Extension du domaine du fichage (policier) génétique

Extension du domaine du fichage (policier) génétique

La taca-taca-taca-tac-tactique génétique

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Extension du domaine du fichage (policier) génétique

En réponse à sa condamnation par la CEDH, la France baisse les durées de conservation de son fichier génétique. A contrario, elle élargit le cadre des recherches « en parentèle » aux frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces. Un « changement d'échelle significatif concernant des personnes à l'encontre desquelles ne pèse aucune suspicion », déplore la CNIL.

Fin septembre, nous révélions que près de 10 % de la population française de plus de 20 ans était dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG). En incluant les personnes indirectement identifiables (pères, mères, enfants) via les recherches « en parentèle », cela représente plus du tiers de la population française.

Nous y rappelions que 75 % des personnes y sont comme simples « mises en causes », et figurent toujours comme « suspectes », même si elles n'ont jamais depuis été condamnées pour ce qui leur avait alors valu d'être fichées. 

FNAEG

Les durées de conservation des données peuvent aller de 25 à 40 ans, sans vraiment prendre en considération la gravité des infractions. Ce qui avait entraîné en 2017 la Cour européenne des droits de l'homme à condamner la France pour le régime actuel de conservation des profils ADN, faisant écho à des critiques formulées par le Conseil constitutionnel de... 2010. Le projet de décret censé remédier à ces problèmes était d'autant plus attendu que, saisie par le ministère de l'Intérieur d'une demande d'avis, la CNIL avait délibéré à ce sujet le 7 janvier 2021.

Fin octobre, paraissait enfin au Journal officiel ce décret « modifiant le code de procédure pénale et relatif au fichier national automatisé des empreintes génétiques et au service central de préservation des prélèvements biologiques ». Sa notice explicative est plutôt laconique : 

« Il précise les finalités du FNAEG, les catégories de données pouvant être enregistrées ainsi que les mises en relation avec d'autres traitements. Il tire également les conséquences de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour européenne des droits de l'homme en modulant les durées de conservation des données en fonction notamment de la nature des infractions concernées et en prévoyant un dispositif d'effacement anticipé des données inscrites dans le traitement pour les personnes condamnées. »

Son analyse fut cela dit particulièrement ardue : d’un, la délibération de la CNIL ne se réfère qu'au seul projet de décret. De deux, ce projet n'a pas été rendu public. Et de trois, le décret publié au JO ne précise pas ce qu'il a retenu de l'avis de la CNIL, ou écarté. Nous avions d'ailleurs récemment déploré cette absence de lisibilité, qui ne peut que nuire au débat démocratique ainsi qu'à la crédibilité de nos institutions, faute de transparence sur ce qu'elles font, ou non, et ce à quoi elles servent, ou pas. 

Depuis la refonte de la loi informatique et libertés en 2004, les avis de la CNIL ne sont plus, en effet, que « consultatifs », et les journalistes qui tentent de comprendre en quelle mesure ils sont pris en considération par le gouvernement doivent apprendre à lire entre les lignes pour espérer pouvoir se le figurer... ou pas.

Il est ainsi extrêmement rare de pouvoir lire des articles et analyses comparant les préconisations de la CNIL aux décisions finales du gouvernement. Ce que nous avons donc tenté de faire avec le FNAEG, en comparant ce que préconisait la CNIL dans son avis avec ce qu'a finalement publié le gouvernement dans son décret.

Mais en étant dans l'impossibilité de pouvoir le vérifier à l’aide des seuls documents publiés, faute d'accès immédiat au projet initial de décret, ou d'explication gouvernementale.

Un fichier d'une ampleur très conséquente 

La Commission commençait par souligner que le FNAEG « constitue un traitement susceptible d'être considéré, par nature et en raison notamment des données qu'il contient, comme plus attentatoire aux libertés individuelles que d'autres traitements de police judiciaire ».

Elle relevait en outre que « les mutations successives relatives au périmètre du FNAEG, ainsi que certaines de ses conditions de mise en œuvre, ont conduit à en faire un fichier d'une ampleur très conséquente ».

Initialement conçu pour faciliter l'identification des violeurs multi-récidivistes, il a en effet depuis été élargi à la quasi-totalité des personnes « mises en causes » parce que suspectées d'avoir pu commettre la majeure partie des crimes et délits. La CNIL appelait « particulièrement l'attention » du Gouvernement et du législateur sur la technique de la « recherche en parentèle » qui permet, en l'état du droit et de la science, d'identifier les ascendants ou descendants au premier degré, à savoir les pères, mères, et enfants des personnes fichées, quand bien même ils « n'ont pas nécessairement vocation à y figurer ».

Mais qui permet donc au FNAEG de pouvoir potentiellement identifier plus d'un tiers de la population française :

« Cette extension de la portée du fichier accroit l'atteinte portée à la vie privée des personnes qui sont ainsi identifiables. La Commission estime que le recours à cette pratique, couplée à des données en outre particulièrement sensibles, doit faire l'objet d'un strict contrôle de proportionnalité. »

Elle soulignait en outre que « d'autres dispositions du projet de décret, qui modifient substantiellement le FNAEG, suscitent d'importantes réserves ». Elles portent plus particulièrement sur :

  • l'extension significative du périmètre des proches d'une personne disparue dont les données peuvent être enregistrées dans le fichier ;
  • l'inquiétude quant à l'utilisation de ces données pour des recherches en parentèle ainsi que les modalités de comparaison de ces empreintes au sein du FNAEG ;
  • la création d'un nouvel identifiant commun à plusieurs fichiers de police.

Pourquoi la France avait été condamnée

« Les dispositions relatives à la durée de conservation des données sont modifiées de manière substantielle, notamment afin de prendre en compte la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel formulée dans sa décision du 16 septembre 2010 », indiquait la CNIL :

« En se prononçant sur les dispositions législatives relatives au FNAEG, le Conseil a en effet considéré "[qu']il appartient au pouvoir réglementaire de proportionner la durée de conservation de ces données personnelles, compte tenu de l'objet du fichier, à la nature ou à la gravité des infractions concernées tout en adaptant ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs" ».

En 2017, la CEDH avait au surplus condamné la France, et jugé le FNAEG attentatoire à la vie privée, pour avoir condamné un syndicaliste ayant refusé d'y être fiché pendant 40 ans au motif qu'il aurait donné des coups de parapluie à des gendarmes. Elle déplorait en outre qu'« aucune différenciation n’est actuellement prévue en fonction de la nature et de la gravité de l’infraction commise ».

Par contamination, la condamnation pénale de ce manifestant avait été considérée comme une « atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée [qui] ne peut passer pour nécessaire dans une société démocratique ». La France avait été condamnée à verser 3 000 euros pour indemniser le dommage moral et 3 000 autres euros pour les frais et dépenses.

De quarante ans à vingt-cinq ans, sauf exceptions

Le décret publié au JO prévoit ainsi des durées de conservation spécifiques aux données relatives aux personnes mineures, la liste des infractions les plus graves qui entraînent une augmentation des durées de conservation, et de nouvelles modalités d'effacement anticipé en cas de « suite favorable » aux intéressés.

En premier lieu, et ce dont se félicitait la CNIL, le texte diminue la durée de conservation de principe des traces biologiques, la faisant passer de quarante ans à vingt-cinq ans.

Néanmoins, et dans le cadre d'une enquête relative à une des infractions considérées comme les plus graves (crimes et délits de violences volontaires, agressions sexuelles, trafics de stupéfiants, mise en péril de mineurs, vol et extorsion, mouvement insurrectionnel, fausse monnaie, etc.), il sera possible, comme cela est le cas actuellement, de conserver ces données quarante ans : 

FNAEG 40 ans

La CNIL relevait cependant que « certaines des catégories d'infractions recouvrent des actions d'une gravité variable. Il en va ainsi notamment du vol et des dégradations ou menace de dégradation de biens. Pour ce type d'infraction, s'agissant des faits les moins graves, une durée de 25 ans pourrait s'avérer disproportionnée ». Une proposition non suivie par le gouvernement.

Les durées de conservation des données relatives aux « personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis une infraction, ainsi qu'aux personnes déclarées coupables ou irresponsables », sont elles aussi réduites, et ne seront, par principe, conservées respectivement quinze et vingt-cinq ans lorsque la personne est majeure, dix et quinze ans pour les mineurs.

A contrario, si elles ont été suspectées ou condamnées pour l'une des infractions considérées comme « graves », la durée de conservation passe de dix à quinze, de quinze à vingt-cinq et de vingt-cinq à quarante ans.

40 ans pour les personnes non identifiées ou disparues

En second lieu, les données relatives aux cadavres non identifiés et aux personnes disparues recueillies dans le cadre d'une procédure judiciaire ou extra-judiciaire seront elles aussi conservées pendant quarante ans. Cette durée de conservation, « bien que particulièrement longue », semblait elle aussi « pertinente au regard des finalités pour lesquelles les données ont été collectées », aux yeux de la CNIL.

Elle soulignait en outre que les données relatives à leurs proches pourront être conservées pour une durée identique « mais que ces dernières pourront, à tout moment, solliciter l'effacement de leurs données ».

Les résultats des analyses d'identification par empreintes génétiques transmis par des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou des services de police étrangers ne pourront quant à eux être conservés au-delà de vingt-cinq ans à compter de la date d'enregistrement au fichier.

Enfin, la Commission estimait que « les nouvelles durées ainsi définies devront être appliquées au stock des données actuellement enregistrées dans le FNAEG », et prenait acte de l'engagement du ministère sur ce point.

Des modalités d'effacement des données facilitées

Les modalités d'effacement des données avant la fin de la durée de conservation ainsi qu'à la demande de la personne concernée sont elles aussi « substantiellement modifiées », notamment afin de prendre en compte la jurisprudence de la CEDH. Les traces biologiques issues des cadavres non identifiés devront ainsi être effacées « dès la réception d'un avis l'informant de l'identification définitive de la personne décédée ».

Celles issues ou susceptibles d'être issues d'une personne disparue, de victimes de catastrophes naturelles, et de leurs ascendants, descendants ou collatéraux, le seront également « dès la réception d'un avis l'informant de la découverte de la personne disparue ».

Les données seront tout autant effacées « avant l'expiration du délai » dès lors qu'il est établi que leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier, notamment lorsque la prescription de l'action publique est acquise lorsque la personne a été déclarée coupable, qu'elle a fait l'objet d'une décision d'irresponsabilité pénale, ou est mise en cause dans une procédure judiciaire en cas d'indices graves ou concordants.

Dans son avis, la CNIL avait invité le ministère à « préciser les critères d'appréciation de cette nécessité », et pris acte des précisions apportées par le même ministère selon lesquelles « ces critères pourront par exemple porter sur la résolution de l'affaire, l'identification de l'auteur, ou encore la perte du caractère infractionnel du fait en cause ». Les données relatives aux personnes suspectées seront de leur côté effacées « en cas de décision de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, dès réception de l'avis l'en informant ».

Ces avis devront en outre être transmis par le procureur général, le procureur de la République, le service enquêteur ou l'autorité judiciaire compétente « dans les délais les plus brefs à compter de la date d'acquisition du caractère définitif de cette décision [ou] de survenance de l'évènement justifiant l'effacement ».

On notera que c'est à la demande expresse de la CNIL que les données des personnes ayant fait l'objet de décisions de relaxe ou d'acquittement devenue définitives seront d'office effacées.

Le projet de décret avait en effet prévu que cet effacement se fasse « sur demande de l'intéressé », ce qui avait fait réagir l'autorité :

« Si la Commission estime que cela permet d'écarter le risque de stigmatisation de personnes n'ayant pas été reconnues coupables d'une infraction, comme relevé à plusieurs reprises par la CEDH, elle rappelle néanmoins que, cet effacement est de droit, et ne doit pas être conditionné à la demande de l'intéressé, conformément aux dispositions de l'article 706-54-1 du CPP. »

À la demande de l'intéressé, sauf si...

En cas de décision de non-lieu et de classement sans suite pour absence d'infraction, insuffisance de charges ou auteur inconnu, les empreintes seront effacées à la demande de l'intéressé, « sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien [...] pour des raisons liées à la finalité du fichier, au regard de la nature ou des circonstances de commission de l'infraction ou de la personnalité de la personne concernée ».

Pour autant, le procureur de la République ne peut s'opposer à la demande d'effacement lorsque la prescription de l'action publique est acquise. A contrario, les demandes ne pourront être adressées que plusieurs années après que les données aient été entrées dans le fichiers :

« A peine d'irrecevabilité, la demande d'effacement ne peut être adressée qu'à l'issue d'un délai de trois ans quand le délai de conservation est de quinze ans, de sept ans quand ce délai est de vingt-cinq ans et de dix ans quand ce délai est de quarante ans. Ces délais courent à compter de la date d'acquisition du caractère définitif de la décision de culpabilité ou de la décision d'irresponsabilité pénale. »

De plus, et « en cas de refus opposé à une demande d'effacement, aucune nouvelle demande ne peut être formée avant l'expiration d'un délai d'un an à compter du caractère définitif de la décision de refus ».

Le magistrat compétent devra en tout état de cause faire connaître sa décision à l'intéressé, par lettre recommandée, dans un délai de trois mois à compter de la réception de la demande :

« A défaut de réponse dans ce délai, ou si le magistrat n'ordonne pas l'effacement, l'intéressé peut exercer un recours devant le président de la chambre de l'instruction dans un délai de dix jours par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par déclaration au greffe. A peine d'irrecevabilité, ce recours doit être motivé. »

Le président de la chambre de l'instruction disposera alors d'un délai de trois mois pour statuer « par une ordonnance motivée », qui ne pourra elle-même faire l'objet d'un pourvoi en cassation « que si elle ne satisfait pas, en la forme, aux conditions essentielles de son existence légale. »

Extension du domaine des recherches en parentèles

Comme indiqué, une autre évolution notable du fichier porte sur les recherches « en parentèle ». Ces dernières reposent sur le prélèvement d'échantillons biologiques, « avec leur accord » des seuls « ascendants et descendants d'une personne disparue, dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction pour recherche des causes d'une disparition inquiétante ou suspecte », ainsi que de celles de « victimes de catastrophes naturelles ou de personnes disparues faisant l'objet de recherches (...) et dont la mort est supposée ».

En l'état de l'avancée des technologies, l'identification d'une personne n'est en effet possible qu'à partir de l'empreinte génétique de ses père, mère ou enfants, parce qu'« apparentés en ligne directe ».

Introduite en 2012, ce nouveau mode d'analyse biologique, et d'exploitation du FNAEG, avait permis d'identifier l'ADN du père de l'un des agresseurs présumés d'Élodie Kulick, qui avait été violée et tuée en 2002.

Pour autant, le nouveau décret étend désormais ces prélèvements, toujours « avec leur accord », et « en cas d'impossibilité ou de refus de prélèvement d'échantillons biologiques sur la mère ou sur le père biologique », aux « collatéraux aux deuxième et troisième degrés de la personne disparue », au sens de l'article 743 du code civil, à savoir ses frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces.

Une limitation de degrés rajoutée à la demande de la CNIL qui, découvrant que le projet de décret visait tous les « collatéraux » (pouvant donc aller au-delà des cousins germains au quatrième degré), avait « insisté » pour que le décret précise « les degrés de filiation concernés ».

La modification du décret serait « principalement motivée par la volonté d'anticiper d'éventuelles évolutions scientifiques, susceptibles d'offrir des potentialités d'identification plus larges », précisait le ministère de l'Intérieur en réponse à la CNIL.

La Commission avait initialement émis un avis « défavorable », mais le ministère lui objecta que, « notamment lorsque la personne disparue n'a ni ascendant, ni descendant, la collecte des empreintes des collatéraux est la seule qui puisse aider la recherche ou l'identification de la personne et peut fournir des indications utiles ».

« Dans ce contexte uniquement, la Commission estime que le décret pourrait en autoriser la collecte, dans cette seule hypothèse et pour des cas d'usage où une telle utilité est avérée », avait-elle alors répondu.

Une (nouvelle) comparaison avec l'ensemble du fichier

Le décret prévoit en outre que l'accord des parents, enfants, frères, soeurs, oncles, tantes, neveux et nièces des personnes disparues soit « recueilli par procès-verbal ». Et qu'elles y « précisent également, par une mention expresse à ce même procès-verbal, qu'elles autorisent la comparaison entre leur empreinte génétique et celles enregistrées ou susceptibles d'être enregistrées dans le fichier ».

Ces deux conditions requises, leurs empreintes pourront alors être comparées, non seulement avec l'ADN de quelqu'un qui pourrait s'avérer être un proche disparu, mais également, et tant qu'elles sont conservées dans le fichier, avec « les échantillons biologiques prélevés dans le cadre d'une enquête préliminaire, d'une enquête pour crime ou délit flagrant, ou d'une instruction préparatoire sur les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions » permettant leur inscription au FNAEG.

Or, et c'est une évolution majeure, la CNIL relevait à ce titre que, « pour les données relatives aux proches et collectées dans un cadre judiciaire, le ministère n'avait initialement, dans le projet transmis à la Commission, pas entendu exclure de cette comparaison les traces biologiques issues de personnes inconnues également recueillies dans un cadre judiciaire, permettant ainsi une comparaison avec l'ensemble du fichier » :

« Il en résulte qu'une personne qui a un jour consenti volontairement, dans un cadre judiciaire, à l'enregistrement de ses données aux fins de retrouver un proche puisse se retrouver mise en cause dans une affaire. En outre, par le moyen de la recherche en parentèle, l'empreinte du proche de la personne disparue peut conduire à orienter l'enquête, dans le cadre d'une procédure judiciaire, vers une autre personne de sa famille, distincte de la personne disparue et dont l'empreinte n'avait pas été relevée. »

Un changement d'échelle significatif

Si le ministère relevait que les dispositions en vigueur du code de procédure pénale (CPP) « ne s'opposent pas à cette possibilité », la CNIL soulignait néanmoins qu'elles « ne le permettent pas expressément ». Elle considérait dès lors que « le projet de décret introduit des modifications très significatives », et formulait trois observations :

« D'une part, ces modifications opèrent un changement d'échelle significatif du volume de données susceptibles d'être comparées au sein du FNAEG, concernant des personnes à l'encontre desquelles ne pèse aucune suspicion de commission d'une infraction.

D'autre part, la Commission relève que ces modalités de comparaison conduisent à étendre les finalités pour lesquelles les données relatives à ces personnes sont collectées, [...] et considère que la pertinence d'une telle utilisation, au-delà de l'identification des seules personnes disparues, n'est à ce stade pas démontrée. »

Enfin, la Commission estimait que « cette utilisation ultérieure des données est entièrement distincte de la finalité pour laquelle elles ont été collectées, et revient à créer, par destination, un fichier génétique permettant d'identifier une grande partie de la population ».

La CNIL demandait donc au ministère de « retirer du projet de décret le deuxième niveau de comparaison auquel peut consentir le proche d'une personne disparue lorsque son empreinte génétique est inscrite au FNAEG ».

En réponse aux observations de la Commission, le ministère s'était engagé à retirer « la possibilité de comparaison des empreintes génétiques des proches d'une personne disparue avec les traces biologiques issues de personnes inconnues relevées sur une scène d'infraction, mais à maintenir les comparaisons avec les empreintes des personnes suspectées ou condamnées ».

Le nouveau décret modifie de fait l'article R53-10 du CPP pour prévoir la possibilité de comparer les empreintes génétiques établies à partir des traces biologiques issues de personnes disparues ou de cadavres non identifiés avec celles des personnes suspectées, ayant fait l'objet d'une décision définitive d'irresponsabilité pénale ou définitivement déclarées coupables, « aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à cette personne inconnue ».

Il sera donc toujours possible, comme ce fut le cas dans l'affaire Kulick, d'identifier quelqu'un via une recherche en parentèle issue d'une trace inconnue prélevée sur une scène de crime, ainsi qu'à partir de l'empreinte de personnes disparues ou de cadavres inconnus, mais uniquement si l'ascendant a été fiché parce que suspecté, irresponsable ou condamné, pas si sa trace biologique a été retrouvée sur une scène d'infraction.

Les ascendants et descendants qui avaient donné leur accord avant l'entrée en vigueur du nouveau décret seront par ailleurs informés des modifications apportées au champ des comparaisons pouvant être réalisées à partir de leur empreinte génétique et du droit à l'effacement dont ils disposent.

De plus, les comparaisons résultant des modifications opérées « ne pourront être réalisées qu'à l'issue d'un délai de deux mois à compter de cette information ».

Des interconnexions du FNAEG

Le FNAEG ne pourra en outre faire l'objet d'« aucune interconnexion ni de rapprochement ou de mise en relation avec un autre traitement automatisé d'informations nominatives, à l'exception » :

  • du traitement mis en œuvre par le service central de préservation des prélèvements biologiques, du fichier Cassiopée (pour Chaine Applicative Supportant le Système d’Information Oriente Procédure pénale Et Enfants) des procédures judiciaires,
  • du dossier pénal numérique qui« vise à rassembler les données et informations collectées tout au long du processus judiciaire pénal et de mener à bien la mission d'intérêt public qu'est de rendre la justice »,
  • du traitement automatisé de traces et empreintes digitales et palmaires (FAED),
  • des logiciels de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN) et de la gendarmerie nationale (LRPGN)
  • de la passerelle internationale en matière d'ADN de l'organisation internationale de police criminelle Interpol.

Contrairement à ce que le ministère avait initialement indiqué à la CNIL, le FNAEG ne sera pas, par contre, interconnecté avec le traitement d'antécédents judiciaires (TAJ), le fichier des personnes recherchées (FPR) et le système d'information Schengen (SIS). Mais sans que l'on sache pourquoi.

Le ministère avait plaidé pour ces mises en relations, réalisées en majorité « de manière manuelle », afin de « permettre à l'autorité judiciaire de mettre à jour l'application FNAEG lorsque, suite à la demande d'une personne, elle autorise l'effacement des données » :

« Il a également été précisé que ces mises en relation s'inscrivent dans une démarche de simplification et de fiabilisation de la chaîne judiciaire et pénale et ne concernent, en tout état de cause, que des fichiers qui partagent une même finalité de police judiciaire et plus spécifiquement d'identification d'auteurs d'infractions ou de personnes (personnes disparues, cadavres non identifiés). »

Abandon d'une collecte qualifiée de « disproportionnée »

Le recours à un « numéro d'identification unique » a été abandonné. Il était censé à la fois « fiabiliser l'identité de la personne » par comparaison avec d'autres traitements, et permettre à l'autorité judiciaire de mettre à jour le FNAEG suite à une demande d'effacement.

Le décret ne précise pas si cet abandon fait suite à l'avis de la CNIL, qui avait plaidé pour de fortes garanties au regard des « risques importants » d’un tel identifiant unique.

La Commission estimait que « le ministère ne justifie pas de la proportionnalité de l'usage d'un tel identifiant », au point de s'interroger « fortement (...) sur l'utilité opérationnelle associée à la collecte de cette donnée » :

« A fortiori, [la CNIL] souligne que le ministère entend associer un tel numéro à des personnes définitivement déclarées coupables, à des personnes disparues, ou encore à leurs ascendants, descendants ou collatéraux sans que la nécessité d'y recourir, particulièrement à l'égard de ces personnes, soit démontrée.

La Commission estime par voie de conséquence que la collecte de ce numéro est disproportionnée au regard des finalités pour lesquelles les informations relatives à ces personnes sont traitées. »

Si l'autorité n'avait pas formellement demandé l'abandon de cet identifiant unique, elle n'en avait pas moins averti le ministère de l'Intérieur qu'il risquait d'ouvrir une boîte de Pandore dès lors que « de telles évolutions impliqueraient la modification des dispositions encadrant ces différents fichiers afin que cet identifiant figure dans les actes réglementant chacun d'eux » :

« Elle relève surtout que la collecte ainsi que l'usage qui est fait de cet identifiant, va bien au-delà de la réglementation du seul FNAEG, puisqu'il sera commun à l'ensemble des fichiers indiqués. »

La Commission estimait à cet égard qu'« une telle évolution, qui revêt des enjeux majeurs en matière de libertés publiques, ne saurait être appréhendée au travers de la seule modification des conditions de mise en œuvre du FNAEG mais doit, le cas échéant, s'inscrire dans une réflexion approfondie de manière à identifier précisément l'objectif poursuivi ainsi que les conséquences induites par une telle modification, sur l'ensemble des traitements concernés, mis en œuvre dans la sphère pénale ».

Le ministère a donc semble-t-il préféré ne pas ouvrir cette boîte de Pandore. Reste désormais à vérifier la mise en œuvre du nouveau décret, qu'il s'agisse des durées de conservation, des modalités d'effacement, des nouvelles recherches en parentèle des pères, mères, enfants, frères, sœurs, oncles, tantes, neveux et nièces des personnes mortes ou disparues, et donc aussi des demandes d'accord, recueillies par procès-verbal, de « comparaison entre leur empreinte génétique et celles enregistrées ou susceptibles d'être enregistrées dans le fichier ».

Commentaires (9)



« Il en résulte qu’une personne qui a un jour consenti volontairement, dans un cadre judiciaire, à l’enregistrement de ses données aux fins de retrouver un proche puisse se retrouver mise en cause dans une affaire. En outre, par le moyen de la recherche en parentèle, l’empreinte du proche de la personne disparue peut conduire à orienter l’enquête, dans le cadre d’une procédure judiciaire, vers une autre personne de sa famille, distincte de la personne disparue et dont l’empreinte n’avait pas été relevée. »




C’est juste dingue.




Le nouveau décret modifie de fait l’article R53-10 du CPP pour prévoir la possibilité de comparer leurs empreintes, sans leur accord, avec celles des personnes poursuivies ou définitivement déclarées coupables, « aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à cette personne inconnue ».




Avec non ? Ou j’ai mal interprété l’article cité.




Le FNAEG ne pourra en outre faire l’objet d’« aucune interconnexion ni de rapprochement ou de mise en relation avec un autre traitement automatisé d’informations nominatives, à l’exception » :




Avec 5 interconnexions officielles, et donc à la louche combien de personnes habilités ?



Merci de l’article bien détaillé. :chinois:


Pardon, de ce que je comprends, la formulation était effectivement erronée (faute de mode d’emploi et d’explication de texte, c’est très -très- compliqué), et j’ai donc reformulé (on ne peut pas, par définition, demander l’accord d’un mort ou d’une personne disparue ;o) :



Le nouveau décret modifie de fait l’article R53-10 du CPP pour prévoir la possibilité de comparer les empreintes génétiques établies à partir des traces biologiques issues de personnes disparues ou de cadavres non identifiés avec celles des personnes suspectées, ayant fait l’objet d’une décision définitive d’irresponsabilité pénale ou définitivement déclarées coupables, « aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à cette personne inconnue ».



Il sera donc toujours possible, comme ce fut le cas dans l’affaire Kulick, d’identifier quelqu’un via une recherche en parentèle issue d’une trace inconnue prélevée sur une scène de crime, ainsi qu’à partir de l’empreinte de personnes disparues ou de cadavres inconnus, mais uniquement si l’ascendant a été fiché parce que suspecté, irresponsable ou condamné, pas si sa trace biologique a été retrouvée sur une scène d’infraction.


manhack

Pardon, de ce que je comprends, la formulation était effectivement erronée (faute de mode d’emploi et d’explication de texte, c’est très -très- compliqué), et j’ai donc reformulé (on ne peut pas, par définition, demander l’accord d’un mort ou d’une personne disparue ;o) :



Le nouveau décret modifie de fait l’article R53-10 du CPP pour prévoir la possibilité de comparer les empreintes génétiques établies à partir des traces biologiques issues de personnes disparues ou de cadavres non identifiés avec celles des personnes suspectées, ayant fait l’objet d’une décision définitive d’irresponsabilité pénale ou définitivement déclarées coupables, « aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à cette personne inconnue ».



Il sera donc toujours possible, comme ce fut le cas dans l’affaire Kulick, d’identifier quelqu’un via une recherche en parentèle issue d’une trace inconnue prélevée sur une scène de crime, ainsi qu’à partir de l’empreinte de personnes disparues ou de cadavres inconnus, mais uniquement si l’ascendant a été fiché parce que suspecté, irresponsable ou condamné, pas si sa trace biologique a été retrouvée sur une scène d’infraction.


Merci pour ces précisions.



manhack a dit:


Pardon, de ce que je comprends, la formulation était effectivement erronée (faute de mode d’emploi et d’explication de texte, c’est très -très- compliqué), et j’ai donc reformulé (on ne peut pas, par définition, demander l’accord d’un mort ou d’une personne disparue ;o) :



(…)de comparer les empreintes génétiques établies à partir des traces biologiques issues de personnes disparues ou de cadavres non identifiés (…) pas si sa trace biologique a été retrouvée sur une scène d’infraction.




Traces de lutte sur scène de dispararition = délit-crime
Cadavre manifestement victime d’un meurtre = crime



Infraction c’est assez large, par définition.



D’où la finalité




« aux fins de recherche de personnes pouvant être apparentées en ligne directe à cette personne inconnue ».




J’imagine…


Quel pays merveilleux que celui dans lequel nous vivons. La couardise des politiques, associée a la toute puissance de la Police, voila le beau resultat. Et tout cela mis en place par des gouvernements successifs, qui t’expliquent que l’extreme droite c’est le danger …les mecs ont fait bien pire tout en étant élus au nom du barrage a l’extreme droite… lol ils sont forts


Oui, enfin quand on regarde les différents pays dans l’UE, il y a laaaargement pire et ce sans aller plus loin. On est loin de la dictature ou régime autoritaire,etc.. Il y a du recul à prendre, sinon on aurait même pas eu cet article car tout aurait été validé pcq osef la cnil.


Heu non, la différence entre l’extrême droite au pouvoir et un gouvernement républicain c’est que le gouvernement républicain n’utilise ces données que pour surveiller (et éventuellement décomposer là où l’extrême droite l’utilise pour maltraiter ou éliminer une catégorie de population dans son entier.



Nous ne sommes pas en démocratie autoritaire, nous sommes en France et ce pays a toujours été gouverné ainsi depuis le génocide fondateur de la commune de Paris.



C’est une question de méthodes de maintien en place d’un état dans un système non fédéral avec une population nombreuse, pb d’échelle de gouvernance…


je n’ai pas parlé de dictature.. Nous sommes plutot dans ce que certains qualifient de “démocratie autoritaire”. N’oublions pas que la Police a tout pouvoir dans ce pays, impunité incluse. Que ce soit pire ailleurs en vrai je m’en branle total, c’est ici que je vis..


Je trouve un peu naïf de présenter l’extrême droite comme étant le pire, puisque ces gens n’ont jamais été en mesure de gouverner, qui plus est sans programme ni vision, (ils ne sont qu’un instrument , un épouvantail a agiter au deuxième tour des élections) alors que “en même temps” les gouvernements successifs depuis au moins 30 ans ont mis en place la surveillance généralisée de la population, et donné l’impunité aux services de répression en tout genre. (le dossier des décrocheurs de portrait de Macron dans les mairies était suivi par l’Anti Terrorisme…rien que ça… idem pour les opposants au site de stockage de déchet radioactif de Bure)



Nous ne sommes pas en démocratie autoritaire, nous sommes en France ” heuuu.. l’un n’empêche pas l’autre



Quand a la regrettée Commune de Paris..tout mon respect mais je ne vois pas le rapport direct… a part étaler ta connaissance de l’histoire


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