L’Assemblée rejette la loi sur l’extension du vote électronique
Flexion, extension
Le 10 octobre 2014 à 06h39
8 min
Droit
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Après d’âpres débats, l’Assemblée nationale a rejeté hier une proposition de loi UMP visant à permettre aux Français de l’étranger de voter par Internet à l’occasion des élections présidentielles et européennes. Le texte s’est confronté à l’opposition du gouvernement et des députés socialistes.
Après avoir été rejetée en commission des lois la semaine dernière, la proposition de loi organique du député Thierry Mariani était débattue hier après-midi dans l’hémicycle. Et force est de constater que pendant près de deux heures, les débats ont à nouveau été vifs et nourris. D’un côté, se trouvaient l’UMP, l’UDI et même les écologistes, favorables à ce que les Français de l’étranger puissent élire le président de la République et les députés européens via Internet. De l’autre, se trouvaient le gouvernement et le groupe socialiste, qui se sont fermement opposés à l’adoption de ce texte.
La mesure est loin d’être anecdotique, puisqu’elle concernerait 1,6 million de Français résidant en dehors du territoire national, selon l’auteur du texte discuté hier. Ceux-ci peuvent élire leurs députés par voie électronique depuis 2012, et même leurs conseillers consulaires depuis cette année. Il était donc question d’étendre cette possibilité (qui reste complémentaire au traditionnel vote à l’urne, notamment), afin de simplifier la vie de l’électeur qui se trouve parfois à de longues heures de son bureau de vote, et de renforcer par la même occasion la participation électorale.
Sauf que le vote électronique reste durement contesté. En avril, un rapport sénatorial en arrivait à la conclusion qu’à défaut de pouvoir revenir en arrière à ce sujet, il valait mieux dans un premier temps éviter toute extension à d’autres scrutins. En clair, en rester là. Les craintes d’atteintes à la sincérité du scrutin et au secret du vote étaient également présentées comme fondées. Les sénateurs nuançaient par ailleurs le « succès » proclamé du vote électronique, affirmant que celui-ci n’avait en fait « pas permis d’élever notablement le taux de participation ».
Hier, chacun des deux camps est donc venu piocher dans tous ces arguments. Affirmant d’entrée que le gouvernement était « défavorable » à cette proposition de loi, le secrétaire d’État en charge des Français de l’étranger, Matthias Fekl, a expliqué que ce texte présentait des difficultés juridiques et techniques « très importantes ».
Gare à la censure du Conseil constitutionnel
Sur un plan juridique plus particulièrement, la majorité craint que ce texte soit censuré par le Conseil constitutionnel, qui serait forcément saisi avant promulgation puisqu’il s’agit d’une loi organique. Matthias Fekl a expliqué que ses dispositions pourraient effectivement s’avérer inconstitutionnelles au regard du principe l’égalité devant le suffrage, dans la mesure où les circonscriptions concernées ne sont pas délimitées de la même manière. « Les élections législatives se déroulent dans des circonscriptions comprenant uniquement des électeurs établis hors de France. En revanche, les élections présidentielles et européennes sont organisées sur la base de circonscriptions comprenant à la fois des électeurs établis en France et hors de France. » Dès lors, les électeurs d’une même circonscription électorale se verraient soumis à des règles différentes, les Français de l’étranger pouvant par exemple élire leur président de la République grâce au vote électronique, les autres Français non.
Le gouvernement semble également sceptique quant à l’intérêt du vote électronique afin de lutter contre l’abstention. « Contrairement à ce qui est affirmé dans l’exposé des motifs – même si ce n’est pas là le cœur des réserves du gouvernement –, le vote électronique dans les élections qui sont citées n’a pas, à lui seul, favorisé la participation électorale, et aucun des faits constatés ne permet de l’établir. En réalité, le vote électronique a principalement eu pour effet de remplacer d’autres modalités et supports de vote » a ainsi déclaré Matthias Fekl.
Le gouvernement ne veut pas ouvrir la Boîte de Pandore
L’opposition s’est cependant montrée plus optimiste que la majorité. « Nous ne pouvons nous substituer au Conseil constitutionnel. Il se prononcerait s’il était saisi, et la situation des Français établis à l’étranger étant différente, peut-être ferait-il application de sa jurisprudence sur le principe d’égalité, qui permet de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes » a ainsi rétorqué le député Patrice Verchère (UMP). Celui qui est également rapporteur de cette proposition de loi a d’ailleurs cité une décision rendue en 2010 par le Conseil d’État, favorable au vote électronique, et qui pourrait selon lui inspirer les « Sages » de la Rue Montpensier.
On notera à ce sujet la réplique du député Frédéric Lefebvre : « S’il y a une atteinte au principe d’égalité par rapport aux Français de France, qu’est-ce qui empêche d’envisager, dans certains cas particuliers (quand il y a par exemple un trop grand éloignement du bureau de vote), un dispositif similaire en France ? » Durant les débats en commission, la possibilité d’étendre le vote électronique aux électeurs résidant en outre-mer avait notamment été soulevée.
Une idée qui emballe encore moins le gouvernement... « Le fait même que cette question soit évoquée dans le débat confirme que le respect du principe d’égalité est susceptible de poser des problèmes constitutionnels. On ne peut pas mettre en place un dispositif pour les seuls Français de l’étranger alors que d’autres situations peuvent être tout à fait similaires en termes d’éloignement et de difficulté d’accès aux bureaux de vote » a ainsi balayé le secrétaire d’État Matthias Fekl.
La question des dysfonctionnements du vote électronique sera examinée
Parmi les soutiens du texte, se trouvaient – de manière assez surprenante – les écologistes, qui étaient représentés hier par Sergio Coronado. « Les oppositions au vote électronique sont sérieuses et légitimes. Je les partage en partie » a confessé le député des Français d’Amérique latine, évoquant en particulier les problèmes de contrôle des opérations de vote ou même du résultat. Tout en soulignant qu’EELV était opposé à la généralisation du vote électronique, il a néanmoins justifié la position de son groupe : « Nous sommes devant un choix difficile, un dilemme : faire valoir toutes les objections soulevées contre le vote électronique, qui est déjà une modalité de vote chez nos compatriotes établis à l’étranger, pour nous opposer à une exigence d’égalité dans l’exercice de nos droits et de notre citoyenneté. Devant cette situation, nous avons fait le choix de permettre à nos concitoyens établis à l’étranger d’exercer leur droit de vote. »
Sergio Coronado a par ailleurs rejoint les élus de l’opposition en raillant le gouvernement suite aux dysfonctionnements ayant eu lieu lors des précédents scrutins, notamment à propos du logiciel Java. « Les critiques contre le vote électronique lors des élections législatives n’ont pas, paradoxalement, conduit le gouvernement à améliorer le système en vigueur » a-t-il ainsi lancé.
Le secrétaire d’État chargé des Français de l’étranger a de son côté cherché à temporiser. « Les remarques des électeurs ont été entendues : elles seront prises en compte dans le cadre de la renégociation de l’appel d’offres pour les prochaines échéances électorales » a-t-il promis, expliquant que « le logiciel en cause [Java, ndlr] avait été externalisé ». « Un certain nombre de dysfonctionnements inacceptables se sont produits et ont été signalés : je le répète, ils seront pris en compte dans l’appel d’offres qui sera lancé » a-t-il bien insisté (voir le compte-rendu complet des débats).
Les arguments de l’opposition n’ont cependant pas convaincu les députés socialistes en présence. Considérant que la sécurité du vote électronique n’était pas garantie, de surcroît pour une élection aussi importante que les présidentielles, et que le caractère secret et personnel du vote n’était pas non plus assuré (« personne ne pouvant exclure un vote sous la contrainte, ni le caractère confidentiel de celui-ci »), les élus de la majorité avaient déposé un amendement consistant à vider la substance de cette proposition de loi. Lequel a été voté sans grande surprise et avec le soutien du gouvernement, ce qui signifie que le texte a été rejeté.
L’Assemblée rejette la loi sur l’extension du vote électronique
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Gare à la censure du Conseil constitutionnel
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Le gouvernement ne veut pas ouvrir la Boîte de Pandore
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La question des dysfonctionnements du vote électronique sera examinée
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 11/10/2014 à 07h54
Et puis, le vote à distance, qui dit que celui qui vote par IP n’a pas une kalashnikov pointée sur son nez " />
Le 10/10/2014 à 06h51
Ça existe le vote par courrier en France? Pour ceux qui habite loin.
Le 10/10/2014 à 07h17
Et la question des dysfonctionnements du vote papier, elle sera abordée ?
Le 10/10/2014 à 07h31
Pas de vote par correspondance. Il fut soit faire une délégation de vote, soit aller voter dans une ambassade/consulat.
Le 10/10/2014 à 07h50
Le 10/10/2014 à 07h54
Le 10/10/2014 à 07h59
> Considérant que la sécurité du vote électronique n’était pas garantie, de surcroît pour une élection aussi importante que les présidentielles, et que le caractère secret et personnel du vote n’était pas non plus assuré (« personne ne pouvant exclure un vote sous la contrainte, ni le caractère confidentiel de celui-ci »)
Ah, c’est beau tant de voir autant de préoccupation pour le respect de la souveraineté du peuple. " />
Le 10/10/2014 à 08h36
Le 10/10/2014 à 08h46
Le 10/10/2014 à 09h24
Le 10/10/2014 à 09h41
Le 10/10/2014 à 14h15
Le vote électronique en l’état actuel des choses, c’est la voie ouverte à la manipulation totale des résultats.
Aucune possibilité de vérifier les résultats, logiciel de vote proprio, aucun contrôle possible.
Bref, le meilleur moyen pour truquer les élections…
Je suis surpris que les députés et le gouvernement n’ait pas tous dit oui directement.