Le butin de l'aide à la création en 2020

Le butin de l’aide à la création en 2020

Camion de butins

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Le butin de l'aide à la création en 2020

Depuis 2017, la plateforme AidesCreation.org retrace les flux payés avec les 25 % de la copie privée. Financement des petits festivals ou des chanteurs sans beaucoup de moyens... Mais aussi en 2020, ces 400 000 euros attribués pour les deux derniers disques de Johnny, parmi de nombreux postes arrosés.

Sur 100 euros de redevance copie privée collectée sur les supports importés ou fabriqués en France, 75 euros sont redistribués aux titulaires de droits. 25 euros servent à financer les festivals et autres manifestations culturelles, outre des actions de lobbying, des frais d’avocats ou les actions menées en amont d’Hadopi (voir l’article R321-6 du Code de la propriété intellectuelle). À chaque fois minorés des frais de gestion.

Sur les 273 millions d’euros perçus pour l’année 2020 (où près de 300 millions furent collectés) ces 25 % correspondent donc à près de 55 millions d’euros. Sur les dix dernières années, la calculette s’emballe. 2,592 milliards d’euros collectés et donc 648 millions utilisées par les sociétés de gestion collective pour financer ces actions, plutôt que de les verser directement aux titulaires de droits.

L’instrument est donc précieux pour le soutien aux festivals, mais aussi pour nourrir les liens d’influence avec les élus, bien contents de voir cet argent frais abonder les manifestations dans leur circonscription. Sans compter les autres actions de lobbying, à Bruxelles en particulier, lorsque des textes importants débouchent dans le ciel européen.

Les flux des 25 % sont retracés dans des rapports d’affectation que les sociétés de gestion collective comme la SACEM, l’ADAMI, la SPEDIDAM, la SACD, etc. remettent chaque année au ministère de la Culture. En 2013, notre procédure CADA pour obtenir communication de ces rapports fut aussi épique que kafkaïenne. Et pour cause, nous découvrions alors que ces documents n’étaient disponibles qu’en version papier !

Cette procédure avait même ému Aurélie Filippetti, alors ministre de la Culture, au point que, dans l’avant-projet de loi Création, était prévue une disposition spécialement taillée pour imposer l’open data de ces montants.

Le départ de celle qui est aujourd’hui enseignante à Sciences Po et l’arrivée de Fleur Pellerin Rue de Valois eurent raison temporairement de cette volonté de transparence. L’article avait certes disparu du projet de loi déposé au Parlement, mais grâce à la persévérance du député Marcel Rogemont, il réapparaissait en septembre 2015 dans un amendement finalement adopté. Quelques semaines plus tôt, le député PS avait d’ailleurs mentionné notre procédure CADA dans son rapport sur les 30 ans de la copie privée

Depuis 2017, la plateforme AidesCreation.org retrace chaque année l’ensemble des affectations réalisées à partir des 25 % de la copie privée. À partir de 2020, cette transparence des flux a pris néanmoins un peu de plomb dans l’aile, mais les montants restent vertigineux. 

Une plateforme semi-transparente

En mars 2020, le gouvernement a publié une ordonnance autorisant les sociétés de gestion collective à puiser dans ce quart, des sommes destinées à aider ceux qui « se trouvent gravement affectés en raison de la crise sanitaire ». Cette mesure ouvrait donc un nouveau poste budgétaire pouvant être arrosé par les 25 %. L’idée était née d’un échange sur Twitter entre Pascal Rogard, le directeur général de la SACD, et le juriste Cédric Manara. 

La mesure devait s’arrêter au 31 décembre 2020, selon cette ordonnance. À quelques jours du terme, un nouveau texte a étendu ce régime jusqu’au 31 décembre 2021.  Avec une précision importante : « les noms des bénéficiaires des aides financières (…) ne [seront] pas inscrits dans la base de données électronique » AidesCreation.org.

Le récent projet de loi sur la vigilance sanitaire, tout juste adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale, a reconduit une nouvelle fois ce dispositif et son opacité jusqu’au 31 juillet 2022.

Pour justifier cette non-transparence, l’étude d’impact associée à ce projet de loi explique que « certains organismes de gestion collective ont (…) souhaité que les noms des bénéficiaires d’aides, ainsi que les montants, ne figurent pas dans cette base publique afin de ne pas faire apparaître publiquement leurs difficultés financières ».

Des enveloppes globales au titre de l’aide individuelle

Sur AidesCreation.org, seules les enveloppes générales versées au titre de l’aide individuelle sont donc mentionnées. Dans le haut de la liste, l’ADAMI a ainsi versé 1,150 million d’euros pour l’ « aide aux artistes pour perte d’activité ». C’est le montant le plus élevé des 7 889 entrées répertoriées en 2020. L’ADAGP a, quant à elle, attribué 630 000 euros là encore au titre des mesures d’urgence COVID.

copie privée 2020

Mais entre ces deux montants, d’autres postes ont été concernés par ces 25 %, sans rapport avec la crise sanitaire. Ainsi ces 1,015 million d’euros versés par le syndicat des majors de la musique (SCPP) pour le Fonds pour la Création Musicale, « un organisme interprofessionnel créé en 1984 par les six sociétés de gestion collective de droits d'auteur et de droits voisins représentant les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes (ADAMI, SPEDIDAM, SACEM, SACD, SCPP et SPPF) » dixit cette réponse parlementaire. La SACEM a contribué à hauteur de près de 950 000 euros à ce même fonds, auxquels s’ajoutent les 766 000 euros issus de l’ADAMI.

960 000 euros. Voilà encore la contribution 2020 de la SCPP au SNEP, syndicat des principaux producteurs de musique et membre de la puissante IFPI, la Fédération internationale de l’industrie phonographique. Un syndicat qui « détermine la politique de la profession en matière de lutte contre la piraterie en liaison avec la SCPP, et agit en justice pour protéger les intérêts généraux de ses membres », « produit les statistiques et analyses des ventes et écoutes en streaming de la musique enregistrée en France », ou encore « représente la profession auprès des pouvoirs publics, des médias et au sein des instances professionnelles de la filière musicale et plus largement, des industries culturelles ».

Le Bureau Export, qui « a pour mission d’accompagner la filière musicale française dans le développement de ses artistes à l’international » a perçu la bagatelle de 568 000 euros de la SACEM.

La SACD a versé à l’association SACD-Beaumarchais près de 520 000 euros, pour le « soutien à des auteurs sous forme d'aides individuelles à la création, la traduction, à la résidence et des aides à la production et à l'édition en découlant ».

Relevons aussi, dans ce haut du panier, ces 241 000 euros versés par la SACEM… à la SACEM pour des « actions de pédagogie sur le droit d'auteur : ouvrages, Mooc, contenus pédagogiques à destination des scolaires », afin de faire découvrir les beautés du secteur aux plus jeunes. C’est, à quelques euros près, presque autant que la somme versée par la même SACEM aux concerts des Restos du Cœur.

Il n’est d’ailleurs pas rare que les organismes de gestion collective se versent à eux-mêmes des montants parfois rondelets. La SACEM a versé à la SACEM en tout et pour tout plus d’un million d’euros en 2020.

copie privée sacem

Oh merci, si tu savais

Par le jeu des droits de tirage, les producteurs ont bénéficié de nombreux soutiens des sociétés de gestion collective. Ces aides sont en effet réparties au prorata des droits générés par leurs répertoires. En somme, plus un disque a du succès, plus il est abondé. Champagne pour les poids lourds. Verre d’eau pour les artistes du métro.

Universal Music France a reçu de la SCPP 257 126 euros pour le CD de Woodkid. De la même société civile, elle a perçu 216 859 euros pour « Johnny Symphonique 2 ». Le chanteur décédé est un bon client. Warner a ainsi encaissé 181 742 euros pour son dernier album chez ce producteur, 46 051 pour le clip « Deux sortes d’hommes ». Bien loin des 2 300 euros attribués à Exaequo Production pour le clip du groupe Johnny Mafia.

La même SCPP a offert d’ailleurs 172 541 euros à Warner Music France pour une autre artiste de renom, Aya Nakamura, auxquels s’ajoutent 60 652 euros pour son clip « Doudou », 59 755 euros pour la vidéo de « Jolie Nana », et 57 675 euros pour un troisième vidéoclip, « Plus Jamais ». Total ? 350 000 euros.

Cette concentration n’est pas étonnante ni nouvelle. En 2019, la Cour des comptes relevait que « les trois principaux bénéficiaires des aides distribuées par la SCPP par le biais de son système de droit de tirage – Universal Music France, Sony Music France et Warner Music France – recevaient à ce titre plus de 90 % des aides versées aux dix principaux bénéficiaires ». 

cd copie privée

Lutte contre le piratage

La lutte contre le piratage récupère aussi une part du butin des 25 %. L’ALPA, association de lutte contre la piraterie audiovisuelle, a touché de la SACEM 22 000 euros l’an passé.

Un versement à harmoniser avec d’autres remarques de la Cour des comptes qui, dans le même rapport, relevait que « les actions de défense, de promotion et d’information visées par l’article R. 321 - 6 du CPI sont les actions directement engagées par elle à ce titre et excluent les subventions accordées à d’autres structures y compris lorsque l’objet social vise à la défense et à la promotion des créateurs ».

La même ALPA a profité de 15 000 euros venus de l’ADAMI. L’ARP a ajouté 10 000 euros à la cagnotte, au titre du « soutien au financement de l'association pour son activité de lobbying et de défense de la diversité culturelle ». Toujours dans le tiroir de la lutte antipiratage, la SACEM a engagé 101 095 euros pour l’« aide à la défense du droit d'auteur - Lutte contre la piraterie ». Un intitulé peu bavard. Elle a en tout cas versé 27 600 euros à LeakID, société spécialisée dans la surveillance et la protection des œuvres, notamment par leur désindexation dans les moteurs.

La SCPP a signé un chèque de 146 400 euros pour des « actions de lutte contre la piraterie musicale » et des « consultations », sans plus de détail là encore. On peut y additionner 120 000 euros pour le poste « surveillance et tracking ».

Trident Media Guard, la société qui ratisse les réseaux P2P en amont d’Hadopi afin d’y flasher les adresses IP, s’est d’ailleurs vu attribuer officiellement 160 000 euros de la SACEM, toujours au titre de « l’Aide à la défense du droit d’auteur ».

Lobby, le hobby

Sur le terrain de la guerre d’influence, signalons, outre les 10 000 euros versés à l’ALPA, ces 8 000 euros offerts à Eurocinéma par l’ARP « pour son activité de lobbying et de défense de la diversité culturelle ». Et ces 3 000 autres euros versés par le même organisme au Festival de Richmond, organisé aux États-Unis.

Parfois les montants sont bien plus élevés comme ces « actions de sensibilisation et de pédagogie sur le droit d'auteur » qui ont contraint la SACEM à donner à la SACEM 172 439 euros ou ces 147 000 euros attribués au Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs. L’affaire est dans le SNAC ?

La généreuse SACEM a donné 122 038 euros à la Revue Internationale du Droit d’Auteur, la fameuse RIDA présidée par David El Sayegh, devenu directeur général adjoint de la SACEM. Merci la copie privée. 

Le CISAC ou Confédération internationale des sociétés d’auteur et compositeurs a eu la joie de recevoir 392 930 euros de la SACEM. Une organisation très active lors des débats autour de la directive sur le droit d’auteur et qui compte la SACEM parmi ses membres

Son proche cousin, le Groupement européen des Sociétés d’Auteurs Compositeurs a perçu de la même société près de 140 000 euros en 2020. Un GESAC présidé par Jean-Noël Tronc, qui était alors président… de la SACEM.

Raquette et trous 

Notons que les chiffres diffusés par AidesCreation.org ne sont pas complets. On ne dispose ainsi pas des données de la SPEDIDAM, organisme de gestion collective des droits de propriété intellectuelle des artistes-interprètes. 

Ces informations sont pourtant bien répertoriées dans son « rapport de transparence », mais pas dans le même format (PDF), ce qui rend difficiles les comparaisons et autres exploitations automatisées. 

Même constat pour la SPPF, société qui représente les producteurs indépendants de musique et présidée par Pascal Nègre. On doit donc se contenter de son rapport annuel, présenté dans le même format inexploitable. 

Commentaires (13)


:mad:



Economie circulaire ou arrosage généralisé ?



Le récent projet de loi sur la vigilance sanitaire, tout juste adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale, a reconduit une nouvelle fois ce dispositif et son opacité jusqu’au 31 juillet 2022.
Pour justifier cette non-transparence, l’étude d’impact associée à ce projet de loi explique que « certains organismes de gestion collective ont (…) souhaité que les noms des bénéficiaires d’aides, ainsi que les montants, ne figurent pas dans cette base publique afin de ne pas faire apparaître publiquement leurs difficultés financières ».




Quoi, que, comment ?



ça n’a pas l’air d’être hyper transparent à la base, mais en plus ils en rajoutent une couche sur fond de “crise sanitaire” (les crises ont vraiment bon dos de manière générale :D).



Mais du coup … ça ne doit pas apparaître sur une base publique, j’imagine que ça reste une information communicable au publique ?


oui, je vais tenter une cada, au moins pour avoir les flux anonymisés.


Tranquille , pas étonnant de leur part.


Powpowpow, ce sous titre ! :incline:
‘tite larmichette quand même


C’est dommage qu’aucun politicien averti n’ait demandé que les données soient simplement anonymisées et non pas globalisées afin de garantir l’anonymat de la personne aidée. Cela n’empêchera pas la possible manipulation, mais cela sera un léger plus pour des statistiques, rapports plus pertinents.


2,592 milliards d’euros collectés et donc 648 millions utilisées par
les sociétés de gestion collective pour financer ces actions, plutôt
que de les verser directement aux titulaires de droits.



j’ai du mal à suivre, là !
où…est passée la différence ?



≠ frais de fonctionnements :francais: :eeek2: :langue:



vizir67 a dit:


2,592 milliards d’euros collectés et donc 648 millions utilisées par les sociétés de gestion collective pour financer ces actions, plutôt que de les verser directement aux titulaires de droits.



j’ai du mal à suivre, là ! où…est passée la différence ?



≠ frais de fonctionnements :francais: :eeek2: :langue:




Je parlais là des 25%.
La différence (les 75%) sont versés aux titulaires de droit selon une clef de répartition qui dépend des casquettes (artistes, producteurs, etc.)



Relire : https://www.nextinpact.com/article/30201/108870-la-redevance-copie-privee-vache-a-lait-industries-culturelles ;)


ah…ok !
(merci) :smack:


Merci pour ces infos très éclairantes, heureusement que vous êtes tenaces. C’est assez écœurant, surtout ce manque de transparence.
Je comprends de moins en moins la justification de cette taxe, vu que le streaming se popularise. M’enfin, ils peuvent nous taxer, alors pourquoi se priver :-(


Merci de continuer inlassablement à alerter sur ce sujet. Certains y voient de l’acharnement, mais vous êtes les seuls à le faire. Toute cette redistribution de la redevance copie privée est devenu clairement un système mafieux. Il faudra beaucoup de courage et d’efforts pour le faire disparaître, et les politiques qui s’y essaient ne sont pas légion, c’est le moins que l’on puisse dire .
Je me pose la question de tant de complaisance: certains estiment-ils que l’on ponctionne les industriels fabricants, quasiment tous étrangers, pour financer une industrie culturelle française, en considérant que la copie privée n’est répercutée que partiellement sur le prix payé par le consommateur ?


Un camion de l’économie circulaire ayant une certaine force centrifuge il est de bon air de compenser la force centripète sans se fatiguer les demi-lunes. :ouioui:



MarcRees a dit:


oui, je vais tenter une cada, au moins pour avoir les flux anonymisés.




Faut pas perdre l’entraînement (ne le leur faire perdre) en effet :D



Plus sérieusement, ça se justifie totalement de toute façon.


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