Consultation de sites terroristes : de « l’ombre policière » à la lumière du Conseil constitutionnel
Fiat lux
Le 09 février 2017 à 17h12
6 min
Droit
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Le Conseil constitutionnel rendra demain sa décision sur la conformité du délit d’entreprise individuelle terroriste aux textes fondateurs. Une affaire de première importance dans le climat sécuritaire actuel.
En novembre 2016, la Cour de cassation a transmis une QPC visant l’article 412-2-5-2 Code pénal qui incrimine le délit d’entreprise terroriste. Pour mémoire, ce texte introduit par la loi du 3 juin 2016 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale » dit :
« Le fait de consulter habituellement un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d'actes de terrorisme, soit faisant l'apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende.
Le présent article n'est pas applicable lorsque la consultation est effectuée de bonne foi, résulte de l'exercice normal d'une profession ayant pour objet d'informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. »
Devant les neuf Sages, trois avocats sont montés à la barre pour tenter de faire déclarer la disposition contraire à la Constitution. « La moindre hésitation sur la nécessité du texte doit vous conduire à dire à que le législateur a outrepassé le pouvoir qu’il tient de la Constitution » a plaidé l’avocate Me Claire Waquet avant d'énumérer plusieurs défaillances.
Une présomption de mauvaise foi
Selon sa grille de lecture, le texte introduit « une présomption de mauvaise foi ». En effet, comme expliqué devant les instances inférieures par Me Sami Khankan, « le citoyen est désormais présumé coupable de volonté d'actes terroristes par sa seule présence en ligne sur des sites déclarés comme incitant au terrorisme sauf à démontrer sa bonne foi alors même que les dispositions prévues par l’article 9 de la DDHC indiquent [que] tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ».
Du fait matériel, la consultation habituelle de sites terroristes, le législateur présume l’élément moral de l’infraction. Et il revient finalement au prévenu de démontrer sa bonne foi pour tenter d’éviter ces deux ans de prison et 30 000 euros d’amende. Une peine déjà infligée une vingtaine de fois.
Autre souci, on incrimine seulement l’accès aux services de communication au public en ligne, en clair les sites Internet. Celui qui consulte des réseaux purement privés ne peut donc s’en trouver inquiéter, tout comme celui qui lirait habituellement des revues papier reproduisant le même contenu. Me Khankan a évoqué d’autres foyers possibles de radicalisation : Telegram, les communautés fermées sur Facebook, les échanges sur Whatsapp, etc. Pour sa consœur, « tout ça est d’une logique qu’on peine à trouver ! ».
En outre, il y a une imprécision : que veut dire habituellement ? 2, 3, 5 fois ? « On ne sait pas ! » se lamente l’avocate. « Il y a des esprits lents qui ont besoin – et j’en fais partie – d’y revenir longtemps pour comprendre » taclera Me Sureau, quelques minutes plus tard.
Le flou pèse également sur l’idée précise de ce qu’est la « bonne foi », celle dont la démonstration permet au prévenu d’échapper à la sanction. Bref, voilà « un texte pénal qui insiste essentiellement à la glose, un très mauvais point ! »
Un texte qui rate sa cible, des critiques du Conseil d'État en 2012
Pour sa part, Me Khankan s’est souvenu des critiques adressées par le Conseil d’État en 2012. Lors d’une précédente tentative législative, le juge dénonçait lui aussi une atteinte « à la liberté de communication, dont une protection particulièrement rigoureuse est assurée tant par le Conseil constitutionnel que par la Cour européenne des droits de l’homme, une atteinte qui ne pouvait être regardée comme nécessaire, proportionnée et adaptée à l’objectif de lutte contre le terrorisme ».
La barque des critiques n’est pas encore pleine puisque le texte est accusé de rater sa cible : envoyer des personnes en prison, là où elles peuvent réellement se radicaliser, n’est peut-être pas la meilleure issue que pouvait imaginer le législateur…
Autre intervention retenir, celle de Me François Sureau qui sera cette fois plus philosophe que ses deux confrères. « C’est à ma connaissance la première fois en France qu’une démarche purement cognitive fait naitre la présomption d’une intention criminelle » regrette-t-il (sa plaidoirie reproduite par Le Monde).
Condamner ceux qui veulent se faire simplement une opinion
L’incrimination repose en effet sur une double supposition : celle d’un endoctrinement radical et la supposition que cet endoctrinement puisse déboucher sur la préparation d’un projet terroriste. Un peu comme si en 1934, on avait condamné tous ceux qui avaient pris le risque de lire Mein Kampf « pour se faire l’idée du futur prévisible ».
Plus grave. Selon lui, cette disposition a « pour effet direct et nécessaire, et je ne parle même pas ici des chercheurs, ou des journalistes, d’empêcher radicalement, si vous me passez cet adverbe, le citoyen d’une démocratie de se former une opinion justifiée sur l’une des menaces les plus graves qui pèsent sur notre société, sur sa nature et sur ses formes ».
Avec le délit de consultation, voilà « un pan entier de la liberté de penser [qui] passe tout d'un coup dans l’ombre policière et répressive ». Pour l’avocat, « ce n’est pas en ôtant du cerveau du citoyen, selon le mot de Tocqueville, le trouble de penser qu’on peut espérer triompher de tous ceux qui précisément veulent qu’on ne pense pas. Cette question est aussi vieille que la démocratie elle-même ».
En dernière ligne, Xavier Pottier, représentant du gouvernement, étayera des éléments aux antipodes : pas de présomption de culpabilité, un texte taillé pour prévenir la radicalisation, nécessité de prévenir les atteintes graves à l’ordre et la sécurité publics, besoin d’assurer la sauvegarde des droits et des libertés. L’intéressé a semblé bien désemparé lorsqu’un des membres du Conseil constitutionnel lui a demandé quel était l’apport de ce délit face à celui d’entreprise terroriste individuelle prévu à l’article 421-2-6 du Code pénal. Une disposition qui a déjà dans ses éléments constitutifs le fait de consulter des sites terroristes (et qui est d'ailleurs visé aussi par une QPC).
Le Conseil constitutionnel rendra sa décision demain.
Consultation de sites terroristes : de « l’ombre policière » à la lumière du Conseil constitutionnel
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Une présomption de mauvaise foi
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Un texte qui rate sa cible, des critiques du Conseil d'État en 2012
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Condamner ceux qui veulent se faire simplement une opinion
Commentaires (37)
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Abonnez-vousLe 10/02/2017 à 05h52
(je ne peux plus éditer)
C’était croyance * bien sûr et pas croissance " />
Le 10/02/2017 à 05h54
Le 10/02/2017 à 07h13
Si on commence à citer tous les maux de l’humanité on a pas fini " />
Le 10/02/2017 à 07h31
Pas 4200 ? Wikipedia
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Le 10/02/2017 à 07h33
Le 10/02/2017 à 07h50
Le 10/02/2017 à 07h59
Tu confonds zone de conflit et pays en guerre ….
De plus je doute que l’insurrection péruvienne, les armées nord coréennes ou l’armée russe en Ukraine implique beaucoup de musulmans.
C’est pas parce qu’un conflit ne fait pas la une qu’il se déroule pas.
Wikipedia
Le 10/02/2017 à 08h31
Recryogénise-toi pendant ta sieste, réveille-toi dans cent ans et reviens ici nous dire si c’est mieux ou pas.
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Le 10/02/2017 à 08h33
Justement, une grande mise à jour Mankind arrive bientôt en rolling-release. On va mettre à jour tous les humains.
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Le 10/02/2017 à 09h21
le texte de François Sureau est plein de bon sens.
Le 10/02/2017 à 09h29
Oui, mais il parle un poil vite quand même. " />
Le 10/02/2017 à 09h31
pas le même délit.
dans ce cas-là c’est de l’apologie. rien à voir avec le cas ici discuté.
Le 10/02/2017 à 10h11
Le 10/02/2017 à 10h34
Le 10/02/2017 à 11h45
Le 10/02/2017 à 12h13
Les croisades, l’inquisitions etc…. ça te dit rien ? On n’a pas tué au nom d’une religion peut être ? J’ai jamais dit que c’était écrit dans les bouquins sacrés qu’il fallait tuer son prochain… Que tu le veuilles ou non, il y en a qui tue à cause de leurs croyances religieuses.
Et je ne prône pas la haine envers les religions, je rappel juste ce qui s’est passé il y a quelques siècles quand c’était nous les chrétiens, soit disant “civilisés” qui tuions des pauvres civiles innocents au nom de notre Dieu.
Et bien sûr ce n’est pas mieux que les personnes qui prônent l’islam radical
Le 10/02/2017 à 12h26
Je n’ai jamais réussi à lire jusqu’au nouveau testament, mais dans l’ancien on trouve des passages perturbants. Par exemple Les Nombres 31 :
1 Yahweh parla à Moïse, en disant :
7 Ils s’avancèrent contre Madian, selon l’ordre que Yahweh avait donné à Moïse, et ils tuèrent tous les mâles.
Le 09/02/2017 à 17h24
Le présent article n’est pas applicable lorsque la consultation est
effectuée de bonne foi, résulte de l’exercice normal d’une profession
ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de
recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en
justice.
Donc le terroriste n’a qu’à télécharger au préalable un pack de livres de sociologie, et quand il se fera pincer pour consultation de sites terroristes, il pourra argumenter qu’il est en train d’étudier la sociologie des terroristes, c’est le thème qu’il a justement choisi pour son mémoire qu’il compte présenter prochainement en candidat libre quand il pourra s’inscrire dans une université.
Par conséquent c’est de la recherche : merci pour la relaxe monsieur l’agent.
Le 09/02/2017 à 17h25
il faut voir l’intervention de Sureau d’ailleurs (ça doit être sur youtube quelque part, je l’ai vue passer sur Twitter). 10 minutes d’une magistrale plaidoirie.
« ce n’est pas en ôtant du cerveau du citoyen, selon le mot de Tocqueville, le trouble de penser qu’on peut espérer triompher de tous ceux qui précisément veulent qu’on ne pense pas. Cette question est aussi vieille que la démocratie elle-même »
rien à ajouter. " />
Le 09/02/2017 à 17h27
la question étant justement: est-il terroriste parce qu’il consulte “habituellement un service de communication au public en ligne […]” ?
Le 09/02/2017 à 17h51
Dans le billet de blog du Monde pointé dans l’article " />
Le 09/02/2017 à 17h56
Certains élus étant de mauvaise fois , ils doivent partir du principe que tous les citoyens le sont sûrement." />
Le 09/02/2017 à 18h03
Donc tous ceux qui regardent la télé sont concernés, puisqu’on y voit des fous furieux crier Allahou Akbar et décapiter des gens ? … Ou bien ils souhaitent obliger la population a s’informer sur terrorisme seulement par ce média là et donc faire peur à ceux qui veulent aller sur le net pour avoir un autre son de cloche ?
La voilà donc la dictature : on va obliger les gens, grace a la loi, à consulter que les sites autorisés.
Prochaine étape : interdire la religion, car selon eux c’est la source du terrorisme.
Le 09/02/2017 à 18h03
Croisons les doigts…
Le 09/02/2017 à 18h18
Je leur rétorquerai bien que les sommes d’argent qui sont à la discrétion de nos élus peuvent aussi bien être des sources de financement du terrorisme et donc que l’opacité actuelle est dangereuse.
Le 09/02/2017 à 18h22
Donc, face aux exactions islamiques, on rétablit l’autodafé ?
Laïcité, Laïcité chérie, Combats avec tes défenseurs !
Aux larmes, etcétéra.
Le 09/02/2017 à 18h47
Habituellement c’est plus que deux trois fois. Ça signifie tous les jours ou plusieurs fois par jour ou semaine. Enfin j’en comprends ça.
Le 09/02/2017 à 18h53
Le 09/02/2017 à 19h20
J’allais dire la religion en général mais on sait très bien que l’on parle de l Islam puisqu’on nous répète a longueur de journée que le terrorisme se base sur l Islam radical.
Petite anecdote : Une amie m’apprends qu une mosquée au Quebec est frappé par une tuerie.
Je lui réponds encore un attentat !?
Elle me réponds “ben non puisque c’est contre une mosquée”
Donc le schéma attentat = Islam est bien ancré dans l’esprit des gens et le sera de plus en plus grâce aux médias qui nous repetent a longueur de journée “pas d’amalgame”
C’est pour cela que je dis qu’un jour la religion sera interdite sauf la religion de la consommation.
Il n’y a pas besoin de sortir des grandes écoles pour savoir que les états les plus riches et les plus influents de la planète ne se basent pas sur la religion (quelle qu’elle soit) pour conduire leur politique et pourtant le monde va de plus en plus mal.
Le 09/02/2017 à 19h22
Le 09/02/2017 à 19h34
En même temps tous les pays actuellement en guerre sont quasiment tous exclusivement musulmans alors allez dire aux gens de ne pas faire d’amalgame…
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Le 09/02/2017 à 19h40
La France, la Russie, USA et Cie sont devenus musulmans?😲 Merde, j’ai raté combien de décennie pendant ma sieste.
Le 09/02/2017 à 20h20
Le 09/02/2017 à 20h57
Le 09/02/2017 à 21h07
Quand on voit qu’il suffit de nommer son réseau wifi daesh21 pour se voir condamner de 3 mois avec sursis …
Peu de chance que cette mesure ne passe pas
Le 10/02/2017 à 05h38
Pas 36 ? https://en.m.wikipedia.org/wiki/List_of_religions_and_spiritual_traditions
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Le 10/02/2017 à 05h43