L’eau sur Terre pourrait être plus ancienne que notre Soleil
Pour ça qu'elle a un drôle de goût parfois ?
Le 10 mars 2023 à 09h55
6 min
Sciences et espace
Sciences
L'annonce est importante pour John J. Tobin (astronome au National Radio Astronomy Observatory) car elle permet d'avancer sur une quête pour laquelle nous n'avons pas encore de réponse : les origines de l'eau dans notre système solaire. « Nous pouvons maintenant [les] retracer jusqu'à avant la formation du Soleil », explique-t-il.
La Terre, l'eau, la vie...
La vie sur la Terre est intimement liée à la présence d'eau. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les missions d'exploration martiennes ont d'abord cherché des traces d'eau avant de se lancer à la recherche de traces de vies passées. C'est d'ailleurs une des missions principales du rover Perseverance.
- Naissance de la vie sur Terre : « regarder Mars, c'est regarder une fenêtre du passé »
- Premières missions sur Mars : de la recherche de traces d'eau à l'habitabilité
Si l'eau est un ingrédient indispensable à la vie telle que nous la connaissons, il reste encore plusieurs questions autour de son arrivée dans notre Système solaire et sur Terre. L'Observatoire européen austral (ESO) vient d'annoncer que des scientifiques ont trouvé « le chainon manquant ». Un article a été publié dans la revue Nature. Pour arriver à ce résultat, ils ont notamment utilisé des observations de l'ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array), un réseau de radiotélescopes au Chili :
« Des astronomes ont détecté de l'eau à l'état gazeux dans le disque où se forment des planètes autour de l'étoile V883 Orionis. Cette eau porte une signature chimique qui explique le voyage de l'eau depuis les nuages de gaz où se forment l'étoile et les planètes, et soutient l'idée que l'eau sur Terre est même plus ancienne que notre Soleil ».
Suivre les « différentes eaux » dans le disque autour de l'étoile
Pour vous situer un peu mieux dans l'Univers (ou pas), V883 Orionis est un disque en formation de planète se trouvant à environ 1 300 années-lumière de notre planète, dans la constellation d'Orion. Petit rappel sur la formation des systèmes solaires : « Lorsqu'un nuage de gaz et de poussière s'effondre, il forme une étoile en son centre. Autour de l'étoile, la matière du nuage forme également un disque. Au cours de quelques millions d'années, la matière du disque s'agglomère pour former des comètes, des astéroïdes et finalement des planètes ». C'est ainsi que sont nés le Soleil, les planètes et les différents astres de notre système solaire.
Et c'est justement ce qui se passe dans V883 Orionis. Au sein de ce disque en formation, les scientifiques ont pu suivre le parcours des signatures chimiques de l'eau. Mais encore faut-il savoir de quelle eau on parle. On connait bien sûr la formule classique H2O (deux atomes d'hydrogène et un d'oxygène), mais il existe aussi l'eau lourde. Dans ce cas, un des atomes d'hydrogène est remplacé par du deutérium, un isotope (les deux atomes ont le même nombre de protons) de l'hydrogène avec un neutron en plus.
Eau simple vs eau lourde
Cette distinction entre eau simple et lourde est très utile. Comme les deux se forment « dans des conditions différentes, leur proportion peut être utilisée pour retracer quand et où l'eau s'est formée ». Des études ont déjà prouvé que des comètes de notre système solaire avaient une proportion d'eau simple/lourde similaire à celle de l'eau sur notre Terre, « ce qui suggère que les comètes pourraient avoir apporté de l'eau sur Terre ».
L'ESO rappelle que les scientifiques ont déjà observé des voyages de l'eau allant des nuages vers les jeunes étoiles, ainsi que des comètes vers les planètes... mais il manquait un chainon entre les jeunes étoiles et les comètes. « V883 Orionis est le chaînon manquant dans ce cas », affirme John J. Tobin :
« La composition de l'eau dans le disque est très similaire à celle des comètes de notre propre système solaire. Cela confirme l'idée que l'eau des systèmes planétaires s'est formée il y a des milliards d'années, avant le Soleil, dans l'espace interstellaire, et que les comètes et la Terre en ont hérité, relativement inchangée ».
V883 Orionis aide les scientifiques avec une explosion d'énergie
Si sur le papier cela semble simple à comprendre, les chercheurs étaient face à un problème pour observer l'eau. En effet, celle-ci est souvent présente sous forme de glace dans les disques de formation planétaires, « elle est donc généralement cachée à notre vue », explique Margot Leemker, co-autrice de la publication scientifique. Mais pourquoi donc ?
L'explication est finalement logique : pour détecter l'eau, les scientifiques tentent de repérer les rayonnements émis par les molécules lorsqu'elles tournent et vibrent. Mais cela se complique lorsque l'eau est gelée puisque « le mouvement des molécules est plus contraint ». Plus la température est basse, moins les molécules sont en mouvement. Au zéro absolu par exemple, il n'y a plus le moindre mouvement.
L'eau existe néanmoins sous forme de gaz dans le disque, mais il faut se rapprocher du centre (et donc de l'étoile) pour en trouver. Pourquoi ne pas se concentrer sur cette zone alors ? Tout simplement car « ces régions proches sont cachées par le disque de poussière lui-même, et sont également trop petites pour être observées avec nos télescopes », ajoute l'ESO.
Mais alors comment les scientifiques ont fait pour arriver à détecter le niveau de concentration d'eau ? Ils ont eu un coup de pouce de l'étoile. En effet, le disque de V883 Orionis est exceptionnellement chaud à cause de (ou grâce à) une explosion d'énergie en provenance de l'étoile en son centre. La température est ainsi montée à un niveau où l'eau « n'est plus sous forme de glace, mais de gaz, ce qui nous permet de la détecter », explique John J. Tobin.
De l'eau en pagaille
L'ESO explique que les scientifiques ont ainsi pu exploiter l'ALMA pour « détecter l'eau et déterminer sa composition, ainsi que cartographier sa distribution dans le disque ». D'après leurs observations, ce disque contiendrait « au moins 1 200 fois la quantité d'eau contenue dans tous les océans de la Terre ».
Servira-t-elle de base à l'émergence de formes de vies ? Il faudra attendre encore quelques dizaines de millions ou milliards d'années pour le savoir. Je pense qu'il est inutile de se prévoir un rendez-vous à ce moment-là.
L’eau sur Terre pourrait être plus ancienne que notre Soleil
-
La Terre, l'eau, la vie...
-
Suivre les « différentes eaux » dans le disque autour de l'étoile
-
Eau simple vs eau lourde
-
V883 Orionis aide les scientifiques avec une explosion d'énergie
-
De l'eau en pagaille
Commentaires (24)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 10/03/2023 à 10h16
Merci Sébastien pour cet article qui vient hydrater la partie de mon esprit assoiffée de sciences !
Existe-t-il d’autres disques proto-planétaires qui présentent des conditions de température semblables, permettant de détecter la vapeur d’eau, ou est-ce que V883 est très rare ? En d’autres termes, est-ce que les scientifiques pourront à l’avenir tenter ce type de détection sur d’autres systèmes, et même sur des systèmes plus vieux ?
Par exemple, j’imagine un système solaire - lointain ou pas, peu importe - présentant un nombre intéressant d’exoplanètes. Est-ce qu’on pourrait détecter de l’eau sous forme de gaz autour d’une étoile (double ou pas) de type solaire ?
Le 10/03/2023 à 10h26
Réponse d’amateur de niveau “café du commerce”, si quelqu’un en a une meilleure il ne faut pas hésiter !
Pour le dernier point (détecter de l’eau autour d’une étoile de type solaire), ça me semble compliqué avec les moyens actuels. Dans l’espace du système solaire, je pense qu’on trouve très peu d’eau sous forme gazeuse. L’eau est présente soit sur les planètes / satellites, soit sous forme de glace dans les comètes. L’exception serait lors du passage d’une comète aux abords du Soleil, où une partie de sa matière est sublimée et doit rester sur la trajectoire occupée, mais elle doit être tellement diluée que ça doit être compliqué à détecter depuis la Terre. Alors voir ça dans un autre système planétaire…
Le 10/03/2023 à 11h13
Merci pour ta réponse, je n’aurais jamais pensé spontanément aux comètes, c’est pourtant un fait connu qu’elles transportent de l’eau sous forme de glace…
Avec ma question je pensait aussi à une façon d’avoir une idée un peu plus précise de la probabilité de vie dans d’autres systèmes solaires… Puisque la-vie-telle-qu’on-la-connait est fortement dépendante de la présence d’eau liquide, et que cette eau liquide planétaire est la conséquence de la présence d’eau (forte ou simple) dans le système planétaire, ainsi que de collisions avec une multitude d’objets riches en eau, pourrait-on imaginer un système de mesures qui indiquerait le “potentiel aqueux” de tel ou tel système ?
Le 10/03/2023 à 10h27
Tres bonne article.
Merci
Le 10/03/2023 à 10h46
Reste plus qu’à comprendre comment et où sont formées les molécules d’eau.
Le 10/03/2023 à 13h54
C’est la question que je me posais en lisant l’article… Je comprends que les molécules d’or puissent se former dans les étoiles mais l’eau dans les étoiles ! Haha inconcevable
Le 10/03/2023 à 11h34
Le 10/03/2023 à 11h47
Wooow… MERCI pour cet article passionnant qui ouvre de très intéressantes perspectives !
Le 10/03/2023 à 13h02
Cette question me fait à chaque fois penser à une réplique du film “Contact” basé sur le roman du même nom de Carl Sagan.
L’héroïne du film encore toute gamine demande à son père si la vie existe ailleurs dans l’univers.
Réponse du père :
“Je ne sais pas mais si ce n’est pas le cas, ça serait un sacré gâchis d’espace”…
Je pense la même chose car je doute que la vie ne puisse exister que sur notre minuscule planète vu la taille de l’univers qui serait infinie selon Einstein et qui contient des milliards de milliards de planètes.
Le 10/03/2023 à 13h41
J’ai la même approche avec plutôt recement le fait de me dire que finalement c’est peut être nous les plus évolué technologiquement ou alors qu’il n’est pas possible de voyager rapidement dans l’univer ce qui fait qu’on a très peu de chance de croiser une autre vie. A moins de cryo ou d’un programme multi génération dans un vaisseau et à condition que la civilisation dans le vaisseau ne s’autodétruise pas comme dans le bouquin le papillon des étoiles de Bernard Werber
Le 10/03/2023 à 13h52
Je crois aussi que les distances phénoménales dont il est question ne facilitent pas d’éventuelles rencontres.
Peut-être qu’un jour on règlera ce problème (ou d’autres espèces intelligentes le feront avant nous pour venir nous dire bonjour). Mais nous concernant, ce n’est clairement pas pour demain.
On est encore bien loin de pouvoir se balader ne serait-ce qu’à la vitesse de la lumière mais bon, à l’échelle de l’univers, notre espèce est encore bien jeune…
Le 10/03/2023 à 13h55
Excellent bouquin, qui illustre parfaitement la folie qui nous guette tous, même sans vaisseau spatial… Il suffit de supprimer tous les gardes-fous (à tout hasard : la loi, les règlements…) et c’est la porte ouverte à toutes les fenêtres…
Le 10/03/2023 à 18h34
La théorie de la forêt sombre : vaut mieux se cacher!
https://www.fredzone.org/theorie-foret-sombre-extraterrestres-434
Une trilogie géniale à lire sur ce sujet :
https://www.babelio.com/livres/Cixin-La-foret-sombre/973987
Le 10/03/2023 à 16h11
je pense, aussi, qu’il doit (surement) exister une autre vie* dans ‘l’Univers’, mais
le problème c’est qu’il faudrait pouvoir voyager à vitesse de la lumière
pour pouvoir en apporter la preuve, ET que ‘ces autres gens’ NE le
peuvent pas non-plus, donc on ne le saura ‘jamais’ (ou dans 800 ans) !
Le 10/03/2023 à 16h25
Que la vie ait existé, existe ou existera ailleurs que sur notre minuscule planète… c’est envisageable.
Que cette vie dure assez longtemps pour franchir les barrières scientifiques et technologiques qui permettraient a deux civilisations de se rencontrer… ça par contre, c’est pas gagné si on en croit le paradoxe de Fermi.
Et a en juger par l’état de notre propre planète c’est fort possible qu’on ne rencontre jamais personne d’autre: entre le dérèglement climatique, la surpopulation, l’horloge de l’apocalypse, les mutations de virus…
Le 10/03/2023 à 17h48
Serait-ce si bien que cela ?!
Quand les Européens ont découvert l’Amérique, on y a amené nos maladies et ils sont presque tous mort. Et on été pourtant sur la même planète (mais séparé depuis des siècles). Alors je n’ose imaginer l’échange entre planète 😕
Sinon, super article ! Comme d’hab sur les planètes
Le 10/03/2023 à 18h09
Justement parce que c’est la même espèce (donc transmission facile des maladies).
Avec une autre forme de vie, le fonctionnement sera certainement tellement différent que ça ne devrait pas être un problème, je pense.
Le 10/03/2023 à 18h23
Le 10/03/2023 à 23h25
Heu,
vous partez tous sur l’hypothèse un peu loufoque qu’il faut l’eau (xygène) pour avoir une forme de vie.
Pourquoi pas avec d’autres fluides, ce n’est pas parce que nous n’avons pas d’exemple proche que ça ne peut pas exister, non ?
Le 11/03/2023 à 16h14
c’est pour ça que précisé (Post 13)…..
Le 11/03/2023 à 08h34
La vie sur d’autres planètes peut se limiter à des bactéries.
Ce qui a été le cas sur Terre pendant longtemps.
Les humains sont apparus sur Terre que récemment, ne l’oublions pas.
Le 11/03/2023 à 09h56
Certes mais je ne vois pas pourquoi notre planète serait la seule à avoir vu l’évolution de ces bactéries. D’autant que certaines planètes de notre univers sont bien plus anciennes que la terre.
Donc, sauf à croire à une “création divine” de notre espèce (ce qui n’est pas mon cas), il serait assez logique que des formes de vie aussi évoluées que la nôtre (voire plus) existent ailleurs.
Le 11/03/2023 à 14h35
Ou ait déjà existé.
Le 12/03/2023 à 15h56