Concurrence dans le cloud : Microsoft conclut un accord très critiqué avec le CISPE
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Le CISPE et Microsoft ont conclu un accord. L’association européenne des fournisseurs de cloud célèbre une grande victoire. Microsoft assure que la concurrence en Europe va s’en retrouver renforcée. D’autres, comme Amazon et Google, sont loin d’être aussi ravis.
Le 16 juillet à 09h06
9 min
Économie
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Microsoft et le CISPE (Cloud Infrastructure Services Providers in Europe) se sont finalement entendus sur un accord. La rumeur courait depuis quelques mois que l’association européenne, qui représente nombre de fournisseurs de solutions cloud, avait trouvé un terrain d’entente. Microsoft s’engage sur plusieurs points et le CISPE affiche son entière satisfaction, déclarant que l’accord est une victoire significative pour les fournisseurs européens de solutions cloud.
Pour l’association, les changements permettent de répondre aux critiques formulées contre Microsoft, dont ses pratiques sur les licences. Mais si le CISPE s’estime satisfait, ce n’est pas le cas d’autres acteurs. En outre, plusieurs plaintes déposées contre Microsoft en Europe – et ailleurs dans le monde – sont toujours en cours.
Avalanche de procédures sur les licences de Microsoft
Le CISPE avait déposé plainte contre Microsoft en novembre 2022. La procédure suivait de quelques mois celles lancées par OVHcloud et Aruba. La Commission européenne se penchait aussi sur le dossier. En France, l’Autorité de la Concurrence s’était auto-saisie.
À l’époque, le CISPE avait accusé Microsoft de « causer des dommages irréparables à l'écosystème européen de l'informatique dématérialisée et de priver les clients européens de choix dans leurs déploiements ». Pourquoi ? Parce que les conditions de licence imposées par Microsoft exacerbaient « les préjudices et [introduisaient] de nouvelles formes de vente liée, de verrouillage et de suppression du choix pour les clients ». Le CISPE annonçait également soutenir pleinement les plaintes déposées par OVHcloud et Aruba, membres de l’association.
Le CISPE souhaitait notamment une évolution des pratiques sur dix points, dont des conditions de licence « claires et intelligibles », la possibilité pour les clients d’utiliser « dans le cloud des logiciels préalablement acquis » et surtout celle de pouvoir « utiliser leurs logiciels chez le fournisseur de leur choix ». Ceci pour mettre fin à une pratique largement critiquée de Microsoft, qui fait payer plus cher ses produits quand ils sont utilisés dans un autre cloud que le sien (Azure).
Microsoft s’engage
Dans l’annonce publiée le 11 juillet, le CISPE indique que Microsoft va donc proposer une nouvelle version d’Azure Stack HCI. Ce dernier est un composant de l’offre Azure, spécialisé dans l’architecture hyperconvergée et permettant de virtualiser l’ensemble de l’infrastructure. Azure Stack HCI héberge ainsi des charges de travail Windows et Linux ou conteneurisées, ainsi que leur stockage. Le composant entre dans la stratégie de cloud hybride de Microsoft. Il relie ainsi les systèmes locaux à Azure pour tout ce qui touche aux services, à la supervision et à la gestion.
Cette nouvelle mouture devrait uniquement être proposée aux fournisseurs de cloud européens. Une approche déjà largement expérimentée par Google dans sa mise en conformité avec le DMA. Cette nouvelle Azure Stack HCI permettra aux fournisseurs de récupérer les mêmes conditions que pour Azure sur leurs propres offres.
Ces changements concernent trois fonctions : l’infrastructure de bureau virtuel multisession basée sur Windows 11, les mises à jour de sécurité étendues gratuites et la licence « pay-as-you-go » pour SQL Server. Cette dernière permet au client de ne payer que lorsqu’il utilise le service. Amazon (via AWS), bien que membre du CISPE, ne bénéficiera pas de ces conditions, étant actuellement le ténor mondial du cloud.
« Cette collaboration permettra aux fournisseurs européens de services en nuage d'offrir des applications et des services Microsoft sur leurs infrastructures en nuage locales, répondant ainsi à la demande de solutions en nuage souveraines et aux perturbations subies par les fournisseurs européens de services en nuage et leurs clients à la suite de l'acquisition de VMware par Broadcom », affirme le CISPE. Rappelons que le rachat de VMware par Broadcom a créé de nombreuses tensions en Europe.
Un observatoire pour suivre l’évolution du produit
Le CISPE et Microsoft ont également annoncé la création d’un observatoire pour surveiller la manière dont Azure Stack HCI va effectivement évoluer. Cet European Cloud Observatory sera créé et géré par le CISPE et comprendra Microsoft, des fournisseurs de solutions cloud ainsi que des observateurs issus d’associations européennes de clients (non nommées).
L’ECO sera chargé d’évaluer périodiquement la bonne marche des modifications. Il publiera des rapports et des recommandations, aussi bien sur la mise en œuvre que sur la « garantie d’équité des licences des logiciels dans le cloud ». Microsoft s’engage en outre à produire ces changements dans un délai de neuf mois.
En conséquence, le CISPE retire sa plainte devant la Commission européenne. Cependant, si Microsoft devait ne pas respecter ses engagements, une plainte serait de nouveau déposée et tout recommencerait.
Bien que le communiqué de l’association n’en parle pas directement, Microsoft aurait aussi versé une somme au CISPE. Ni l’association ni l’entreprise ne précisent le montant, le CISPE évoquant seulement le « remboursement des frais de litige et de campagne » par Microsoft. Si l’on en croit Reuters toutefois, la somme serait de 20 millions d’euros.
Des critiques comme s’il en pleuvait
Si Microsoft évoque un renforcement de la concurrence en Europe grâce à cet accord et que le CISPE parle, lui, d’une « victoire significative pour les fournisseurs européens d'informatique dématérialisée », tout n’est pas rose pour autant. D’autres acteurs du cloud sont nettement moins enthousiastes.
À The Verge, Amazon Web Services a déclaré que les changements présentés par Microsoft ne sont que des « concessions limitées pour certains membres de la CISPE, qui démontrent qu'il n'y a pas d'obstacles techniques l'empêchant de faire ce qui est juste pour tous les clients de l'informatique en nuage ». En outre, cet accord ne changerait « rien pour la grande majorité des clients de Microsoft qui ne peuvent toujours pas utiliser le cloud de leur choix en Europe et dans le monde entier ».
À DatacenterDynamics, Google se montre également très dubitative : « De nombreux organismes de réglementation ont ouvert des enquêtes sur les pratiques de Microsoft en matière de licences, et nous espérons qu'il y aura des remèdes pour protéger le marché du cloud du comportement anticoncurrentiel de Microsoft. Nous étudions nos options pour continuer à lutter contre les licences anticoncurrentielles de Microsoft afin de promouvoir le choix, l'innovation et la croissance de l'économie numérique en Europe ».
AWS et Google se présentent en champions de la diversité et de la concurrence. Pourtant, Amazon est régulièrement pointée du doigt pour des raisons similaires. En octobre dernier par exemple, Amazon et Microsoft ont été pointées du doigt par l’autorité britannique de la concurrence et des marchés (CMA) pour leurs pratiques anticoncurrentielles. Un mois et demi plus tard, Google envoyait une lettre à la CMA pour lui demander d’enquêter plus spécifiquement sur Microsoft. Amazon avait fait de même quelques jours plus tard.
Microsoft aurait payé pour sa tranquillité
Les critiques ne s’arrêtent pas là. Pour la Coalition for Fair Software Licensing, « cet accord est la dernière tentative de Microsoft pour éviter l'examen réglementaire sans s'attaquer aux pratiques anticoncurrentielles sous-jacentes qui ont un impact sur des millions de clients de l'informatique dématérialisée dans le monde entier. Même après la mise en place de cet accord, Microsoft continuera d'utiliser ses pratiques déloyales en matière de licences logicielles pour limiter le choix, faire grimper les coûts et verrouiller les clients ».
Du Royaume-Uni, les critiques fusent également. À DatacenterDynamics, Mark Civo, CEO de CIVO (spécialiste du cloud), se montre incisif : « Quelle que soit leur position, nous ne pouvons pas ignorer ce que cet accord semble être : une entreprise mondiale puissante qui paie pour le silence d'un organisme commercial et qui évite d'avoir à apporter des changements fondamentaux à ses pratiques en matière de licences de logiciels à l'échelle mondiale ».
L’accord ne règle pas les autres procédures
L’accord conclu entre Microsoft et le CISPE ne concerne que l’association européenne. Il n’a aucun effet sur les autres procédures, dont celle de la CMA au Royaume-Uni, l’enquête en cours à la Commission européenne ou encore les plaintes déposées par OVHcloud et Aruba. Interrogée, OVHcloud nous confirme que la plainte est toujours là. L’entreprise n’avait pas de commentaire à faire sur l’accord du CISPE.
On attend également de savoir ce que fera l’Autorité de la concurrence. Celle-ci avait rendu un avis très clair, il y a un peu plus d’un an, sur ce qu’elle pensait des hyperscalers et de leurs pratiques. L’Autorité devait se pencher formellement sur le dossier, en vue d’une enquête en bonne et due forme. Interrogée sur ce point, l’Autorité nous a cependant répondu qu’elle ne commentait pas « les éventuels dossiers en cours d’instruction ».
Concurrence dans le cloud : Microsoft conclut un accord très critiqué avec le CISPE
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Avalanche de procédures sur les licences de Microsoft
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Microsoft s’engage
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Un observatoire pour suivre l’évolution du produit
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L’accord ne règle pas les autres procédures
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