCP auprès des professionnels : ignorer superbement toute décision et condamnation à ce sujet. Comme toujours, et pour toujours…
Le 06/07/2021 à 13h11
Est-ce que cela pourrait aussi invalider toutes les procédures au tribunal, et annuler les avertissements envoyées par millions ?
Le 06/07/2021 à 13h18
ignorer superbement toute décision et condamnation à ce sujet. Comme toujours…
la ‘France’ ayant un poids (financier), surtout depuis le départ de la ‘GB.’ !
Le 06/07/2021 à 15h08
La France est le deuxième contributeur au budget de l’UE derrière l’Allemagne
avec 28,8 milliards d’euros versés en 2021
. Un montant qui représente 18 % des contributions des Etats membres.
(5 mars 2021)
https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/la-france-et-le-budget-europeen/
Le 06/07/2021 à 17h15
C’est à dire “que les lois avaient changé” ? parce que généralement, LQDN, Benjamin Bayart & Co’ sont quand même des gens très actif sur le droit, comme le redac’ chef de NI, se sont des p’tits yeux qui écument légifrance et EURLEX jusqu’a 3h du mat’.
:)
Le 06/07/2021 à 18h49
Je vais reformuler : de manière générale, et dans ce pays rance en particulier, les lois, c’est pour ceux qui ne les font pas. Ceux qui les font et leurs copains avec qui ils ont grandi ensemble, de même que ceux qui sont censés les faire appliquer, ne sauraient y être soumis, même si certains vieux textes poussiéreux prétendent le contraire (textes écrits de manière à ce que leurs auteurs et leurs semblables n’aient rien à en craindre, sinon ils n’auraient jamais été écrits).
Voilà pourquoi tu peux avoir toutes les lois que tu veux pour toi, tu vois bien que tu te feras toujours débouter au nom des intérêts et du pognon en jeu (oui, je me répète, mais c’est bien une affaire de fric qui est au cœur de tout ça). Et quand bien même, tu obtiendrais accidentellement gain de cause (un juge mal réveillé qui trancherait en faveur de LQDN), en face, ils continueront leurs magouilles comme si de rien n’était, car ils auront d’autres copains qui te diront que finalement, si, ce sont eux qui ont raison, la décision de ce juge ayant été déclarée illico nulle, non avenue et de nul effet, fermez le ban.
Rien, rien ne compromettra l’existence de Hadopi. Ni maintenant, ni jamais. Et surtout pas un petit juge à la noix qui veut faire son intéressant, fût-il de la CJUE.
Le 06/07/2021 à 19h05
Bah, je suis plutôt d’accords avec toi, mais bon entre rien foutre et attendre que ça passe ( plus ), je trouve l’initiative louable, et rien est immuable, on le vois bien avec les politiques actuelle.
Je trouve ta réaction fataliste, bien que je ne peux te contredire dans les faits. (Cf collecte des IP etc … )
Ca y est, en fait, je deviens fataliste xD
Le 06/07/2021 à 20h04
C’est moi où l’utilisation de ce terme me gène ? C’est en effet un élément de langage de l’on trouve essentiellement du côté des rouges-bruns, une sorte de clin d’œil entre eux. C’est d’autant plus étrange que les régimes/gouvernement qui leur servent de modèle sont parmi les plus corrompus au monde.
Si l’usage de cet adjectif est involontaire, désolé. Sinon, j’aurais hélas vu juste.
Cela n’enlève rien à la critique que l’on peut faire sur la sacem and co, mais l’usage d’un vocabulaire venant de certains courants de pensée les renforce alors qu’ils feraient pire.
Le 07/07/2021 à 06h14
Si ça coûtait pas autant, j’aurais rien contre la HADOPI qui est là à la place d’un système vraiment efficace, donc on est relativement tranquille (parce que bon, l’offre légal, j’ai déjà dû télécharger un épisode alors que j’avais un abonnement parce que les serveurs ne suivent plus).
Si au moins elle pouvait aussi sanctionner les ayants-droits car l’une de ses missions est quand même de leur demander une explication quand une offre est introuvable légalement et que tu es obligé de pirater (tu veux payer légalement tu ne peux même pas…).
J’ai essayé une fois le “signaler une œuvre introuvable” sur la HADOPI, “on va mener une enquête” puis plus rien donc j’ai lâché l’affaire (mais je recommence à avoir du temps, je vais peut être les spams en boucle )
Le 07/07/2021 à 08h06
Je ne savais pas que “rance” était ainsi connoté.
Pour moi, rance est simplement un jeu de mot avec la “france” , pour insister sur le coté déliquescent et corrompu des hautes institutions.
Chose que l’on peu dénoncer sans pour autant être taxé de collusion , voire de soutient, à d’autres gouvernements tout autant défecteux.
L’habitude de détourner le langage et de prêter des intentions aux mots , c’est une technique qui a toujours été utilisé par tous les partis et tous les groupes, mais ça ne veux pas dire qu’il faut y plonger tête baisser.
“Mal nommer un objet c’est ajouter au malheur de ce monde, car le mensonge est justement la grande misère humaine” - Camus
Le 07/07/2021 à 09h30
J’ai fini par le devenir en voyant que les mêmes causes finissaient invariablement par donner les mêmes effets, et qu’il n’y a donc aucune raison raisonnable de penser que ça devrait changer, que ce soit dans un avenir proche ou lointain.
Mais crois-moi, je suis le premier à le déplorer profondément.
Oui, alors non…
↑↑↑ Voilà. ↑↑↑
Si ça peut te rassurer, Patrick : dans mon cas personnel (parce que je ne suis affilié avec personne, et encarté dans aucun parti), c’est parce que je ne peux plus honnêtement appeler ce pays « France » depuis l’instauration de l’état d’urgence en 2015 et la floppée de lois de flicage liberticides qui a suivi (et qui n’ont jamais été abrogées depuis).
Parce que pour moi, la France, c’est pas juste un nom de pays, c’est aussi un certain nombre de valeurs humanistes. La France, c’est 1789, c’est la France Libre (« Vichy est et demeure nul et non avenu »), c’est 1905, c’est la démocratie et les Droits de l’Homme (au sens « être humain », pas juste « mec »). C’est pas du tout cet État rongé chaque jour un peu plus par une extrême-droitisation rampante mais de plus en plus forte de l’ensemble de la société et de la classe politico-médiatique (la preuve avec les « rouge-bruns » que tu cites ; je hais l’extrême-droite du cœur de ma moelle épinière jusqu’au bout de mes ongles, et je tiens l’ensemble de ses partisans pour co-responsables et complices de tous les crimes commis par cette dernière depuis ses origines, Shoah incluse : les ennemis de l’humanité ne seront jamais mes amis), où la police peut aller jusqu’à se permettre de faire le siège devant les domiciles de juges, ministres, voire l’Assemblée nationale elle-même. Ça, pour moi, ça peut pas être la France, c’est pas mon pays et je refuse de le reconnaître comme tel. D’où le renommage en « pays rance », avec effectivement un jeu de mots pour qu’on sache quand même de quoi je veux parler.
Et le problème n’est pas les institutions en soi, mais la mentalité générale de ceux qui en sont à la tête depuis déjà bien trop longtemps. Ces gens-là n’agissent pas pour le bien et le bonheur de tous les humains mais seulement le leur et celui de leurs copains, et ça, ça me dérange.
Le 07/07/2021 à 09h44
This 👇🏼👇🏼👇🏼
J’ai exactement la même vision que toi sur ce qu’est devenu la France. L’extrême-droite qui a libre antenne partout, qui dicte sa politique (les lois ‘sécurité globale”, “principe républicain, et j’en passe), ce n’est pas ma France. Le cassage délibéré des services publics, de l’école républicaine, du contrat social, non plus.
Le 08/07/2021 à 16h32
+1
Le 08/07/2021 à 19h22
C’est un truc qu’on voit ressurgir un peu partout en Europe et dans d’autres pays du monde… Et ca me fait vraiment peur. J’ai l’impression qu’on est à nouveau dans les années 1920 :/
Le 12/07/2021 à 07h38
ce qui me fait, vraiment, peur :
c’est ce risque de ‘dérapage’, à chaque fois on est sur.le.fil.rouge
que ce soit :
etc…
un jour il y-aura un ‘Général’, un peu trop zélé, et le jeu des alliances entre Pays faisant, hop…on sera entrainés dans une Guerre qu’on N’aura las voulue !
(il est là le risque) !!!!!