Cloud : Microsoft sous le coup d’une nouvelle plainte auprès de la Commission européenne
L’arbre ne doit pas cacher la forêt
Le 10 novembre 2022 à 14h32
8 min
Droit
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Microsoft est sous le coup d’une nouvelle plainte auprès de la Commission européenne. La CISPE l’accuse de « pratiques déloyales en matière de licences de logiciels ». L’association demande l’ouverture sans tarder d’une « enquête formelle » et propose la création d’un Observatoire européen indépendant.
Au fils des mois, les inquiétudes grandissent autour des enjeux du cloud et notamment de la position dominante de certains acteurs, principalement américains – Amazon, Google et Microsoft pour ne pas les citer. L’autorité de la concurrence s’est d’ailleurs auto-saisie du dossier au début de l’année, mais les conclusions de son enquête ne sont pas encore connues.
Les plaintes s’accumulent contre Microsoft
Quelques mois plus tard, on apprenait qu’OVHcloud, avec d’autres sociétés, avait déposée une plainte contre Microsoft auprès de la DG Competition (direction générale de la concurrence) de la Commission européenne. En avril, la Commission européenne envoyait des questionnaires sur les accords de licence de Microsoft, une première étape pouvant conduire à l’ouverture d’une procédure formelle indiquait alors Reuters. Cette semaine, Michel Paulin (directeur général d’OVHcloud) se disait « très heureux » de voir que désormais 60 entreprises se sont associées à leur plainte, qui est toujours en cours d’instruction par la Commission.
Hasard ou pas du calendrier, une autre entité vient d’annoncer le dépôt d’une nouvelle plainte contre Microsoft, cette fois encore auprès de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Il s’agit du CISPE (Cloud Infrastructure Services Providers in Europe), ou association des fournisseurs d’infrastructure cloud en Europe. Parmi ses membres on retrouve les français 3DS Outscale et OVHcloud, l’italien Aruba ainsi que… l’américain Amazon (via AWS).
Dans son communiqué, le CISPE précise d’emblée qu’elle « soutient ses deux membres, OVHcloud et Aruba, qui ont déjà déposé une plainte séparée contre Microsoft ». Avec sa propre plainte, l’association « prend en compte les problématiques sérieuses non résolues et représente le secteur européen de l’infrastructure cloud dans son ensemble. Elle cherche des solutions qui profiteront aux clients et aux fournisseurs sur un marché dynamique des services d’infrastructure cloud ».
« Nous avons déposé cette plainte sectorielle afin de remédier aux préjudices subis par les fournisseurs et les clients en raison de pratiques déloyales en matière de licences de logiciels […] La DG Comp doit agir rapidement et ouvrir une enquête formelle assortie d’un énoncé des objections contre les abus de Microsoft en matière de licences logicielles afin de défendre le solide écosystème du cloud dont l’Europe a besoin et qu’elle mérite », explique Francisco Mingorance (secrétaire général de CISPE)
L’association en profite pour émettre des propositions.
Microsoft souffle le chaud et le froid
Sentant le vent tourner, Microsoft avait publié un billet de blog dès le mois de mai, dans lequel la société reconnaissait que certaines inquiétudes étaient « justifiées ». S’en suivaient des promesses et des engagements, dont on attend toujours les détails pour une bonne partie. Michel Paulin, le rappelait d’ailleurs pas plus tard que cette semaine : « On salue l'intention d'amélioration, maintenant le diable est dans les détails et surtout dans le concret ».
C’est également un point soulevé par le CISPE : « Les annonces, blogs et documents FAQ publiés récemment par Microsoft dans le but d’éviter les enquêtes sur le marché n’ont pas fourni les détails, la clarté ou l’assurance qu’elle a réellement l’intention de mettre rapidement un terme à ses pratiques anticoncurrentielles en matière de licences ».
L’association remet une pièce dans la machine : « Au contraire, les nouvelles conditions contractuelles imposées unilatéralement par Microsoft le 1er octobre 2022 [annoncées fin aout, ndlr] ajoutent de nouvelles pratiques déloyales à la liste », nous allons revenir sur ce point.
Porter « irrémédiablement atteinte à l’écosystème européen du cloud »
Pour le CISPE, pas de doute : « la position et les comportements actuels de Microsoft portent irrémédiablement atteinte à l’écosystème européen du cloud et privent les clients européens de toute liberté de choix dans leurs déploiements de cloud computing ».
Michel Paulin rappelait que si Microsoft a fait « des avancées de principe sur les licences », il y a d'autres domaines qui sont problématiques, notamment la tarification. Il évoque des augmentations « faites en février, avant d'ailleurs la crise en Ukraine », mais s’attarde sur un autre point : « Si vous êtes un acteur et si vous refusez de distribuer la solution Azure, vous avez une discrimination par les prix ».
Il revient aussi sur la « dépendance » à OneDrive : « Par défaut vous êtes forcément interconnectés avec OneDrive », alors qu’OVHcloud souhaite proposer des solutions « souveraines » à la place à ses clients. « OneDrive n'est pas une solution souveraine, loin s’en faut », et OVHcloud en profite pour mettre en avant son partenaire NextCloud, qui a également déposée une plainte contre Microsoft auprès de la Commission.
Tester la conformité à dix principes et lancer un observatoire
Dans son communiqué, le CISPE « suggère des solutions simples qui peuvent être mises en œuvre rapidement et efficacement dans tout le secteur ». Première piste, instaurer un « cadre de contrôle vérifiable permettant de tester la conformité » des entreprises aux dix principes que le CISPE avait formulé avec le Cigref en 2021, et donc Microsoft disait s’inspirer… plus ou moins librement :
- Les conditions de licence doivent être claires et intelligibles
- Les clients doivent pouvoir utiliser dans le cloud des logiciels préalablement acquis
- Les clients doivent être libres d’utiliser leurs logiciels chez le fournisseur de cloud de leur choix
- Les clients doivent pouvoir optimiser leurs coûts grâce à une utilisation efficace du matériel de leur choix
- Les clients doivent être libres du choix de leur fournisseur de cloud, sans faire l’objet de représailles
- Les éditeurs doivent privilégier les standards ouverts et interopérables, sans verrouiller leurs clients
- Les éditeurs de logiciels doivent respecter l’égalité de traitement concernant les redevances logicielles
- Les conditions d’usage des logiciels doivent être fiables et pérennes
- Les licences doivent couvrir les utilisations raisonnablement attendues des logiciels
- Les licences doivent permettre la revente équitable de logiciel
Quelques jours après la publication du second billet de Microsoft (en août) apportant des précisions sur les licences, le CISPE proposait une évaluation maison des nouveaux engagements de Microsoft par rapport aux dix principes. L’objectif était « partiellement atteint » pour les 2, 3 et 4, alors qu’il était tout bonnement « raté » pour les sept autres.
Le CISPE souhaite également que soit mis en place un « Observatoire européen indépendant chargé d’effectuer des audits périodiques des conditions de licence des logiciels de toute société de logiciels dominante ».
L’association des fournisseurs d’infrastructure cloud en Europe ne revient par contre pas du tout sur la présence d’Amazon dans ses rangs, un point étonnant d’autant que Microsoft est un concurrent direct d’Amazon sur le cloud européen (et ailleurs dans le monde). Nous avons interrogé le CISPE et Amazon à ce sujet, sans réponse pour le moment.
La question mérite d’être posée, d’autant qu’Amazon est aussi en « guerre » contre Microsoft. Dans un billet de blog, la société de Redmond expliquait que ses clients pourront utiliser leur licence sur « l'infrastructure de n'importe quel sous-traitant », mais avec une restriction : « à l'exception des fournisseurs répertoriés* ». La petite étoile renvoyant à une liste comprenant « Alibaba, Amazon Web Services, Google et Microsoft », chez qui il est nécessaire de racheter une licence. Une restriction qui avait fait bondir Amazon et Google, comme le rapporte Reuters.
Clever Cloud rappelle qu’il y a « des problèmes plus larges »
Nous avons également interrogé des entreprises françaises du cloud suite à cette plainte du CISPE. OVHcloud (également membre du CISPE) nous renvoie à sa déclaration du mois d’août, sans plus de précision. En substance, l’hébergeur indiquait alors que « certaines mises à jour de Microsoft apport[aient] des éclaircissements », mais qu’il restait des points de préoccupation, comme l’a encore répété cette semaine Michel Paulin.
De son côté, Clever Cloud nous rappelle que, « à ce jour [la société] ne revend pas de solutions Microsoft », mais qu’elle regarde « avec intérêt toutes les évolutions des programmes de licences qui peuvent faciliter l'accès de [ses] clients aux solutions Microsoft ».
L’entreprise ajoute néanmoins que l’arbre ne doit pas cacher la forêt :
« Si les actions contre Microsoft peuvent être justifiées et nécessaires, elles ne doivent pas détourner l'attention face à des problèmes plus larges de concurrence faussée par des pratiques anticoncurrentielles communes à l'ensemble des hyperscalers américains.
Nous appelons en particulier à ce que le Data Act mette fin à la lourde facturation des données sortantes (les "egress fees") qui privent les clients du droit de récupérer librement leurs données lorsqu'ils veulent migrer d'un cloud à un autre, ou qui créent un coût injustifié en cas de mise en place de services multicloud ».
Le 10 novembre 2022 à 14h32
Cloud : Microsoft sous le coup d’une nouvelle plainte auprès de la Commission européenne
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Les plaintes s’accumulent contre Microsoft
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Microsoft souffle le chaud et le froid
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Porter « irrémédiablement atteinte à l’écosystème européen du cloud »
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Tester la conformité à dix principes et lancer un observatoire
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Clever Cloud rappelle qu’il y a « des problèmes plus larges »
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 10/11/2022 à 15h59
#1
Google fait la même chose avec son Google Drive qui est imposé d’office sous Android.
Apple fait de même avec son iCloud.
Que l’Europe essaye d’abord de standardiser les lois en Europe (année de travail nécessaire/pension minimale/indexation automatique des salaires en cas d’augmentation de la vie).
Juste ce dernier cas, en Belgique l’on garde encore cela. Avec l’augmentation des prix de cette année pratiquement tous les travailleurs vont recevoir une augmentation automatique de 11,59%
https://www.rtbf.be/article/le-salaire-de-plus-dun-demi-million-demployes-va-augmenter-de-1159-le-1er-janvier-2023-11094781
Généraliser cela au niveau de l’Europe serait bien pour aider les Européens.
Ce trucs pour permettre au patron d’Ovh de gagner plus , aucun intérêt pour la majorité des gens.
Le 11/11/2022 à 09h31
#1.1
Le 11/11/2022 à 15h45
#1.2
Est-il délirant d’indexer les salaires ? Splash
Je vois pas pk on ferais du d’abords ton sujet et après les enjeux de souveraineté du cloud ; ce sont des sujets qui pourraient avancer en même temps, bien qu’en ce qui concerne le cloud les têtes pensantes de l’UE sont déjà dessus tandis que ton sujet semble plus nécessiter une prise de conscience du grand public.
Le 10/11/2022 à 16h05
#2
Le 10 est assez amusant:
C’est pourtant l’inverse pour les jeux vidéos dixit la cour d’appel
Le 10/11/2022 à 17h53
#3
Bien opaque ce nuage… Est-ce qu’un orage ne s’annoncerait pas à l’horizon ?
Les stratégies d’écosystème sont vraiment un fléau pour la concurrence et le client final, tout dans la fermeture et l’interdépendance pour les rendre impossible à quitter
Le 11/11/2022 à 15h19
#4
Bah non, Android fonctionne parfaitement sans Google Drive, quant à Apple iCloud n’est pas non plus obligatoire (historiquement tout le monde utilisait dropbox d’ailleurs sous iOS).
Côté cloud MS OneDrive ne peut pas être remplacé par autre chose. Si tu envoies une pièce jointe dans teams, ça sera stocké dans OneDrive, pas le choix !
Le 11/11/2022 à 19h27
#5
J’utilise Netamo et il m’oblige à sauvegarder sur dropbox dans le cloud et Netamo (Groupe Legrand) ne permet pas de sauvegarder sur Google drive par défaut.
J’utilise Microsoft Authentificator et Apple interdit que l’on sauve sur Onedrive sur Ios. Cela veut dire que l’on ne peut pas partager des comptes Ios avec Android/PC.
Je peux en citer aussi pas mal d’abus de position dominante. Quand une société a plusieurs logiciels, il est logique que cette société privilégie d’abord ses propres produits.
Il serait logique que tous les logiciels sous tous les OS obligent les sociétés de logiciels à permettre de sauver où l’on veut.
Si retard pour mettre à jour le logiciel : amende record et si délais dépassé de 12 mois : retrait du logiciel du market (Android, Ios, Windows).
Mais stigmatiser uniquement une société , cela me rappelle les idées d’un dictateur au siècle passé qui avait un peuple comme tête de turc.
Le 12/11/2022 à 08h26
#6
quel est le rapport, rien n’oblige un éditeur tiers à gérer tous les clouds du monde (heureusement pour les devs )
Je viens de vérifier sur mon iphone pro et mon android perso: l’applicaiton par défaut “fichier” propose l’emplacement iCloud, Dropbox, OneDrive. Je suis libre de stocker mes docs où je veux.
Ce n’est pas stigmatiser, c’est un fait : OneDrive est obligatoire avec Azure, peut importe que ce soit Microsoft ! Relis l’article les faits sont graves : Vente forcée, discrimination sur le prix des licences.
Google est assez offensif également avec GCP, la différence majeure est que si tu refuses les “cadeaux pour vendre de la GCP”, tu peux continuer à chercher des trucs sur internet. Chez MS quand tu refuses un produit tu payes plus cher un autre de ce que j’ai compris !