La redevance copie privée due même en cas de barèmes annulés
Win-Win ou presque
Le 18 mars 2016 à 09h59
6 min
Droit
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Hier, la Cour de cassation a rendu un arrêt de rejet suite à un pourvoi déposé par Sony Mobile Communications AB. Elle a considéré que la perception de la redevance est due aux ayants droit, même lorsque les barèmes ont été annulés par le Conseil d'État. Il revient alors aux juges du fond d'en établir les montants, évinçant du coup la Commission copie privée.
De mai à décembre 2008, Sony avait déclaré ses sorties de stock pour faire connaître à Copie France, l’organisme collecteur de la copie privée des ayants droit, le nombre de ses téléphones et autres cartes mémoires écoulés sur le marché français. Seulement, l’entreprise avait refusé de payer le moindre centime de redevance en réponse aux notes de débit adressées par les ayants droit.
Pourquoi ? Devant les juridictions administratives, le débiteur avait attaqué avec d'autres les décisions 8 du 9 juillet 2007 et 10 du 27 février 2008 de la commission pour la Copie privée. Opposé à Copie France devant les juridictions judiciaires cette fois, Sony considérait donc que rien n’était dû, réclamant à titre subsidiaire que la justice sursoie à statuer en attendant la fin du contentieux administratif.
Au Conseil d’État, l’annulation des barèmes en décembre 2010
Bingo ! Le 17 décembre 2010, le Conseil d’État annula ces deux barèmes en raison de leur conception attrape-tout : dans les études d’usages financées par les ayants droit en Commission copie privée, destinées à jauger les pratiques de copie avant d’établir le barème sur les supports, ces bénéficiaires avaient bêtement oublié d’écarter les copies de sources illicites. De fait, plus les pratiques de copies augmentaient – c’est ce que nous disaient les récents débats Hadopi – plus les titulaires de droits pouvaient toucher de la redevance, tout en s’attaquant aux auteurs des mises à disposition illicites. Un drôle de méli-mélo.
De bonne grâce, la juridiction administrative avait toutefois déporté dans le temps les effets de cette annulation qu’à compter du 1er janvier 2009, exceptions faites « des actions contentieuses engagées à la date de la décision contre des actes pris sur le fondement des dispositions annulées ». Et justement, dans ses arrêts, résume la Cour de cassation, le Conseil d’État « a constaté que les factures litigieuses étaient privées de fondement juridique et ordonné la restitution à la société Sony, par la société Copie France, des sommes déjà payées ».
L’arrêt de la cour d’appel de Paris
De retour devant les juridictions judiciaires, calculatrice en main, la cour d’appel de Paris avait malgré tout fixé à 290 000 euros le montant de la redevance copie privée due par Sony pour la période de mai à décembre 2008, pourtant couverte par l’annulation des barèmes. Une somme à compenser avec les 319 669,48 euros que devait restituer Copie France suite toujours à ces annulations, conduisant cette dernière à verser à Sony la différence, soit 29 669,48 euros.
Plus clairement, la justice avait considéré que malgré l’annulation des barèmes gonflés aux sources illicites, les ayants droit devaient malgré tout toucher la redevance copie privée selon un taux fixé souverainement par les juges, après épuration des montants.
C’est cette fixation prétorienne qui a été attaquée sans prudence par le géant de l’électronique devant la Cour de cassation. Pour l’entreprise, en effet, seule la Commission copie privée était compétente pour fixer les barèmes en vertu du Code de la propriété intellectuelle. Du coup, Sony estimait qu’elle n’avait rien à verser sur la période litigieuse.
La validation par la Cour de cassation
Aiguillonnée par la Cour de justice de l’Union européenne et la directive de 2001 sur le droit d’auteur, la Cour de cassation n’a pas retenu cette argumentation : l’annulation des barèmes ne saurait priver les titulaires du droit de la redevance « due au titre des copies licites réalisées à partir des supports d’enregistrement mis en circulation par la société Sony », assène-t-elle.
L’affaire en question n’est pas une surprise compte tenu des positions de la CJUE sur la question. La juridiction européenne estime effectivement que dans les États qui ont décidé d’introduire la possibilité de réaliser des copies privées, la perception d’une compensation est une obligation, sauf à démontrer que les pratiques de copies sont résiduelles. La Cour de cassation n'avait donc pas d'autre choix.
Pour les titulaires de droit, la situation est en tout cas confortable à souhait. Rappelons en effet que lorsqu’il annule des barèmes, une situation qui s’est produite plusieurs fois en France, le Conseil d’État refuse de faire rétroagir (sauf exceptionnelle exception) l’annulation à la date de la publication au Journal officiel dudit barème. Cela interdit du coup les remboursements massifs. Lorsqu'il y a malgré tout obligation de rembourser pour une période ultérieure, Copie France, et derrière les sociétés de gestion collective, sont toujours assurées de percevoir grâce à des barèmes reconstruits par les juges du fond. Soit un magnifique droit à l’erreur.
Une victoire, mais aussi une brèche
Cette décision, qui est une victoire pour Copie France, ouvre surtout une brèche contre ses intérêts. Pourquoi ? En laissant le juge le soin de déterminer librement des barèmes annulés devant le Conseil d'Etat, les industriels ou pourquoi pas les consommateurs retrouveront une latitude plus ample qu’en commission copie privée, où ils sont, les uns et les autres, en position minoritaire (6 et 6 ) face aux 12 sièges des titulaires de droits.
Or, les calculs de la RCP ont déjà été dézingués par la Hadopi ou par le TGI de Nanterre qui, saisi par Rue du Commerce, avait blâmé en 2011 l’oublie du critère de l’harmonisation dans les barèmes (l'affaire s'est terminée par une discrète transaction avant l'appel). Pourraient ainsi s’ouvrir des discussions intéressantes devant les tribunaux où les ayants droit devront expliquer pourquoi la redevance sur les disques durs en France est plafonnée à 120 euros (pour les prochains supports supérieurs à 10To), soit très nettement au-delà des tarifs pratiqués chez nos voisins (quelques euros).
La redevance copie privée due même en cas de barèmes annulés
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Au Conseil d’État, l’annulation des barèmes en décembre 2010
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L’arrêt de la cour d’appel de Paris
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La validation par la Cour de cassation
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Une victoire, mais aussi une brèche
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 18/03/2016 à 10h10
Le 18/03/2016 à 10h17
Wait ! Si je comprends bien, Sony se fait taxer parce qu’ils vont faire des copies de films qu’ils produisent eux même ? :0
C’est complètement con comme principe…
Tu payes des mecs pour du contenu que tu as toi même produit sous prétexte qu’en fait tu vas te servir de ton matos de production pour fournir des copies illégales de ton travail …
Mais le monde est tombé sur la tête…
Le 18/03/2016 à 10h19
Le 18/03/2016 à 10h30
Mais Sony ne fait-il pas partie lui même des ayants droits ?
Donc il n’a qu’à dire que la redevance il l’a versée quand il se l’est mise tout seul dans la poche.
Le 18/03/2016 à 10h32
sony vend aussi des supports et des téléphones… c’est cette branche qui est visée, non la branche contenu
Le 18/03/2016 à 11h05
Sony (le constructeur de Walkman ici et non la branche Sony Music) contre Copie France
Pour résumer le jugement :
Même si le barème de la copie privé était illégale, le prélèvement d’une RCP reste normal.
Du coup, le montant légal de la RCP qui aurait dû être prélevé va être estimé au seul soin du juge durant cette période en shuntant totalement une quelconque décision de la commission de copie privé.
Mais du coup, est ce que les autres industriels pourraient réclamer un remboursement pour cette même période ?
Le 18/03/2016 à 11h27
Je ne suis plus, c’est quelle saison maintenant (popcorn à volonté) ? " />
Le 18/03/2016 à 11h52
Le 18/03/2016 à 13h01
Merci Marc, j’ai trouvé cette news très bien expliquée malgré sa complexité.
Le 18/03/2016 à 13h48
Donc ici, sony va récupéré 29 669,48 euros de copie privée, ou j’ai compris de travers?
Le 18/03/2016 à 13h56
Le 18/03/2016 à 14h09
Le 18/03/2016 à 10h06
Passera pas, anéfé toussa…