Transparence et médicaments : nouveaux nuages sur le Sunshine Act
L'autre nuage
Le 17 mars 2014 à 09h40
6 min
Droit
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Inspiré des États-Unis, le Sunshine Act est une série de textes censée améliorer la transparence sur les liens d’intérêts entre les laboratoires et les professionnels de santé. Rédigée après le scandale du Médiator, la loi Bertrand prévoit en effet de rendre publics les avantages en nature ou en espèces accordés aux professionnels de santé. Cependant, ce principe a été raboté par un premier décret d’application du 21 mai 2012. Et un nouveau projet de décret devrait le réduire à peau de chagrin selon certains professionnels du secteur.
Selon l’article L1453-1 du Code de la santé publique issu de la loi Bertrand, les labos doivent rendre publics « tous les avantages en nature ou en espèces » qu’ils accordent aux professionnels de santé au-delà d’un seuil. Ce seuil a été fixé à 10 euros par le décret d’application du 21 mai 2013. Et en théorie,sur les sites des labos ou à partir du 1er avril 2014, sur un site unique, quiconque devrait pouvoir connaitre les drôles de liens existant entre professionnels de la santé et l’industrie du médicament.
Sauf que, sur demande de la CNIL, les informations répertoriées doivent impérativement être exclues de référencement par un moteur de recherche. Impossible donc de tapoter « Dr Mabuse » sur Google et de tomber par hasard sur la liste des cadeaux que lui aurait faits le « labo M » (noms fictifs). De même de multiples verrous ont été apposés sur ce site unique afin d’en empêcher une pleine exploitation par les internautes (voir les commentaires du Collectif Europe et Médicament)
Autre chose : seule l’existence du contrat doit être mentionnée, non ses précieux détails. Mieux : dès lors que le contrat est signé avec contrepartie et donc facturation TTC, celui-ci restera secret. Ainsi, si le « Dr Mabuse » se fait payer par le « labo M » en contrepartie d’un discours lors d'un colloque, ce bel échange ne sera pas connu, notamment par les patients du professionnel de santé qui se voient, au hasard, prescrire des médicaments du labo en question (voir notre intervention sur le plateau d'Arrêt sur Images)
Les questions sont pourtant d’importance. Déjà, en 2009, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales avait relevé la forte opacité des rémunérations des médecins et des chirurgiens qui plongent leurs bistouris dans des activités de recherche et d’expertise. Et les montants ne sont pas neutres : pour un essai clinique scruté par les labos, il n’est pas rare que ce médecin soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par patient, voire 5 000 euros en cardiologie ou en réanimation.
Un nouveau décret pour raboter la transparence du Sunshine Act
Le ciel au-dessus de ces fameux textes sur la transparence va cependant s’obscurcir un peu plus. Un nouveau décret est en effet en gestation au ministère des Affaires sociales. Et « ce projet continue à vider de son contenu la loi Bertrand du 29 décembre 2011 qui était censée donner des réponses efficaces pour que le scandale du Mediator ne se reproduise jamais » regrette le Formindep, association qui milite pour «une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes ».
Ce nouveau projet de décret veut ainsi fermer davantage de portes à la transparence. Outre une obligation de non-référencement qui semble plus musclée, le texte précise (PDF) par exemple que seuls les avantages octroyés aux personnes seront à déclarer, le texte exclue ainsi désormais les liens des labos avec les « associations, établissements, fondations, sociétés, organismes ou organes ». Pour le Formindep, « Si tel devait être le cas, cela signifie que le financement des sociétés savantes, des associations hospitalières, associations de patients, organismes de formation professionnelle par les firmes commercialisant ou produisant des produits de santé ne sera pas rendu public. L’influence des firmes pourra ainsi continuer à s’exercer en toute opacité sur ces secteurs clés comme elle s’était déjà exercée dans l’affaire du Médiator ».
Des déclarations d'intérêts dévoilées en août 2015 et non en octobre 2013
Ce n’est pas tout. Le projet de décret met le pied sur la pédale de frein en autorisant les labos à déclarer jusqu’à 7 mois après les déclarations d’intérêts. Selon le décret actuel, ce transfert doit se faire dans les 15 jours qui suivent la signature. « La proposition pour que les firmes puissent transmettre les déclarations jusqu’à 7 mois après la signature de la convention est inacceptable et incompréhensible. (…) Il s’agit d’un obstacle inutile et injustifiable à la transparence des données » rétorque encore le Formindep qui souligne que ces mêmes avantages et conventions « sont transmis au conseil de l’ordre deux mois avant leur entrée en vigueur, et leur exécution est confirmée dans le mois qui suit. » En somme alors que l’information est connue rapidement, mais n’est pas diffusée immédiatement.
Ajoutons que selon le projet de décret, les avantages et conventions passées entre labo et professionnels de santé consentis en 2012 ou au premier semestre 2013 ne seront révélés qu’au plus tard le 1er août 2015. Dans les textes précédents, ces informations devaient être révélées au 1er octobre 2013 sur les sites des labos avant d’être centralisées sur un site unique.
Un obstacle inacceptable pour le Formindep
Là encore, ce retard provoque la colère du Formindep : « le délai accordé pour que les données de 2012 puissent être publiées au 1er octobre 2015 est injustifié, il constitue un obstacle inacceptable à la transparence. Les entreprises ont déjà fourni ces mêmes données aux ordres, ainsi qu’à la DGS qui est techniquement déjà en mesure de les mettre en ligne. Rien ne justifie donc d’organiser leur rétention jusqu’en août et octobre 2015. La possibilité laissée aux firmes de ne pas publier sur un site public les avantages est inacceptable et doit être supprimée. Les publications des entreprises d’un même groupe devraient être rassemblées sur un site unique au groupe sans qu’il leur soit autorisé de les disperser sur les sites de leurs filiales. »
Transparence et médicaments : nouveaux nuages sur le Sunshine Act
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Un nouveau décret pour raboter la transparence du Sunshine Act
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Des déclarations d'intérêts dévoilées en août 2015 et non en octobre 2013
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Un obstacle inacceptable pour le Formindep
Commentaires (16)
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Abonnez-vousLe 17/03/2014 à 10h37
Et bientôt la publication des liens entre les laboratoires et l’industrie agro-chimique ? (reportage vu ce week-end sur Arte)
Ça fait peur… semences les gardiens de la biodiversite
Le 17/03/2014 à 10h51
Voici une excellente nouvelle ! Nous avons beaucoup trop de milliards d’euros en France et il est normal qu’on les redistribue aux entreprises pharmaceutiques majoritairement étrangères sous forme de prescriptions inutiles. Car, oui, c’est ainsi qu’on fait progresser la science !
Et puis il aurait été dommage que les prescriptions données aux patients soient déterminées sur la base d’informations scientifiques en négligeant le facteur humain que constitue un bon repas au restaurant respectueux de nos traditions gastronomiques. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme nous sereine t-on à tout bout de champ, et bien on se réjouira que cette science-là soit à visage humain.
Enfin je tiens à ajouter qu’à l’heure où un nombre croissant de médecins se sent oppressé par les tarifs conventionnés, il est de bon ton que ces industries puissent leur offrir des challenges récompensant les plus gros prescripteurs. Ce qui est, j’ose le dire, une forme de rémunération au mérite.
Le 17/03/2014 à 11h44
Le 17/03/2014 à 13h21
Et les montants ne sont pas neutres : pour un essai clinique scruté par les labos, il n’est pas rare que ce médecin soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par patient, voire 5 000 euros en cardiologie ou en réanimation.
Je suis surpris par ces montants. Pour en avoir déjà discuté avec un cardiologue, il était plutôt question de 100-150€ par patient “recruté”. Somme déjà conséquente en soi " />
Du coup, quelles sont les sources avançant 5000€ pour un cardiologue ?
Le 17/03/2014 à 13h38
Apparemment, dès qu’il est question de transparence nos chers gouvernants (lol) élus (re-lol) ont toujours le même schéma : déclaration fracassante suite à un scandale, vote d’une loi à minima puis vidage de la substance de ladite à coup de décrets.
Ça commence à se voir les mecs, faites un peu gaffe, quoi !
Le 17/03/2014 à 13h59
Et les montants ne sont pas neutres : pour un essai clinique scruté par les labos, il n’est pas rare que ce médecin soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par patient, voire 5 000 euros en cardiologie ou en réanimation.
Et les montants ne sont pas neutres : pour un journal suivi par les lecteurs, il n’est pas rare que ce journaliste soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par article, voire 5 000 euros pour un scoop.
Et les montants ne sont pas neutres : pour une concession bien placée, il n’est pas rare que ce vendeur soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par voiture, voire 5 000 euros pour une coupé.
Et les montants ne sont pas neutres : pour un film attendu par la critique, il n’est pas rare que cet acteur soit rémunéré de 1500 à 2500 euros par jour, voire 5 000 euros pour une star.
Et les montants ne sont pas neutres : pour un marché public, il n’est pas rare que ce maire soit ‘rémunéré’ de 1500 à 2500 euros par ‘attribution’, voire 5 000 euros pour un président de conseil général.
Cela fonctionne pour beaucoup de choses.
La demande de transparence dans cette affaire, c’est l’écran de fumée pour cacher les déficiences systémiques du régulateur et abuser les gogos afin de terminer de collectiviser nationaliser la santé libérale. Quand plus rien ne sera remboursé et que les déficits seront toujours plus grands, peut-être s’occupera-t-on enfin de régler le problème des systèmes de Ponzi sociaux qui ne profitent qu’à la mafia du larbinat fonctionnarisé (lire syndicats).
Le 17/03/2014 à 14h14
Le 17/03/2014 à 14h27
Le 17/03/2014 à 14h45
Le 17/03/2014 à 17h06
Le 17/03/2014 à 17h45
Le 17/03/2014 à 18h10
Quelle médecine libérale? Tu vois souvent des médecins libereaux dans les congres internationaux ? C’est clairement plus des médecins hospitaliers chercheurs ! En plus je te rappelle que quand tu publies tu dois faire une déclaration d intérêt. Donc voilà
Le 17/03/2014 à 18h47
Le 17/03/2014 à 22h26
Le 17/03/2014 à 22h29
Le 18/03/2014 à 19h23