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Réguler... mais à voir dans l'application

AI Act : les États européens votent le texte à l’unanimité

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Ce vendredi 2 février, le conseil des 27 gouvernements de l’Union Européenne a voté la directive sur l’intelligence artificielle, annonce Euractiv. La France ne s'y est finalement pas opposée, après avoir essayé de créer une minorité de blocage avec l'Allemagne et l'Italie.

C’est habituellement une relative formalité, puisque la majeure partie des débats sont réglés dans la phase de trilogue (négociations entre les représentants du Conseil de l’UE, de la Commission européenne et du Parlement Européen).

Mais l’enjeu posé par ce texte, qui se veut précurseur, et les remous provoqués par le brusque volte-face de la France sur la question des modèles de fondation ont suscité d’intenses débats. Ils ont été tranchés par un accord tardif mais attendu de tous, alors que le calendrier des élections parlementaires de juin prochain contraignait l’agenda.

La France lâchée par l'Allemagne et l'Italie dans la dernière semaine

L’Allemagne et l’Italie avaient jusqu’ici soutenu la France dans sa tentative de bloquer le règlement sur la question des modèles de fondation. Mais Paris est devenue bien seule cette dernière semaine sur cette position.

Du côté de l'Allemagne, le Ministre du numérique et membre du parti libéral FDP, Volker Wissing, s'est finalement rangé aux côtés de son gouvernement pour un vote en faveur de l'AI Act. Son parti s'est inquiété depuis le début du risque que le texte soit un frein à l'innovation en Europe. Il relevait aussi que la partie du texte sur la surveillance biométrique mettait des obstacles beaucoup trop faibles. Mais, isolé, Volker Wissing a finalement cédé. Il a cependant précisé qu'il utilisera le maximum de marge de manœuvre dans l'application du règlement pour éviter les contraintes sur les entreprises européennes impliquées dans l'IA.

Outre Alpin, selon notre confrère d'Euractiv Luca Bertuzzi, la principale raison du revirement du pays en faveur du texte est que « Rome assure cette année la présidence tournante du G7 et que l’IA est un sujet de discussion clé ».

La France, jusqu'au dernier moment, a maintenu la pression. Le cabinet de Bruno Lemaire expliquait encore la semaine dernière au Monde batailler sur une partie du texte qui prévoyait que les créateurs de modèles d'IA publient un « résumé suffisamment détaillé » des données utilisées pour l’entraînement : « sur les droits d’auteur, qui est un sujet essentiel, il faut trouver d’autres moyens de les faire respecter, sans rendre publics les secrets de fabrication des modèles d’IA ». Mais lâchée, et après avoir espéré au moins reporter le vote, elle s'est finalement résolue à soutenir le texte, comme l'expliquait ce matin Luca Bertuzzi, « avec des conditions strictes » pour que les entreprises européennes puissent développer des IA compétitives.

Conflit d’intérêts du côté français

Au sujet de la position de la France sur les modèles de fondation, le poids du lobbying et des conflits d'intérêts ont été pointés du doigt par divers acteurs. Les accusations se sont faites très directes. La sénatrice Catherine Morin-Desailly a fustigé la participation de Cédric O au Comité de l'intelligence artificielle générative créé par le gouvernement, lors d’une audition du 20 décembre 2023 : « Un trouble est toutefois jeté par la situation de Cédric O, qui a beaucoup d'influence sur le Président de la République, mais qui défend les intérêts d'acteurs extra-européens depuis longtemps  c'était déjà le cas à propos du Health Data Hub. Sa participation à ce comité est troublante, celle d'autres membres, y compris issus de Meta, est franchement surréaliste ».

Cédric O a été visé car, après avoir été secrétaire d’État chargé du numérique, il travaille maintenant pour la startup française Mistral AI, créatrice du grand modèle de langage du même nom. Dans une enquête publié début décembre, Médiapart explique qu'il n'en est pas seulement le cofondateur, mais qu'il y endosse aussi les rôles de « conseiller et lobbyiste, accrédité comme tel au Parlement européen ».

Le média pointait du doigt le revirement du nouveau lobbyiste depuis qu'il a quitté le gouvernement. Alors qu'en 2021, Cédric O défendait le besoin de plus de régulation sur l'IA en tant que secrétaire d'État au numérique, il explique à Médiapart qu' « "Il ne faut pas perdre l’équilibre" trouvé selon lui dans la version initiale du texte, entre l’instauration d’un cadre "protecteur pour les citoyens européens" et la possibilité laissée "à des champions européens de la technologie d’émerger" ».

Thierry Breton a aussi élevé la voix fin novembre dernier dans le journal La Tribune sur le lobbying de la startup française : « j'observe, par exemple, la startup Mistral AI, elle fait du lobbying, c'est normal. Mais nous ne sommes dupes de rien. Elle défend son business aujourd'hui, et non l'intérêt général ».

Le ministre du Numérique de l'époque, Jean-Noël Barrot (qui attend encore de savoir s'il sera reconduit), a réfuté toute idée selon laquelle la France se serait faite promotrice d’intérêts privés.

De notre côté, nous avons trouvé cocasse la tribune de Cédric O en faveur de la porosité entre monde politique et monde économique, retrouvée dans les colonnes du Monde en date du 25 janvier 2023.

En France encore, le lobby libéral Institut Montaigne est allé dans le sens inverse de l'ancien secrétaire d'État en plaidant même pour la création d'une autorité nationale sur le sujet, arguant que l'AI Act ne suffira pas à réguler les intelligences artificielles génératives.

Des associations plutôt en faveur

Edri, le réseau d'associations de défense des droits et libertés en ligne regroupant des ONG comme la Quadrature du Net, l'EFF, noyb ou le Chaos Computer Club, a publié mercredi son avis sur le texte.

Selon ce texte publié avant le vote, « si l'AI act est adoptée, il apportera des améliorations importantes destinées à renforcer les normes techniques et à accroître la responsabilité et la transparence en ce qui concerne l'utilisation de l'IA à haut risque. Elle prendra même des mesures (très limitées) pour interdire certaines utilisations de l'IA ».

Elles y voient cependant de « sérieux motifs d'inquiétude » sur la surveillance numérique que le texte n'encadre pas assez selon elles : « si l'on met de côté les domaines dans lesquels l'UE n'est tout simplement pas allée assez loin pour prévenir les dommages, l'AI Act pourrait contribuer à des changements plus larges qui étendent et légitiment les activités de surveillance de la police et des autorités de contrôle de l'immigration, ce qui aurait des conséquences majeures pour les droits fondamentaux face aux systèmes d'IA ».

Fuite du texte dans les dernières semaines

Le 22 janvier dernier, Luca Betuzzi a obtenu une version non officielle du projet. Le document de 892 pages détaille l'évolution du texte depuis la proposition de la Commission, qui était déjà un compromis de haute lutte, jusqu'à la version à cette date. La conseillère politique au Parlement européen Laura Caroli en a publié sur LinkedIn une version consolidée, ramenant le texte à « seulement » 258 pages. « Il s'agit du texte préfinal, celui sur lequel les deux colégislateurs voteront dans quelques semaines, avant qu'il ne devienne une loi. Il s'agit du compromis entre le texte du Parlement et l'"approche générale" du Conseil. Les changements éventuels à ce stade ne seront que purement linguistiques et techniques » expliquait-elle.

Côté calendrier, le Parlement européen prend maintenant la main. Comme l'explique Euractiv, les commissions du Marché intérieur et des Libertés civiles devront adopter le texte définitif le 13 février et un vote en plénière devrait avoir lieu le 10 ou 11 avril. Les ministres n'auront ensuite plus qu'à signer pour que le texte soit formellement adopté. L'AI Act entrera en vigueur 20 jours après publication au journal officiel.

En ce qui nous concerne, nous reviendrons sur le texte final une fois qu'il aura été publié.

Commentaires (5)


Ils ont été tranchés par un accord tardif mais attendu de tous, alors que le calendrier des élections parlementaires de juin prochain contraignait l’agenda.


S'il y a des difficultés à trouver un accord, pourquoi forcer avant les élections au lieu d'attendre ces élections et laisser faire les nouveaux députés et la nouvelle Commission après que ce sujet ait été débattu pendant la campagne électorale ? Sur un sujet comme celui-ci qui a beaucoup changé depuis les précédentes élections, ça me semble bien plus démocratique de faire comme je le suggère. On n'est pas à quelques mois près pour cette décision.
AI, IA, vous pensez qu'un choix commun dans un même article pourrait avoir du sens ?
On comprend bien que c'est la même chose, mais assez bizarre à la lecture, notre franglais.
Modifié le 02/02/2024 à 19h52
Les seuls endroits où il y a AI, c'est pour parler de l'AI Act (qui est l'expression anglaise utilisée par l'UE) et de la société Mistral AI, certes française mais qui a choisi de mettre IA en anglais dans son nom pour l'international.

L'article utilise donc toujours le français IA sauf quand il s'agit d'une expression en anglais ou d'un nom de société.
L'auteur n'a pas le choix.

fred42

Les seuls endroits où il y a AI, c'est pour parler de l'AI Act (qui est l'expression anglaise utilisée par l'UE) et de la société Mistral AI, certes française mais qui a choisi de mettre IA en anglais dans son nom pour l'international.

L'article utilise donc toujours le français IA sauf quand il s'agit d'une expression en anglais ou d'un nom de société.
L'auteur n'a pas le choix.
Oui, je comprends ce que l'auteur a choisi, c.-à-d. garder les termes anglais en anglais, etc.
Mais si je compare à ce que font d'autres articles , je trouve ça plus 'propre'.
« j’observe, par exemple, la startup Mistral AI, elle fait du lobbying, c’est normal. Mais nous ne sommes dupes de rien. Elle défend son business aujourd’hui, et non l’intérêt général ».


... Soit la définition même du lobbying. Ce qui en soit est habituel lorsqu'on régule un secteur économique.
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