[Interview] Regards Citoyens craint que la loi Numérique se joue à « la roulette russe »

[Interview] Regards Citoyens craint que la loi Numérique se joue à « la roulette russe »

On parle aussi loi Sapin 2, transparence...

Avatar de l'auteur

Xavier Berne

Publié dansDroit

07/06/2016
3
[Interview] Regards Citoyens craint que la loi Numérique se joue à « la roulette russe »

Fer de lance de l’Open Data en France, l’association Regards Citoyens retient son souffle en attendant les conclusions de la commission mixte paritaire chargée de trouver un accord autour du projet de loi Numérique. « Ça va être la roulette russe... » nous confie l'un de ses cofondateurs au détour d’un entretien.

Loi Numérique, loi « Sapin 2 » sur la transparence de la vie économique... L’association Regards Citoyens, qui milite pour une meilleure diffusion des informations publiques, est sur de nombreux fronts depuis plusieurs mois. Certains se souviendront que l’organisation est à l’origine du site NosDéputés.fr, mais aussi de l’initiative ayant conduit à la numérisation, durant l’été 2014, des déclarations d’intérêts des parlementaires.

Nous avons pu rencontrer deux de ses membres, Gabriel Kerneis et Tangui Morlier, afin d’évoquer les dossiers brûlants du moment.

Le gouvernement a récemment publié le décret imposant aux responsables publics de faire leurs déclarations d'intérêts en ligne, ce qui ouvrira la voie à une mise en Open Data de ces informations par la Haute Autorité pour la transparence. Enfin ?

Ça a été une grosse déception de voir, en 2014, ces scans de formulaires manuscrits... Mais en même temps, c'est aussi compréhensible. Il fallait d'abord que la Haute Autorité pour la transparence marque des points dans sa mission de contrôle. C'était sans doute prioritaire par rapport à cette numérisation.

Ceci dit, ça reste une très bonne nouvelle ! Le travail de ressaisie qu'on a effectué avec l'aide de plus de 8 000 personnes, ça représentait deux ans de boulot pour eux – ce qui aurait forcément ralenti leur mission de contrôle. Nous sommes convaincus qu'en ayant les données, on accélère le processus de vérification, les recoupements...

Ne risque-t-on pas d'avoir le même problème avec le projet de directive européenne sur le reporting public, pays par pays, qui vise à la transparence des données fiscales et financières des grandes entreprises ?

La difficulté est d'abord dans la collecte des données, avant même qu'il soit question de leur mise à disposition...

Aujourd'hui, il est déjà très compliqué de connaitre les présences des banques dans les différents pays du monde (notamment dans les paradis fiscaux), parce que c'est enfoui dans de sombres rapports, dans des formats qui sont complexes à réutiliser. Les ONG galèrent vraiment... On n'aura – j'imagine – pas les données au format manuscrit, mais de toute évidence, celles-ci ne seront malheureusement pas dans un format réutilisable, et on peut compter sur ces acteurs-là – peu coopératifs car ils savent les conséquences que ça a sur l'opinion publique – pour s'assurer que ce ne soit pas facilement réutilisable.

Vous aviez beaucoup critiqué le registre de lobbyistes prévu par le projet de loi Sapin. Que pensez-vous des modifications apportées en commission, à l’Assemblée ?

Il y a eu des progrès. On était à la base sur un registre avec zéro donnée. C'est pourquoi on l'avait qualifié de publicitaire. C'est limite si la HATVP ne devenait pas le tiers de mise en contact entre les entreprises du CAC40 et les cabinets de lobbying, avec un paiement PayPal intégré... Il n'y avait aucune information financière, par exemple sur le chiffre d'affaires des cabinets de lobbying.

La réécriture en commission a corrigé un peu le tir mais elle soulève encore plusieurs inquiétudes. En premier lieu, nous craignons que les bilans semestriels ne soient pas inclus dans le registre des lobbyistes alors qu'ils présentent un intérêt certain pour la transparence de leur action. Par ailleurs, la liste des clients des cabinets de lobbying n'a pas d'intérêt sans que soit précisé le bilan des actions client par client. Aussi, certains établissements publics (comme l'IGN) ne sont pas soumis à la publicité du registre, ce qui n'a pas de sens !

Pour ce qui est des peines, les sanctions encourues par les contrevenants restent malheureusement très réduites : 50 000 euros pour des entreprises qui dépensent plusieurs millions d'euros en lobbying, ce n'est rien... Il serait enfin souhaitable que les acteurs publics concernés fassent partie des informations publiées lorsqu'ils n'ont pas agi pour dénoncer des attitudes non éthiques de la part des lobbyistes.

Députés et sénateurs vont bientôt tenter de trouver un accord sur le projet de loi Numérique. Êtes-vous optimistes quant à l’issue de la CMP à venir ?

Concernant l'Open Data, ça va être la roulette russe... Ce qui n’est jamais agréable. On a d’un côté une vision ambitieuse de l’Open Data, avec le rapporteur Belot, de l’autre, avec le rapporteur au Sénat [Christophe-André Frassa, ndlr], une volonté de limiter au maximum cet accès qu'on offre au citoyen... Ces opinions sont quasi structurelles au fonctionnement de chaque chambre : le Sénat a une tendance au repli sur soi alors que l'Assemblée, sur les sujets Open Data, est davantage tournée vers la société civile.

Mais quand la « gâchette CMP » aura été tirée, si le bon sens l'emporte, on sera contents et on pourra pousser un « ouf » de soulagement. Parce que malgré tout, le projet de loi Numérique aura été un beau processus de délibération.

La consultation a été une très bonne expérience, même si de toute évidence, le potentiel réformateur de cette initiative n’est guère exploité : le gouvernement, plutôt que de capitaliser sur cette bonne expérience d'entente entre les élus, les administrations, les citoyens... y va aux forceps avec la loi Travail par exemple. On s’aperçoit par ailleurs que la consultation a été plus utile dans le processus parlementaire qu’au niveau de l'exécutif. Il y a eu des arbitrages gouvernementaux totalement marginaux issus de la consultation. Mis à part le lobbying des jeux vidéo, ça a quand même été assez light... Alors qu'au niveau parlementaire, députés et sénateurs de tous bancs se sont saisis des idées citoyennes pour étayer les débats.

Ne pourriez-vous donc pas aller jusqu'à souhaiter un échec de la CMP, pour que le dernier mot revienne à l'Assemblée nationale ?

Vu les désaccords, un vrai débat parlementaire serait clairement préférable à l'opacité de la procédure de la CMP où chaque concession positive va être échangée contre une négative. Le problème, c'est que si la CMP échoue, la navette parlementaire reprend avec une lecture à l'Assemblée puis au Sénat avant que le dernier mot ne revienne à l'Assemblée pour une dernière lecture. À force de faire traîner ce texte, il se retrouve dans les bouchons législatifs et les lois de finance à la rentrée laissent peu de marge avant la fin de la législature...

Il serait de toute manière très étonnant que la CMP échoue, le texte ayant été voté à la quasi-unanimité dans les deux chambres.

Est-ce qu'il y a eu des occasions manquées avec ce projet de loi, des sujets qui n'ont finalement pas été abordés ?

Contrairement à ce qui avait été annoncé lors des débats sur la loi Valter, les redevances n'ont pas réellement été remises en question avec ce texte. Seule l'INSEE a vu ses redevances levées à partir de 2017, mais l'IGN, le SHOM, Météo-France... restent indemnes.

Il est aussi peut-être un peu dommage qu’à propos des consultations en ligne, les débats en soient restés à une demande de rapport. Légiférer juste après une première expérience, ce n'est peut-être pas des plus judicieux. Mais est-ce que le momentum va revenir ? Car c'est probablement le dernier projet de loi du quinquennat où ce débat pouvait avoir lieu, la proposition de loi d'appel de Patrice Martin-Lalande ayant peu de chances d'être inscrite à l'agenda...

On ne vous a pas trop entendus sur cet ajout du Sénat : que pensez-vous de la liste de suivi des avis favorables de la CADA ?

C'est marginal et anecdotique. A priori, on est plutôt contre les dispositifs de « name & shame ». Ce n'est d’ailleurs pas dans la culture de l'institution. Plutôt que de pointer un dysfonctionnement ponctuel, ce type de mécanisme fait reporter la faute sur l'ensemble de l'administration...

Ne craignez-vous pas que l'article 4 de la loi Lemaire ne soit guère appliqué, à l’image des dispositions Open Data de loi NOTRe ?

C'est un peu le même problème avec les dispositions de la loi Macron sur les données de transport... Imposer un devoir d'Open Data est une chose, mais en laissant à l'administration l'initiative on prend le risque qu'un certain nombre de données soient oubliées, volontairement ou non. C'est pour ça qu'on tenait beaucoup à l'article 1er ter qui ajoute à la loi CADA un droit à l'Open Data. Le mécanisme de la CADA a fait ses preuves depuis 1978. À l'heure du numérique, il semble logique de permettre aux citoyens de demander la mise en ligne sous un format ouvert des jeux de données publiques dont ils ont connaissance, et de pouvoir agir en justice lorsque l'administration s'oppose aux publications légitimes.

Merci Gabriel Kerneis et Tangui Morlier.

3
Avatar de l'auteur

Écrit par Xavier Berne

Tiens, en parlant de ça :

livre dématérialisé

Des chercheurs ont élaboré une technique d’extraction des données d’entrainement de ChatGPT

Toxique de répétition

17:15IA et algorithmesSciences et espace 3
Un chien avec des lunettes apprend sur une tablette

Devenir expert en sécurité informatique en 3 clics

Ou comment briller en société (de service)

16:53Sécurité 9
Logo ownCloud

ownCloud : faille béante dans les déploiements conteneurisés utilisant graphapi

Dangereuse, mais spécifique ?

15:57Sécurité 14

Sommaire de l'article

Introduction

Le gouvernement a récemment publié le décret imposant aux responsables publics de faire leurs déclarations d'intérêts en ligne, ce qui ouvrira la voie à une mise en Open Data de ces informations par la Haute Autorité pour la transparence. Enfin ?

Ne risque-t-on pas d'avoir le même problème avec le projet de directive européenne sur le reporting public, pays par pays, qui vise à la transparence des données fiscales et financières des grandes entreprises ?

Vous aviez beaucoup critiqué le registre de lobbyistes prévu par le projet de loi Sapin. Que pensez-vous des modifications apportées en commission, à l’Assemblée ?

Députés et sénateurs vont bientôt tenter de trouver un accord sur le projet de loi Numérique. Êtes-vous optimistes quant à l’issue de la CMP à venir ?

Ne pourriez-vous donc pas aller jusqu'à souhaiter un échec de la CMP, pour que le dernier mot revienne à l'Assemblée nationale ?

Est-ce qu'il y a eu des occasions manquées avec ce projet de loi, des sujets qui n'ont finalement pas été abordés ?

On ne vous a pas trop entendus sur cet ajout du Sénat : que pensez-vous de la liste de suivi des avis favorables de la CADA ?

Ne craignez-vous pas que l'article 4 de la loi Lemaire ne soit guère appliqué, à l’image des dispositions Open Data de loi NOTRe ?

livre dématérialisé

Des chercheurs ont élaboré une technique d’extraction des données d’entrainement de ChatGPT

IA et algorithmesSciences et espace 3
Un chien avec des lunettes apprend sur une tablette

Devenir expert en sécurité informatique en 3 clics

Sécurité 9
Logo ownCloud

ownCloud : faille béante dans les déploiements conteneurisés utilisant graphapi

Sécurité 14
Le SoC Graviton4 d’Amazon AWS posé sur une table

Amazon re:invent : SoC Graviton4 (Arm), instance R8g et Trainium2 pour l’IA

Hardware 3
Logo Comcybergend

Guéguerre des polices dans le cyber (OFAC et ComCyberMi)

Sécurité 10

#LeBrief : faille 0-day dans Chrome, smartphones à Hong Kong, 25 ans de la Dreamcast

0
Mur d’OVHcloud à Roubaix, avec le logo OVHcloud

OVHcloud Summit 2023 : SecNumCloud, IA et Local Zones

HardwareInternet 2
algorithmes de la CAF

Transparence, discriminations : les questions soulevées par l’algorithme de la CAF

IA et algorithmesSociété numérique 57

Plainte contre l’alternative paiement ou publicité comportementale de Meta

DroitIA et algorithmes 31
Nuage (pour le cloud) avec de la foudre

Économie de la donnée et services de cloud : l’Arcep renforce ses troupes

DroitInternet 0
De vieux ciseaux posés sur une surface en bois

Plus de 60 % des demandes de suppression reçues par Google émanent de Russie

Société numérique 4
Une vieille boussole posée sur un plan en bois

La Commission européenne et Google proposent deux bases de données de fact-checks

DroitInternet 3

#LeBrief : des fichiers Google Drive disparaissent, FreeBSD 14, caméras camouflées, OnePlus 12

0

Le poing Dev – round 6

Next 146

Produits dangereux sur le web : nouvelles obligations en vue pour les marketplaces

Droit 9
consommation de l'ia

Usages et frugalité : quelle place pour les IA dans la société de demain ?

IA et algorithmes 12

La NASA établit une liaison laser à 16 millions de km, les essais continuent

Sciences et espace 17
Concept de CPU

Semi-conducteurs : un important accord entre l’Europe et l’Inde

Hardware 7

#LeBrief : PS5 Slim en France, Valeo porte plainte contre NVIDIA, pertes publicitaires X/Twitter

0
Un mélange entre une réunion d’Anonymous et de tête d’ampoules, pour le meilleur et le pire

651e édition des LIDD : Liens Intelligents Du Dimanche

Internet 30
Bannière de Flock avec des bomes sur un fond rouge

#Flock, le grand remplacement par les intelligences artificielles

Flock 34
Un Sébastien transformé en lapin par Flock pour imiter le Quoi de neuf Docteur des Looney Tunes

Quoi de neuf à la rédac’ #9 : LeBrief 2.0, ligne édito, dossiers de fond

Next 65
Pilule rouge et bleue avec des messages codés

Encapsulation de clés et chiffrement d’enveloppes

Sécurité 31
Empreinte digital sur une capteur

Empreintes digitales : les capteurs Windows Hello loin d’être exemplaires

Sécurité 20

#LeBrief : succès du test d’Ariane 6, réparer plutôt que remplacer, Broadcom finalise le rachat de VMware

0

Hébergeurs, éditeurs, espaces de conversation ? La difficile régulation des réseaux sociaux

Réseaux sociauxSociété numérique 23
Puces en silicium

Silicium : un matériau indispensable et omniprésent, mais critique

HardwareSciences et espace 25
Panneau solaire bi-face Sunology Play

Panneaux solaires en autoconsommation : on décortique le kit Play de Sunology

Hardware 29
The eyes and ears of the army, Fort Dix, N.J.

Un think tank propose d’autoriser les opérations de « hack back »

Sécurité 13

#LeBrief : Ariane 6 sur le banc de test, arrestation algorithmique, entraînement d’IA par des mineurs

0
Logo de Google sur un ordinateur portable

Chrome : Google corrige plusieurs failles sévères, dont une déjà exploitée

Logiciel 2

vieux téléphones portables

Des cadres supérieurs invités à n’utiliser que des téléphones jetables à Hong Kong

Sécurité 21

La Dreamcast de Sega fête ses 25 ans

Hardware 26

Pilule rouge et bleue avec des messages codés

Démantèlement d’un groupe ukrainien de rançongiciels

Sécurité 5

Commentaires (3)


ForceRouge Abonné
Il y a 7 ans

Merci


stephane.p Abonné
Il y a 7 ans

Ils sont vraiment bien les gens de regards citoyens. Ils sont notre vigie, comme Next Inpact, la quadrature et tant d’autres.


anonyme_d5bf0b9f87fd15affa58563db3b0ac5d
Il y a 7 ans

cet entretien me fait (re)penser à l’article suivant :

Le gouvernement lance le rapprochement CNIL/CADA
L’agence tous risques - Next inpact - 06/11/2015

Notamment la dernière partie intitulée :
 “Lancement d’une mission pour mûrir le rapprochement CNIL/CADA”