Élections, pluralisme politique et réseaux sociaux : le trio impossible ?
Il ne peut en rester que 577
En 2024, deux élections se déroulent : les européennes, qui viennent de se terminer, et les législatives, qui débuteront à la fin du mois. L’Arcom, chargée de veiller à la pluralité politique, ne voit toujours qu’une partie du spectre, TV et radio, laissant de côté Internet et réseaux sociaux.
Le 14 juin à 16h16
10 min
Réseaux sociaux
Sociaux
L’Arcom (fusion du CSA et de l’Hadopi) a notamment dans ses missions le respect du pluralisme politique, particulièrement lors des élections. C’est « essentiel pour garantir que vous receviez une information politique diversifiée. C’est à ce titre que vous pourrez exercer votre liberté d’opinion et de choix, au fondement de la démocratie », rappelle le régulateur de l’audiovisuel. Le pluralisme « constitue le fondement de la démocratie », renchérit le Conseil constitutionnel.
La presse écrite, elle, n'est pas soumise aux mêmes obligations que l'audiovisuel. Elle doit respecter la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. « La seule obligation pour les médias de presse écrite est de fournir un droit de réponse aux personnes ou partis mis en cause dans leurs pages, s’ils en font la demande au directeur de la publication », répliquait Libération aux reproches qui lui étaient faits suite à un article à propos de CNews.
L’Arcom en mode « OK boomer »
Un des leviers mis en œuvre est le décompte des temps de parole des personnalités politiques (et de leurs soutiens) : « Ce calcul s’effectue à la radio et à la télévision, au cours des périodes électorales mais aussi en dehors de celles-ci, tout au long de l'année », explique l’Arcom. On voit tout de suite l’éléphant dans la pièce : Internet et les réseaux sociaux.
En 2017, l'Arcom adoptait de nouvelles règles, dans le but d’avoir un « décompte des temps de parole plus cohérent et plus simple ». Les règles de calcul changent, mais le périmètre des mesures reste le même : radio et TV seulement. La liste des services dans le giron de l’Arcom pour les législatives de 2024 est d’ailleurs toujours dans la même veine : chaines de télévision et radios.
Les réseaux sociaux prennent toujours plus de place…
Depuis maintenant plusieurs années, Internet et les réseaux sociaux prennent de l’importance comme source d’abreuvement d’information, avec les risques et dérives que l’on connaît : ingérences de certains États (Russie et Chine en tête), fausses informations, désinformation, etc.
En Europe, l’adoption du DSA devait mettre un coup de pied dans cette fourmilière des fausses informations (entre autres choses). Mais on peine encore à voir un réel changement, d’autant que les acteurs malveillants évoluent, eux aussi. « L’écosystème de la désinformation s’est beaucoup diversifié, donc les possibilités d’ingérence se sont démultipliées », nous expliquait récemment Hervé Letoqueux, directeur des opérations de Viginum.
Nous ne sommes pas les premiers à nous poser la question. TF1 Info y avait consacré un article lors de la présidentielle de 2022. L’Arcom avait alors expliqué à nos confrères que les règles en matière de pluralisme politique « sont inapplicables sur Internet, car contrairement aux antennes, chacun peut y avoir accès et intervenir comme il l’entend en ligne ».
… et font mal au pluralisme politique
Pour le régulateur, les espaces de parole sont « infinis » avec des publications à foison sur les réseaux sociaux (TikTok, Instagram, Facebook, SnapChat…), vidéos, débats et autres contenus (en direct ou non) sur YouTube et Twitch. On peut multiplier à l’envi les comptes, les sites et les formats.
La diffusion est différente aussi puisque chacun peut aller voir les comptes des politiques et recevoir plus ou moins de vidéos d’un candidat (ou de ses soutiens) en fonction des algorithmes. Ces derniers, souvent opaques, peuvent rapidement nous enfermer dans des bulles.
Ce « phénomène de bulle de filtre algorithmique [a été] théorisé par le militant internet Eli Pariser en 2011. Si le concept est relativement nouveau, il décrit un phénomène que chacun.e d’entre nous expérimente : notre tendance à nous rapprocher de ce qui nous ressemble », explique EchoSciences Grenoble. On n’est donc plus vraiment en adéquation avec le pluralisme politique, qui vise à « assurer une représentation des différents courants d'expression ».
Deux mondes, une seule élection
L’Arcom le reconnait : « Les pratiques sont par essence différentes entre ces deux espaces. On ne peut pas dupliquer le pluralisme sur l’espace numérique ». Dans le monde de l’audiovisuel, il n’y a « que » la télévision et la radio. Sur Internet, il y a… de tout, partout.
Comme le soulignait TF1 Info, « seules les plateformes de replays des chaînes, qui diffuseraient en différé une émission politique, sont soumises au respect du pluralisme ». Les sites et réseaux sociaux des télévisions et des radios ne sont pas concernés, pas plus que les sites d'information, ni les pure players (média entiérement en ligne, comme Next).
Choc des générations
Depuis, les différences ont augmenté. D’un côté, les jeunes massivement sur les réseaux sociaux. De l’autre, les moins jeunes et les plus anciens, souvent sur les médias traditionnels. Il y a deux ans seulement, l’Arcom affirmait à nos confrères « que l'opinion des citoyens se forge surtout lors d'émissions politiques diffusées à la radio et à la télévision ». Question de génération, mais cette affirmation s’effrite très certainement au fil des années.
David Chavalarias (mathématicien, directeur de recherche au CNRS et au Centre d'analyse et de mathématique sociales), en parlait il y a quelques jours. Lors d’une audition au Sénat sur les influences étrangères dans l'espace numérique, il a déclaré : « Les jeunes ne donnent même plus leur 06 ou 07, mais leur Instagram. Ces personnes-là sont complètement captives ».
Nous tâcherons de voir avec l’Arcom si elle prévoit à l’avenir de s’adapter pour s’assurer du respect du pluralisme politique, au sens large du terme et sur tous les médias.
Jordan Bardella star de TikTok, parlant peu de politique
La différence est flagrante quand on regarde les chiffres des têtes de liste des cinq partis avec le score le plus élevé aux européennes. Jordan Bardella est en tête sur les principales plateformes (il se fait uniquement doubler sur Instagram), avec une explosion impressionnante sur TikTok, très prisé des jeunes. Surtout, il n’a quasiment aucune concurrence sur ce réseau social.
Comme l’explique Challenges, le président du RN « a su construire une image sympathique, spontanée, rassurante, et drôle, parlant rarement de son programme politique ». « Il est bien meilleur influenceur que beaucoup de professionnels du secteur », explique un connaisseur à nos confrères.
Le nombre d’abonnés ne fait pas tout. Emmanuel Macron est à 4,5 millions sur TikTok, contre 2,4 millions pour Jean-Luc Mélenchon. Dans tous les cas, leurs vidéos dépassent pour certaines les centaines de milliers, voire les millions de vues. On est dans la diffusion massive et il serait donc bon que l’Arcom s’y intéresse.
L’Arcom, les fausses informations et les déclarations des plateformes
Dans son dernier bilan sur la lutte contre la désinformation (publié fin 2022), l’Arcom « observe une amélioration de la quantité d’informations déclarées ». Mais « ce constat doit être nuancé par un niveau de transparence très hétérogène ». « TikTok (soumis pour la première année à ces obligations), Yahoo (a priori soumis pour la dernière année à ces obligations) et, dans une moindre mesure, Google, se démarquent particulièrement par l’absence d’informations tangibles », ajoute l'autorité.
En effet, non seulement l’Arcom ne régule pas la pluralité politique sur les réseaux sociaux et Internet, mais nous devons en plus faire face à des vagues toujours plus importantes d’ingérence et de fausses informations.
Pourtant, comme le rappelle l’Arcom sur son site, « la loi du 22 décembre 2018 relative à la lutte contre la manipulation de l’information impose aux principaux opérateurs de plateforme en ligne de prendre des mesures en vue de lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l’ordre public ou d’altérer la sincérité d’un des scrutins ».
« Les élections sont très vulnérables »
David Chavalarias revient aussi sur la topologie des élections, qui a changé selon lui lors des dernières années :
« Les élections sont très vulnérables par leur conception même. Quelque chose qui m’a frappé, c’est qu’autant en 2017 qu’en 2022, on appelle de plus en plus à voter "contre" qu’à "voter" pour. Pourquoi ? Parce qu'on a des campagnes très hostiles. On a plusieurs candidats au premier tour, dont la plupart ne passent pas au deuxième tour. Au deuxième tour, il ne reste que deux candidats qui sont haïs par toutes les autres communautés. Après, il s’agit de manipuler et de savoir qui est le moins pire. C’est très facile avec une campagne de mèmes ».
La campagne de mèmes a cet « avantage » de ne pas attendre une réponse de type oui ou non. C’est simplement un mème et un message, mais avec une portée pouvant être importante s’il est repris en boucle sur les réseaux sociaux.
« On a l’impression que rien ne se passe depuis 10 ans »
Lors de la table ronde sur les influences étrangères dans l'espace numérique, la sénatrice Catherine Morin-Desailly a dressé un triste portrait : « On a l’impression que rien ne se passe depuis 10 ans. Ce que vous avez dit aujourd’hui [en s’adressant aux quatre experts que sont Bernard Benhamou, David Chavalarias, Tariq Krim et Julien Nocetti, ndlr], vous le disiez déjà il y a 10 ans […] et vous nous alertiez déjà d’une naïveté complaisante ».
« Les plateformes ont abusé fiscalement, puis elles ont abusé économiquement en verrouillant tous les systèmes (d’où le DMA qui s’est mis en place par la suite). Les plateformes ont abusé sur les réseaux sociaux et les services en manipulant les opinions, en pratiquant toutes sortes de malversations, de fausses nouvelles, etc ».
Emmanuel Macron s’est déjà fait reprendre par la CNCCEP
L’utilisation des réseaux sociaux est venue s’inviter dans la campagne présidentielle de 2022, avec la Lettre aux Français d’Emmanuel Macron, alors président et candidat. La Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP) l’avait alors « invité » à la retirer de son compte Twitter et à utiliser celui spécialement créé pour sa campagne présidentielle.
La Commission en profitait pour rappeler qu’il « importe que tous les candidats, ainsi que leurs soutiens, qui sont titulaires d’une fonction publique veillent à bien distinguer entre les actions de communication qui ne sont pas détachables de l’exercice de cette fonction et celles qui se rattachent à la campagne électorale et doivent, de ce fait, être clairement séparées de l’exercice des fonctions ». On parle ici de la diffusion des messages, mais pas de la réception par les utilisateurs.
Élections, pluralisme politique et réseaux sociaux : le trio impossible ?
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L’Arcom en mode « OK boomer »
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Les réseaux sociaux prennent toujours plus de place…
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… et font mal au pluralisme politique
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Emmanuel Macron s’est déjà fait reprendre par la CNCCEP
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 14/06/2024 à 16h56
Après si les dernières générations ne passent pas à autre chose, on aura droit au régime politique qu'on mérite: l'idiocratie.
Remarquez déjà actuellement on s'aperçoit que beaucoup votent sans même avoir lu la profession de foi des partis. Cela risque d'ailleurs de leur faire drole si le parti qu'ils supportent arrive au pouvoir.
Le 16/06/2024 à 23h53
Le 14/06/2024 à 17h26
Mais les campagnes électorales nécessiterait aussi un niveau de digitalisation bien supérieur du côté de l'Etat pour que le lambda puisse distinguer ce qui est officiel et ce qui est officieux. Aujourd'hui, on a même pas un site officiel qui viendrait référencer les projets de de chacun (ou alors c'est très mal communiqué), un système normalisé avec la même structure disponible pour tous les candidats qui en alimenteraient le contenu (histoire de masquer les différences de budget comm' entre les partis, par exemple), avec un affichage qui randomise à l'accueil l'ordre d'affichage des candidats.
On pourrait en plus archiver ces professions de foi au fil des élections, vu que les promesses s'envolent très vite (merci le Ministère de la Vérité des sites web individuels qu'on peut éditer soi-même, hein). De quoi permettre aux électeurs de retourner voir ce qu'il se disait avant, et pouvoir s'interroger de ce qu'il en est maintenant (bilan d'un élu, cohérence de discours au fil du temps...)
Non non, en 2024 on reçoit toujours les enveloppes (ou pas) moins d'une semaine avant, avec 18 candidats à l'intérieur quand il en manque pas des morceaux. Entre temps, on est exposé de toute part à tout un tas de gens qui participent à la communication politique et qui peuvent être :
* journalistes,
* analystes
* militants,
* candidats
* fake
Autant dire que le tri est compliqué pour savoir ce qui est dit officiellement, officieusement, interprété, supposé...
Le 14/06/2024 à 18h00
Le 14/06/2024 à 19h56
Je ne suis pas sûr que ça soit une bonne idée ou que ça soit faisable (les VPN, proxy ou autre TOR fleuriront).
J'ai du mal à comprendre où veut en venir l'auteur de l'article (ou de l'édito ?).
Un rappel complet des lois concernant Internet et ce sujet aurait été utile. Avec les changements incessants tant au niveau français que de l'UE, j'ai du mal.
Le 17/06/2024 à 02h30
Ceci dit il faut rappeler qu'un journaliste doit, en théorie, énoncer des faits et les présenter, sans jugement personnel, de manière la plus impartiale possible.
Or, on ne peut que constater que tous les grands médias ne montre pas une telle approche.
Je suis souvent choqué de la violence des propos, voire parfois de haine affichés tant par les journalistes que par les contradicteurs des oppositions dans les journaux et débats télévisés.
Dans ce cadre, Jordan Bardella n'a aucun mal à paraître beaucoup plus posé et crédible que le reste de l'assemblée.
Alors plutôt que pousser un peu plus la censure et les restrictions de liberté que l'on voit fleurir partout en France et en Europe, peut-être serait-il temps de réfléchir à mettre un peu plus de sérénité et de calme dans les débats publics ainsi que moins de partisanerie afin que les argumentaires plus que les postures soient mise en avant...
Le 17/06/2024 à 08h25
Pour faire simple: toute personne qui ne soutient pas le RN est forcément un soutien des islamistes.
En effet, c'est un argument empreint de sérénité et de calme...
Modifié le 21/06/2024 à 10h19
Une source ou une citation pour illustrer ?
Le 21/06/2024 à 15h03
Réponse à Squeezie qui pour rappel n'a pas donné de consignes de vote pour un parti, mais a simplement appelé à ne pas voté extrème droite en rappelant les votes du RN
Source
Page 3 assimilant l'intervention de Squeezie à un soutien.
Tu peux tourner autour du pot tant que tu veux: assumes...
Modifié le 21/06/2024 à 18h16
3 jours après mon post, coïncidence, j’ai lu un article du Figaro sur un thème très similaire. Il est autrement mieux argumenté et fouillé que mon commentaire.
Je sais que ce n’est pas très cool pour le Figaro (je le fais quasiment jamais), mais ici je me suis permis de l’exporter en pdf, de le sauver dans mon Dropbox et ensuite de te créer un lien (ci-après), car il y a paywall (mais je suis abonné), et ça « only for you » car c’est toujours intéressant de lire d’autres types d’argumentation de différents protagonistes.
Sinon je n'étais pas là pour me battre ou partir dans des polémiques sans fin. Je voulais juste dire « pourquoi s’allier à l’extrême gauche c’est Ok, quand s’allier à l’extrême droite, c’est le mal absolu, alors que quand on voit ce que ces 2 extrêmes ont fait au 20eme comme ravage pour l'Etre Humain, y’en pas vraiment un de mieux que l’autre.
Voilà Voilà.
L’article dont je te parlais:
Comment expliquer la soumission du centre gauche aux Insoumis
Bon Week-end, et bonne lecture.
Erwan
Le 24/06/2024 à 13h07
Quand les partis de gauche s'allient c'est autour d'un nouveau projet commun loin des propositions de LFI.
L'article que tu as donné est une tribune de la part d'un écrivain anti woke qui mélange tout comme à son habitude.
Exemple
Modifié le 22/06/2024 à 22h48
As-tu eu le temps de lire l'article que je t'ai envoyé ? Qu'en penses tu ?
Erwan
Modifié le 23/06/2024 à 08h50
Déjà c'est qui (x)squeezie ? et ensuite :
" On assiste en France à la monté d'une extrême-gauche dangereuse, qui s'insurge contre les institutions..."
C'est qui qui parle ici ? C'est une citation de Bardella ou bien le type qui se fait appeler XSqueezie ? (il s'est fait serrer quelque chose le gars pour avoir un pseudo pareil ?).
Désolé je ne fréquente pas les réseaux (as)sociaux donc le (X)squeezie, connais pas le garçon, pas envie de le connaitre non plus et en plus avec tous ces pseudos à 10 balles.... Merci bien.
Bref, que du bon charabia bien incompréhensible ici... mais merci pour la référence et la citation ... ça fait vraiment bien avancer le Schmilblick
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