Imation condamnée à payer 14 millions d’euros de copie privée
Droit, droit, mon droit
Le 18 avril 2016 à 14h04
8 min
Droit
Droit
Au terme d’une décision de 26 pages diffusée ci-dessous, le fabricant de supports vierges Imation a été condamné par le TGI de Paris à verser 14 millions d’euros de redevance copie privée à Copie France. Un dossier ouvert voilà plusieurs années, toujours susceptible d'appel.
Depuis plusieurs années, Imation a entrepris une démarche très combative à l’égard des couacs de la copie privée en France. En février 2011, le fabricant de supports a en effet stoppé tout versement de la redevance, un moyen jugé efficace pour compenser ce qu’il estimait avoir trop versé dans le passé.
Mais pourquoi ? Ses reproches à l’encontre de Copie France ont l’apparence d’une pluie diluvienne : l'appétit de l’organisme collecteur des ayants droit a débordé sur son canal « professionnel », alors que seul le canal « particulier » n'aurait dû être sollicité, conformément au droit européen. Cette collecte indistincte de ces millions d’euros aurait donc dû faire dans la dentelle, en isolant spécialement les supports destinés à des personnes autres que les personnes privées, étrangers à toute perception. Certes, la loi du 20 décembre 2011 a mis en place un régime de remboursement voire d’exemption des professionnels, mais aux yeux du fabricant, celui-ci est pourri par un amas de formalisme qui interdit aux bénéficiaires d’en profiter aisément. Du coup, en France, le droit au remboursement est tout sauf « effectif » comme l’exige pourtant la jurisprudence européenne.
Pas d’effet direct de la directive sur le droit d’auteur
Les ayants droit peuvent souffler : le 8 avril dernier, le TGI de Paris a d’abord rétorqué que la directive sur le droit d’auteur n’a pas d’effet horizontal, c’est-à-dire dans un litige entre personnes privées comme ici. Elle ne s’applique que dans les relations verticales, entre le droit européen et les États et organismes affiliés.
Imation a eu beau fait valoir que Copie France était une société aux pouvoirs un peu particuliers : armée d’agents assermentés, elle œuvre pour la politique culturelle puisque 25% des sommes collectées sont réinvesties dans les festivals. Ce n’est pas tout : elle fait l’objet de contrôles via la Commission de contrôle des sociétés de gestion collective, entre les murs de la Cour des comptes, etc. Mais pour les juges du fond, elle n’a en charge que des intérêts collectifs privés, non l’intérêt général ou une quelconque mission de service public. L’emprise de l’État n’est donc pas suffisante pour lui permettre d’opposer la directive sur le droit d’auteur. Une analyse qui s’éloigne des doutes qu’avait exprimés les juges des référés dans ce même dossier en 2013…
Copie France et le marché gris
Copie France s’est vue encore reprocher par Imation de mal lutter contre l’essor du marché gris, alors que son objet social est la perception de la redevance copie privée, peu importe son origine. Pire, sa position déterminante sur le marché des supports pose des questions de concurrence et d’abus de position dominante.
En face, l’entreprise composée de sociétés de gestion collective répète qu’elle ne dispose pas de moyens exorbitants du droit commun, notamment d’un pouvoir réglementaire ou disciplinaire sur ce marché où elle n’est ni acteur de l’offre ni de la demande de produits. Désarmée, on ne peut lui reprocher une quelconque faute pour l’équilibre entre les achats réalisés en France, soumis à RCP, et ceux effectués à l’étranger qui échappent la plupart du temps à toute perception. Bref, ce n’est pas de sa faute si les internautes se ruent sur les boutiques étrangères sans déclarer leurs achats auprès des ayants droit, histoire d’échapper à la redevance.
Bingo là encore, les juges avalisent sa position dans ce front judiciaire ouvert en 2012 : à supposer que Copie France soit coupable d’une insuffisance d’action à l’égard des achats réalisés à l’étranger par des Français, cela n’entrainerait de responsabilité qu’à l’égard de ses seuls mandants (les sociétés de gestion collective pour qui œuvre Copie France), non au-delà.
À Imation qui estimait tout autant que Copie France n’informe pas bien les consommateurs de leurs obligations, les juges rétorquent qu’ « il n’est nullement établi que l’information même correctement délivrée aurait permis de rétablir un équilibre du prix de revient des supports d’enregistrements entre d’une part ceux achetés en France auprès d’un vendeur assujetti à la rémunération pour copie privée et d’autre part ceux acquis auprès des vendeurs situés à l’étranger non assujettis. »
Le Conseil d’État tout puissant
Un autre point important a été dégagé par le même TGI de Paris. Il met à l’index une particularité de la jurisprudence du Conseil d’État en matière de redevance copie privée. Plusieurs fois, la haute juridiction administrative a annulé des barèmes votés en Commission en raison de leur incompatibilité avec le droit européen.
Les exemples s’enchaînent : en juillet 2008 et décembre 2010, par exemple, il sanctionnait cette instance administrative pour avoir oublié de purger les copies illicites des études d’usages qui servent au calcul des taux imposés sur les supports vierges. Or, plus la jauge des copies monte en flèche, plus les ayants droit sont en droit d’exiger des redevances plus importantes. En 2011, rebelote : cette fois, les juges épinglent la prise en compte des duplications réalisées par les professionnels, alors que ceux-ci sont exclus du dispositif en vertu de la directive de 2001 sur le droit d’auteur, comme l’a rappelé la Cour de justice de l’Union européenne dans son fameux arrêt Padawan.
À chaque fois, le C.E. a offert un joli cadeau aux bénéficiaires de ces flux : il a refusé d’annuler rétroactivement les barèmes. Mieux, il a repoussé dans le temps cette annulation de six longs mois. Pourquoi ? Car les sommes contestées avaient depuis longtemps été redistribuées et consommées notamment par les festivals et les titulaires de droit. Pour dire les choses simplement, ce fut à chaque fois le pactole pour les bénéficiaires qui n’ont pas à eu à rembourser les sommes indument collectées, grâce à des barèmes votés au sein d’une commission où ils se trouvent en surnombre.
Imation a tenté de casser cette mécanique, considérant que le Conseil d’État ne pouvait mettre à l’écart le droit européen qui est d’applicabilité directe et qui interdit la prise en compte des flux illicite ou professionnel. Il n’était donc pas en capacité de moduler dans le temps ses décisions. Par conséquent, les paiements versés par le fabricant sur les périodes contestées seraient bien indus. Imparable… sauf pour le TGI de Paris.
À ses yeux, il n’apparaît pas « que le principe de primauté du droit de l’Union doive prévaloir, sur le principe d’autorité de la chose jugée, lequel est indispensable à la sécurité juridique et à la confiance des justiciables en celle-ci ». En clair, les décisions du Conseil d’État s’appliquent dans toute leur beauté, un point c’est tout, puisqu’il en va de la sécurité juridique du pays.
14 millions d'euros à verser
Au final, le TGI va repousser toutes les demandes du fabricant de supports, et en particulier celles visant à adresser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de Justice de l’Union européenne. Il oblige Imation à verser à Copie France les sommes litigieuses, soit 14 millions d’euros au titre des cassettes audio et VHS, minidisques et disquettes MFD, CD, DVD, clefs USB, cartes mémoires et disques durs externes commercialisés à partir de 2011. Somme à laquelle s’ajoutent 50 000 euros au titre des frais de justice, soit une très belle victoire pour les titulaires de droit qui pouvaient craindre une décision très rugueuse pour leurs intérêts.
Cette décision est toutefois susceptible de recours devant la cour d’appel de Paris.
Imation condamnée à payer 14 millions d’euros de copie privée
-
Pas d’effet direct de la directive sur le droit d’auteur
-
Copie France et le marché gris
-
Le Conseil d’État tout puissant
-
14 millions d'euros à verser
Commentaires (27)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 18/04/2016 à 14h32
Eh ben c’est pas demain que je vais changer mes habitudes d’achat.
Merci Copie France.
Le 18/04/2016 à 14h35
Le 18/04/2016 à 14h43
Bon, déjà cassettes audio et VHS moyen mais sérieux, les disquettes 3”1⁄2 avec leur 1.44 Mo de mémoire, on peut à peine mettre un MP3 mal compressé dessus …
Le 18/04/2016 à 14h55
Non, dans cette affaire, la justice use d’arguments spécieux et ignore superbement la jurisprudence et le droit européen pour arriver à un jugement partial. On n’est pas loin de la république bananière.
Le 18/04/2016 à 15h03
Imation, a leur place je quitterais purement et simplement la France, je trouve qu’ils ont bien raison de ne rien payer.
Le 18/04/2016 à 15h10
pourquoi ces sociétés s’obstinent a installer une filiale en france…
qu’elles mettent un bureau au luxembourg et installent un site francophone de vente aux particuliers ou aux professionnels au luxembourg ou en allemagne…
(hier j’ai acheté un disque dur 500 go sata 2.5” pour 35€…. merci ebay)
Le 18/04/2016 à 16h13
A lire ce jugement, on se croirait vraiment le 1er de ce mois :x
Le 18/04/2016 à 16h59
Le bordel… " />
Je me demande combien coute toute cette procédure délirante/d’un autre temps à imation et au contribuable " />
Le 18/04/2016 à 17h22
Le 18/04/2016 à 17h42
Ah La France, quand les gens gueulent ont leur sort que c’est la faute des lois européennes, par contre pour ce qui est de l’application de ces mêmes lois…" />
Le 18/04/2016 à 17h43
Merci Marc pour toutes ces explications (de la décision).
Cette actu me permet donc d’être au courant d’une décision à vomir et de savoir pourquoi elle est à vomir.
Le 18/04/2016 à 17h49
Le 18/04/2016 à 18h29
Ils ont cru au Père Noel chez Imation d’imaginer qu’ils allaient pouvoir échapper au racket de masse de la mafia des ayants droits … " />
Après il me semble qu’il le reste le recours d’amener l’affaire devant la cours de justice européenne, un poil moins gangrénée par la corruption et le copinage que la “justice” Française, et là ça va être vite réglé
Le 18/04/2016 à 21h30
qu’en est il de nierle ? pour l’instant pas de souci à leur niveau
Le 18/04/2016 à 21h52
Le 19/04/2016 à 06h41
Les “Ayant Droit” (de racketter tout le monde) te rétorqueront qu’avec WinZip on peut compresser un MP3 sur plusieurs disquettes sans difficulté " />
Le 19/04/2016 à 13h48
Normalement si. Mais je fais peut être erreur …
Le 18/04/2016 à 14h09
À ses yeux, il n’apparaît pas « que le principe de primauté du droit de l’Union doive prévaloir, sur le principe d’autorité de la chose jugée, lequel est indispensable à la sécurité juridique et à la confiance des justiciables en celle-ci ». En clair, les décisions du Conseil d’État s’appliquent dans toute leur beauté, un point c’est tout, puisqu’il en va de la sécurité juridique du pays.
Je pensais que le droit européen avait priorité, ce n’est pas exact ?
Le 18/04/2016 à 14h16
Je comprends pas,la news du premier avrilstipulait que les professionnels étaient exemptés de toute redevance. " />
" />" />" />
Le 18/04/2016 à 14h16
La justice de notre pays est vraiment corrompue jusqu’à la moelle… :(
Le 18/04/2016 à 14h19
Tu as la réponse dans ta citation justement. C’est bien le cas mais le TGI s’en tape, au regard de la sécurité juridique de la France " />.
Edit: la SACEM c’est un OIV ou quoi? " />
Le 18/04/2016 à 14h19
D’abord le droit des AD puis le droit européen.
Le 18/04/2016 à 14h20
Le 18/04/2016 à 14h21
Et pendant ce temps là les artistes meurent par milliers, victime du piratage.
Quand cessera donc ce massacre ?
C’est quoi 14 petits millions ? Même pas le prix d’une villa à Saint-Tropez.
C’est à peine 2223 ans de RSA.
Cette société voudrait refuser à peine deux petits millénaires de RSA aux artistes ?
Le 18/04/2016 à 14h21
Combien pèse la part de la recette copie privé des VHS dans ces 14 millions d’euros ? " />
Le 18/04/2016 à 14h25
Pas vis à vis de la législation européenne, et il me semble que la France fait partie de l’Europe.
Le 18/04/2016 à 14h28
Indigestion de popcorn en vue. A dans quelques années après le verdict de la CJUE