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Patinage artistique sur la piste glacée de la copie privée

Une nouvelle discipline au J.O.

Patinage artistique sur la piste glacée de la copie privée

Le 23 février 2022 à 14h45

Des rapports qui devaient être livrés fin 2021, en vain. Des nominations toujours pas publiées au Journal officiel… La thématique de la redevance Copie privée est frappée par une succession de retards. Panorama de ces atermoiements.

« Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 31 décembre 2021, un rapport portant sur la rémunération pour copie privée ». Près de deux mois après ce terme, le document exigé par le législateur n’a toujours pas été publié, ni même bouclé, selon nos sources. 

Ce rapport doit détailler « notamment l'évolution progressive de l’assiette de la redevance et de son barème depuis sa création », mais aussi analyser « sa dynamique, l'attribution effective de sa recette et les modalités de publication en libre accès de l'ensemble des données afférentes ».

Le même document doit en outre formuler « des propositions visant à améliorer la transparence et l'efficacité du fonctionnement de la commission [copie privée] et des pratiques de remboursement de ladite rémunération à destination des professionnels ».

Ce n’est pas tout puisque le Gouvernement devait également remettre au Parlement, toujours avant le 31 décembre 2021, « une étude des impacts économiques de la rémunération pour copie privée ».  

Une étude réalisée « en particulier » sur les supports d'enregistrement d'occasion, et donc aussi sur les supports neufs. Selon sa pertinence, elle pourrait permettre de jauger les distorsions induites par la redevance sur ces marchés. En fonction des résultats, le rapport esquissera « des scénarii d'évolution possible de cette rémunération ». 

Si les choses avancent lentement, quatre inspecteurs ont été missionnés pour l'occasion. 

Les quatre inspecteurs au rapport

Selon nos informations, le premier rapport sera rédigé à 4 mains, par l’Inspection générale des finances et l’Inspection générale des affaires culturelles.

Toujours d'après nos sources, à l’Inspection générale des finances, le sujet est pris en charge par deux inspectrices : Oumnia Alaoui et l'économiste Anne Perrot. Au ministère de la Culture, la mission a été confiée à deux autres inspecteurs généraux, Isabelle Maréchal et Serge Kancel.

Ces deux derniers avaient déjà travaillé en commun pour « rédiger un code des usages et des bonnes pratiques de l’édition des œuvres musicales ». En 2018, Serge Kancel fut lui-même désigné référent « permanent et transversal pour les festivals ». Des festivals financés par les 25 % de la copie privée.

Alourdir l’empreinte culturelle sur un numérique verdoyant

Ces rapports attendus avaient été programmés suite à un amendement du député Éric Bothorel (LREM), adopté en mai 2021 à l’occasion des débats autour de la future loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique.

Une manière de compenser la révolution introduite par cette loi, par un amendement cette fois gouvernemental : l’extension de la redevance copie privée aux supports d’occasion, qu’ils soient reconditionnés ou non.

La loi a finalement été publiée au Journal officiel le 16 novembre 2021, date qui expliquerait le retard dont souffrent les rapports programmés pour le 31 décembre dernier.

D'abord la charrue, puis les boeufs

Côté perception, la Commission copie privée a pour sa part su s'empresser de mettre la charrue bien avant les bœufs.

Cinq mois plus tôt, le 1er juin 2021, comme révélé dans nos colonnes, l’instance abritée par le ministère de la Culture adoptait déjà un barème spécifique pour frapper ces téléphones et tablettes remis sur le marché. Le barème publié au JORF est inférieur respectivement de 40 et 35 % à celui des produits neufs.

Copie privée

Pour la Rue de Valois, rien de choquant, bien au contraire : « la Commission copie privée a ainsi démontré sa capacité à assujettir les supports reconditionnés dans des conditions permettant le développement de la création, sans pour autant méconnaître d'autres enjeux, notamment écologiques ou économiques » s’était félicitée Roselyne Bachelot pas plus tard que le 14 septembre dernier.

La ministre de la Culture a justifié ce curieux calendrier (une disposition réglementaire précédant une loi) par le souci gouvernemental de « conforter » dans un texte législatif « la solution équilibrée à laquelle a abouti la Commission ».  

Toujours pas de nomination en Commission copie privée

D’autres retards sont néanmoins à relever. Ils concernent cette fois la nomination des nouveaux membres de la Commission copie privée.

Le 6 novembre 2021, Thomas Andrieu a remplacé Jean Musitelli à la présidence de l’instance, cependant l’arrêté de nomination des membres des trois collèges (culture 12 sièges, consommateurs 6 sièges, industriels 6 sièges) n’a toujours pas été pris. 

Résultat l’instance comate et ne peut poursuivre les travaux sur la rampe. Et quels travaux ! Les ayants droit, qui sont en position de force au sein de cette commission, espèrent toujours l’assujettissement des disques durs nus, ordinateurs et autres PC portables. Une étude d’usage a même été bouclée par l’institut CSA.

Autre sujet sur le grill, la question du time shifting.  Copie France a en effet décidé d’attaquer Orange pour cette fonctionnalité que les bénéficiaires des flux considèrent comme relevant du champ de perception.

Sans commission, impossible d'extraire le moindre barème spécifique ou adopter pourquoi pas une décision interprétative, d’autant qu’à l’approche du grand rendez-vous électoral, l'assujetissement de ces nouveaux univers pourrait être bien mal vu.

Quid des reconditionneurs ?

Du côté des supports reconditionnés, Copie France avait assigné en 2020 une dizaine de sociétés pour contraindre chacune d’elles à déclarer les produits remis sur le marché, pour ensuite réclamer le paiement de la dîme culturelle. Le tout, avec rétroactivité de cinq ans.

L’organisme collecteur de la redevance pour les ayants droit a donc subitement renversé sa doctrine interne qui estimait jusqu’à la réforme de 2021 que ces biens étaient hors champ. 

Selon nos informations, plusieurs contentieux ont été radiés durant l’été, faute de dépôt de conclusions de Copie France. Cependant, des entreprises nous indiquent que les ayants droit les ont réassignées… tout en augmentant les montants réclamés.

Pour les reconditionneurs et autres spécialistes de l’occasion, c’est donc la soupe à la grimace d’autant que les promesses venues de l’Élysée, sous forme d’aides d’Etat notamment, patinent.

Le jour venu, côté contribuable, il faudra s'armer d'une pédagogie fine pour justifier le versement de ces aides publiques afin de compenser le paiement d’une redevance perçue par les industries culturelles frappant des supports d’occasion ayant déjà subi un tel assujettissement.

Commentaires (16)

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merci pour cette veille continue sur ce genre de choses :)

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A chaque fois je me dis que c’est le dernier article que je lirais sur le sujet… Mais je n’arrive pas a m’y tenir.
Je dois aimer me faire du mal…



( Ou c’est peut être simplement l’espoir impossible que cette mascarade de commission soit mise à terre….)

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même chose…



D’autant plus quand je lie ce genre de chose:




« la Commission copie privée a ainsi démontré sa capacité à assujettir les supports reconditionnés dans des conditions permettant le développement de la création, sans pour autant méconnaître d’autres enjeux, notamment écologiques ou économiques »


On doit vraiement aimer cela
:sm:

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chaque article sur ce sujet me donne la nausée et me sape le moral devant ce holp-up légal et rétrograde :craint:

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Quand le J.O sort de son bain, c’est toute l’eau forte qui est bénite !
J.O. Fact :windu: :D

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« la Commission copie privée a ainsi démontré sa capacité à assujettir les supports reconditionnés dans des conditions permettant le développement de la création, sans pour autant méconnaître d’autres enjeux, notamment écologiques ou économiques » s’était félicitée Roselyne Bachelot


Quand je lis ça j’ai envie de distribuer des baffes.

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Le jour venu, côté contribuable, il faudra s’armer d’une pédagogie fine pour justifier le versement de ces aides publiques afin de compenser le paiement d’une redevance perçue par les industries culturelles frappant des supports d’occasion ayant déjà subis un tel assujettissement.


Je crois qu’on va dépasser l’envie de donner des giffles là. :kill:

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Ou comment te faire réfléchir à éviter le reconditionné… :vomi2:

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Ah non, comment te faire réfléchir à ne pas acheter en France tout simplement …
Vive l’europe et ses frontières libres … et ces pays voisins non assujettis à ces taxes débiles.

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La redevance pour copie privée découle d’une loi Européenne :/



Je crois que le Luxembourg ne l’applique pas malgré qu’ils aient une loi pour.



Mais au final le système Français est de loin le pire

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T’es sûr pour le fait que ça découle d’une loi européenne ? Vu la disparité des textes concernant cette redevance au sein des pays européen, ça parait étonnant que ça découle d’une loi européenne.

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https://www.copieprivee.org/la-copie-privee-dans-le-monde/




La Cour de justice de l’Union européenne a reconnu toute la légitimité du dispositif de rémunération pour copie privée. Elle a en effet considéré que le fait de compenser les ayants-droits représentait une obligation à la charge des États membres (Stichting de Thuiskopie/Opus, juin 2011).


Bon, je vais peut être un peu loin en disant loi, mais il y a eu un jugement de la CJUE, c’est assez proche
https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/A-7-2014-0114_FR.html



La disparité des textes vient du fait que les états sont libres de faire ce qu’il veulent tant qu’ils font quelque chose (à peu de choses près).
C’est ce que je veux dire par découle.



Il y a un rapport sur les pays qui implémentent un système (en anglais) : https://www.cisac.org/fr/services/etudes-et-recherches/etude-mondiale-sur-la-copie-privee



Il date de 2020



Désolé de ne pas être très précis

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Pour moi, c’est plus l’inverse qu’il s’est passé, et la date de la résolution du parlement européen que tu mentionnes (ce n’est pas un jugement de la CJUE, ou tu n’as pas mis le bon lien) va dans ce sens. La France et d’autres pays européens ont mis en place une redevance sur la copie privée et l’Europe a décidé de mettre un cadre législatif à cette redevance au niveau européen.
C’est une pure supposition de ma part, mais le raisonnement me paraît logique.

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Hum, je ne sais pas pourquoi j’ai mis ce lien … il me semblait bon quand je l’ai mis mais là pas du tout. C’était peut être une page ouverte quand je regardais la tentative d’harmonisation qu’il y avait eu.



Celui-ci est mieux ? https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A32001L0029



Je crois effectivement que c’est venu après le système de certains pays, mais maintenant il y a une directive Européenne.



C’est un peu long donc je n’ai pas tout lu, mais je pense que cette partie suffit




(35) Dans le cas de certaines exceptions ou limitations, les titulaires de droits doivent recevoir une compensation équitable afin de les indemniser de manière adéquate pour l’utilisation faite de leurs oeuvres ou autres objets protégés. Lors de la détermination de la forme, des modalités et du niveau éventuel d’une telle compensation équitable, il convient de tenir compte des circonstances propres à chaque cas. Pour évaluer ces circonstances, un critère utile serait le préjudice potentiel subi par les titulaires de droits en raison de l’acte en question. Dans le cas où des titulaires de droits auraient déjà reçu un paiement sous une autre forme, par exemple en tant que partie d’une redevance de licence, un paiement spécifique ou séparé pourrait ne pas être dû. Le niveau de la compensation équitable doit prendre en compte le degré d’utilisation des mesures techniques de protection prévues à la présente directive. Certains cas où le préjudice au titulaire du droit serait minime pourraient ne pas donner naissance à une obligation de paiement.


Mon point principal était que sur ce point là, l’ouverture des frontières européennes n’aide pas vraiment.



(et je suis quasi certain qu’il y a eu des jugements qui obligent les boutiques en lignes à pratiquer la redevance Française quand ils vendent à des français ou un truc du genre).

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misocard a dit:


La redevance pour copie privée découle d’une loi Européenne :/


La redevance copie privée a été mise en place en 1985 quand Jack Lang était ministre de la culture, entre autre pour “compenser le manque à gagner” induit par la diffusion des magnétoscopes… Donc un poil trop tôt pour que ce soit l’Union Européenne, qui n’existait même pas sous ce nom à l’époque (c’était encore la CEE, qui avait beaucoup moins de pouvoir sur les législations des états que l’UE aujourd’hui).

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Surtout la France a de multiples OGC (les sociétés qui distribuent l’argent collecté par copie Françe) et donc beaucoup de frais de fonctionnement ce qui fait autant en moins pour les artistes.

Patinage artistique sur la piste glacée de la copie privée

  • Les quatre inspecteurs au rapport

  • Alourdir l’empreinte culturelle sur un numérique verdoyant

  • D'abord la charrue, puis les boeufs

  • Toujours pas de nomination en Commission copie privée

  • Quid des reconditionneurs ?

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