Députés et sénateurs doivent se mettre autour de la table aujourd’hui afin d’arriver à un compromis – fort probable – sur le projet de loi Numérique. Next INpact a « pris la température » auprès des parlementaires qui participeront à cette commission mixte paritaire.
Après avoir connu des débuts pour le moins laborieux (rappelez-vous de ces reports à répétition pendant presque trois ans), le projet de loi Numérique semble plus que jamais dans sa dernière ligne droite. Déposé fin 2015 devant le Parlement, adopté en janvier par l’Assemblée nationale puis début mai par le Sénat, le texte doit désormais être examiné en commission mixte paritaire (CMP) – en raison du recours, par le gouvernement, à une procédure dite accélérée, qui lui évite d’avoir à procéder à deux lectures au sein de chaque chambre.
Sept députés et sept sénateurs vont ainsi se réunir aujourd’hui à 16h30 afin de trouver un compromis entre les mesures votées par l’Assemblée nationale, majoritairement à gauche, et les modifications opérées par le Sénat, désormais à droite. Luc Belot, rapporteur pour l’Assemblée nationale, annonçait la couleur au début du mois dans nos colonnes : « Christophe-André Frassa [le rapporteur du Sénat] et moi-même souhaitons que la CMP aboutisse ». Et pour cause, 2017 approche désormais à grands pas, et « l'embouteillage législatif est réel », expliquait l’élu PS. Le risque ? Que le projet de loi Numérique soit purement et simplement abandonné, faute d’adoption avant les prochaines élections.
Un déminage minutieux sous la houlette des rapporteurs
Luc Belot affirmait dans le même temps qu’il ne voulait pas d’un projet de loi « qui soit uniquement un compromis, un texte tiède, qui ne porte pas d'ambition pour la France ». Le parlementaire a donc initié, en lien avec le rapporteur Les Républicains au Sénat, de nombreux échanges afin de préparer la réunion de cet après-midi. Trois rencontres ont été organisées ces dernières semaines avec Christophe-André Frassa : une première afin de « prendre la température », une deuxième de plus de 5 h pour passer en revue l’ensemble des articles du projet de loi, et une dernière il y a quelques jours pour évoquer les points posant encore problème.
Entretemps, les deux rapporteurs n’ont cessé de se soumettre des propositions. Le rythme s’est même amplifié ces dernières heures. « Il y a des éléments qui me semblaient ne plus devoir bouger, qui ont évolué depuis ce matin 8 h, et des éléments compliqués qui ont l'air de se régler... Donc la vision globale n'est pas encore parfaitement simple, même si ça avance bien » nous confiait hier après-midi le député Belot. Ce dernier devait encore s’entretenir par téléphone avec Christophe-André Frassa dans la soirée.
« Tout est fait pour que ça aboutisse », nous confirme un habitué de l’Assemblée nationale. Le cabinet d’Axelle Lemaire (qui ne participera pas à la CMP), a même aidé à « préparer le terrain », en contactant les différents parlementaires conviés à la réunion de cet après-midi – qu’ils appartiennent ou non à la majorité. « L’objectif est surtout de faire un état des lieux des convergences possibles, des éventuels points bloquants, de réaffirmer auprès des parlementaires concernés la position du gouvernement sur un certain nombre d’articles (Open Data public par défaut, régulation raisonnable des plateformes, télécoms...) et d’anticiper autant que possible l’issue de la CMP », indique-t-on à Bercy.
Alors que la secrétaire d’État au Numérique n’a jamais caché qu’elle aurait préféré une seconde lecture, son cabinet affirme aujourd’hui que « le gouvernement favorise avant tout un accord satisfaisant pour toutes les parties. Si un tel accord peut intervenir à l’occasion de cette CMP, sans reprise de la navette, la ministre y sera favorable car cela nous permettra de lancer dès maintenant les travaux sur l’application du texte. »
Des points de désaccord relativement nombreux
Selon Luc Belot, il reste malgré tout « pas mal de points qui sont en finalisation d'écriture ». Parmi les principales pommes de discorde entre l’Assemblée et le Sénat, figurent : la question de la mort numérique (article 32), les dispositions « anti-Google » (22 bis A), l’exception de « text and data mining » (18 bis), la déclaration automatisée des revenus issus des plateformes (23 quater), l’amendement dit Airbnb (23 quater A), la protection des lanceurs d’alerte de sécurité (20 septies), le stockage obligatoire des données personnelles des Français sur le territoire européen (26 bis A), etc.
Le rapporteur Frassa, indisponible en dépit de nos multiples sollicitations – par mail et téléphone depuis plusieurs semaines – n’a pu nous donner l’avis de la majorité sénatoriale. « Il y a un objectif partagé par tous, c'est d'aboutir à un accord » explique néanmoins Patrick Chaize, sénateur Les Républicains. L’élu confirme que « des travaux préparatoires importants » ont été menés par les rapporteurs afin que la procédure de conciliation aboutisse : « J’ai le sentiment qu'on est quasiment arrivés et que la réunion de ce soir devrait déboucher sur un accord. »
La députée Laure de La Raudière (LR) estime elle aussi que les choses se présentent « plutôt bien ». « J'ai eu le rapporteur Frassa lundi au téléphone. Il y a encore quelques points sur lesquels il faut rapprocher la rédaction de l'Assemblée nationale et du Sénat, mais j'ai l'impression sur certains sujets que ce n'est pas tant une opposition droite/gauche que des discussions techniques sur la rédaction de certains articles. »
Les rapporteurs veulent arriver en CMP avec 95 % de rédactions communes
Luc Belot reconnaît en effet qu’il continue de chercher « des rédactions qui soient justes », tout en « mesurant l'ensemble des impacts » de chaque disposition. Le parlementaire espère arriver cet après-midi en CMP avec 95 % des articles en rédaction commune avec le rapporteur Frassa. « Après, la CMP est souveraine » nuance-t-il, afin de rappeler que les sept députés et sept sénateurs impliqués dans la procédure de conciliation seront libres in fine d’accepter – ou non – leurs propositions. Mais en pratique, les débats devraient surtout porter sur les derniers « points durs » du texte. « La CMP jouera pleinement son rôle, avec des votes » prévient ainsi le sénateur Patrick Chaize.
« Je suis confiant sur le fait qu'on va aboutir, affirme néanmoins Luc Belot. Tout ce qu'on a déjà réglé porte déjà une vraie ambition pour ce texte. » L’élu ajoute que les deux rapporteurs ont « patiemment » travaillé afin de ne pas avoir à retirer du texte toutes les mesures qui posaient problème.
« On aurait fait mieux avec deux lectures »
Pour autant, le probable compromis qui risque de se dégager de la CMP est loin de satisfaire tout le monde. « J'estime que le texte ne va pas assez loin, en ce sens qu'il n'a pas vraiment questionné la souveraineté numérique », soupire notamment la sénatrice Catherine Morin-Desailly, jointe par Next INpact. L’élue centriste juge que même s’il contient « des dispositions utiles (notamment sur la neutralité de l'internet, la portabilité des données, l'Open Data...) », le projet de loi Numérique reste « un peu restreint », sur les questions économiques ou même sur la surveillance des communications électroniques par exemple. Des propos qui font écho au récent bilan de l’Observatoire des libertés et du numérique, qui jugeait la loi Lemaire d’ores et déjà « profondément décevante ».
Laure de La Raudière pointe un autre problème : « Sur certains sujets tels que la mort numérique, la CMP va sans doute aboutir, parce que les rapporteurs en ont discuté, mais il n'y a pas eu de débat au fond sur la nouvelle position qui va être adoptée. Or la mort numérique, c'est quand même un sujet d'ampleur qui n'a jamais été évoqué avant, qui est vierge de toute réflexion... Passer ça comme ça, alors que ça va toucher toutes les familles à un moment donné (la plupart des Français ont aujourd’hui une boîte mail ou un compte Facebook), je suis assez étonnée. Pour moi, ce n'est pas une bonne façon de légiférer. On aurait fait mieux avec deux lectures. »
La plupart des parlementaires sont d’ailleurs sur la même longueur d’onde. « Je voulais une nouvelle lecture, parce que c'est comme ça qu'on rend un texte le plus riche possible, nous expliquait ainsi Luc Belot au début du mois. C'est d'abord le débat parlementaire qui permet d'améliorer réellement un projet de loi. Maintenant, le risque, c'est que ce texte ne passe jamais ! Entre aucun texte et une CMP, je préfère une CMP » exposait-il clairement.
Et après la CMP ?
En cas d’accord, le texte retenu suite aux débats en CMP devra être soumis à l’Assemblée et au Sénat pour un vote définitif. Un rejet par l’une ou l’autre des chambres reste du domaine du possible, même si cette hypothèse demeure extrêmement peu probable. Si la procédure de conciliation n’aboutissait pas, les députés reprendraient les débats dans le cadre d’une nouvelle lecture (à partir du texte adopté début mai par le Sénat). La navette continuerait, mais le dernier mot reviendrait en bout de course à l’Assemblée nationale.
Quelle que soit l’issue de la commission mixte paritaire, il ne faut pas s’attendre à ce que l’ensemble des mesures du projet de loi Numérique, une fois adopté, soient activées du jour au lendemain. De nombreux cas d’entrée en vigueur progressive sont prévus, et parfois même conditionnés à la parution de décrets d’application. La France a par ailleurs notifié plusieurs articles à la Commission européenne, ouvrant ainsi une période dite de « statu-quo » sur ces dispositions – relatives aux plateformes, aux jeux en ligne, à l’accessibilité des sites publics... – jusqu’au mois de septembre.
Le gouvernement s’attend quoi qu’il en soit à ce que le texte de la secrétaire d’État au Numérique soit à nouveau examiné dans les prochaines semaines, puisque le projet de loi Numérique est au programme de la session parlementaire de cet été (qui devrait s’achever fin juillet ou début août). Luc Belot nous l’a d’ailleurs annoncé : un vote est prévu le 20 juillet à l’Assemblée nationale. Le Sénat pourrait quant à lui se prononcer d'ici la mi-septembre.
Commentaires (8)
#1
Next INpact a « pris la température » auprès des parlementaires qui participeront à cette commission mixte paritaire.
Merci pour cette enquête en profondeur " />
Ce qui serait intéressant en fin de session parlentaire, ce serait de faire le point sur ce qu’il reste de la consultation de l’année dernière. Parce que j’ai tout de même l’impression qu’elle n’a pas servi à grand chose au vu des “compromis” faits.
#2
Je crois reconnaître le lobbyiste Omar Clooney à côté de M. Belot.
#3
Je doute que les non-députés aient le droit de descendre dans l’hémicycle.
Sinon dommage que les élus n’est pas le temps nécessaires pour peaufiner le texte. " />
#4
@Xavier, des nouvelles de l open data juridique ?
#5
S’il y a accord cet après-midi, je ferais un point dès demain matin, puis une explication détaillée de tout le texte ensuite. J’ai eu Luc Belot à midi, qui m’a dit que des rédactions communes avaient été trouvées sur tous les articles. Il faut à mon avis s’attendre sur ce point (comme pour beaucoup d’autres) à des compromis : des synthèses entre les dispositions de l’AN et du Sénat…
#6
Super le suivis, je viens de m abonner à Pc Inpact pour la peine.
Hâte de lire la suite.
Merci pour le travail en tout cas !!!!
#7
#8
Quelle est votre analyse concernant la territorialité des données (datas centers doivent être situés en Europe). Malgré l’opposition d’Axelle Lemaire la mesure peut-elle rester dans la version de la CMP ? Merci !