Sans surprise, le Sénat a adopté hier le projet de loi Valter sur la gratuité des données publiques. La vingtaine de parlementaires présents pour l’occasion n’ont guère amendé le texte voté en commission, maintenant ainsi les « gros reculs » dénoncés par l’association Regards Citoyens.
L’INSEE, Météo-France et l’IGN peuvent souffler. Les débats d’hier n’ont pas conduit au « big bang » espéré par certains militants de l’Open Data. Loin de là même. Le projet de loi Valter risque finalement de pas changer grand-chose à la manière dont les administrations peuvent aujourd’hui imposer des redevances pour la réutilisation de données publiques (statistiques, données géographiques, etc.) utiles parfois à la transparence de l’action publique ou à la création d’applications pour smartphone.
Les sénateurs approuvent de larges dérogations au principe de gratuité
Les sénateurs n’ont certes pas touché au principe de gratuité des données publiques, dont la réutilisation ne devra donc pas donner lieu au paiement d’une redevance, sauf que les exceptions à ce nouveau principe demeurent larges et nombreuses... Les administrations pourront en effet continuer à exiger le paiement d’une redevance, dès lors qu’elles seront « tenues de couvrir par des recettes propres une part substantielle des coûts liés à l’accomplissement de leurs missions de service public ou à la collecte, la production, la mise à disposition du public et la diffusion de certains documents ». Cette brèche pour le moins généreuse permettra notamment à des établissements publics spécialisés tels que le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) de maintenir certaines barrières tarifaires.
Les débats d’hier n’ont pas conduit les élus du Palais du Luxembourg à revenir sur ces dispositions votées en commission mercredi dernier. La sénatrice Corinne Bouchoux (EELV) a pourtant tenté de faire adopter des amendements soutenus à l’Assemblée nationale par le rapporteur Luc Belot (PS), en vain.
Sa première proposition visait à interdire les administrations dont « la diffusion d'informations publiques fait partie de leurs missions principales » à instaurer la moindre redevance – ce qui aurait concerné l’INSEE par exemple. Les dérogations au principe de gratuité étaient dans le même temps grandement rabotées, puisque l’élue voulait autoriser les redevances uniquement dans les cas où « le coût de la reproduction, de l'anonymisation ou de la numérisation » des données ouvertes aurait représenté « une part significative » des ressources des administrations... Pour anticiper une telle réforme, un délai d’un an aurait été prévu pour l’entrée en vigueur de ces dispositions.
Sa seconde proposition (de repli) imposait aux administrations dont les missions principales incluent la diffusion d'informations publiques à mettre en ligne, « gratuitement » et « dans un standard ouvert et aisément réutilisable », les « bases de données qu'elles produisent ou qu'elles collectent ainsi que les données dont la publication présente un intérêt économique, social ou environnemental ». L’IGN ou l’INSEE auraient ainsi été tenu de publier en Open Data l’ensemble de leurs jeux de données, actualisés uniquement tous les six mois. Pourquoi ? Pour conduire à la mise en place d’un système de freemium, avec des données payantes mises à jour très régulièrement pour les réutilisateurs au profil plus professionnel, et d’autres gratuites mais actualisées bien moins souvent. À nouveau, un délai d’un an était prévu avant l’entrée en vigueur du dispositif.
Le gouvernement à nouveau défavorable à trop d'Open Data
« De nombreux rapports ont montré l'inconvénient de ces redevances. Le citoyen se retrouve à payer deux fois pour la production des données puis pour l'accès à celles-ci. Il s'agit d'un obstacle important à l'accès à ces informations d'intérêt général, alors que ces redevances ne représentent qu'une part très faible des recettes de ces services publics. La libération des données publiques libère aussi de la valeur » a fait valoir la sénatrice Corinne Bouchoux dans l’hémicycle.
Mais de la même manière qu’à l’Assemblée nationale, la secrétaire d’État en charge de la Réforme de l’État, Clothilde Valter, s’est opposée à ces amendements : « Le gouvernement pose le principe de la gratuité, la redevance étant l'exception – notamment pour financer le fonctionnement du service public. Donnons-nous le temps de trouver un mécanisme qui aille dans le sens que vous souhaitez » a-t-elle soutenu. Un argument qui ne manque pas de piquant quand on sait que le rapport Trojette sur les exceptions au principe de gratuité a été remis au Premier ministre Jean-Marc Ayrault voilà quasiment deux ans, ce qui avait d’ailleurs conduit l’exécutif à annoncer un moratoire sur la création de nouvelles redevances ! Certains souligneront également que la directive européenne sur la réutilisation des informations du secteur public, qui date de 2013, aurait dû être transposée par la France avant le 18 juillet...
Devant les députés, Clothilde Valter s’était engagée, au nom du gouvernement, « à demander d’évaluer les conséquences qu’aurait [la mise en place d’un système de freemium] pour les administrations percevant aujourd’hui des redevances et qui s’en verraient privées au cours des prochains mois ». Une promesse qui conduisait ni plus ni moins qu’à enterrer cette solution le temps de l’examen de ce projet de loi – qui ne devrait faire l’objet que d’une seule lecture par chambre (l’exécutif ayant engagé le texte sous procédure d’urgence).
Quant à la première proposition, celle-ci avait été balayée d’un revers de la main pour des raisons financières. « La situation budgétaire conduit le gouvernement à tout faire et à prendre de nouvelles initiatives chaque année pour redresser les finances publiques. Il me semble difficile d’accéder à la demande du rapporteur, et de faire disparaître ainsi d’un coup, de surcroît à la veille de l’examen de la loi de finances – période sensible s’il en est – plusieurs dizaines de millions d’euros de recettes ! Certes, et comme cela a été pointé, des administrations acquittent ces redevances ; mais il reste que la mise en œuvre de l’amendement no 31 rectifié priverait l’État de plusieurs dizaines de millions, dont les services publics ne peuvent se passer » s’était justifiée la secrétaire d’État.
Résultat, Corinne Bouchoux a préféré retirer ses deux amendements après que ceux-ci ont fait l’objet d’un avis défavorable du gouvernement.
Le risque d’un Open Bar sur les redevances
Au-delà de ces maigres débats sur le cœur du projet de loi Valter, seuls quatre amendements (très accessoires) ont été votés hier, sur la vingtaine déposée pour l’occasion. Le tout dans un hémicycle quasi-désert. Le Sénat, dont la majorité est désormais de droite, n’a guère fait de cadeaux au gouvernement. Ce dernier avait notamment déposé un amendement pour revenir à la version votée par l’Assemblée nationale à propos des modalités de fixation de chaque redevance.
Alors que les députés voulaient que celles-ci fixées au cas par cas par décret, après avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), le rapporteur Hugues Portelli a demandé sous couvert de « simplification » qu’il n’y ait qu’un seul et unique décret qui vienne déterminer d’une part la liste des catégories d’administrations autorisées à établir des redevances, et d’autre part la liste des « informations ou catégories d’informations soumises au paiement d’une redevance ». Autrement dit, le même texte dira qui peut réclamer des redevances, et sur quels jeux de données. Aux yeux de l’association Regards Citoyens, ces dispositions conduiront à une sorte d’ « open bar des redevances », puisqu’il n’y aura plus de décret pour chaque redevance.
#DirectSénat un sénateur LR s'est endormi, et doit être réveillé par ses collègues qui constatent qu'il ne lève pas la main pour voter
— Samuel Le Goff (@S_LeGoff) 26 Octobre 2015
Clothilde Valter a défendu la vision « pragmatique » de l’Assemblée nationale : « Un décret en Conseil d'État fixera la liste des catégories d'administrations autorisées à pratiquer des redevances et les modalités de celle-ci. Un décret simple dressera la liste des informations ou catégories d'informations, soumises à redevance pour l'État uniquement. » Les sénateurs ont toutefois suivi l’avis du rapporteur Les Républicains en rejetant l’amendement gouvernemental. Seul un petit « patch » prévoyant une révision tous les cinq ans de la liste des informations ou catégories d'informations prévues par le décret a été adopté, sur proposition de Corinne Bouchoux.
Le montant de chaque redevance ne pourra pas dépasser « le montant total des coûts liés à la collecte, à la production, à la mise à la disposition du public ou à la diffusion » des données en question, ce qui laissera malgré tout d’importantes marges de manœuvre aux administrations. Aucun amendement n'avait été déposé pour modifier ces dispositions. Les dérogations spécifiques aux établissements culturels (musées, bibliothèques...) n’ont pas non plus bougé d’un poil. Nous y reviendrons plus en détail ultérieurement.
#DirectSénat Grosse déception sur l'#OpenData d'avoir un Sénat administrativement en pointe mais dépassé politiquement. cf. @lesRep_Senat
— Regards Citoyens (@RegardsCitoyens) 26 Octobre 2015
Désormais adopté en des termes différents par l’Assemblée et le Sénat, le projet de loi Valter devrait faire l’objet d’une commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, et à qui il reviendra de trouver un accord. Faute de quoi le texte reprendra sa navette parlementaire. Une chose est désormais certaine : il faudra attendre le projet de loi numérique d’Axelle Lemaire pour espérer davantage d'avancées en faveur de l’Open Data.
Commentaires (3)
#1
En fait, on ne devrait parler d’Open Data, mais de Free-To-Play…
#2
et c’est en early access payant actuellement " />
#3