Assange : la justice britannique rouvre la possibilité d’une extradition
De « prétendus droits humains »
Le 10 décembre 2021 à 14h37
8 min
Droit
Droit
Un juge britannique, ami de longue date de celui qui avait fait arrêter Julian Assange dans l'ambassade d'Équateur, invalide le refus d'extradition du fondateur de WikiLeak. Nils Melzer, rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, évoque un piège tendu par les justices britannique et américaine.
La Haute-Cour de Londres a annulé, vendredi 10 décembre en appel, le refus d'extrader le fondateur de Wikileaks Julian Assange vers les États-Unis.
Les hauts magistrats britanniques reviennent ainsi sur la décision initiale de la juge Vanessa Baraitser, qui il y a près d'un an s'était opposée à la remise aux autorités américaines de l'Australien âgé de 50 ans, invoquant le risque de suicide du fondateur de WikiLeaks, rappelle l'AFP.
La cour ayant « autorisé l'appel » formé par les États-Unis, la justice britannique devra de nouveau statuer sur la demande d'extradition.
Le jugement est motivé par le fait que les États-Unis ont apporté plusieurs « garanties » en :
- excluant la possibilité que M. Assange fasse l'objet de « mesures administratives spéciales » ou soit détenu dans l'établissement « ADX » (une prison de sécurité maximale à Florence, Colorado, États-Unis), que ce soit avant le procès ou après une condamnation, à moins qu'il ne commette un acte futur qui le rende passible de telles conditions de détention ;
- s'engageant à ce que les États-Unis consentent à ce que M. Assange, s'il est condamné, soit transféré en Australie pour y purger sa peine ;
- s'engageant à ce que, pendant sa détention aux États-Unis, M. Assange reçoive le traitement clinique et psychologique approprié recommandé par un clinicien qualifié de la prison où il est détenu.
Dans un communiqué, WikiLeaks note que Julian Assange n'a pas été autorisé à assister en personne à l'audience d'appel. Il rappelle en outre que de nombreux défenseurs des droits humains et syndicats de journalistes, dont Amnesty International, Reporters sans frontières, ACLU, Human Rights Watch et la Fédération internationale des journalistes, ont qualifié les accusations portées contre Julian Assange de « menace pour la liberté de la presse dans le monde », demandant au ministère de la Justice de Biden d'abandonner les poursuites contre le fondateur de WikLeaks.
« Nous ferons appel de cette décision le plus tôt possible », a déclaré Stella Moris, la fiancée de Julian Assange. Elle a qualifié la décision de la Haute Cour de « dangereuse et malavisée » et de « grave erreur judiciaire » :
« Comment peut-il être juste, comment est-il possible d'extrader Julian vers le pays même qui a comploté pour le tuer ? »
Peut-on croire aux assurances des États-Unis ?
Le journaliste Richard Medhurst relevait fin novembre que « des documents classifiés invalident l'appel des États-Unis contre Assange ».
David Mendoza, recherché par les États-Unis pour trafic de drogue, y avait en effet été extradé d'Espagne, à condition qu'il soit autorisé à purger sa peine en Espagne. Or, des documents classifiés révèleraient comment les États-Unis ont violé les conditions de son extradition.
Mendoza a ainsi passé plus de 6 ans à essayer de retourner en Espagne, les États-Unis ayant rejeté ses demandes de transfert à plusieurs reprises.
En prison, Mendoza a poursuivi les États-Unis et l'Espagne pour non-respect des conditions de son extradition et violation de ses droits humains.
Son cas a été récemment pris en charge par les Nations Unies, avant d'être soulevé le mois dernier devant la Haute Cour d'Angleterre, où les États-Unis tentent donc d'extrader Julian Assange vers les États-Unis.
Un juge changé 10 jours avant la dernière audience
Intervenant en duplex à l'Espace Saint-Michel à Paris, le rapporteur spécial de l'ONU sur la torture, Nils Melzer expliquait de son côté le 25 novembre dernier pourquoi les derniers rebondissements juridiques autour de son extradition n'auguraient rien de bon pour le fondateur de Wikileaks, rapporte RT, le seul média à s'être fait l'écho de son intervention.
Dix jours avant la dernière audience en appel, l'un des deux juges qui devaient siéger a en effet été changé à la dernière minute. Et c'est le Chief justice of England and Wales, Lord Ian Burnett, « le juge le plus haut placé en Angleterre », qui a été nommé pour statuer sur l'appel américain.
Lord Ian Burnett s'était notamment déjà fait connaître pour avoir refusé l'extradition de Lauri Love, un autre militant et hacker britannique, en raison, là aussi, de son syndrome d'Asperger et des risques de suicide en cas d'extradition.
« Certains supporters d'Assange y ont vu une bonne nouvelle, analysait le rapporteur de l'ONU, juriste de profession. Personnellement, malheureusement, je vois ça plutôt comme un danger. Avec le précédent de Lauri Love, un juge junior n'aurait pas pu prendre une autre décision que celle prise par Lord Burnett ».
La logique du système judiciaire britannique fait en effet du cas Lauri Love une jurisprudence qu'un autre juge, moins expérimenté et disposant de moins d'autorité qui avait siégé, aurait été obligé de suivre. Or, « Si on veut changer ce précédent judiciaire, il faut mettre en charge un juge qui a l'autorité de le faire », note le rapporteur de l'ONU. Et Lord Burnett était probablement le mieux placé pour casser sa propre jurisprudence.
Le piège du refus initial d'extradition
« Je pense que les Américains, les Anglais, les Suédois, n'ont pas investi des dizaines de millions de dollars dans la persécution d'Assange et l'intimidation des journalistes pour maintenant le relâcher pour des questions médicales ou juridiques », regrettait Nils Melzer.
À l'en croire, il était « très malin de la part des Britanniques de refuser l'extradition de Julian Assange en première instance juste pour des raisons médicales », tout en confirmant « toute la logique de l'accusation » américaine sur le fond de l'affaire.
Il estimait en outre que les Américains savaient que s'ils gagnaient en première instance, c'était Assange qui aurait pu faire appel : « c'est toujours la partie qui fait appel qui va décider de quelle question sera traitée par la cour d'appel et ça, c'est extrêmement important », expliquait-il.
Ce professeur de droit international notait que depuis cette décision, l'appel américain porte seulement sur l'état de santé d'Assange et les conditions de sa détention s'il était extradé aux États-Unis. Or, de son point de vue, ce n'est pas de cette question dont il faut débattre mais plutôt de celle-ci : « Pourquoi cet homme est en prison ? »
« Il n'a rien fait. C'est un journaliste. Et là, on ne discute pas de ça, car ce sont les Américains qui ont fait appel », ajoutait-il. Le rapporteur de l'ONU craignait donc que si le traitement de l'affaire continuait à se focaliser sur les questions secondaires et finisse devant la Cour des droits de l'homme, celle-ci se contente seulement de se pencher sur les conditions de détention, et pas sur le fond.
Il rappelait cela dit que les défenseurs de Julian Assange pourraient toujours faire appel devant la Cour suprême du Royaume Uni. Et que s'il perd, ils pourront ensuite porter son cas devant la Cour européenne des droits de l'homme à Strasbourg.
Le juge, un ami proche du ministre ayant fait arrêter Assange
Début décembre, le site Declassified UK révélait par ailleurs que Lord Chief Justice Ian Burnett est un ami personnel proche de Sir Alan Duncan, qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, avait organisé l'expulsion d'Assange de l'ambassade équatorienne.
Ils se connaissent en effet depuis leurs études à Oxford dans les années 1970 : « À Oxford, nous l'appelions toujours "le juge", et ils m'appelaient toujours "Premier ministre", mais c'est Ian qui est arrivé là ».
Sir Alan Duncan et Lord Chief Justice Burnett ont tous deux déclaré à Declassified qu'ils n'avaient jamais discuté l'un avec l'autre de l'affaire Julian Assange.
En tant que ministre, Duncan n'avait cela dit pas caché son opposition à Julian Assange, le qualifiant de « misérable petit ver » au parlement en mars 2018, tout en faisant référence aux « prétendus droits humains de Julian Assange ».
Il avait assisté en direct à l'expulsion de Julian Assange de l'ambassade d'Équateur, le 11 avril 2019, avait ensuite organisé un pot dans son bureau parlementaire pour féliciter l'équipe impliquée dans son arrestation.
Il s'était ensuite envolé pour l'Équateur afin de rencontrer le président Lenín Moreno en vue de « dire merci » pour la remise d'Assange. Il avait aussi offert à Moreno « une belle assiette en porcelaine de la boutique de cadeaux de Buckingham Palace ».
Julian Assange, qui fait l'objet de 18 chefs d'inculpation, encourt une peine pouvant aller jusqu'à 175 années de prison.
Assange : la justice britannique rouvre la possibilité d’une extradition
-
Peut-on croire aux assurances des États-Unis ?
-
Un juge changé 10 jours avant la dernière audience
-
Le piège du refus initial d'extradition
-
Le juge, un ami proche du ministre ayant fait arrêter Assange
Commentaires (16)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 10/12/2021 à 15h04
Merci pour ce super article détaillé ! Et merci pour la transparence de son auteur !
Les anglais sont des enfoirés sinon. Cette histoire est un scandale, j’espère vraiment que Assange sera libre un jour… Un peu d’espoir…
Le 10/12/2021 à 18h03
Pareil, juste un message pour dire que j’apprécie particulièrement ce “Full Disclosure”, même si le dire en français aurait été pas mal ;)
Le 10/12/2021 à 18h27
J’aime particulièrement lorsque les juges & les plus hautes instances de l’exécutif ont une notion toute personnelle de la séparation des pouvoirs.
On se croirait en France :-)
Le 11/12/2021 à 04h28
Mouais, pour mourir bêtement dans un accident de voiture ou un « suicide » dû au traumatisme de son incarcération ?
Le 11/12/2021 à 09h09
Les anglais sont des enfoirés mais les francais l’auraient deja vendu ou perdu.
Le 11/12/2021 à 11h10
Ils sont en train de se refabriquer la Jeanne d’Arc du XXiè siècle devant l’histoire. Autant côté Brexit, ils ont tout compris et ont été pragmatiques afin de reprendre leur pouvoir législatif en main. Autant côté Assange, on voit bien toute la violence et le sans-gêne total des USA pour torturer un journaliste qui n’a finalement fait que son boulot.
Quant aux promesses américaines, on se rappellera des fameuses armes de destruction massives irakiennes, devant l’ONU et les caméras du monde entier. Le résultat parle de lui-même : des dizaines de millions de morts en Irak, dont essentiellement des civils, sur la foi d’un mensonge grossier. Il faut vraiment être fou à lier pour prendre encore ce pays comme modèle !
Le 11/12/2021 à 11h27
Si l’égoïsme érigé au rang de nation est le pragmatisme alors oui il’ l’ont joué tel quel …
Le 11/12/2021 à 16h12
J’ai comme un doute. Le Royaume-Uni c’est quand même le 51ème état des USA.
Le 12/12/2021 à 08h52
non…c’est ‘le sous-marin’* des “USA.” en “Europe” !
ce n’est pas pour rien (qu’au début), ils étaient pour que la “GB.” rejoigne “UE.”
pour pouvoir mieux la contrer !
(de l’intérieur, la “GB.” leur rapportait les prévisions de “l’UE.”)
Le 12/12/2021 à 09h43
https://www.dailymail.co.uk/news/article-10300037/Julian-Assange-stroke-Belmarsh-prison-Fianc-e-blames-extreme-stress.html Julian aurai eu une attaque !
Le 12/12/2021 à 11h44
Il s’agit d’un AIT , les prémices d’un AVC
S’ils voulaient l’avoir a l’usure, ils ne s’y seraient pas pris autrement.
Le 12/12/2021 à 11h53
Le 12/12/2021 à 16h16
un peu lourd à lire, non ?
(sinon les paragraphes, c’est pas mal aussi)
Le 14/12/2021 à 10h24
Et bé quelle prose … Vas t’en raconter ça aux marins des côtes Manche / Atlantique.
Le 13/12/2021 à 08h37
Honnetement, t’es le plus mal placé ici pour dire ca, sans animosité aucune, vraiment :bisou:
Mais oui c’est dur à lire.
Le 13/12/2021 à 08h40
ah bon !
(?)
(bon à savoir)