À la découverte de la sonde JUICE, dans la salle blanche et anéchoïque d’Airbus
Rien à voir avec le groupe des Beetles
Notre dossier sur la sonde JUICE :
Le 06 avril 2022 à 15h35
9 min
Sciences et espace
Sciences
D’ici un peu moins d’une dizaine d’années, la sonde JUICE sera en orbite autour de Jupiter. Un an avant son lancement, nous avons pu lui rendre visite dans la salle anéchoïque d’Airbus où elle est en train de subir une batterie de tests. C’était aussi l’occasion de discuter avec les responsables de cette mission « lourde » de l’Agence spatiale européenne.
La mission JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) a été validée en 2012 par l'Agence spatiale européenne (ESA). Comme son nom l'indique, elle doit observer le monstre qu'est Jupiter – la plus grande planète de notre Système solaire – ainsi que trois de ses lunes : Europe, Ganymède et Callisto. Nous avons déjà longuement détaillé ce mini système dans notre dossier sur le Système solaire.
De manière plus générale, cette mission doit également permettre d'apporter des éléments de réponse à deux des principaux thèmes du programme Cosmic Vision de l'ESA : « Quelles sont les conditions pour la formation de planètes et l'émergence de la vie ? Et comment fonctionne le Système Solaire ? ». JUICE est d’ailleurs la première mission lourde (L1) de ce programme s’étalant sur 2015 - 2025.
Airbus aux commandes, lancement dans un an
En 2015, Airbus a été sélectionné par l'Agence spatiale européenne « comme maître d'œuvre pour la conception, le développement, la production et les essais d'un nouveau vaisseau spatial nommé "JUICE" ». Divers partenaires internationaux sont choisis pour construire les instruments scientifiques.
Juice devait décoller cette année, mais plusieurs paramètres, dont la pandémie mondiale de Covid-19, ont conduit à repousser la date. Le lancement est désormais prévu pour le 5 avril 2023, dans tout juste un an. Le planning mis à jour prévoyait initialement un décollage en mars 2023, mais un nouvel itinéraire a été identifié entre temps, il permet de gagner plusieurs mois de trajet en partant en avril de l’année prochaine.
Un trèèèèès long voyage de près de 8 ans
La fenêtre de tir durera environ trois semaines à partir du 5 avril 2023. En cas de problème, une nouvelle s’ouvrira en aout 2023. Si besoin, au moins une fenêtre de tir par an sera disponible ; on n’est donc pas dans le cas d‘ExoMars qui doit attendre deux ans à chaque fois.
Après le décollage, le voyage durera près de... 8 ans ! La sonde utilisera plusieurs fois l’assistance gravitationnelle pour aller finalement se catapulter jusqu'à Jupiter. Le responsable de mission chez Airbus nous explique qu'Ariane 5 ne pourra donner que 15 % de l’énergie nécessaire à son long voyage.
Avant son décollage, le satellite est pour le moment installé dans une chambre anéchoïque (elle-même dans une salle blanche) d'Airbus à Toulouse. Nous avons pu nous rendre sur place afin de discuter avec les scientifiques en charge de la sonde. On vous explique la partie technique de la mission et dans la prochaine partie de notre dossier nous reviendrons sur les enjeux des tests et les attentes de la mission.
- À la découverte de la sonde JUICE, dans la salle blanche et anéchoïque d’Airbus
- JUICE : l’importance des tests avant de partir pour Jupiter, les objectifs de la mission (à venir)
Juice en configuration de vol… ou presque
La sonde telle que nous avons pu la voir était dans sa configuration de vol à deux exceptions près : les panneaux solaires n’étaient pas encore installés et son antenne de près de 17 mètres n’était pas la version qui partira dans l’espace, mais un modèle de qualification.
La raison est simple : l’antenne devra se déplier dans l'espace et les mécanismes ne sont pas prévus pour être ouverts et fermés un trop grand nombre de fois (l’opération se déroulera une seule fois dans l’espace). Dès que c’est possible, la doublure officielle (en tout point identique) est donc utilisée. Pour le reste, il s'agit donc de la sonde telle qu'elle partira dans l'espace.
Elle était d’ailleurs « en marche » lorsque nous sommes rentrés dans la pièce, mais tous les équipements radio avaient été éteints… pour notre sécurité. Dans la salle, de petits capteurs émettaient un bip strident de temps en temps, c’était le signe que le niveau d’exposition aux ondes est bon. En cas de bip continu, il aurait fallu quitter la salle en urgence.
Bien évidemment, la sonde était alimentée et reliée à des machines de contrôles via des câbles, que l’on peut voir sur le sol de la chambre anéchoïque (les murs absorbent les ondes électromagnétiques).
On voit bien l’antenne de 17 mètres (qui se prolonge derrière la sonde) sur la gauche.
Une grande et une petite paraboles, des usages multiples
Sur les photos vous ne pouvez pas louper l'antenne principale de JUICE – la grande parabole blanche – qui a une double utilité. Elle permet d’envoyer des données vers la Terre, mais elle fait aussi office de bouclier thermique lors des manœuvres dans le Système solaire interne. La parabole sera constamment dirigée vers le Soleil afin de protéger la sonde. Les instruments sont prévus pour fonctionner dans des conditions de froid extrême, alors que les premières années ils pourront être soumis à des températures « élevées » ; il faut donc les protéger.
On peut voir sur la gauche des images une seconde petite antenne parabolique, noire cette fois-ci. Elle est montée sur un bras articulé lui permettant de s'orienter comme bon lui semble en fonction des besoins. Première fonction : communiquer avec la Terre lorsque l'antenne principale jouera son rôle de bouclier et pointera vers le Soleil.
Elle aura une seconde utilité lors du survol des lunes de Jupiter. Durant ces manœuvres, l’altitude pourra d’ailleurs n’être que de 400 km, soit celle de la Station spatiale internationale par rapport à notre bonne vieille Terre. Lors des rase-mottes, l’orientation de la sonde sera dictée par les besoins des instruments scientifiques, l’antenne principale ne sera donc pas toujours orientée comme il faut. Les scientifiques ont néanmoins besoin de pouvoir communiquer avec la Terre durant ces opérations, la petite parabole sera donc mise à contribution.
L’antenne principale en blanc, la seconde en noir sur la gauche au bout d’un bras articulé
Depuis Jupiter, un download à 50 kb/s
Puisqu'on parle de communication avec la Terre, sachez que le débit maximum pour envoyer des données depuis Jupiter sera de 50 kb/s… et encore, en utilisant les deux bandes de fréquences et les transpondeurs à pleine puissance. De plus, la sonde ne pourra transmettre des données que pendant huit heures par jour.
Le problème, vous le voyez certainement venir : les instruments vont générer bien plus de données chaque jour. Ne cherchez pas une alternative : il n’y a pas d’autre possibilité pour envoyer des données à la Terre. Durant les phases de collecte, les informations sont stockées dans la mémoire de l'ordinateur central et le stockage (1 To environ) est partagé entre tous les instruments, avec un système de quota.
Une approche en deux temps est de la partie : les scientifiques récupèrent d'abord des « miniatures » des données de leurs instruments et décident ensuite d’éventuelles séquences complètes à télécharger. Quand il n’y a rien de bien intéressant, les données sont effacées pour laisser de la place aux suivantes. Les responsables d’Airbus nous expliquent que c'est l'ESA qui sera aux commandes de JUICE, c’est donc elle qui a le dernier mot sur les données à récupérer. Le choix se fera évidemment avec la communauté scientifique.
Les panneaux solaires critiques : pas le droit à l’erreur
L'ordinateur de bord dispose d’un double dans la sonde, qui pourra prendre le relai en cas de problème. La plupart des circuits sont d'ailleurs en double, à quelques exceptions notables. Les panneaux solaires pour commencer. Ils occupent pas moins de 84 m², excusez du peu, et ce sont les plus grands jamais construits pour une mission interplanétaire selon Airbus. Une telle surface est nécessaire pour capter suffisamment d’énergie, car le Soleil sera loin de la sonde, le rendement sera donc sans commune mesure avec ce que l’on a sur Terre.
Ils sont donc des éléments critiques (c’est-à-dire indispensables à la mission) : la sonde ne pourra pas fonctionner si un seul des deux se déploie par exemple. Les systèmes pyrotechniques sont néanmoins doublés afin d'éviter toute mauvaise surprise lors de leur mise en place.
Signalons aussi la présence d'un seul moteur principal de 400 newtons (N), mais une « alternative » serait possible en utilisant les petits moteurs (tuyères) chargés d'ajuster la trajectoire de la sonde. Ils sont au nombre de huit, mais leur poussée n'est que de 22 N. On peut voir l’emplacement d’une paire de tuyères sur les photos de la sonde, elles sont derrière la partie en gris clair en bas à gauche de la sonde.
Ne pas oublier avant le lancement : « Remove before flight »
Dans la seconde partie de notre dossier nous reviendrons sur les tests en cours chez Airbus, la configuration particulière de la la « salle » blanche et les attentes scientifiques autour de cette mission.
À la découverte de la sonde JUICE, dans la salle blanche et anéchoïque d’Airbus
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Airbus aux commandes, lancement dans un an
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Un trèèèèès long voyage de près de 8 ans
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Juice en configuration de vol… ou presque
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Depuis Jupiter, un download à 50 kb/s
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Les panneaux solaires critiques : pas le droit à l’erreur
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 06/04/2022 à 15h46
C’est quoi la définition de anéchoïque ?
Le 06/04/2022 à 15h57
C’est une pièce dont les parois absorbent les ondes (grâce aux cônes vers/bleus partout sur le mur dans les photos), j’y reviendrais plus en détail dans la seconde partie du dossier ;)
Le 06/04/2022 à 16h02
Sans écho : une chambre anéchoïque absorbe les ondes de telle sorte que les parois ne renvoient pas d’écho
Le 06/04/2022 à 15h59
Merci.
Je suppose que le mot anéchoïque concerne uniquement des ondes mécaniques ?
Le 06/04/2022 à 16h03
Il y a également des chambres anéchoïques qui absorbent les ondes électromagnétiques. D’ailleurs, ce serait pas le cas ici ?
Le 06/04/2022 à 17h55
Si c’est le cas pour cette salle
Je suis presque deçu de ne pas avoir croisé un membre de ce site que je suis depuis si longtemps… Merci pour cet article m’étant en lumière ce superbe projet
Le 06/04/2022 à 18h52
Par qui doit être lancé la mission ? Si c’est par une fusée Soyouz, je crains que ce soit compromis. Si c’est par Ariane 6, le lanceur a du retard…
Le 06/04/2022 à 19h18
Ariane !
Le 06/04/2022 à 19h30
Ariane 5, ce devrait d’ailleurs être la dernière mission pour Ariane 5
Le 06/04/2022 à 19h52
Ah ce sous titre !
Je vais pas pouvoir lire l’article avant un moment !
Le 06/04/2022 à 20h36
Ah tiens, un concurrent (ou partenaire selon les projets) de l’autre côté de la Garonne
Le 06/04/2022 à 21h23
50ko/s? c’est presque aussi bien que les débuts de l’ADSL en 512k… et le satellite, lui, est plus qu’en fin de ligne
Question: par rapport à la limite d’envoi des données de 8h/j, c’est une limite énergétique ou physique par rapport aux déplacements sonde et terre?
Question subsidiaire: pour des cas comme ça, on a pas de satellite près d’un point de lagrange (L2, L4 ou L5) qui permettrait de stocker et relayer les informations avec un débit plus élevé (genre serveur cache, comme varnish mais en plus cher)?
Le 07/04/2022 à 12h21
50kb/s en gros comme un bon vieux modem 56k … ggriiicrruiiiigrrriii
Pour les 8h ça doit être une question d’antennes terrestre ou d’orbite autour de Jupiter.
Vu la distance de Jupiter des relais au points de Lagrange ne changeraient pas grand chose ou pourrait même être plus loin et serait de toute façon beaucoup plus petit que les énormes groupes d’antennes sur terre.
Le 07/04/2022 à 14h29
Je m’était posé la même question que Albirew, On peut mettre les relais sur les points de Lagrange (3, 4 et 5) soleil / mars pour les communications avec le système solaire externe… Pas sûr d’avoir besoin d’antenne aussi grande que sur Terre, vu qu’on serai plus près. Mais cette remarque reste pertinente.
Question par rapport à l’article sur l’évacuation de la salle en cas d’émission radio. Il me semblait que les anciennes sondes avait des puissances radio proche voir inférieure à un smartphone. Tu peut confirmer / infirmer / poser la question aux spécialistes la prochaine fois ?
Le 07/04/2022 à 15h09
Pour les 8h par jours, plusieurs raisons possibles : La sonde n’est pas visible, elle doit être orientée différemment pour des observations scientifique, la puissance électrique doit être mobilisée pour autre chose (instrument scientifique), on utilise l’antenne principale comme radar, mais principalement, c’est les antennes sur Terre qui ont aussi d’autre sondes / satellites en charge. Notez qu’en cas de grosse charge ou besoin de redondance dans des phases critiques, les agences spatiales peuvent ponctuellement s’entraider, il arrive que la Esa utilise ses antennes pour la Nasa et inversement.
Pour le fun, vous pouvez suivre en direct ce que font les 3 stations de réception de la Nasa.
Le 07/04/2022 à 05h34
Limite physique en rapport avec la rotation de la Terre, les 16h restantes il n’est pas possible d’aligner l’antenne avec le satellite
Le 07/04/2022 à 07h49
Je me demande s’ils pensent à mettre en projet des relais de communications pour éviter ce genre d’interruption.
Le 07/04/2022 à 07h21
Les chambres anéchoïques peuvent être acoustiques ou électromagnétiques.
Ici c’est une chambre anéchoïque électromagnétique, pour placer la sonde dans la même configuration que dans l’espace (sur le plan des ondes radio).
C’est juste une salle dont les parois absorbent les ondes radio plutôt que de les diffuser. Un peu comme les surfaces d’un avion furtif, dont le revêtement ainsi que la géométrie agissent de façon à ce que les ondes radio émises par le sujet de l’expérience ne reviennent pas vers lui (blocage de l’écho, d’où le nom).
En constructeurs de téléphone portables utilisent aussi ce genre de salles, pour évaluer le DAS, par exemple. Ou encore les fabricants de fours à micro-ondes, pour mesurer la quantité d’ondes qui sortent du four en usage normal, par exemple.
Le 07/04/2022 à 07h51
Pour compléter, la source d’émission est représenté par la petite tour à droite de l’image d’illustration de l’article, et seules les ondes qui “tapent” les reflecteurs (en noir sur l’image) retourne à l’antenne de la sonde. Le reste est absorbé
Le 07/04/2022 à 09h34
Je plussoie le sous-titre
Le 07/04/2022 à 23h14
Airbus ne prévoit pas de rencontre du troisième rayon cosmique ?
De la même couleuvre : pourquoi l’appareil photo capte-il la couleur des pyramides si elles absorbent les ondes ?