Game Camp : à l’université d’été du SNJV, les studios révisent leurs modèles
Nous étions bien sûr au fond, contre le radiateur
Le 10 juillet 2017 à 15h17
10 min
Société numérique
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Les 6 et 7 juillet dernier, 450 personnes s'étaient réunies à Lille pour le tout premier Game Camp organisé par le SNJV. L'occasion pour de nombreux acteurs de la scène vidéoludique française de se rencontrer et d'échanger autour d'une quarantaine de conférences.
C'est à Lille que le SNJV a décidé de poser ses valises pour organiser son tout premier Game Camp, un évènement faisant office à la fois d'université d'été pour les membres du syndicat, et de convention commune aux professionnels du jeu vidéo en France. Un mélange qui donne comme un petit goût de GDC à cet évènement franco-français.
Le choix de la ville d'accueil n'était pas le fruit du hasard, la nouvelle région Hauts-de-France étant une terre plutôt fertile pour les studios de jeux vidéo. On y retrouve notamment Ankama, mais aussi 48 autres entreprises, selon le baromètre 2016 du syndicat, ce qui en fait la quatrième région de France la plus active dans le domaine, derrière l'Auvergne Rhone-Alpes, l'Occitanie, et évidemment, l'Île-de-France.
Pendant deux jours, 40 conférences, avec des noms parfois cocasses (« Ode au self publishing et à Lady Gaga » restera notre préférée) se sont enchaînées dans trois salles, suivies par d'autres un peu plus techniques, comme « Optimiser son game design grâce à la psychologie et aux théories du joueur ».
Si parfois les salles étaient un peu trop petites pour permettre à tous les spectateurs de s'asseoir (la rançon du succès), deux d'entre-elles ont toutefois eu le privilège d'avoir lieu dans un grand auditorium de 2 000 places. Une première tenue par Anthony Roux, le PDG d'Ankama, et une seconde par Michel Ancel, le créateur de Rayman.
Jeux vidéo et betterave sucrière
Avant que les premières mains ne se serrent et que les cartes de visite ne s'échangent, le SNJV s'est offert le privilège de tenir la première conférence de la journée, sous forme d'une keynote d'introduction.
Pour le syndicat, c'était l'occasion de faire le point sur son bilan, qui devait être soumis à l'approbation de ses membres un peu plus tard lors d'une assemblée générale exceptionnellement ouverte aux non-adhérents. En vrac, l'organisme a rappelé son rôle dans l'ouverture du Fonds d'aide participative au jeu vidéo, ou dans la pérennisation de la nouvelle formule du CIJV, qui fait de la France l'un des pays les plus attractifs dans le domaine.
Lévan Sardjevéladzé, a ensuite rappelé le poids de l'industrie du jeu vidéo en France, qu'il estime « identique à celui de l'industrie de la betterave sucrière » en termes de chiffre d'affaires. Une place importante qui lui fait comprendre que le secteur a besoin d'un syndicat capable de fédérer non seulement les entreprises, mais aussi de s'occuper de ses employés qui pour l'instant, ne disposent d'aucune structure dédiée pour défendre leurs droits. Un comble dans un secteur où les conditions de travail sont relativement difficiles, avec souvent des heures supplémentaires à rallonge lors des phases de « crunch » et des salaires moins élevés pour les développeurs que dans d'autres branches.
Business modèles
L'un des buts affichés du Game Camp est de permettre aux studios, aux éditeurs et autres sous-traitants de se rencontrer afin de prendre contact, puis pourquoi pas de signer de juteux contrats ensuite. C'est donc assez logiquement que de nombreuses conférences avaient un aspect « business » prononcé.
Les différents modèles économiques possibles pour les jeux ont fait l'objet de plusieurs présentations. L'éditeur français Play In Digital était ainsi venu vanter les mérites de la diffusion physique des jeux pour console, arguant que 90 % des joueurs sur PS4 ne consomment rien en dématérialisé. « C'est une réflexion qui ne tient que pour la PS4, et certainement pour la Switch. Sur Xbox One, les volumes physiques sont extrêmement réduits en France », précise toutefois Francis Ingrand, PDG de l'éditeur et vice-président du SNJV chargé des questions internationales.
La société a également fait partager son expérience dans le domaine en racontant quelques loupés auxquels elle a pu assister. Un jeune studio a ainsi complètement raté son lancement en développant un moteur qui n'était pas capable de prendre en compte l'alphabet cyrillique, se privant ainsi de l'accès à plusieurs marchés. Sur Steam, certaines erreurs sont plus facilement évitables : « En moyenne les joueurs ne regardent que 10 à 15 secondes de vidéo sur une fiche produit Steam, donc ne commencez pas par faire défiler les logos de vos partenaires pendant 30 secondes. C'est chouette, mais tout le monde s'en fout ».
Quant aux bundles, si leur utilisation peut être intéressante, elle n'est à réserver qu'aux jeux dont la carrière commerciale est terminée. « On ne lance pas un jeu avec un bundle, on le tue, purement et simplement », résume ainsi Francis Ingrand.
Système D et auto-édition
D'autres pistes ont été lancées par divers conférenciers. Chez Golem Rage, le sujet de la présentation était de trouver les bonnes techniques pour lancer un projet à peu de frais, c'est-à-dire sans rémunérer le personnel pendant le développement, mais en leur promettant une part des revenus une fois le jeu lancé. Une prise de parole qui a répondu à certaines questions parfois surprenantes comme « comment motiver quelqu'un qu'on ne paye pas ? », devant un public médusé.
L'auto-édition a également été évoquée par les participants, notamment Ico Partners, qui soulignait que le métier d'éditeur n'a jamais été aussi simple « Pour 100 dollars tu peux entrer sur Steam et la pub sur Facebook, ça démarre à 10 balles », fait ainsi valoir Thomas Bidaux, PDG de la société.
Néanmoins, cela nécessite quelques efforts de la part des studios, notamment sur le plan du personnel, afin de pouvoir s'adapter à de nouveaux métiers. « Parce que faire une pub sur Facebook, c'est facile, en faire une bonne, c'est déjà moins simple ». Une démarche qui reste valable même si l'on fait appel à un éditeur : « s'il y a des partenaires, il y a forcément des ressources à leur assigner, l'éditeur ne peut pas tout faire tout seul ».
Résultat des courses ? « Soyez comme Lady Gaga, toujours dans la performance et la communication », résume Thomas Bidaux. Le meilleur exemple mettant en valeur cette philosophie n'est d'ailleurs pas vieux. Les développeurs de Prison Architect ont récemment lancé un nouveau jeu et ont fait savoir dans GamesIndustry qu'ils n'étaient pas contents de ses chiffres de vente avec 6 000 exemplaires en deux mois. La raison de cet échec est simple selon l'analyste : le studio n'a pas fait parler de son jeu, Scanner Sombre, avant son lancement.
Ankama et l'ouverture de Dofus au trans-médias
Pareil évènement ne serait pas complet sans une paire de « master class » menées par des pointures (pour ne pas dire modèles) du secteur. Pour cette première édition, c'étaient Anthony Roux, le PDG et co-fondateur d'Ankama et Michel Ancel, le créateur de Rayman et fondateur du studio Wild Sheep qui se sont prêtés à l'exercice.
Le premier s'est étendu pendant une heure sur la chronologie de Dofus, et de la nécessité d'y maintenir une certaine cohérence, ce qui n'est pas gagné lorsque l'on multiplie les produits dérivés autour d'une même série.
Après avoir ironisé sur les performances commerciales du film Dofus – « on n'a pas fait 100 000 entrées mais on a cartonné sur BitTorrent » – le dirigeant a insisté sur le besoin de maîtriser l'ensemble du contenu dérivé produit. « Il faut non seulement être cohérents sur la narration, mais aussi au niveau du ton et du graphisme », assène-t-il. Chez Ankama, ce mimétisme est poussé jusqu'aux moindres détails. « La maison d'un personnage non-joueur doit pouvoir être reconnaissable que ce soit dans la BD, le film ou le jeu », sourit le responsable.
L'élargissement des médias sur lequel l'univers de Dofus est présent a également causé quelques changements en interne. « Pendant un temps nous avions une équipe de trois ou quatre personnes qui faisaient office d'historiens pour la franchise, et devaient absolument tout valider », explique Anthony Roux. « Maintenant, les équipes parlent entre elles et la cohérence de l'univers passe par la cohésion des équipes ».
Néanmoins, cette présence de Dofus et Wakfu sur de nouveaux canaux ne permet pas de complètement résoudre le problème de l'érosion du nombre de joueurs. Ankama reconnait que le nombre de départs enregistrés chaque mois n'évolue guère, mais que la quantité de nouveaux arrivants se réduit petit à petit. « C'est plus difficile de renouveler notre public qu'il y a cinq ans », concède Anthony Roux.
Michel Ancel loue la beauté du code
Le créateur de Rayman s'est quant à lui étendu sur sa relation avec le code. Pour lui, il s'agit à la fois d'un outil devant lui simplifier la vie, mais également une source d'inspiration. C'est en voulant faire la démonstration d'un algorithme permettant d'animer séparément plusieurs modules d'un personnage que Rayman est né, en 1991... sur Super Nintendo et Atari. La ROM de cette démo sur SNES est d'ailleurs disponible depuis peu.
Il explique que c'est aussi grâce aux évolutions permises par cet outil qu'il peut envisager de se lancer dans des projets de plus en plus complexes. Dès 2003, lors des débuts du développement de Beyond Good and Evil 2, sa tâche était facilitée par un petit module capable de générer des motifs pour les tracés urbains. Le développeur tire un rectangle et le moteur se charge du reste, plaçant des bâtiments et des rues en fonction de la place disponible, tout en gérant le trafic.
Plus tard pour Wild et pour le nouveau projet autour de Beyond Good and Evil 2, ce sont des cartes en 2D, remplies de gros pixels de couleur qui permettent de générer le gros des paysages. Un pixel orange donnera une zone désertique, un pixel vert un bois, un pixel gris une montagne et ainsi de suite.
À partir de cette carte topographique, le moteur du jeu génère aléatoirement des reliefs et de la végétation en s'appuyant sur quelques assets crées un peu plus tôt, on module ensuite à la main et voila, le tour est joué. « Du coup quand on me dit que BGE2 est trop ambitieux et qu'on y arrivera pas, que ça demandera trop de temps, on rigole bien », fait remarquer Michel Ancel. En attendant, les fans patientent depuis plus de quinze ans.
Game Camp : à l’université d’été du SNJV, les studios révisent leurs modèles
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Jeux vidéo et betterave sucrière
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Système D et auto-édition
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Ankama et l'ouverture de Dofus au trans-médias
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Michel Ancel loue la beauté du code
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 10/07/2017 à 15h56
Les conférences seront-elles rediffusées?
Le 10/07/2017 à 16h12
De mémoire, elles n’étaient pas filmées.
Le 10/07/2017 à 22h31
Dommage. :(
Le 11/07/2017 à 00h35
Merci de parler de nous <3. Industrie qu’on aime, mais industrie qui paye peu. Je ne savais pas que NX avait quelqu’un sur place, c’est cool.
Signé : un gamedev trop alcoolisé
Le 11/07/2017 à 06h30
J’y étais pour le boulot, j’me suis contenté du café et de l’eau gazeuse pendant deux jours, en évitant soigneusement la “soirée networking” du jeudi " />
Le 11/07/2017 à 08h09
Rien n’a été évoqué sur le jeu mobile les gacha game ?
Plus ça va, plus j’ai l’impression qu’on tend vers ce modèle qui semble être la nouvelle poule aux oeufs d’or.
Le 11/07/2017 à 09h51
La raison de cet échec est simple selon l’analyste : le studio n’a pas fait parler de son jeu, Scanner Sombre, avant son lancement.
Effectivement, je n’en avais pas entendu parler du tout " />
Le 12/07/2017 à 15h07