E-sport : le gouvernement délivre les premiers agréments, les équipes restent prudentes
Structurer pour mieux régner ?
Le 08 janvier 2018 à 16h54
7 min
Société numérique
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Trois clubs professionnels d'e-sport ont obtenu vendredi dernier les tous premiers agréments en France leur permettant d'embaucher des joueurs professionnels. Cette réglementation doit permettre au secteur de se structurer, mais les inquiétudes des équipes ne sont pas encore toutes levées.
Depuis la promulgation de la loi pour une République numérique en 2016, les textes prévoient un statut spécial pour les joueurs professionnels de jeux vidéo compétitifs, proche de celui actuellement en vigueur pour les sportifs salariés par des clubs.
Ils doivent ainsi être embauchés en CDD (minimum 12 mois, maximum cinq ans), avec une granularité par « saison » de compétition. Les joueurs peuvent ainsi plus facilement accéder à la sécurité sociale ou cotiser pour leur retraite qu'avec un statut d'auto-entrepreneur ou d'EURL, actuellement privilégié par la profession.
Un changement majeur aussi bien pour les équipes que pour les cyberathlètes, même si plus d'un an après la mise en application de cette loi, aucun joueur ne dispose encore d'un tel contrat. Et pour cause, pour pouvoir proposer ces contrats, les équipes doivent préalablement obtenir un agrément auprès du ministère de l'Économie.
Or, les premiers sésames n'ont été distribués que vendredi dernier à trois structures françaises : GamersOrigin, LDLC Event et l'Olympique Lyonnais. Nous avons pu nous entretenir avec l'une d'elles afin de comprendre les enjeux derrière cette démarche.
Une avancée bien perçue par les équipes
Le ressenti des équipes sur cette nouvelle disposition a quelque peu évolué depuis juillet dernier, date de l'ouverture des candidatures pour ce fameux agrément, les plus hostiles ayant fini par se replacer dans le rang. Les avantages qui se dessinent à très long terme pour la discipline les ravissent. Pourtant, à court terme, faute d'harmonisation européenne, les contraintes risquent de coûter cher, au sens propre comme au figuré pour les structures les plus fragiles.
Guillaume Merlini, PDG de GamersOrigin, rappelle qu'à terme, toutes les équipes professionnelles françaises devront obtenir cet agrément si elles souhaitent exercer leur art dans l'Hexagone. « On y trouve plusieurs avantages. Déjà cela apporte un cadre plus sécurisant pour les joueurs, ce qui peut faciliter certains recrutements. Le fait de proposer des CDD devrait aussi simplifier l'obtention de visas pour les joueurs si l'on souhaite faire venir des talents étrangers, les démarches étant complexes ».
Ces contrats ont également vocation à rassurer les parents des joueurs, qui font parfois barrage aux aspirations de leur progéniture, estimant que de mettre en pause leur scolarité pour une carrière dans l'e-sport est un pari un peu trop risque. « Nous avons eu le cas d'un jeune avec le potentiel pour devenir l'un des meilleurs européens dans sa discipline qui a été bloqué par ses parents », indique la structure française, qui espère ne plus avoir à faire face à ce type de déconvenues.
Le cadre juridique autour de la discipline se solidifie a également des effets positifs du côté des sponsors et investisseurs, rassurés sur la pérennité de ce marché encore balbutiant. Il est en effet plus aisé pour eux de se lancer sur un domaine qui tend à se structurer, que sur le joyeux chaos qui régnait encore il y a quelques années.
Un ticket d'entrée plus cher
La contrepartie de ce cadre plus sécurisant pour les joueurs, qui profiteront désormais des mêmes conditions que n'importe quel autre salarié en France, c'est que les négociations salariales vont se compliquer entre équipes et cyberathlètes. « Si l'on veut maintenir le salaire net des joueurs, on devra nettement augmenter leur rémunération brute », affirme Guillaume Merlini. Le changement de régime implique en effet des coûts en hausse d'environ 50 % côté employeur, à revenu net égal pour l'employé.
Cela pose plusieurs problèmes. Le premier est que les équipes n'ont actuellement pas toutes les moyens de doubler d'un coup leur masse salariale, surtout quand certains joueurs en France peuvent prétendre à une rémunération de l'ordre de 5 000 euros nets par mois, voire des salaires annuels à six chiffres au sein des structures les plus fortunées.
Vient ensuite celui des jeux où l'exposition médiatique ne permet pas encore de dégager d'importantes rémunérations pour les joueurs. « Sur Rocket League par exemple, beaucoup de joueurs n'ont qu'un statut semi-professionnel et ne touchent que quelques centaines d'euros par mois. Si demain, on doit réduire leur rémunération de moitié pour y inclure les cotisations sociales, certains joueurs pourraient renoncer à leurs carrières. Dans l'autre sens, des structures pourraient aussi abandonner l'idée d'explorer des titres mineurs pour des raisons de coûts », nous explique-t-on chez GamersOrigin.
Le ticket d'entrée devient également plus cher pour les acteurs non-endémiques qui souhaiteraient se lancer dans le grand bain de l'e-sport. Si jadis il était possible de monter une équipe à peu de frais en faisant appel à des joueurs en auto-entreprise, la procédure se complexifie. On peut ainsi s'attendre à voir des initiatives marketing comme celle d'Airbus, avec son équipe Out of the blue se raréfier, du fait des prérequis plus importants.
Quelle concurrence en Europe ?
Autre point problématique, la concurrence européenne. Actuellement, la France est le seul pays où une telle obligation est mise en place pour l'embauche de joueurs professionnels d'e-sport. L'une des craintes de plusieurs équipes françaises est de voir certaines structures se délocaliser dans des pays limitrophes où les contraintes seront moins fortes.
Elles s'inquiètent également que les clubs étrangers deviennent significativement plus compétitifs qu'eux sur le plan de la rémunération, et donc plus attractifs. « La question ce n'est pas tant que tout le monde en Europe paye les mêmes cotisations sociales, ça serait impossible à mettre en place. C'est surtout que le mode de rémunération des joueurs soit harmonisé dans l'UE » nous confie Nicolas Maurer, directeur général de Vitality. « Les carrières des joueurs sont souvent courtes, ils vont donc parfois avoir tendance à chercher la meilleure rémunération plutôt qu'un cadre plus stable ». L'équipe française, qualifiée pour les LCS sur League of Legends, nous précise par ailleurs que sa demande d'agrément est en cours d'étude.
Il reste toutefois un avantage : les CDD des joueurs français prévoiront des périodes de « mercato », fixées par arrêté ministériel, pendant lesquelles, les équipes, locales ou étrangères pourront racheter leurs contrats, ce afin de limiter les risques de débauchage sauvage, comme on peut encore le voir dans les ligues les moins structurées. Comme au football, les clubs pourront récolter des indemnités de transfert à l'occasion de ces échanges. Cette pratique était néanmoins déjà courante dans plusieurs disciplines e-sportives, les amateurs des scènes CS:GO ou League of Legends peuvent en témoigner.
C'est maintenant au gouvernement de porter la voix des professionnels français de l'e-sport, et d'exporter son modèle chez nos voisins européens. Contacté, Stephan Euthine, président de l'association France eSports et directeur de LDLC Event, n'était pas disponible pour répondre à nos questions à ce sujet.
Et l'e-sport amateur dans tout ça ?
Dernière inconnue dans cette nouvelle équation, celle de la place de l'e-sport amateur ou semi-professionnel. « Nous avons besoin dans l'écosystème français de structures plus petites, pour faire vivre des compétitions en dehors des grands rendez-vous et y amener de nouveaux publics », clame Guillaume Merlini. « Il ne faudrait pas que ces équipes-là soient contraintes de se délocaliser pour survivre. » Chez Vitality, on estime comme en juillet dernier que « la situation finira par se lisser à long terme ».
En attendant l'application stricte des textes, le gouvernement laisse une certaine marge de manœuvre aux équipes, l'objectif restant de structurer le secteur et non de le couler. Les contrats conclus avant l'obtention de l'agrément restent valables, et ne doivent être soumis au nouveau règlement qu'au moment de leur prolongation. De quoi laisser quelques mois aux équipes concernées pour boucler leurs budgets et négocier avec leurs joueurs.
E-sport : le gouvernement délivre les premiers agréments, les équipes restent prudentes
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Une avancée bien perçue par les équipes
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Un ticket d'entrée plus cher
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Quelle concurrence en Europe ?
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Et l'e-sport amateur dans tout ça ?
Commentaires (23)
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Abonnez-vousLe 09/01/2018 à 14h17
Ou plus simplement et plus probablement, dans un premier temps le salarié aura peut être plus de moyens, mais rapidement il verra que son salaire n’augmentera pas, et l’argent qui allait aux impôts ira plutôt aux bénéfices des entreprises, lesquels seront reversés aux actionnaires puis investis quelque part sous une forme qui ne profitera qu’à son propriétaire.
En attendant, l’écart entre le brut et le net, ce n’est pas juste des impôts qui partent à l’état et qu’on ne revoit jamais. C’est aussi une protection sociale qui permettra entre autres à ces gens de pouvoir vivre après la fin de leur CDD, parce qu’il ne faut pas rêver, seuls quelques uns arriveront à faire carrière et à se reconvertir aisément ensuite.
Le 09/01/2018 à 15h10
Le 09/01/2018 à 15h50
Un premier pas qui pose beaucoup de problématiques, suivant le jeu les enjeux financiers ne sont pas du tout les mêmes… je n’ai pas l’impression que les décisionnaires l’aient bien compris. On ne peut pas traiter de la même façon le joueur top français League Of Legends et le type qui fait un tournoi fifa une fois de temps en temps.
Et pas d’harmonisation européenne… si ça devient trop compliqué ou intenable financièrement les équipes s’expatrieront en Belgique ou ailleurs. Je vois mal des petites équipes sur un nouveau jeu pouvoir se payer plusieurs joueurs salariés…on se retrouverait uniquement avec les grands noms qui ont déjà fait leurs preuves ailleurs ou des marques. ce serait vraiment détruire l’esport français je trouve.
A suivre donc.
Le 09/01/2018 à 21h13
Le salaire brut que voit le salarié c’est pas grand chose, l’entreprise paye plein de charge pour le salarié ce qui ramène pour l’entreprise a compter le triple du net (sauf pour les grands groupes qui arrivent a négocier avec l’état…). Apres ce n’est pas grave que l’état prélève 2⁄3 du salaire du salarié. (il y a un problème de gestion de l’état derriere assez infâme mais c’est H-S)
Pour revenir au thème de l’eSport qui essaye de se structurer. Alors qu’hier les structures étaient des amateurs, aujourd’hui de nouveaux acteurs arrivent pour soutenir ce monde et permettre la création d’un cadre sauf que si demain les structures doivent multiplier par deux la charge salariale ça fera mal, très mal pour les petites structures…
A voir si demain, on verra l’émergence d’ARENE eSport dans les grandes villes françaises pour les compétitions eSports, l’organisation de tournois régionaux comme au foot, avec location de salle pour les entrainements, etc… Aujourd’hui le jeux vidéo rapporte plus que les autres loisirs et les villes n’exploitent pas le potentiel.
On a une grosse fracture entre les vieux qui ne comprennent/s’adaptent à l’évolution des loisirs et les jeunes qui ont l’impression que le jeux vidéo c’est mal vue auprès des adultes…
Le 09/01/2018 à 21h26
Le 11/01/2018 à 15h10
Merci du partage.
J’aurai dû m’en douter… C’est triste.
Le 08/01/2018 à 22h52
environ trois fois le net…
Le 08/01/2018 à 23h20
Super article, merci Kevin ! " />
Le 09/01/2018 à 01h43
3x? plutôt 2x (47% du facturé=net. après ca dépend des status)
Le 09/01/2018 à 07h02
“Cyber athlète”, je trouve ça trop bon. Ah quand le contrôle anti dopage?
Le 09/01/2018 à 07h10
Ca existe déjà dans l’esport. Tout comme pour les exams, produits pour augmenter la concentration, réflexes, endurance (fatigue mentale). Les leagues commencent à le prendre en compte (depuis 2017)
edit:https://www.eslgaming.com/news/esl-leads-anti-ped-initiative-esports-support-nad…
Edit2:https://www.connectesport.com/le-dopage-dans-lesport/
Le 09/01/2018 à 07h55
Tout à fait :)
Le 09/01/2018 à 10h39
so au beurre, il faut bien ça pour maintenir à flot tout les bras cassés du pays et acheter la victoire aux élections à grand coup d’aide sociale en tout genre.
Le 09/01/2018 à 11h36
3x au moins!!!
Non mais les gars, un peu de gestion ça vous dirait?
Si on veut un minimum de services-public chacun doit payer sa part, non? c’est une question de principe républicain.
(je rentre pas dans le débat de l’équité fiscale ou même du niveau )
Bref, y a du boulot… (merci UBER…)
Le 09/01/2018 à 12h01
Ah ouais les fameux principes républicain waw tu as bien appris ta leçon. Tu nous tiens au courant le jour où la france sera une république, d’ici là on va essayer de ne pas se faire massacrer par l’état Dieu heu … état providence en langage républicain progressiste
Le 09/01/2018 à 12h12
Après les équipes suisses de tennis et de rally (Noah, Loeb, Ogier…), bientôt les équipes d’Europe de l’est d’e-sport " />
Le 09/01/2018 à 12h24
Premier effet, on délivre des agréments, deuxième effet, on taxe et on impose " />
Le 09/01/2018 à 12h25
Le 09/01/2018 à 12h29
C’est quand même en partie le cas, quoi que tu en penses.
Si on parles de bonne gestion des rentrées/sorties, là, c’est effectivement différent.
Le 09/01/2018 à 12h44
Le 09/01/2018 à 12h47
Bon, c’est clair que dans mon administration, le budget est géré à la va comme je te pousse. On sort 10X 3500 euros HT pour du portable qui va servir à aller sur le net, mais il n’y a pas de pognon pour acheter une imprimante…
Si c’est partout pareil, ça explique beaucoupe de choses. Au passage, je ne suis pas en France, c’est pareil ailleurs ;).
Le 09/01/2018 à 13h06
Je suis pas le plus compétent pour juger et pour dire quoi faire, mais j’ai dans l’idée que :
- Si on réduit la différence entre le brut et le net, le salarié augmente son pouvoir d’achat, alors que l’entreprise dépense la même somme. Seul l’Etat touche moins (Et encore, à salaire plus élevé, plus d’impôts, etc…).
- Si le salarié voit son pouvoir d’achat augmenter, il va donc pouvoir dépenser plus (on va rester dans un cas simple, pas dans celui des fourmis qui ne dépensent rien et mettent tout sur un compte). Donc s’ils dépensent plus, les entreprises ont plus de demandes, donc potentiellement plus de besoin d’embaucher. De plus si les gens achètent, l’Etat récupère la TVA.
- Si l’entreprise embauche plus de monde, il y aura peut être moins de chômage. Donc moins de frais, et plus de gens avec un meilleur niveau de vie, donc plus d’acheteur…
Après, je me doute bien qu’il y aurait des effets pervers (Hausse de loyers car plus plus de demande, hausse de certains prix, etc…) mais ne serait-ce pas une méthode pour essayer de relancer un peu notre économie ?
Je suis trèèèèèèès loin d’avoir toutes les connaissances, donc si quelqu’un sait pourquoi ça serait une connerie infâme, j’suis preneur.
+1 à ElMarcassin : J’ai déjà bossé pour des administrations qui renouveler son parc qui préférait jeter plutôt que de donner. Je suis sûr que plein de FAC, école ou association aurait été heureuse vu les matos jetés… Et ça se chiffrait en centaine de milliers d’euros… Petite commande d’une centaine de pièces seulement…
Le 08/01/2018 à 22h08
C’est marrant de voir a quel point les prelevements obligatoire entre super brut et net sont violents en France…