La Cour des comptes épingle la gestion des services publics numériques
La simplification, ça fait un choc
Le 05 février 2016 à 13h20
8 min
Internet
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Alors que le gouvernement se plait régulièrement à vanter les mérites des services publics numériques, la Cour des comptes a présenté hier un rapport épinglant les lacunes de la France en la matière. L’institution invite les pouvoirs publics à déployer de nombreux efforts, à commencer par la mise en place de nouvelles solutions.
Y aurait-il un décalage entre les affichages politiques – concernant par exemple les mesures du choc de simplification – et la réalité ? C’est en tout cas la conclusion à laquelle en est arrivée la Cour des comptes, suite à une enquête menée à la demande du Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale. Tout en reconnaissant qu’un « certain volontarisme » et des « efforts réels » permettent actuellement à la France de sortir son épingle du jeu par rapport aux autres pays, le bilan des magistrats financiers se veut pour le moins « nuancé ».
Ceux-ci commencent en effet par constater qu’en comparaison des autres États, « les performances de la France sont honorables et en progrès » : « Le classement établi par la Commission européenne, le plus complet sur le plan des indicateurs, situe la France en 2015 en 13ème position, au-dessus de la moyenne européenne et en progression de quatre places par rapport à 2014. » La Cour estime cependant que cette situation « n’est pas remarquable à l’aune de l’engagement ancien dans cette démarche de modernisation que revendiquent les pouvoirs publics ».
Les magistrats égratignent les efforts insuffisants de l’administration
L’institution pointe du doigt « un taux d’usage encore trop faible par les particuliers (alors qu’ils bénéficient d’une offre satisfaisante), et symétriquement une offre très utilisée mais insuffisante pour les entreprises ». Les bénéfices des services publics numériques pour les usagers sont pourtant jugés « réels en termes de gain de temps et d’économies », par exemple s’agissant des formulaires pré-remplissables via le site « service-public.fr ».
Mais c’est surtout sur les pouvoirs publics que les magistrats jettent la pierre : « Alors que les conditions d’une modernisation numérique plus poussée sont réunies – notamment les conditions de déploiement technologique –, l’impact des services publics numériques sur la modernisation de l’État reste insuffisant. »
La Cour des comptes en arrive à la conclusion que l’administration n’a pas « tiré toutes les leçons ni tous les bénéfices du développement des services en ligne. De manière globale, l’organisation des services n’a pas été profondément modifiée, les gains de productivité liés aux services publics numériques restant en deçà de leur potentiel. » Elle ajoute : « Aucun véritable suivi budgétaire n’est à ce jour en place. Le projet numérique de l’État se heurte par ailleurs encore à la prééminence des grandes directions dans les ministères et à la faiblesse des secrétariats généraux ministériels. » La gestion des ressources humaines – et notamment celles des informaticiens – est égratignée, l’institution jugeant l’administration « trop déconnectée des enjeux du numérique » sur ce terrain...
Des « choix budgétaires de court terme »
Critiquant des « choix budgétaires de court terme » et l’impact tout « relatif » des économies réalisées jusqu’ici, la Cour des comptes explique que « les téléprocédures sont venues pour l’essentiel se superposer aux procédures existantes sans réingénierie profonde des processus et des structures ». Elle détaille :
« La contrainte qui s’exerce sur la dépense publique peut conduire les responsables de programme à reporter ou étaler dans le temps les dépenses relatives aux projets de dématérialisation des procédures. Ces projets présentent en effet la double caractéristique de coûter immédiatement sans que le retour sur investissement ne soit perceptible pendant la phase de développement et de pouvoir être fortement réduits sans conséquence sociale (...). Dès lors, la tentation est grande pour les responsables de programmes, confrontés aux réductions des crédits, de limiter les investissements en-deçà du niveau nécessaire à l’amélioration de l’efficience de la gestion. Ce choix équivaut à privilégier des économies à court terme de faible montant, plutôt que de maintenir une dépense porteuse d’une économie plus importante mais devant être réalisée seulement à long terme. Ainsi les crédits informatiques relatifs aux impôts des particuliers ne représentent que 1 % du coût de leur gestion, constitué à 78 % de masse salariale. »
Plus concrètement, ces arbitrages en faveur du court terme conduisent l’administration à « maintenir un nombre élevé d’agents affectés à l’accueil ou à la saisie manuelle de données alors que les systèmes d’information auraient pu être développés pour automatiser ces tâches ». Les magistrats enfoncent le clou en donnant ensuite quelques exemples de la « vision trop morcelée de la politique de modernisation numérique » :
« Le programme Copernic [initié à la fin des années 2000 par l’administration fiscale, ndlr] est resté limité aux seuls besoins de la DGFiP alors qu’une approche « usager » – par type de contribuables par exemple – aurait pu conduire à envisager des mutualisations avec la gestion de recettes recouvrées par la Douane. Parallèlement, et malgré l’ampleur et le caractère pluriannuel des moyens consacrés à ce programme, il n’a pas permis de rénover le cœur du système d’information, pourtant en voie d’obsolescence. »
La Cour des comptes croit en une généralisation du recours aux services en ligne
En dépit de ces « constats critiques », la Cour des comptes estime que les conditions sont malgré tout « réunies pour faire des services publics numériques un levier de transformation de l’État » : « L’équipement et les pratiques des usagers d’une part, l’engagement de projets structurants d’autre part (relatifs à l’identification et l’authentification des usagers, à l’échange de données entre administrations...) permettent d’envisager une généralisation du recours aux services en ligne. Cette généralisation devrait permettre en retour à la fois de répondre aux attentes des usagers (en termes notamment de gain de temps et de facilité d’accès aux services publics), de maximiser l’effet du recours au numérique sur la réduction du coût et l’amélioration de la productivité de ces services, dans un contexte budgétaire contraint mais aussi d’enrichir les tâches des agents. »
L’institution formule ainsi une dizaine de recommandations, visant tout d’abord à l’amélioration des services rendus aux usagers. Tout en appelant le SGMAP à poursuivre les projets liés à l’État-plateforme (FranceConnect, Dites-le nous une fois...) les magistrats demandent le développement, « après une étude préalable d’opportunité », de « solutions techniques interministérielles de prise de rendez-vous, de suivi des dossiers, de signature électronique, de boîte aux lettres numérique et de télépaiement ».
Ils en appellent également à ce que le portail service-public.fr devienne à terme « le mode d’accès unique aux démarches administratives et à leurs informations ». Et pour ne laisser personne sur le bord de la route, il est proposé de « multiplier les points d’accès aux services publics numériques (bureaux de poste, bibliothèques, etc.) en accès libre, équipés notamment d’imprimantes, avec un personnel d’accompagnement et le cas échéant des volontaires du service civique formés ».
Pour que la modernisation de l’action publique s’accélère davantage, la Cour des comptes pousse dans un deuxième temps pour des réformes structurelles – touchant notamment aux questions budgétaires. Elle suggère ainsi d’annexer au projet de loi de finances « un document de politique transversale sur la transformation numérique de l’État ». Elle préconise aussi d’identifier, au sein des crédits alloués aux ministères, « un budget destiné à venir en appui aux projets de services publics numériques transverses ».
Appuyant fortement les récents travaux de l’Administrateur général des données, alias Henri Verdier, les magistrats financiers plaident d’autre part pour « la constitution d’un réseau de responsables de la donnée au sein des ministères » (voir à ce sujet notre article sur le premier rapport de l’AGD). Ils soutiennent à cet égard l’instauration de « données de référence », comme le prévoit le projet de loi numérique.
Preuve que les révélations d’Edward Snowden ont profondément marqué les esprits, l’institution estime enfin qu’il est aujourd’hui nécessaire « d’accroître la confiance dans les services numériques ». Elle souhaite à cet effet que toutes les données des usagers des services publics soient traitées et stockées « dans des serveurs informatiques sécurisés conformes aux normes de l’ANSSI et localisés sur le territoire national ».
La Cour des comptes juge enfin qu’il faudrait « rendre obligatoire dans chaque ministère la désignation auprès du secrétaire général d’un correspondant informatique et libertés et la labellisation CNIL gouvernance pour tous les sites publics ».
La Cour des comptes épingle la gestion des services publics numériques
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Les magistrats égratignent les efforts insuffisants de l’administration
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Des « choix budgétaires de court terme »
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La Cour des comptes croit en une généralisation du recours aux services en ligne
Commentaires (30)
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Abonnez-vousLe 05/02/2016 à 13h31
« les téléprocédures sont venues pour l’essentiel se superposer aux
procédures existantes sans réingénierie profonde des processus et des
structures ».
En gros ça va nous coûter cher pendant longtemps avant que ce soit vraiment efficace…
Le 05/02/2016 à 13h34
La Cour des Comptes : le bon sens en action…
Le 05/02/2016 à 13h35
Si c’est très utilisé par les entreprises… c’est aussi que c’est obligatoire !
L’ergonomie du site DGFiP est d’ailleurs assez exceptionnelle : pour payer la CFE, il faut aller dans le compte fiscal / situation, noter le numéro de l’avis puis compte fiscal / autres impôts / CFE et là (mais uniquement si un mandat SEPA B2B a été établi - et ça se passe à un autre endroit sur le site) il est possible de saisir le numéro de l’avis puis d’enquiller quelques écrans pour enfin autoriser le prélèvement.
Le tout agrémenté de redirections côté client à répétition (bloquées chez moi) mais heureusement qu’il existe un référentiel général d’accessibilité pour l’administration (RGAA).
C’est presque aussi efficace qu’un site de e-commerce (ironie).
Le 05/02/2016 à 13h46
Ce qu’il va falloir attendre, c’est qu’en fonction de la baisse de charge de travail permise par le passage au numérique, les fonctionnaires partent à la retraite ou qu’une loi permette de faire passer un individu d’un service à un autre ne dépendant pas de sa branche actuelle.
Le 05/02/2016 à 13h50
Le 05/02/2016 à 13h54
Certains vont taper sur l’Administration avec une telle news, mais les réflexions de la CdC s’appliquent aussi à nombre d’entreprises hein.
ll n’empêche que nos énarques semblent ne pas comprendre que demander des économies maintenant va coûter plus cher par la suite.
C’est comme les PPP, l’Etat s’endette pour quasi rien, mais avec des contrats usuriers, les contribuables payants 250% de l’investissement, au plus grand plaisir des entreprises du BTP qui lissent ainsi leurs revenus (leur secteur étant cyclique).
Et ramassent nos impôts.
Le 05/02/2016 à 13h54
Le 05/02/2016 à 13h56
Le 05/02/2016 à 14h04
Le problème, c’est, pour moi, déjà, l’absence de DSI transversale à l’administration, et surtout, l’absence ou le manque de bagages techniques dans les DSI des différentes administrations.
On demande donc aux équipes de rajouter des couches sans jamais repenser les processus pour soient modernisés et plus adaptés aux numériques, et on laisse des gens incompétents écrire des spécifications fonctionnelles et techniques.
Et c’est également la sous-traitance à certaines SSII qui se gavent de marchés publics, qui mettent ceux qu’ils ont sous la main en trafiquant le CV pour que ça passe, et qui livrent des trucs complètement à l’arrache.
Le 05/02/2016 à 14h04
Je confirme aussi pour la CFE… on est redirigé x fois sur plein d’interfaces différentes, ça n’a pas été évident pour moi la 1ère fois de savoir où rentrer le RIB par rapport aux impôts particuliers, vraiment rien à voir.
Le site des impôts pour entreprises c’est une grosse blague.
C’est presque hors sujet mais ça m’a rappelé OVH et ses 10 managers différents qui changent tout le temps, ou alors qui implémentent la moitié des fonctionnalités, et hop ça rechange déjà.
Je dis ça et pourtant j’aime certains aspects de OVH, mais vraiment pas celui-là.
Le 05/02/2016 à 14h09
Le 05/02/2016 à 14h09
Des « choix budgétaires de court terme »
Ah, des choix budgétaires de long terme existent ? " /> (dans l’administration ou ailleurs)
Le 05/02/2016 à 14h19
Il problème est bien là: Pas de vision à long terme + des surcouches dans tous les sens + changement d’orientation / de périmètre dans les projets = " />
Le 05/02/2016 à 14h28
est ce que tout ca ne viendrait pas surtout du politique carriériste ?
Le 05/02/2016 à 14h34
Anéfé, mais je pense que l’équation tient toujours du fait qu’étant carriéristes, font dans la surenchère ils vont suivant le sens du vent et comme ils passent leur temps à courir après un nouveau mandat…
C’était pas le rôle du Commissariat Général au Plan de proposer du long terme mais France Stratégie qui en est la petite-fille, personnellement j’en entends jamais parler " />
Le 05/02/2016 à 14h40
et c’est pas près de changer malheureusement. Toujours des personnes pour aller les mettre en place.
Le 05/02/2016 à 14h42
Non seulement ça et l’éviction des petits jeunes un peu trop ambitieux.
Le 05/02/2016 à 14h46
Et pour trouver un formulaire de déclaration, je préfère ne pas raconter. C’est une horreur totale à ne faire que les jours de chance, les jours on gagne au loto par exemple. Sinon on ne trouve pas le formulaire qu’on veut.
Le 05/02/2016 à 14h54
" /> en plus.
Et après on me dit d’aller voter : LOL
Le 05/02/2016 à 14h54
Le 05/02/2016 à 14h55
Il y a aussi le formulaire imbitable bourré d’acronymes connus de la seule administration avec « cerfa - en cours », donc impossible de mettre la main sur une notice (non fournie avec le courrier bien évidemment), et à remplir d’urgence ; merci l’URSSAF.
Heureusement que l’on a que ça à faire.
Le 05/02/2016 à 15h08
Haaaa le site impots.gouv.fr professionnel, il y a de quoi en faire un mème.
Ce machin est digne des années 90, et encore, je crois que déjà, à l’époque, on faisait bien mieux au niveau ergonomique.
Et maintenant que la déclaration et le paiement de la Tva passe uniquement par ce site, c’est une galère. Il n’y a même pas moyen d’être alerté par un petit mail qu’il faut la payer.
Le 05/02/2016 à 15h09
Le 05/02/2016 à 15h10
Le 05/02/2016 à 16h47
Le 05/02/2016 à 18h56
Le 05/02/2016 à 19h57
Le 05/02/2016 à 23h06
Le 05/02/2016 à 23h30
Chaque administration, voir service a son petit budget qu’ils utilisent en lançant des appels d’offre auxquels ils doivent répondre en prenant souvent le moins chère (codé par des stagiaires). Potentiellement une entreprise différente est choisi pour fournir une fonctionnalité qui n’était pas prévu dans le premier appel d’offre. Reste plus qu’a demander les spécifications a un haut fonctionnaire né à l’époque du minitel et habitué a utiliser des terminaux en mode ASCII ou des formulaires sur 4 pages.
Tout ça me parait normal, les sites sont à l’image de l’administration. Ce qui est le cas pour beaucoup de boite privés aussi, Fnac and CO par exemple.
Le 09/02/2016 à 12h20
…équipés notamment d’imprimantes, avec un personnel d’accompagnement et le cas échéant des volontaires du service civique formés ».
Et la main d’œuvre quasi gratos, ça reviendra moins cher… lamentable.
Et en passant en regroupant au même endroit l’ensemble des données des citoyens, J’en serai presque à souhaiter qu’elle se fasse hacker comme cela l’a été au États-Unis pour en montrer les dangers.